Bruxelles, 07/09/2012
Seul le texte prononcé fait foi
Monsieur le Commissaire, Président,
Je vous remercie de me donner la parole à la fin de ces deux journées de travail sur le thème qui est prioritaire pour nous: l’emploi.
Le ton et le contenu d’un certain nombre d’interventions, particulièrement celles des Présidents, hier matin me permettent d’espérer que la misère et la déstabilisation sociale induites par le chômage commencent à trouver un écho politique, un écho dans la tête et le cœur de ceux et de celles qui sont aux commandes. Il est plus que temps.
C’est un pas qui est fait; mais il reste un saut à faire; il reste à changer les textes et surtout il reste à agir. A cet égard, nous surveillerons de près le rapport annuel sur la croissance et les recommandations aux états.
Oui, il faut favoriser les investissements dans les secteurs à haut potentiel d’emploi.
Oui, également: la question du chômage des jeunes est prioritaire, mais nous attendons toujours des propositions concrètes sur le problème des stages et sur une garantie d’emploi pour les jeunes.
Oui, il faut lutter contre les barrières à l’emploi des femmes et empêcher la mise à l’écart des travailleurs âgés.
Par contre, non : Ce n’est ni le droit du travail, ni le dialogue social, ni les régimes de pension ou de soins de santé qui tuent la relance. Non, ce qui tue la relance c’est l’addition des plans d’austérité, les centaines de milliards d’euros de coupes budgétaires simultanées, ou successives, les augmentations de la TVA, les réductions des allocations sociales.
Par contre, non: ce n’est ni le droit du travail, ni le dialogue social, ni les régimes de pension ou de soins de santé qui tuent la relance. Non, ce qui tue la relance c’est l’addition des plans d’austérité, les centaines de milliards d’euros de coupes budgétaires simultanées, ou successives, les augmentations de la TVA, les réductions des allocations sociales.
Depuis 2009, les travailleurs et les ménages ont payé plus que leur dû. Sous la pression de l’UE, nombre d’États membres ont réduit leurs budgets consacrés à la sécurité sociale, restreint l’accès aux allocations sociales ou diminué leurs montants, ils ont reculé l’âge de la retraite. Nombre d’États membres ont baissé les salaires minimums, cherché à affaiblir la négociation collective et les institutions qui soutiennent le dialogue social; ils ont remis en cause le rôle des syndicats, flexibilisé les marchés du travail, et assoupli les règles en matière de licenciements collectifs et individuels.
J’ai lu la lettre de la Troïka, destinée à la Grèce, lettre filtrée, il est vrai. Une des recommandations est de demander aux Grecs de travailler six jours sur sept. Une telle intervention est totalement injustifiable de par sa forme et de par son contenu.
Pour surmonter la crise, on veut que les politiques sociales et les politiques de l’emploi deviennent les variables d’ajustement.
Et pourtant, en 2012, le bilan des politiques d’austérité demeure catastrophique: récession économique, progression continue du chômage, extension de la crise au cœur de la zone euro… Même la crise de la dette publique s’approfondit faute de croissance. Il est donc urgent de s’interroger sur l’impact des réformes structurelles et des plans d’austérité sur l’activité économique, l’emploi et le chômage en Europe. Il faut changer de cap.
C’est pourquoi, de notre point de vue, cette conférence aurait dû inclure un thème additionnel « Quelles politiques européennes de relance concertées », avec bien entendu la participation de la DG ECFIN et de la BCE. Dans cet atelier, on se serait penché sur la manière de créer les emplois de demain dans les services sociaux dans les pays en récession et dans ceux qui appliquent des plans d’austérité drastiques, sur la manière de développer l’économie verte, sur la manière de promouvoir l’emploi des femmes, des jeunes, des travailleurs âgés dans un contexte de chômage massif.
Quelques mots à propos des salaires:
La formule revient comme un leitmotiv: il faut réduire les coûts salariaux pour être compétitif et relancer les exportations. Pas un jour ne passe sans que la Commission, la BCE, les ministres des Finances ne martèlent ce mantra. Pourtant la formule n’est pas vérifiée.
La réduction de 15 % des coûts unitaires salariaux en Grèce n’a pas relancé ses exportations ; ces exportations étaient bien plus robustes avant la crise, dans une période de croissance des salaires.
En Espagne et au Portugal, une relance des exportations s’est produite. Mais elle n’a pas compensé l’effondrement de la demande domestique lié aux programmes d’austérité. Aujourd’hui cette relance s’essouffle, parce que l’austérité chez les uns tue les exportations chez les autres.
Les réformes structurelles menées en Allemagne dans les années 2000 ne sont pas un exemple à suivre aveuglément : l’avantage compétitif actuel de l’Allemagne est moins lié à la baisse des coûts salariaux qu’à la spécialisation de son industrie parfaitement ciblée avec les besoins des pays émergeants. La baisse des coûts salariaux n’est pas la cause du succès économique: son but est le plus souvent d’augmenter les marges de profit. La Commission le note d’ailleurs elle-même dans son document.
Il faut donc cesser de faire croire que la compétitivité salariale est synonyme de croissance, d’investissement, de performances en termes d’exportations. Une économie européenne compétitive et créatrice d’emplois doit se fonder sur une concurrence portant sur la qualité des produits et l’innovation – et non la concurrence salariale ou fiscale –, sur l’efficacité énergétique et l’utilisation réfléchie des ressources, et enfin sur un système de redistribution des richesses pour renforcer la cohésion sociale.
Il faut donc cesser de faire croire que la compétitivité salariale est synonyme de croissance, d’investissement, de performances en termes d’exportations. Une économie européenne compétitive et créatrice d’emplois doit se fonder sur une concurrence portant sur la qualité des produits et l’innovation – et non la concurrence salariale ou fiscale –, sur l’efficacité énergétique et l’utilisation réfléchie des ressources, et enfin sur un système de redistribution des richesses pour renforcer la cohésion sociale.
Permettez moi d’ajouter un mot sur les salaires minimum: Monsieur le professeur Pissarides a pris la parole au début de la conférence. Il est prix Nobel d’économie et professeur à la London School of Economics. Une telle carte de visite m’impressionne et devrait m’inciter à la modestie; sans doute devrais-je me taire, mais je ne résiste pas. Il nous a dit que, si les salaires minimum existaient, ils devaient être très bas. Nulle part dans les exemples produits par le BIT on ne trouve l’évidence que le salaire minimum ait éliminé des postes de travail. J’aurais voulu lui demander ce qu’est pour lui un salaire minimum acceptable, qui assure une vie décente. Le Conseil de l’Europe a estimé qu’il fallait atteindre 60% du salaire médian pour que le salaire minimum soit considéré comme équitable. Pourtant, le Conseil de l’Europe n’est pas composé de syndicalistes hyper-radicaux, mais de représentants des gouvernements.
Au-delà de ça, ne peut pas décemment aller dire à un travailleur qui a le salaire minimum, dans un des pays où a sévi la Troïka, à un travailleur qui a sa vie à vivre, son loyer à payer, ses enfants à élever, on ne peut pas lui dire que son salaire est trop haut. Il y a de l’indécence à le faire.
La Confédération européenne des syndicats a mis sur la table une proposition de Contrat social européen. Je vous en recommande vivement la lecture.
La Confédération européenne des syndicats a mis sur la table une proposition de Contrat social européen. Je vous en recommande vivement la lecture.
Ce contrat, à débattre à tous les niveaux, doit se fonder sur trois piliers : la démocratie sociale – c’est-à-dire notamment le respect des négociations collectives –, la gouvernance économique au service d’une croissance durable et d’emplois de qualité, et enfin la justice économique et sociale.
Nous ne pourrons ni ne voudrons cependant pas nous mettre à une table de discussion où les pré-requis seraient une acceptation qu’il faut baisser les salaires et considérer la protection sociale et les services publics comme des éléments du passé.
Utiliser la crise pour tenter de démanteler le dialogue social, la négociation collective et le droit du travail, c’est commettre une erreur historique. C’est mettre dans l’esprit des citoyens et travailleurs l’idée que leur patrimoine social, lentement constitué pendant des décennies, est aujourd’hui dilapidé par l’Europe. À cause, rappelons-le, d’une crise bancaire qui a coûté aux gouvernements européens, entre octobre 2008 et octobre 2011, pas moins de 4 500 milliards d’euros d’aides d’État aux banques.
La CES est particulièrement bien placée pour mesurer tous les dangers de la montée du chômage et des inégalités, de l’émergence d’un « précariat » européen et, au final, d’un sentiment profond d’injustice sociale qui se répand. L’espace est de plus en plus étroit entre sentiment d’injustice, colère et mise en doute de la valeur du projet européen. Cette perte de confiance se traduit et se traduira dans les urnes.
L’urgence du contrat social européen que propose la CES n’est pas dictée par l’intérêt particulier de l’une ou l’autre organisation syndicale. Elle l’est par la nécessité de sauver l’idée que le progrès social est au cœur même du projet européen.
Monsieur le Commissaire, je vous remercie d’avoir pris l’initiative d’une conférence de haut niveau sur l’emploi. C’est le thème qui devrait être l’objectif de toutes les politiques européennes.
Je vous remercie pour votre attention.
Discours de la CES pour téléchargement
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