« Redonner vie à la stratégie de Lisbonne » en maintenant l'équilibre entre le pilier économique, social et environnemental et la réforme du cadre des politiques macro-économiques

Bruxelles, 15-16 mars 2005

Introduction

La CES a salué la stratégie de Lisbonne lorsque les chefs d'État et de gouvernement l'ont décidée il y a cinq ans, en mars 2000. La CES a plus spécifiquement soutenu l'approche équilibrée et intégrée alliant les politiques économique, sociale et environnementale. Et les organisations syndicales se sont félicitées, quant à elles, de l'engagement politique en faveur du plein emploi et de la création d'emplois plus nombreux et de meilleure qualité, ainsi que d'une plus grande cohésion sociale.

Des progrès ont été enregistrés, mais l'Europe est encore loin de satisfaire aux objectifs-clés. Le prochain Conseil de printemps cherchera à relancer la stratégie de Lisbonne, et une revitalisation de cette stratégie est sans aucun doute nécessaire. La question essentielle est de savoir dans quelle direction nous allons évoluer au cours de ces cinq prochaines années pour devenir la société de la connaissance la plus compétitive, avec des emplois plus nombreux et de meilleure qualité, une cohésion sociale et un environnement répondant aux normes du développement durable. Le récent débat concernant la recherche d'un compromis, même temporaire, entre les dimensions économique, sociale et écologique nous conduit dans la mauvaise direction.

L'Europe ne peut pas se laisser entraîner dans une concurrence mondialisée basée sur un nivèlement par le bas des normes sociales ; son avenir réside dans la « voie royale » d'une productivité élevée, d'une qualité élevée et de salaires élevés. Une réforme du cadre macro-économique européen est essentielle. Les politiques macro-économiques ne devraient pas se contenter de « stabiliser » l'économie, mais elles devraient aussi « dynamiser » l'économie, afin de faire de l'Europe elle-même son propre moteur de croissance.

Le 2 février 2005, la Commission a publié son rapport sur l'évaluation de la Stratégie de Lisbonne, intitulé « Travaillons ensemble pour la croissance et l'emploi - Un nouvel élan pour la Stratégie de Lisbonne ». La communication de la Commission présente ses propositions visant à rectifier le processus de Lisbonne dans le but d'en améliorer la mise en œuvre. Outre la communication principale, plusieurs autres communications et documents ont été publiés par la Commission. Ceux-ci concernent:

Le document de travail du personnel de la Commission qui étaye le rapport de la Commission au Conseil européen de printemps

Le plan d'action qui comprend le programme de la stratégie de Lisbonne ainsi que les recommandations à inclure par les États membres dans leurs programmes nationaux répondant à la stratégie de Lisbonne

Produire de la croissance et de l'emploi: un nouveau cycle intégré de coordination dans les domaines de l'économie et de l'emploi dans l'Union européenne »

Communication de la Commission relative à l'Agenda social

Principales préoccupations des organisations syndicales

Un certain nombre de thèmes mentionnés dans ces différents documents peuvent recevoir notre soutien, et revêtent une grande importance aux yeux des organisations syndicales:

Des investissements accrus et améliorés dans les domaines de la recherche et du développement
Davantage d'investissements dans les infrastructures modernes
L'examen de la possibilité d'une assiette consolidée commune pour l'impôt sur les sociétés
L'organisation de services d'intérêt général de haute qualité pour tous les citoyens

Pour la CES, il n'y a aucun problème si l'Europe se concentre davantage sur la croissance durable afin de créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité. Et il n'y a pas non plus d'objection à ce que nous fassions tous les efforts possibles pour améliorer la compétitivité des entreprises, pour autant que nous conservions l'équilibre entre les trois piliers - économique, social et environnemental !

Les préoccupations syndicales résident dans le fait qu'il manque un certain nombre d'éléments importants et que les différents textes font la part trop belle à des conclusions et des interprétations différentes. Les divers documents de la Commission donnent rarement l'impression d'un nouvel élan pour la stratégie de Lisbonne, ils sont dans une certaine mesure contradictoires et ne constituent par conséquent pas un bon exemple d'amélioration de la gouvernance européenne. Deux exemples montrent surtout que la proposition de nouvel agenda de Lisbonne a été reléguée au second plan:

(1) L'objectif initial d'un taux d'emploi de 70% à l'horizon 2010 n'est plus mentionné. Le nouvel objectif consiste maintenant à créer « au moins » 6 millions d'emplois supplémentaires, ce qui est bien loin des 22 (voire même 25) millions d'emplois qu'il faudrait créer pour pouvoir atteindre ce taux d'emploi de 70%. Le « chiffre de 6 millions d'emplois » est également en contradiction flagrante avec le fait que dans la deuxième moitié des années 1990, l'Union européenne des 15 avait créé pas moins de 11 millions d'emplois, soit presque le double du chiffre que la Commission avance à présent.

(2) L'objectif initial d'une croissance annuelle de 3% est maintenant reformulé et remplacé par une augmentation de 3% du PIB (et non pas des taux de croissance annuelle du PIB !) à l'horizon 2010. Cela implique une augmentation du taux de croissance annuelle (potentielle) de 2% à 2,5%. Une fois de plus, cette performance n'est pas spectaculaire si on la compare à la deuxième moitié des années 1990, lorsque l'économie enregistrait une croissance annuelle moyenne de 2,7%, et ce sans un quelconque agenda en matière de « réforme structurelle » !

Ces propositions ne devraient pas constituer la nouvelle approche de la Commission, et la CES demande donc instamment au Conseil européen de printemps de clarifier entièrement la perspective des États membres concernant l'avenir de la stratégie de Lisbonne, afin d'éviter tout malentendu ! Comme le déclarait le rapport Kok: « Il est nécessaire de porter une attention accrue à l'établissement d'une meilleure compréhension des raisons pour lesquelles Lisbonne concerne chaque personne et chaque citoyen en Europe ». Les travailleurs ne comprendraient pas que l'on ne parle que d'une gouvernance plus favorable aux milieux d'affaires, et que l'on ne prenne pas leurs craintes en considération.

Cela fait maintenant des années que les travailleurs et les citoyens entendent la sempiternelle ritournelle de la réforme du marché du travail et des prestations sociales. En fait, si nous examinons la politique européenne récente, nous observons que l'Europe a effectué réforme sur réforme. Si nous examinons l'inventaire des réformes effectuées au cours des dix dernières années en Europe, la liste est en effet impressionnante. Chaque action prise individuellement visait à augmenter la croissance et le taux d'emploi en Europe. A en juger par cette liste, l'Europe devrait donc être, à présent, la région du monde connaissant la croissance la plus rapide. Or, il est évident que cela n'est pas le cas !

Les principales exigences et perspectives de la CES: renforcer la stratégie de Lisbonne par le biais d'une meilleure mise en œuvre et d'un engagement clair en faveur de ses objectifs économiques, sociaux et environnementaux

Il est clair, aux yeux de la CES, que les propositions de la Commission en vue de l'évaluation à mi-parcours sont déficientes en ce qui concerne la définition des besoins. Des clarifications ainsi que des corrections supplémentaires sont nécessaires. La CES souligne l'importance des objectifs d'un « niveau élevé d'emploi » ainsi que d'un « niveau élevé de protection sociale » qui figurent à l'article 2 du Traité CE. Par ailleurs, la Constitution de l'Union européenne se réfère en son Article I-3, aux objectifs plus ambitieux de l'Union, tels qu'une « économie sociale de marché hautement compétitive, qui tende vers le plein emploi et vers le progrès social ». C'est également dans ce contexte que la CES appelle l'ensemble des 25 dirigeants européens à procéder aux améliorations nécessaires lors du prochain Conseil de printemps.

{{

Maintenir les objectifs de Lisbonne et l'équilibre
}}
1)Rétablir la confiance dans l'Agenda de Lisbonne. Réaffirmer aux travailleurs et aux citoyens européens que l'Europe économique, sociale et environnementale est au cœur des politiques européennes, et qu'une Europe sociale et respectueuse de l'environnement constitue une force pour la productivité et l'innovation, et non pas simplement un fardeau pour les entreprises!

2)Réaffirmer l'engagement de l'Europe en faveur du plein emploi, avec des emplois plus nombreux et de meilleure qualité. Maintenir les objectifs d'un taux global d'emploi élevé, y compris, à moyen terme, pour les femmes et les travailleurs âgés (70/60/50).

{{Renforcer le lien entre les politiques macro-économiques
pro-actives
}}
3)Avec le Pacte de stabilité et de croissance tel qu'il existe actuellement, l'Europe n'est pas en mesure de s'engager dans un projet novateur. L'Europe ne peut pas se payer le luxe d'attendre cinq années de plus pour voir ses déficits éliminés, avant de pouvoir investir massivement dans l'innovation, la recherche et le développement, ainsi que dans les infrastructures. Faire en sorte que la réforme du Pacte de stabilité et de croissance ne se limite pas à éviter des réductions fiscales dans un contexte de repli économique. S'assurer également qu'elle procure aux pays un plus grand champ d'action macro-économique. Veiller à cet aspect en mettant le Pacte en conformité avec les objectifs de Lisbonne et en considérant le retard de l'Europe en termes d'innovation comme des « circonstances exceptionnelles » autorisant une dérogation temporaire au Pacte de stabilité et à la règle des 3% pour les États membres qui investissent dans les priorités de Lisbonne en matière de recherche, de formation et en ce qui concerne les politiques actives portant sur le marché du travail.

4)Améliorer la mise en œuvre de l'Initiative européenne pour la croissance, et agir ensemble en organisant un cadre européen pour les « plans nationaux de relance » qui doivent être discutés et approuvés au niveau européen.

5)Consolider la gouvernance économique dans la zone euro. Améliorer la politique fiscale en se concentrant sur le déficit moyen dans la zone euro, et en mettant à la disposition de l'Europe le budget nécessaire. Utiliser le dialogue macro-économique en vue d'une discussion approfondie avec la BCE au sujet du mandat de cette dernière (stabilité des prix et croissance), de son objectif en matière d'inflation et de sa stratégie en matière de politique monétaire.

6)Définir les règles européennes relatives à l'assiette de l'impôt sur les sociétés et établir des taux d'imposition minimaux afin d'éviter la concurrence induite par le dumping fiscal. Une assiette fiscale commune doit être complétée par un taux minimal de taxation des bénéfices.

7)Les politiques macro-économiques sont un élément indispensable d'un agenda de croissance et d'emploi. Pour concrétiser cette croissance et ces emplois, il convient d'adopter des politiques axées autant sur l'offre que sur la demande. Reconnaître que les politiques salariales mises en place de manière autonome par les partenaires sociaux, et impliquant une véritable évolution salariale en fonction de la croissance de la productivité, auront pour effet de renforcer la demande intérieure, et peuvent contribuer à la croissance économique.

Consolider l'Europe sociale en tant que force pour la productivité et l'innovation

8)L'Europe sociale, en aidant les travailleurs à se donner les moyens de faire face au processus de changement structurel, n'est donc pas un simple fardeau financier. Bien au contraire, l'Europe sociale se trouve au cœur même de l'avantage compétitif européen et des processus de croissance et de création d'emplois. Cela vaut particulièrement pour les investissements effectués dans les capacités d'apprentissage en général. Investir dans les capacités d'apprentissage est crucial pour l'innovation, et devrait devenir une priorité des politiques d'innovation. À cet égard, un accès à l'apprentissage tout au long de la vie pour tous les travailleurs est indispensable. Les politiques visant à concilier vie professionnelle et vie familiale devraient contribuer à l'égalité des conditions de participation des hommes et des femmes au marché du travail.

9)Prendre bien davantage en considération l'Agenda de politique sociale afin de conférer une visibilité à la dimension sociale. Traiter les craintes des travailleurs concernant les restructurations et les délocalisations, et ce en renforçant la participation des travailleurs. Utiliser tous les instruments (législation, dialogue social, méthode ouverte de coordination et fonds structurels), avec pour objectif de lutter en faveur de la cohésion sociale et d'éviter le dumping social.

10)Clarifier le fait qu'une modernisation de la protection sociale consiste à renforcer et améliorer, et non pas à affaiblir le système de solidarité. Affirmer clairement que les réformes relatives aux allocations de chômage devraient venir en aide aux chômeurs dans leur recherche d'un nouvel emploi, et que « faire en sorte que le travail paie » passe par l'octroi de salaires décents.

11)Faire pression sur les travailleurs pour qu'ils effectuent de longues journées de travail est une solution trop facile. La réaction adéquate aux défis démographiques consiste à donner des emplois à plus de monde, et non à obliger les gens à travailler davantage. L'amélioration des conditions de travail et de la qualité du travail permet aux travailleurs plus âgés de rester actifs plus longtemps. L'actuelle révision de la directive sur le temps de travail devrait imposer un contrôle accru, et non relâcher le contrôle, des employeurs qui obligent les travailleurs à effectuer des horaires excessivement longs.

12)Une révision fondamentale de la directive Bolkestein est nécessaire si l'on veut éviter qu'un marché libre des services ne devienne synonyme de dumping social. S'assurer également qu'un marché unique des services ne vienne menacer les services d'intérêt général.

Renforcer la dimension environnementale

13)Reconnaître la contribution positive de la politique environnementale à la croissance et à la création d'emplois, par le développement de technologies environnementales et de l'innovation écologique et par la gestion durable des ressources naturelles.

14)Renforcer la politique communautaire en matière de changement climatique, afin de procéder à la nécessaire réduction, à long terme, des émissions polluantes, tout en tenant compte des considérations liées à l'emploi et à la qualité des conditions sociales. Dans cette perspective, la CES exige l'adoption immédiate de la proposition de réforme fiscale environnementale, ainsi que de la proposition d'un cadre européen pour la politique de tarification de l'usage des infrastructures de transport qui tienne compte des incidences sociales de celle-ci, tout en prévoyant des exemptions pour les secteurs de consommation sociale.

15)Adopter dès que possible la proposition REACH, en prenant en considération les exigences de la CES, de sorte qu'elle puisse contribuer à réduire les risques de maladies professionnelles causées par des substances chimiques dangereuses.

16)Lancer un dialogue portant sur la manière d'anticiper et de gérer le changement lié à la transition vers le développement durable.

{{Soutien à l'Initiative européenne en faveur de la jeunesse
}}
La CES se félicite de l'Initiative européenne en faveur de la jeunesse prise dans le cadre de la stratégie de Lisbonne. Celle-ci devrait permettre de prêter une attention plus cohérente aux jeunes et aux problèmes qui les concernent.

Les jeunes constituent l'une des catégories les plus vulnérables sur le marché du travail, car ils sont confrontés à des taux de chômage élevés et doivent accepter des emplois précaires et mal payés.

Pour cette raison, l'Initiative en faveur de la jeunesse devrait se concentrer sur:

La lutte contre le chômage des jeunes

La promotion de la qualité de l'emploi des jeunes, en s'attaquant à sa nature précaire

L'amélioration des mesures spécifiques visant à faciliter l'intégration durable des jeunes sur le marché du travail (transition de l'école à la vie professionnelle)

La promotion de la qualité élevée de la formation initiale pour tous ainsi que de l'enseignement et de la formation professionnels, et de l'accès à l'apprentissage tout au long de la vie.

La CES estime qu'il est essentiel d'associer les jeunes, et notamment les jeunes travailleurs, aux différentes étapes de ce processus. Par ailleurs, la CES considère que l'Europe a besoin d'une approche véritablement intergénérationnelle, qui devrait faire partie intégrante de l'Initiative en faveur de la jeunesse.

Participation des partenaires sociaux

Enfin, la CES souligne l'importance de la participation des partenaires sociaux, tant au niveau national qu'au niveau européen, et met l'accent sur leur capacité à contribuer à la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne. La stratégie de Lisbonne ne sera pas mise en œuvre si les politiques sont décidées en passant par-dessus la tête des travailleurs. Cette mise en œuvre implique la notion de « maîtrise », or la « maîtrise » ne peut être obtenue que sur la base d'un dialogue social mené à tous les niveaux.