Résolution de la CES relative au Plan d’action syndical pour la démocratie européenne
Adoptée lors de la réunion virtuelle du Comité exécutif des 3 et 4 juin 2021
Contexte
Syndicalisme et démocratie sont inextricablement liés. Les syndicats ont une longue et fière histoire de luttes pour le droit de vote et la démocratie et contre la dictature.
Dans plusieurs pays ayant souffert de régimes dictatoriaux pendant des dizaines d’années et qui ont depuis rejoint l’Union européenne et le monde libre, les syndicats ont joué un rôle vital de résistance à l’oppression et d’organisation de mouvements populaires pour la démocratie et les droits.
Après une victoire partielle de la démocratie en 1945, celle-ci semblait à nouveau être en marche en Europe dans les années 1970 et 1990. Aujourd’hui toutefois, la montée du populisme et de la politique de l’« homme fort » menace la démocratie. L’extrême droite occupe une place dans les élections plus importante qu’elle ne l’a été durant de nombreuses décennies, même dans des pays où cela paraissait encore inimaginable il y a à peine quelques années. Dans plusieurs pays, des leaders nationaux élus sapent lentement les contrôles démocratiques, l’indépendance d’institutions essentielles à l’équilibre des pouvoirs dans la société et la foi dans la démocratie.
Alors qu’un exemple très choquant d’une telle situation s’est déroulé aux États-Unis au cours des quatre dernières années, certains politiciens européens de premier rang agissent de façon similaire tandis que les leaders démocratiques à la tête de l’UE semblent encore hésiter sur la manière de réagir.
La croissance des médias sociaux coïncide avec cette tendance politique et a assurément été habilement exploitée par les populistes et les extrémistes pour ébranler la confiance dans la démocratie et la science.
Le mouvement syndical ne peut rester sans réaction alors que la démocratie est attaquée.
Bien que de nombreux problèmes sociaux et économiques – singulièrement l’explosion des inégalités depuis la fin des années 1970 ou le début des années 1980 (ainsi que les désastreuses politiques d’austérité ayant suivi la crise financière de 2008) – ont contribué à la montée du populisme et de l’extrême droite, les syndicats doivent se mobiliser en faveur de la démocratie elle-même et lutter pour des politiques sociales et économiques plus équitables.
Face aux menaces sur la démocratie au sein de l’UE, et afin de protéger les futures élections européennes, la Commission a publié, en décembre 2020, un plan d’action pour la démocratie. En juillet 2020 déjà, le Comité exécutif de la CES approuvait un document de discussion exposant les propositions de la CES sur ce qui devrait être inclus dans ce qui était alors le futur plan d’action de la Commission pour la démocratie. C’est sur base de ce document que la CES a participé à deux consultations de la Commission européenne concernant ce plan.
La CES avait bien anticipé que le plan de la Commission mettrait l’accent sur la désinformation et les interférences électorales, les médias et la responsabilisation des plateformes en ligne et soulignait le fait indiscutable que « ce sont là des éléments vitaux pour la démocratie mais qui, pris isolément, sont insuffisants ». Effectivement, le plan d’action pour la démocratie européenne couvre 3 thèmes principaux :
- des élections libres et équitables ;
- renforcer la liberté des médias ;
- contrer la désinformation.
Pour chacun de ces thèmes, la Commission propose plusieurs actions potentiellement utiles dont :
-
- une législation pour davantage de transparence dans les contenus politiques parrainés (c.-à-d. la publicité politique) ;
- une révision du règlement relatif au financement des partis politiques européens ;
- une recommandation sur la sécurité des journalistes ;
- une initiative pour limiter le recours abusif aux poursuites stratégiques altérant le débat public (SLAPP) ;
- un nouvel instrument de surveillance de la structure de propriété des médias ;
- des efforts visant à transformer le code de bonnes pratiques contre la désinformation en un cadre de corégulation des obligations et de la responsabilité des plateformes en ligne.
En outre, le plan promettait, et la Commission a depuis publié, deux projets de règlements sur les services et les marchés numériques (dont les détails seront abordés séparément par la CES en dehors de la présente résolution)[1]. Au-delà de leur domination économique, les entreprises des plateformes d’information présentent des risques systémiques de nature plus sociétale, en particulier lorsqu’il s’agit des droits humains, de la démocratie, du discours public, du pluralisme des médias et de la protection des données. La législation sur les services numériques contribue quelque peu à accroître la responsabilité, la responsabilisation et la transparence de la modération des contenus sur les plateformes des médias sociaux et à définir des procédures d’appel, y compris le règlement des différends. Censure privée et suppression par défaut ne présentent pas une approche acceptable garantissant que les plateformes réagissent rapidement à des contenus signalés comme potentiellement illégaux ou dommageables. Une réglementation est nécessaire pour assurer que les plateformes ne conditionnent pas la manière dont les droits fondamentaux sont exercés dans l’espace numérique.
Bien qu’elles soient en général bienvenues, ces propositions de la Commission ne constituent pas un plan adéquat de sauvegarde de la démocratie européenne. Il faut dès lors que la CES expose sa propre vision syndicale pour la défense et la promotion de la démocratie en Europe.
La CES a déjà plaidé pour un plan d’action pour la démocratie européenne qui:
a. engage la Commission européenne à surveiller et à recourir à tous ses pouvoirs pour soutenir l’État de droit et l’indépendance des institutions apolitiques, y compris le pouvoir judiciaire et les médias, dans tous les États membres de l’UE ;
b. reconnaît l’importance cruciale d’un dialogue social entre syndicats, employeurs et gouvernements, de la négociation collective ainsi que de la démocratie au travail, du discours démocratique et de la participation des travailleurs à la démocratie ;
c. propose des actions offrant à tous les citoyens de meilleures opportunités de participer au processus démocratique sans crainte de violence, de harcèlement, d’intimidation ou de discrimination en raison de leur genre, leur race ou origine ethnique, leur religion, leur orientation sexuelle ou leur handicap ;
d. garantit la liberté et la diversité des médias et un journalisme de qualité ;
e. introduit une règlementation effective des médias sociaux et numériques respectant la liberté de parole ;
f. s’attaque à la désinformation et aux interventions malveillantes dans les élections ;
g. encourage l’éducation civique concernant l’Union européenne et l’éducation aux médias ; et
h. soutient le développement de partis politiques européens responsables et démocratiques et promeut en outre plus de transparence et de responsabilisation des institutions de l’UE.
Le plan d’action de la Commission ne prévoit rien qui soutienne les propositions a-c de la CES. Il contient bien quelques initiatives qui contribuent aux propositions d-h mais il reste à l’évidence beaucoup à faire pour atteindre et assurer chaque objectif.
La CES réitère donc ses demandes et s’engage à en faire la promotion, y compris lors de la conférence sur l’avenir de l’Europe. La présente résolution définit comment l’UE et les syndicats peuvent défendre et promouvoir la démocratie en Europe et se mobiliser en faveur de la démocratie dans le reste du monde.
L’État de droit
L’État de droit est un élément inaliénable de la démocratie et la pierre angulaire de toute société démocratique. L’article 2 du traité sur l’Union européenne dispose que l’Union européenne est « fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit ainsi que des droits humains (y compris le droit de s’exprimer et de s’associer librement) ».
Le populisme et la montée de l’extrême droite ont cependant accru les défis auxquels sont confrontés l’État de droit (avec des cas emblématiques d’interférence politique dans la justice), les médias et autres institutions dont l’indépendance devrait être garantie. Face aux provocations et aux attaques directes auxquelles la démocratie est confrontée, l’Union européenne semble hésitante et peu disposée à agir de manière décisive.
La CES continuera à faire pression sur les institutions de l’UE, et singulièrement sur la Commission européenne, pour qu’elles accroissent leurs efforts pour veiller au respect et à l’application de l’État de droit et à l’indépendance des institutions telles que la justice et les médias dans tous les États membres sans préjudice ni faveur. Elle profitera de sa participation à la conférence sur l’avenir de l’Europe pour plaider pour des mesures de sauvegarde effectives de l’État de droit.
La CES soutient les appels à un mécanisme européen global de protection de l’État de droit et à conditionner TOUS les fonds européens à son respect. Nous avons été témoins des récentes difficultés à lier le respect de l’État de droit à l’accès aux fonds de relance et, plus incroyable encore, d’appliquer les règles de l’État de droit à l’utilisation des fonds de relance européens !
Promouvoir et garantir l’État de droit dans l’UE inclut également la protection, la mise en œuvre et l’application des droits sociaux fondamentaux définis dans les traités des Nations unies (en particulier le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), les Conventions de l’OIT, les traités du Conseil de l’Europe (en particulier la Convention européenne des droits de l’homme, la Charte sociale européenne révisée et le Code européen de sécurité sociale) ainsi que la Charte des droits fondamentaux de l’UE et le Socle européen des droits sociaux.
La CES fera pression pour :
a) des institutions réactives et responsables gouvernementales à tous les niveaux dans les Etats membres et les institutions de l'UE, avec un mode de préparation et de prise de décisions gouvernementales prévisibles et fondés sur des règles, conformément à l'Etat de droit.
b) l'accès aux documents officiels sur lesquels se basent les décisions internes concernant les affaires publiques, ainsi qu'aux documents reçus et envoyés par les autorités publiques, tant que les informations ne sont pas classées selon des critères clairement définis.
c) la protection des fonctionnaires contre toute influence indue, et de tous les employés dans leur fonction professionnelle, contre les menaces, le harcèlement et la violence de la part de tiers, notamment en ratifiant et en appliquant la convention 190 de l'OIT.
La promotion et le respect de l’État de droit par l’UE ne devraient pas être limités à ses seules actions intérieures. Le plan d’action 2020-2024 relatif aux droits humains et à la démocratie engage l’UE à promouvoir les droits humains, la démocratie et l’État de droit dans toutes ses actions extérieures. La politique extérieure de l’UE, que ce soit en matière de commerce, d’élargissement, de coopération au développement ou de relations extérieures, devrait défendre et soutenir la démocratie et l’État de droit. De nombreux exemples, y compris de récents événements en Biélorussie, en Chine (Hong Kong) et au Myanmar, illustrent l’incapacité de l’UE à faire usage de sa puissance économique pour insister sur le respect de la démocratie et de l’État de droit.
La CES œuvrera avec la CSI pour offrir leur solidarité aux syndicats hors Europe qui luttent pour la démocratie et pour soutenir leurs appels à la communauté internationale pour qu’elle agisse en sa défense.
La CES continuera à insister pour une législation européenne sur le devoir de vigilance en matière de droits humains soit l’un des nombreux projets phares possible en faveur de l’État de droit, de la défense des droits des travailleurs, du renforcement de la démocratie au travail et de la protection de l’environnement ainsi que du conditionnement des financements européens au respect de l’État de droit.
Dialogue social et participation des travailleurs
Le monde du travail joue un rôle majeur dans la vie des personnes et dans la manière dont leur qualité de vie est façonnée. C’est un droit humain fondamental que de participer à la démocratie et aux processus démocratiques, non seulement lors d’élections mais aussi au travail en adhérant à un syndicat, à travers le dialogue social, la négociation collective et l’information, la consultation et la représentation dans les conseils d’administration.
Tout en respectant l’autonomie des partenaires sociaux, il est crucial que l’UE et ses États membres reconnaissent l’importante contribution du dialogue social, de la négociation collective et de la démocratie au travail à la stabilité de la démocratie. Renforcer le dialogue social, la négociation collective et la démocratie au travail dans l’ensemble de l’UE et dans chaque État membre est essentiel. Accroître le pouvoir syndical de négocier est un ingrédient nécessaire de la démocratie, pour l’« économie sociale de marché » de l’UE et une vie et une société décentes. Trop de travailleurs, y compris dans le secteur public, sont toujours dans l’impossibilité d’adhérer à un syndicat, de négocier collectivement et/ou de faire grève. La CES demande à la Commission européenne de mettre en place une présomption de statut d'emploi, complétée par un renversement de la charge de la preuve par les plateformes afin de garantir que les travailleurs puissent avoir accès aux droits qu'ils méritent et soient en mesure de les exercer.
La CES exhorte la Commission européenne à renforcer la démocratie au travail, y compris dans les services publics, et de garantir que les droits des travailleurs et de leurs représentants à l’information, la consultation et la participation aux conseils d’administration soient respectés et appliqués.
Plus précisément, la CES demande à la Commission de proposer un cadre européen horizontal afin d’améliorer les droits à l’information, la consultation et la participation aux conseils d’administration. La CES invite la Commission à réviser et à renforcer la directive sur les comités d'entreprise européens. Elle réitère sa détermination à assurer que toutes les législations et initiatives européennes pertinentes respectent et soutiennent le dialogue social, la participation des travailleurs et les prérogatives des syndicats en matière de négociation collective.
La CES continuera à œuvrer en faveur d'une obligation légale de dénonciation et une protection des dénonciateurs dans tous les domaines du secteur public (et privé), tant dans les Etats membres qu'au sein de l'UE. Il doit être considéré comme tout à fait acceptable - et même apprécié - d'informer les médias de fautes professionnelles dans le secteur public et dans le secteur privé.
Une démocratie ouverte à tous
L’UE et ses États membres devraient garantir le droit de chacun à participer au processus et au discours démocratique sans crainte de violence, d’abus, de harcèlement, d’intimidation ou de discrimination fondés sur le genre, l’âge, la race ou l’origine ethnique, l’origine sociale ou la fortune, la religion, l’orientation sexuelle, le handicap ou tout autre raison ou statut.
Le niveau de misogynie, de racisme et d’homophobie dans l’UE est inacceptable et représente non seulement un déficit démocratique mais aussi un déni grave et dangereux des droits humains. Les campagnes "#MeToo et Black Lives Matter ne sont que les dernières manifestations d’une frustration grandissante face au rythme très lent des changements.
Il devrait y avoir une tolérance-zéro pour les discours de haine ; la lutte contre la misogynie, le racisme et l’homophobie doit être renforcée et plus largement soutenue dans tous les domaines de la vie et de la société et pas seulement en politique et lors des élections – par exemple au travail, dans les structures d’éducation et de formation et dans la prise de décision.
Il s’agit ici d’une responsabilité des gouvernements européens (qui sont liés par la législation de l’UE et ont ratifié les instruments des droits humains pertinents des Nations unies, de l’OIT et du Conseil de l’Europe), des syndicats et des employeurs ainsi que des institutions éducatives et autres autorités publiques. Un soutien doit être assuré pour celles et ceux qui dénoncent la haine de telle sorte à ne pas les prendre pour victimes ou à les cataloguer comme fauteurs de troubles.
Toutes les organisations démocratiques ont le devoir de promouvoir la diversité, et singulièrement la représentation des femmes et des communautés BAME (Black, Asian and minority ethnic), à tous les niveaux de leur organisation et d’assurer la pleine participation des personnes sans considération pour le genre, l’âge, la race ou l’origine ethnique, l’origine sociale ou la fortune, la religion, l’orientation sexuelle, le handicap ou tout autre raison ou statut. Les bonnes intentions ne changent rien au fait que la communauté des personnes travaillant dans et autour des institutions européennes est justement décrite comme « si blanche » et que l’équilibre hommes-femmes dans les fonctions dirigeantes y est loin d’être atteint.
L’UE et ses États membres devraient œuvrer ensemble pour augmenter la participation populaire dans les élections européennes et nationales. Une action spécifique est nécessaire pour éviter que se répète l’exclusion de 800.000 personnes handicapées qui n’ont pu exercer leur droit de vote lors des dernières élections européennes.
Le plan d’action pour la démocratie européenne est présenté comme étant le premier document de l’UE à clairement engager l’Union à renforcer la démocratie participative et délibérative. Bien que la CES soutienne pleinement la consultation publique, elle reste aussi attachée à la démocratie représentative et pense que les représentants élus ne peuvent pas simplement externaliser la responsabilité du processus décisionnel à des groupes de citoyens choisis de manière aléatoire. La politique publique ne devrait pas être définie par un jury.
L’adhésion à un syndicat et le dialogue social sont des outils essentiels pour la démocratie et jouent un rôle clé pour bâtir des sociétés démocratiques et inclusives. L’UE doit allouer des moyens pour renforcer la capacité des partenaires sociaux à promouvoir une participation démocratique et inclusive au sein et au-delà du lieu de travail.
Il y a, dans plusieurs États membres, une tendance inquiétante à prendre des mesures restrictives qui affectent l’espace dévolu à la société civile et la capacité de ses acteurs à accomplir leurs tâches légitimes.
L’UE devrait reconnaître le rôle de la société civile et assurer un soutien et une protection adéquats à toutes les organisations qui en relèvent, aux syndicalistes et aux activistes de base. La CES s’associe aux demandes des organisations européennes de la société civile portant sur un accord interinstitutionnel sur le dialogue civil afin d’établir un dialogue ouvert et régulier avec la société civile et ses représentants dans tous les domaines d’action de l’UE. La CES plaidera pour l’adoption d’une législation à l’échelle européenne pour protéger tous les citoyens des poursuites stratégiques (SLAPP).
La CES est prête à montrer sa pleine solidarité et à soutenir tout affilié qui doit se battre pour la démocratie et les droits syndicaux démocratiques dans son propre pays et à étendre cette solidarité et ce soutien aux syndicats hors Europe qui luttent pour la démocratie et les droits démocratiques.
Des médias libres et diversifiés et un journalisme de qualité
Des médias libres et diversifiés qui offrent aux citoyens une information précise et impartiale sont essentiels pour un débat démocratique ouvert et informé à propos des élections et de la prise de décision politique et constituent un important rempart contre la désinformation. Des médias libres et diversifiés doivent être tenus pour responsables de leur contenu et transparents concernant leurs propriétaires et leurs intérêts économiques.
L’accroissement des violences et des intimidations à l’égard des journalistes dans les États membres de l’UE représente une évolution inquiétante pour la démocratie européenne. Des mesures, telle une recommandation du Conseil, une coopération renforcée entre les acteurs des médias et davantage d’échanges de bonnes pratiques sont des étapes utiles proposées dans le plan d’action pour la démocratie européenne. Elles doivent être mises en place, contrôlées et suivies de nouvelles mesures si nécessaire.
Il n’est pas possible de parler de médias diversifiés, libres et indépendants sans évoquer le déclin et la détérioration de l’emploi dans ce secteur. L’UE ne dit rien de l’impact sur l’indépendance des médias et la démocratie de l’emploi de plus en plus précaire et de la protection insuffisante de la propriété intellectuelle des journalistes, tant dans les médias traditionnels que dans les médias et plateformes numériques. En Europe, plus de 70% des journalistes sont forcés de devenir indépendants, sans salaire minimum (les journalistes freelances touchent en moyenne 5 euros par article) ni droit à négocier collectivement, sans protection sociale ni couverture santé et sécurité. Ce n’est pas acceptable et la CES soutiendra ceux de ses membres qui se battent pour des salaires et des conditions de travail décents dans un secteur vital pour la démocratie.
Le journalisme indépendant est un bien public ; échouer à assurer des médias diversifiés et pluralistes est un échec du marché. La CES observe que rien n’est dit dans le plan d’action de la Commission pour la démocratie européenne à propos de la valeur (et du déclin) des services publics de radiotélédiffusion et de la promotion de la mission d’intérêt public de ces services.
La CES se réjouit de l’introduction dans le budget pluriannuel 2021-2027 de l’UE d’un budget de 61 millions d’euros pour le programme Europe créative dédié au journalisme de qualité, y compris le pluralisme et l’éducation aux médias. Elle salue également la reconnaissance par la Commission européenne dans son plan d’action pour les médias et l’audiovisuel du fait que « les médias d’information constituent un secteur économique ainsi qu’un bien public » et accueille positivement la proposition d’une « initiative NEWS pour regrouper les actions et le soutien en faveur du secteur des médias d'information ».
La CES plaide pour des investissements publics plus importants et plus stratégiques dans le journalisme et les médias professionnels (y compris dans les plateformes collaboratives transnationales) et pour davantage d’efforts pour définir des modèles de financement nouveaux et durables du journalisme de qualité (y compris des modèles sans but lucratif).
Les législations nationales et européennes contre les monopoles dans le domaine des médias doivent être suivies, systématiquement appliquées et renforcées. Le soutien aux initiatives de l’UE pour le contrôle de l’indépendance et de la structure de propriété des médias, comme l’instrument de surveillance du pluralisme des médias, doit être maintenu. Les propositions de la Commission européenne pour cet instrument, d’autres conseils éventuels en matière de transparence de la propriété des médias, des mesures pour la transparence et l’attribution équitable de la publicité d’État et des options de mappage pour davantage soutenir la diversité des médias sont positives et doivent être poursuivies sans répit et avec détermination. L’engagement à évaluer la mise en œuvre du plan en 2023 est bienvenue et la CES insistera pour que les syndicats, la société civile et les autres parties prenantes soient invités à y participer.
L’UE doit continuer à promouvoir les mesures et les organes d’autorégulation tels que les codes déontologiques et les comités de presse afin de renforcer l’exigence des normes de journalisme, y compris dans les médias numériques et sociaux. L’UE doit aussi favoriser l’égalité d’accès à l’information pour tous les médias et s’opposer à l’exclusion arbitraire pour raisons politiques de journalistes d’événements et d’informations gouvernementaux.
La CES accompagnera les actions de ses membres du secteur de l’information pour soutenir les journalistes et défendre la liberté et la diversité des médias libres et un journalisme de qualité et se tient prête à se montrer solidaire et à mobiliser les soutiens nécessaires.
Médias numériques et sociaux
Les médias numériques et sociaux offrent un accès rapide à un éventail plus large d’informations et d’opinions et permettent aux citoyens de participer plus facilement au débat démocratique.
Ils sont également à l’origine d’une prolifération de désinformations derrière lesquelles se cachent de faux comptes. Des chercheurs prétendent que la désinformation a eu un impact significatif sur les votes lors de l’élection présidentielle américaine de 2016, sur le référendum pour le Brexit au Royaume-Uni et sur d’autres élections.
Il existe d’importants problèmes en matière d’égalité d’accès (dans l’UE, l’accès des ménages à l’internet varie de 98% à 75%), de concentration au niveau de la propriété des plateformes des médias sociaux et du secret entourant les algorithmes qui filtrent fortement les informations disponibles sur les comptes des utilisateurs.
La CES plaidera pour que l’UE investisse dans le renforcement des infrastructures numériques afin de réduire la fracture numérique entre et au sein des États membres.
Le projet européen de législation sur les services numériques propose bien une plus grande transparence et des processus plus clairs en matière de publicité politique, de suppression de contenu et/ou d’exclusion d’utilisateurs des plateformes ainsi que d’appel de ces décisions. La Commission le promeut comme un « filet de sécurité co-réglementaire » pour un code de pratique (signé par Facebook, Twitter et d’autres plateformes en ligne, des réseaux sociaux et l’industrie de la publicité et la Commission européenne afin de lutter contre la dissémination en ligne de désinformation et de fausses nouvelles, y compris par une plus grande transparence de la publicité à caractère politique et de la fermeture des faux comptes).
Le code de pratique requiert néanmoins encore beaucoup de travail avant une amélioration significative consistant à responsabiliser les plateformes, à empêcher les entreprises d’être juges du débat démocratique, à bloquer les discours de haine et les faux comptes et à correctement identifier la désinformation. De même, la législation sur les services numériques est loin d’être adoptée et encore moins implémentée.
En même temps, la « menace » – en Europe et au-delà – d’une législation au niveau de l’UE et au niveau national et la mise en lumière de certains contenus des médias sociaux (en particulier les décisions des plateformes de catégoriser ou de bloquer des contenus et de suspendre ou de bannir des utilisateurs) durant les élections présidentielles américaines ont créé une dynamique de changement qui doit être maintenue.
La CES appelle la Commission à davantage développer et proposer une réglementation des médias sociaux et des plateformes numériques afin d’augmenter la transparence concernant tous les aspects de la publicité politique (financement, catégorisation et règles de divulgation) et de la désinformation.
La CES ne peut accepter la répétition d’événements tels que ceux ayant conduit Facebook à bloquer la publication par des syndicats européens et des acteurs de la société civile de contenus légitimes durant les élections européennes. De même, personne ne souhaite voir se répéter certains événements ayant eu lieu aux États-Unis pendant et après les élections présidentielles de 2020.
Les entreprises dominantes du monde des médias sociaux gagnent de l’argent en générant des données de profilage par le traçage de l’utilisation de contenus sans égard pour leur véracité. Ce type de manipulation des données exige l’application correcte et complète du Règlement général sur la protection des données. Si le modèle économique des plateformes favorise le recours à la désinformation, il ne suffit pas de les encourager à supprimer ou à identifier la désinformation. Il faut aussi que la législation nationale et communautaire tienne compte de la position dominante qu’occupent les entreprises de médias numériques et sociaux mettant en place les moyens permettant les flux de communication entre plateformes.
Les plateformes doivent à tout le moins payer les organisations de médias pour l’utilisation de leurs contenus journalistiques. Le fait qu’il existe des accords volontaires au Royaume-Uni et qu’une législation soit discutée en Australie représente une évolution positive.
La CES continuera à faire pression pour la responsabilisation des plateformes, une modération transparente des contenus s’accompagnant de processus clairs pour questionner les décisions et une diversité de la propriété des plateformes de médias sociaux afin de garantir une concurrence loyale. Elle invite également à l’utilisation restreinte, limitée, transparente et démocratique des données personnelles des utilisateurs.
Désinformation et interventions malveillantes dans les élections
Il faut assurer une plus grande et plus large implication des partenaires sociaux, de la société civile, des médias indépendants, des universitaires et des vérificateurs de faits pour contrer la désinformation. La CES salue et soutient le développement continu de l’initiative de la Commission portant création de l’Observatoire européen des médias numériques, « une plateforme pour que les vérificateurs de faits, les universitaires et les chercheurs collaborent et maintiennent un contact actif avec les organisations de médias et les experts en éducation aux médias, et qui apporte un soutien aux responsables politiques ».
Une autre menace à laquelle le débat démocratique ouvert et informé doit faire face vient des interférences via de faux comptes, des trolls des médias sociaux et de certains organes étatiques. Bien qu’un fort accent ait été mis sur les interférences étrangères, la désinformation intérieure est un problème au moins aussi important et la distinction entre les deux est floue.
Le Service européen pour l’action extérieure a créé un service (East Stratcom Task Force) pour surveiller et dénoncer la désinformation « pro-Kremlin » ainsi qu’un « système d’alerte rapide » – consistant en un réseau composé de fonctionnaires des États membres travaillant sur la désinformation. Les échanges entre ce système et la Commission européenne ont récemment établi que les réseaux électoraux nationaux (ou les organes électoraux nationaux) devraient être développés et impliquer la société civile et les vérificateurs de faits ainsi que l’Observatoire des médias numériques dans l’ensemble de l’UE et dans chaque État membre.
L’action européenne contre la désinformation, tant intérieure qu’extérieure, doit être considérablement renforcée de manière à pleinement soutenir une surveillance opportune, un journalisme et une vérification des faits professionnels et à promouvoir l’éducation aux médias.
La CES et ses organisations membres devraient dénoncer toute désinformation avérée particulièrement dommageable pour les travailleurs et les intérêts du mouvement syndical.
Education civique et éducation aux médias
Le premier principe du socle européen des droits sociaux pose clairement que « Toute personne a droit à une éducation inclusive et de qualité, à la formation et à l’apprentissage tout au long de la vie afin de maintenir et d’acquérir des compétences qui lui permettent de participer pleinement à la vie en société et de gérer avec succès les transitions sur le marché du travail ».
La promotion de l’éducation aux médias et d’une citoyenneté active est vitale pour renforcer la résilience de l’UE face aux menaces antidémocratiques. L’éducation, la formation et l’apprentissage tout au long de la vie ont un rôle essentiel à jouer dans le renforcement de la citoyenneté démocratique au sein de l’UE, du sentiment de communauté et d’appartenance et de la responsabilité des citoyens ainsi que pour encourager leur participation active dans la prise de décision concernant les politiques nationales et de l’UE.
La CES réclame de nouvelles initiatives pour mieux informer les citoyens à ce propos et inscrire l’éducation aux valeurs démocratiques de l’Union européenne à l’agenda pour tous les groupes d’âge.
L’UE devrait soutenir les États membres pour assurer que le développement de la pensée critique, les valeurs démocratiques et les droits humains, l’engagement civique et l’utilisation responsable des nouvelles technologies soient inscrits dans les programmes d’éducation et de formation.
Le programme de mobilité Erasmus devrait offrir d’autres opportunités aux apprenants et aux travailleurs concernés par l’EFP (enseignement et formation professionnels) ainsi qu’aux apprenants adultes pour les aider à renforcer leur citoyenneté démocratique et leur identité européenne en participant à des programmes personnels ou de mobilité virtuelle de qualité.
L’éducation aux médias pour toutes les générations, ainsi que les formations par et pour les journalistes, doivent être vigoureusement promues et financièrement soutenues par l’UE dans tous les États membres en collaboration étroite avec les institutions éducatives nationales, les agences nationales indépendantes pour la règlementation des médias et les syndicats.
Partis politiques européens responsables et démocratiques et institutions de l’UE
Les partis politiques au niveau européen contribuent à la formation de la conscience politique européenne et à l'expression de la volonté des citoyens de l'Union. Le cadre réglementaire relatif aux partis politiques européens n’a évolué que depuis le Traité de Nice en 2003 et reste assez limité.
La CES réclame une meilleure application de l’obligation légale des partis européens d’observer les valeurs fondatrices de l’UE. Celles-ci incluent les valeurs auxquelles ils ont souscrit dans leurs programmes et campagnes politiques, leurs pratiques internes en matière d’égalité des genres, d’anti-discrimination et de lutte contre la corruption ainsi que de respect de l’État de droit. Les partis politiques européens ne devraient admettre dans leurs rangs que les partis politiques nationaux qui adhèrent aux principes démocratiques et à l’État de droit dans leurs structures et pratiques réelles. La Commission européenne s’est à juste titre engagée à réviser les règlements régissant le financement des partis politiques européens.
D’autres actions devraient encourager les partis européens à se rapprocher et à être plus responsables à l’égard du public, par exemple à travers des déclarations des partis nationaux de leurs intentions d’affiliation à un groupe parlementaire européen, des listes de partis transnationaux, des collectes de fonds et des campagnes transparentes, les adhésions à titre individuel, une proximité avec les partenaires sociaux et la société civile et une attitude responsable vis-à-vis de contenus politiques qui méprisent ouvertement les valeurs communes de l’UE.
La CES soutient vigoureusement les actions visant à améliorer le fonctionnement des institutions de l’UE, en particulier le Conseil, et singulièrement à travers une plus grande transparence.
La CES insistera pour que ces questions soient abordées lors de la Conférence sur l’avenir de l’Europe et maintiendra sa position de ne pas discuter avec les forces antidémocratiques au sein du Parlement européen et du Conseil.
[1] Résolution de la CES pour une politique de la concurrence plus durable et inclusive adoptée par le Comité exécutif des 22 et 23 mars 2021 (https://www.etuc.org/en/document/etuc-resolution-more-sustainable-and-inclusive-competition-policy).