Bruxelles, 15–16 octobre 2008
Introduction
Le 25 juin 2008, la Commission européenne a publié une proposition de Règlement du Conseil (COM (2008) 396 final) relatif au statut de la société privée européenne (<em>Societas Privata Europaea</em>, SPE) (200Kb MS Word).
Cette initiative s'inscrit dans le cadre d'une série de mesures destinées à permettre aux PME de faire plus facilement des affaires et, par conséquent, d'améliorer leur rendement sur le marché. L'idée qui sous-tend la SPE est de créer une société à responsabilité limitée au plan européen qui est destinée à améliorer la compétitivité des PME en facilitant leur création et leur fonctionnement sur le marché unique. La SPE est une des initiatives prioritaires du programme de travail 2008 de la Commission.
La CES accueille avec satisfaction les initiatives destinées à améliorer les conditions de marché pour les PME. Selon la Commission, les PME représentent plus de 99% des entreprises dans l'UE. La SPE pourrait donc devenir une réalité pour un grand nombre d'employés. Mais la CES souligne que l'amélioration de la flexibilité pour les PME ne doit pas se faire au détriment des droits de participation des employés au conseil d'administration de la société. Le droit à l'information et à la consultation est un droit fondamental protégé par le droit de l'Union. La CES craint que les statuts proposés pour les SPE n'encouragent les entreprises, y compris les entreprises de plus grande taille, à créer des entreprises « boîte aux lettres » afin d'échapper aux législations nationales les plus protectrices sur les droits des travailleurs. Pour la CES, il est essentiel d'apporter un certain nombre d'améliorations à la proposition de la Commission, afin de respecter les objectifs de l'agenda de Lisbonne en faveur d'emplois plus nombreux et de meilleure qualité (voir la prise de position de la CES adoptée au Comité exécutif du 18–19 octobre 2006).
Résumé de la proposition
La SPE a pour but de faciliter les échanges transfrontaliers pour les PME en leur donnant une forme juridique européenne uniforme dans chaque Etat membre. Selon la Commission, la possibilité d'opérer dans plusieurs Etats membres selon les mêmes règles professionnelles devrait réduire les coûts de mise en conformité afférants à la création et au fonctionnement des entreprises, résultant des disparités entre règles nationales. C'est la raison pour laquelle la SPE devrait, dit-on, améliorer la mobilité et la compétitivité des PME européennes. On ignore dans quelle mesure les statuts proposés de la SPE remplaceront une 14e directive très controversée sur le transfert de sièges sociaux de sociétés privées.
La Commission affirme que les statuts existants de la Société européenne (« les statuts de la SE ») ne constituent pas une option viable pour les PME en raison de l'exigence de 120.000 euros en matière de capital minimum.
La proposition de la Commission fixe des règles uniformes quant à la procédure de formation d'une SPE, à ses actions, au capital social, à l'organisation, au droit applicable à la participation des employés et aux conditions de transfert du siège social vers un autre Etat membre. Le droit national régirait les questions qui ne sont pas couvertes par la réglementation ou par les statuts de la SPE telles que l'insolvabilité ou le droit fiscal.
Les statuts de la SPE sont destinés à être un règlement, ce qui signifie qu'il n'y a pas d'espace pour des variations en droit national. La proposition est basée sur l'article 308 du traité CE, ce qui implique une décision unanime au Conseil et la consultation du Parlement européen.
Remarque préliminaire : absence de consultation des partenaires sociaux
En juillet 2007, la Commission a lancé une consultation publique sur la SPE. La CES exprime son profond désaccord avec cette procédure; une consultation en ligne ne peut en aucun cas être considérée comme un substitut approprié à la consultation des partenaires sociaux prévue à l'article 138 du traité CE.
Compte tenu de l'impact de la SPE sur les droits de participation existants des employés, il ne fait pas de doute que le sujet de la consultation est au coeur du "domaine de la politique sociale" mentionné à l'article 138. Les partenaires sociaux au niveau européen devraient donc être consultés de manière différente, et avec un poids clairement différent, que le grand public, afin de leur permettre d'influencer à un stade précoce l'orientation des initiatives à prendre.
Danger pour les droits des employés : le contournement des législations nationales sur la participations des travailleurs
Les provisions en matière de droits de participation des employés contenus dans la proposition de la Commission constituent une régression par rapport à ce qui a été obtenu pour la société européenne et la société coopérative européenne. Les statuts de la SPE proposés ne créent pas de droits de participation spécifiques. La participation des employés n’est envisagée que sous l’angle du droit national applicable. Le risque est donc grand que les entreprises utilisent les statuts de la SPE pour se soustraire aux législations les plus protectrices et que les droits de participation existants soient minés.
Le principe général est que la SPE serait soumise aux règles de participation des employés du pays où elle a son siège social. Cependant, l’article 7 de la proposition permet également aux SPE d’avoir leur administration centrale ou leur établissement principal à un autre endroit que l’Etat membre du siège social. La combinaison des deux dispositions est une invitation pour les entreprises à contourner les législations nationales.
L’article 5 de la proposition de la Commission prévoit quatre méthodes de formation d’une SPE dont trois sont très problématiques.
• (a) Création d’une SPE à partir d’une nouvelle compagnie
La CES estime que le cas d’une SPE constituée ex nihilo est très problématique pour les droits des employés. Selon la proposition de la Commission, le droit applicable à la participation des employés sera le droit du siège – qui peut être différent de celui du lieu où l’activité est effectivement exercée. Il convient également de souligner qu’une SPE pourrait être formée avec un capital social symbolique de 1 EURO.
Un problème général ici est que, s’il les dispositions nationales ne prévoient pas de règle sur la participation des travailleurs, (comme par ex. en Espagne et/ou dans les pays qui connaissent des seuils élevés) il n'y aura pas non plus de participation des employés dans le futur. On a besoin de dispositions spéciales européennes à cet égard.
• (b) Transformation d’une société existante en une SPE
Lorsqu’une telle opération est suivie par un transfert du siège social, la proposition de la Commission contient de nombreuses lacunes et est susceptible de miner les droits de participation des employés.
En cas de transfert du siège social, le droit applicable aux droits de participation deviendra le droit du nouveau siège social à moins qu’un tiers de la main-d’oeuvre totale soit employée dans l’Etat membre où la société avait son siège social avant le transfert (« l’Etat membre d’origine ») et que la législation du nouveau siège social ne prévoie pas un niveau équivalent de droits de participation des employés. Dans un tel cas, des négociations seront entamées avec les représentants des employés afin d’aboutir à un accord sur la participation des employés. Si après une période de 6 mois, qui peut être conjointement renouvelée de 6 mois supplémentaires, aucun accord ne peut être trouvé, les règles de l’Etat membre d’origine sont conservées.
Si les négociations prévues dans l’Article 37.3 échouent, l'Article 37.6 prévoit que les dispositions de participation existantes dans le pays membre d'origine seront maintenues. Ceci pourrait poser un problème pour certains pays membres. Par exemple, la loi suédoise sur la participation ne s’applique qu’aux sociétés suédoises. Il sera donc impossible de maintenir les dispositions de participation existantes en Suède si le siège est transféré à un autre pays membre.
La CES considère ces dispositions comme tout à fait insatisfaisantes. Le seuil d’un tiers de la main-d’oeuvre est arbitraire et ne peut être justifié. En outre, les statuts proposés ne définissent pas les arrangements essentiels qui devraient régir les négociations. En particulier, les questions de la composition et du fonctionnement de l’organe de négociation restent ouvertes. Il est donc possible que ces questions soient décidées unilatéralement par les actionnaires, privant ainsi les négociations de tout effet pratique.
En outre, la proposition de la Commission ne traite pas de la question des transferts successifs de siège social, par exemple lorsqu’un accord de SPE régit déjà les droits de participation et que le siège social est transféré à un autre Etat membre. La CES estime que le silence de la Commission sur cette question est très préoccupant. De manière plus spécifique, on ne sait pas si un accord existant pourrait demeurer en place.
La CES estime que les statuts de la SPE devraient être complétés par des règles européennes minimales concernant la participation des employés. Ce n’est qu’alors que les statuts de la SPE seraient conformes aux dispositions relatives à la société européenne et la société coopérative européenne. Des règles similaires sur les droits de participation des employés devraient être adoptées dans le cadre d’une SPE afin d’éviter un contournement des lois nationales sur la participation des travailleurs. En effet, la CES souligne que les règles sur la représentation des employés sont déjà une réalité pour les petites entreprises dans au moins 12 Etats membres.
En outre, la question du transfert transfrontalier du siège social ne peut réglée qu’au plan communautaire. La CES affirme catégoriquement qu’une 14e directive sur les transferts transfrontaliers doit être envisagée avant l’entrée en vigueur des statuts de la SPE.
• (c) Création d’une SPE par la fusion de sociétés existantes
En vertu de l’article 34.3 de la proposition de la Commission, les dispositions contenues dans la directive 2005/56/CE sur les fusions transfrontalières seront d’application. La CES estime qu’il s’agit d’une option viable étant donné que la directive sur les fusions transfrontalières fait directement référence aux arrangements établis dans la directive 2001/86 complétant les statuts de la société européenne en ce qui concerne la participation des employés (la directive SE).
Cependant, étant donné que la SPE est destinée à s’appliquer aux PME, la CES estime qu’il ne devrait pas y avoir de seuil sur la question de la participation des travailleurs. Par conséquent, le seuil de 500 travailleurs contenu dans la directive sur les fusions transfrontalières doit être fondamentalement remis en question.
Les statuts proposés de la SPE doivent devenir un vrai projet européen
La CES craint beaucoup qu’une SPE opérant dans un seul Etat membre soit perçue comme une société nationale avec une étiquette européenne, plutôt que comme un vrai projet européen. La CES incite donc vivement les institutions européennes à intégrer les améliorations suivantes dans les statuts de la SPE.
• Une exigence transfrontalière
La CES considère l’absence d’élément transfrontalier dans la proposition de la Commission comme une violation du principe de subsidiarité. Les statuts proposés de la SPE feraient peser une énorme pression sur les formes juridiques nationales – et les dispositions sur la participation des employés qui y sont liées. Il est donc essentiel qu’une SPE ne soit constituée que lorsque la société opère dans au moins deux Etats membres.
• L’exigence en matière de capital minimum ne doit pas être symbolique
La proposition de la Commission abandonne pratiquement le principe d’une vraie exigence en matière de capital minimum. Un minimum d’à peine un euro est contraire aux intérêts des créanciers. La disponibilité d’un certain niveau de ressources en capital est un indicateur d’engagement financier et de sincérité. La CES demande dès lors que l’exigence en matière de capital minimum pour les SPE soit portée à 10.000 euros au moins.
• Organes directeurs
La proposition de la Commission ne prévoit que deux organes directeurs obligatoires: un organe de direction et une assemblée générale. On ne sait pas précisément quel organe directeur tiendra compte de la participation des employés. Afin d’assurer des normes uniformes au plan européen, les statuts de la SPE doivent au moins prévoir des organes de surveillance obligatoires au-delà d’un certain nombre d’employés.
• Transparence
Les statuts proposés de la SPE sont caractérisés par un manque de transparence. La CES craint que les dispositions sur la preuve littérale destinées à assurer la transparence et les contrôles externes soient virtuellement non existantes.
En raison de ces lacunes et étant donné que les SPE bénéficieront d’une vaste autonomie dans leurs statuts, la CES estime que des conseils notariés obligatoires sont nécessaires d’urgence pour assurer la certitude juridique minimale.
• Evasion fiscale
Les statuts de la SPE ne doivent pas encourager l'évasion fiscale, c'est à dire une entreprise se déplaçant dans l'UE seulement en fonction des niveaux de taxation nationaux.
Conclusion
Tout en accueillant avec satisfaction l’amélioration d’un environnement concurrentiel dynamique pour les PME, la CES ne peut accepter que les statuts de la SPE deviennent une coquille vide, évitant la question de la participation des employés.
La CES n’apportera son soutien à ce projet que si des modifications essentielles sont apportées à la proposition de la Commission:
• Des règles standard minimales sur les droits de participation des employés doivent accompagner les statuts de la SPE. Afin d’avoir l’assurance que les droits de participation des travailleurs seront respectés, l’approche la plus appropriée consisterait, comme dans le cas de la société européenne et de la société coopérative européenne, à compléter les statuts de la SPE par une directive séparée sur les droits de participation des travailleurs.
• L’adoption d’une directive sur le transfert transfrontalier de sociétés enregistrées est un préalable essentiel, en particulier afin de prévenir la création de sociétés-boîtes aux lettres.
• Des exigences plus détaillées doivent être édictées en particulier en ce qui concerne la dimension transfrontalière d’une SPE, ses exigences en matière de capital minimum, la manière dont les organes directeurs pourront tenir compte de la participation des employés, la transparence de ses opérations et les conditions minimales en matière d’impôt des sociétés pour éviter un shopping fiscal.