Bruxelles, 05-06/03/2013
Les investissements directs étrangers (IDE) peuvent jouer un rôle positif en créant des emplois décents, en améliorant la productivité, en investissant dans le transfert de compétences et de technologies, en soutenant la diversification de l’économie et le développement des entreprises locales et en favorisant une juste transition vers une économie verte, autant d'objectifs clés de la stratégie Europe 2020. Toutefois, les IDE peuvent également mettre à mal le travail décent, la durabilité, la répartition et le bien-être général, en particulier là où les pays d’accueil sont incapables de promulguer ou d’appliquer des lois et des politiques appropriées.
Les investissements directs étrangers vers et depuis l'Europe devraient respecter les principes fondamentaux de l'UE. En particulier, le traité de Lisbonne énonce les principes fondamentaux sur lesquels devrait reposer l'action extérieure de l'UE, à savoir la démocratie, l'État de droit, l'universalité et l'indivisibilité des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le respect de la dignité humaine, les principes d'égalité et de solidarité. Ces principes doivent être garantis dans le cadre des politiques nationales et européennes d'investissement.
L’adoption du Traité de Lisbonne est allée de pair avec une extension de la compétence de la Commission européenne en matière de négociation d’accords d’investissement avec des pays tiers. Par conséquent, l’UE a lancé et/ou prépare actuellement des négociations sur des chapitres entiers des investissements dans le cadre de ses négociations commerciales bilatérales ainsi que des négociations concernant les traités d’investissement bilatéraux (notamment avec la Chine).
S’il est vrai que les investisseurs doivent pouvoir bénéficier de protections adéquates pour les fonds qu’ils engagent dans le cadre de traités d’investissement bilatéraux ou des chapitres spécifiques d’accords commerciaux, ces protections ne devraient toutefois pas être exercées au détriment du droit de réglementation des pays d’accueil, de la société civile ou des entreprises locales. Les États doivent conserver une marge de manœuvre pour pouvoir atteindre leurs objectifs de politique intérieure, y compris le droit du travail, la protection de l’environnement, la fourniture de biens publics (santé, éducation et sécurité sociale), ainsi que la mise en œuvre de politiques industrielles cohérentes.
Comme le disait John Ruggie, ex-représentant spécial des Nations Unies en charge des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises : « […] les protections dont jouissent les investisseurs se sont accrues au détriment des obligations des États de protéger [les droits de l’homme], ce qui a conduit à un déséquilibre entre les deux. Par conséquent, les pays d’accueil pourront difficilement renforcer les normes sociales et environnementales, y compris celles concernant les droits de l’homme, sans craindre de protestations de la part des investisseurs étrangers, qui peuvent survenir dans le cadre d’un arbitrage international contraignant. »[[http://www.reports-and-materials.org/Ruggie-report-7-Apr-2008.pdf page 11]].
Comme l'énonce la déclaration de l'OIT sur les EMN : « Les entreprises multinationales devraient, surtout lorsqu'elles exercent leur activité dans des pays en développement, s'efforcer d'accroître les possibilités et normes d'emploi, compte tenu de la politique et des objectifs des gouvernements en matière d'emploi, ainsi que de la sécurité de l'emploi et de l'évolution à long terme de l'entreprise ».
L’UE a indiqué qu’elle ne rédigerait pas de « texte type » pour les traités d’investissement, mais elle utilise néanmoins un texte informel. La CES exige que l’UE entame des consultations appropriées avec les syndicats et la société civile à propos de ces textes. L’UE doit assurer qu’elle garantit la transparence et la cohérence dans la formulation de sa politique dans ce domaine.
Le plus souvent, les États européens ont conclu des traités d’investissement qui assurent une très large protection des investisseurs étrangers. Toutefois, le recours accru à ce type de protections par les investisseurs étrangers afin de poursuivre en justice les gouvernements hôtes a renforcé les revendications visant à préserver et à sauvegarder les droits de réglementation des états dans le cadre de ces traités. Si le Parlement européen reconnaît l’existence de ces problèmes, l’UE n’a pas su profiter de son mandat dans les négociations en cours avec le Canada, l’Inde et Singapour pour répondre à ces préoccupations[[http://www.s2bnetwork.org/themes/eu-investment-policy/eu-documents/text-of-the-mandates.html]].
La CES s’inquiète de ce que les investisseurs ne cessent de poursuivre les États devant les tribunaux internationaux pour avoir adopté et appliqué des législations et des réglementations d’intérêt public, y compris des procédures par lesquelles des investisseurs poursuivent des États membres de l’UE; de même, certains investisseurs implantés dans l’UE poursuivent aussi les autorités de pays en développement. À titre d’exemple, la multinationale française Veolia poursuit actuellement le gouvernement égyptien, entre autres pour de récentes augmentations du salaire minimum. Plus tôt en juin, la société suédoise Vattenfall a intenté un procès au gouvernement allemand pour avoir restreint l’utilisation de l’énergie nucléaire. Les entreprises multinationales utilisent ainsi les règles de protection des investisseurs et le règlement des litiges entre investisseurs et états pour atteindre les objectifs fixés par la société, en augmentant le coût de la défense de la politique et des règles publiques pour le contribuable.
La CES accueille avec satisfaction la nouvelle position de la CNUCED (Rapport 2012 sur l’investissement dans le monde) sur le développement durable et les politiques d’investissement[[http://www.unctad-docs.org/files/UNCTAD-WIR2012-Full-en.pdf]]. Elle salue également le débat entamé récemment au sein de la DG Commerce sur le thème du développement durable, même si la CES craint que l’approche de la Commission en la matière reste assez orthodoxe et ignore la réalité sur le terrain des menaces qui pèsent sur les droits des travailleurs, en particulier les normes fondamentales du travail, et sur les prérogatives des politiques publiques.
Alors que la Commission développe actuellement son mandat en matière de politique d’investissement, que plusieurs négociations sont en cours et qu’une série de nouvelles négociations sont en préparation, la CES a élaboré la présente prise de position afin de définir clairement la position des syndicats sur la question et d’évaluer les positions de négociation et les accords de l’UE en fonction d’une série de recommandations détaillées (annexe 1) couvrant les droits et obligations des états et des investisseurs, la promotion des droits de l’homme (y compris les droits du travail) et la protection de l’environnement, et les dispositions sur le règlement des litiges. La CES enjoint l’UE à adopter des politiques d’investissement qui se penchent pleinement sur les problématiques fondées décrites dans l’annexe ci-jointe. Sur la base de cette résolution, la CES :
- élaborera un chapitre type sur les investissements au cours d’un processus participatif destiné à sensibiliser les affiliés à l’importance
- des cadres des politiques d’investissement pour les syndicats ;
entreprendra une série d’activités destinées à influencer l’UE dans l’élaboration de sa nouvelle politique d’investissement ;
- coordonnera et coopérera activement avec la CSI et le TUAC afin de mieux appréhender la position de l’UE dans les négociations internationales et les négociations de l’OCDE sur les investissements et le règlement des litiges, et renforcera la coordination autour des nouvelles lignes directrices multinationales de l’OCDE, ainsi que des normes de l'OIT.
- élaborera des stratégies pour que les multinationales assument leurs propres engagements en termes de responsabilité sociale et environnementale ;la CES encourage notamment un engagement accru des affiliés nationaux auprès de leurs points de contact de l'OCDE dans leur pays.
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Annexe 1 : Recommandations détaillées de la CES sur les chapitres et accords de l’UE concernant les investissements
I. Droits et obligations des États
Le Parlement européen, la Commission et le Conseil ont tous manifesté leur soutien à la conclusion de traités d’investissement qui ne restreignent pas la capacité des États membres à prendre les mesures nécessaires à la poursuite d’objectifs légitimes d’intérêt public. Cependant, la plupart des clauses contenues dans les traités d’investissement, si elles sont rédigées de manière trop large, peuvent limiter le pouvoir de réglementation des pays d’accueil dans l’intérêt public. C’est pourquoi la CES demande instamment à l’UE de garantir que les questions suivantes seront abordées dans tout accord futur:
Traitement national (TN) : dans certains cas, les traités bilatéraux d’investissement (TBI) prévoient des engagements de libéralisation à grande échelle en octroyant des droits de pré-établissement, ce qui limite la liberté des États de réglementer l’entrée d’investisseurs étrangers sur leur territoire. Les clauses de traitement national ne devraient pas s’appliquer aux phases de pré-établissement des investissements étrangers. En outre, le principe de non-discrimination peut être interprété par les tribunaux comme interdisant les mesures réglementaires qui résultent d’une discrimination « attestée », même lorsqu’il n’y a aucun délit de faciès ou caractère intentionnel. C’est pourquoi, ce principe devrait être limité aux mesures réglementaires qui sont adoptées initialement pour contrer la discrimination.
Nation la plus favorisée (NPF) : récemment, certains arbitres ont décrété que les clauses de la nation la plus favorisée pourraient permettre aux investisseurs d’invoquer des protections accrues prévues dans les accords conclus avec des tiers – ce qui leur permettrait de contourner (de manière sélective) l’accord conclu entre le pays d’origine et le pays d’accueil. Cette interprétation ne peut être permise. L’UE doit préciser qu’aucune clause de nation la plus favorisée ne peut être invoquée pour glaner des protections dans des accords conclus avec des tiers. De manière inquiétante pour la CES, le Conseil a appelé à la conclusion d’une « clause de la nation la plus favorisée sans réserve » dans ses négociations avec l’Inde, Singapour et le Canada.
Protéger les outils clés de politique publique contre le TN et la NPF : nous recommandons des exceptions spécifiques à ces obligations pour certaines mesures ou certains domaines politiques, comme les subventions, la passation des marchés, la fiscalité, les services publics essentiels ou des secteurs spécifiques et des mesures réglementaires.
Expropriation : des définitions larges de l’expropriation, et en particulier de l’expropriation indirecte, ont permis aux investisseurs de contester une série d’actions d’intérêt public lancées par leur pays d’accueil aux motifs pour le moins discutables qu’il s’agirait d’une forme d’« expropriation indirecte ». L’UE doit clairement faire la distinction entre l’expropriation et la réglementation légitime. La définition de l’expropriation indirecte devrait se limiter à la situation où un État d’accueil s’approprie un investissement pour son usage propre ou pour celui d’un tiers. Les mesures réglementaires qui modifient la valeur d’un investissement sans en transférer la propriété ne devraient pas être considérées comme une expropriation indirecte.
Traitement juste et équitable : les arbitres ont aussi donné des interprétations larges du traitement juste et équitable en imposant aux états un certain nombre de restrictions imprévues de leur pouvoir réglementaire. À titre d’exemple, un investisseur a invoqué la clause de traitement juste et équitable (TJE) pour remettre en cause le programme d’émancipation économique des Noirs d’Afrique du Sud (Black Economic Empowerment), qui vise à aider la population noire du pays, depuis toujours défavorisée, à trouver de l’emploi, à accéder de manière préférentielle à des contrats d’approvisionnement et à respecter les exigences de dessaisissement grâce à des mesures de discrimination positive. Cette revendication n’a été abandonnée qu’après des années de contentieux. L’UE doit garantir que le TJE ne s’étend pas au-delà de l’interprétation restrictive du droit coutumier international (DCI). Les traités bilatéraux d’investissement (TBI) devraient clairement définir les normes destinées à faire partie du DCI, car les arbitres examinent plus fréquemment les décisions d’autres arbitres que la pratique des États pour certifier l’existence d’une coutume.
Protection et sécurité pleine et entière : les limites de cette obligation ne sont pas tout à fait claires; les arbitres internationaux jugent toutefois qu’elle implique que les états assurent au moins une protection policière minimale des projets d’investissement étrangers. Ce principe requiert donc un certain niveau de diligence normale de la part du pays d’accueil. Certains arbitres soutiennent également que cette obligation porte non seulement sur la protection physique des investissements étrangers, mais aussi sur l’assurance d’une sécurité par rapport à d’autres types de harcèlements qui ne menacent pas physiquement les actifs ou ne constituent pas une menace de violence. Cette incertitude juridique place les états dans une situation difficile. En effet, le principe de protection et de sécurité pleine et entière est invoqué par les investisseurs pour poursuivre les États lorsque les travailleurs se sont mis en grève contre une entreprise ou en cas de manifestations de masse. L’UE doit indiquer clairement que la clause de protection et de sécurité pleine et entière se limite uniquement à la protection physique et que les manifestations ou les grèves non violentes relèvent de la liberté d'association, comme l'énonce la déclaration de l'OIT sur les EMN : « Là où les gouvernements des pays d'accueil offrent des avantages particuliers pour attirer les investissements étrangers, ces avantages ne devraient pas se traduire par des restrictions quelconques à la liberté syndicale des travailleurs ou à leur droit d'organisation et de négociation collective ».
Définitions : les définitions des termes « investisseur » et « investissement » devraient uniquement protéger les intérêts durables ou substantiels des entreprises étrangères plutôt que des investissements douteux comme la spéculation financière. Il faudrait donc adopter une définition claire de l’investissement qui exclut : les instruments financiers à risques tels que les contrats à terme, les options et les produits dérivés ; la dette souveraine (pour garantir que la restructuration de la dette ne fasse pas l’objet de revendications de la part d’investisseurs) ; tout investissement qui contrevient aux lois du pays d’accueil, ou qui contribue à dégrader gravement les droits de l’homme et du travail ; les droits de propriété intellectuelle qui pourraient mettre à mal les biens publics ; et les sociétés « boîtes aux lettres » qui s’implantent dans un pays de manière minimale dans le seul but de profiter des protections prévues dans les traités d’investissement.
Clauses-parapluies : les traités d’investissement ne devraient contenir aucune clause qui importe dans les traités les droits contractuels des investisseurs en leur octroyant une protection bien plus importante. Un problème apparaissant régulièrement dans ce contexte porte sur la clause contractuelle de stabilisation, qui vise à protéger les investisseurs des évolutions juridiques ou politiques qui surviendraient après l’entrée en vigueur de l’accord. Bien entendu, la politique d’investissement de l’UE ne devrait elle-même jamais comprendre une clause de stabilisation.
Transferts : les traités d’investissement permettent généralement aux investisseurs de transférer librement des fonds à l’étranger. Cependant, des états pourraient avoir des raisons légitimes de limiter ou suspendre temporairement ces transferts, surtout s’ils rencontrent des problèmes dans leur balance des paiements. La politique d’investissement de l’UE ne devrait donc ni empêcher le recours au contrôle du mouvement des capitaux pour rééquilibrer la balance des paiements ou pour surmonter d’autres difficultés ou menaces d’ordre budgétaire, ni restreindre les transferts là où un investisseur contrevient au droit interne.
II. Droits et obligations des investisseurs
La plupart des accords d’investissement prévoient des protections pour les investisseurs, mais imposent uniquement des obligations aux états, alors que les violations des droits de l’homme et les atteintes à l’environnement dérivées du commerce connaissent une recrudescence dans le monde (comme largement démontré par l'ex-représentant spécial des Nations Unies chargé de la question des droits de l'homme et des sociétés transnationales, les points de contact nationaux dans le cadre des lignes directrices de l'OCDE, les documents de l'UE, etc.). Les accords d’investissement doivent à tout le moins garantir que les investisseurs respectent les lois du pays d’accueil lorsqu’ils s’y implantent et qu’ils y investissent. Les investisseurs ne devraient plus pouvoir bénéficier des protections accordées par le traité lorsqu’ils contreviennent à leurs obligations.*
Lorsque les investissements sont inclus dans un Accord de libre-échange, ils devraient être soumis aux responsabilités exposées dans le chapitre sur le développement durable.
Fondamentalement, les investisseurs devraient également se conformer aux directives et aux normes internationales appropriées, y compris la responsabilité de respecter les normes fondamentales de l’OIT et d’autres droits de l’homme, la déclaration de l'OIT sur les EMN, les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme et des Principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales, comme le demande le Parlement européen. Il y a de multiples façons d’atteindre cet objectif. L’une d’entre elles serait d’interdire l’accès au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États aux investisseurs qui porteraient gravement atteinte aux droits de l’homme dans le pays d’accueil ou qui violeraient gravement les principes directeurs de l’OCDE. Les pays d’accueil devraient pouvoir utiliser cet argument comme moyen de défense et régler les différends devant des arbitres compétents.
III Promotion des droits de l’homme, des droits du travail et des normes environnementales
Exclusion : tout investissement effectué dans l’UE doit montrer que tous les actes réglementaires de l’une des parties qui sont prévus et appliqués pour protéger les objectifs légitimes de salut public, tels que la santé publique, la sécurité, les droits de l’homme, l’emploi et l’environnement, ne constituent pas une violation de l’accord / de l’expropriation.
Promotion : par ailleurs, l’accord d’investissement devrait explicitement promouvoir ces droits. À titre d’exemple, il doit y avoir des renvois clairs et nets au fait que les deux parties doivent s’engager à ratifier et à réellement appliquer les normes fondamentales de l’OIT et les autres textes de base relatifs au travail décent.[[Outre la coopération sur les normes fondamentales du travail, d’autres conventions importantes de l’OIT relatives au travail décent devraient également être incluses dans l’accord. Sont notamment comprises les conventions considérées comme « prioritaires » par le Conseil d’administration de l’OIT dans sa décision de 1993 (Convention 122 sur la politique de l’emploi, Convention 81 et 129 sur l’inspection du travail et Convention 144 sur les consultations tripartites), d’autres conventions largement soutenues au sein de l’OIT (par exemple, la Convention 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs, la Convention 102 concernant la sécurité sociale, la Convention 103 sur la protection de la maternité et la Convention 135 concernant les représentants des travailleurs), et certains autres instruments essentiels de l’OIT (à savoir, la Recommandation n° 193 de 2002 sur la promotion des coopératives, la Recommandation n° 195 de 2004 sur la mise en valeur des ressources humaines et la Recommandation n° 198 de 2006 sur la relation de travail).]] Les deux parties devraient remettre des rapports réguliers sur la mise en œuvre de ces engagements.
Sanctions : Tout manquement à ces conventions dans la pratique devrait être soumis à un mécanisme approprié de règlement des litiges, y compris un moyen pour les acteurs non-étatiques (tels que les syndicats) de présenter des éléments de preuve, et avec la possibilité de supprimer les prestations là où l’état ne respecte pas ses obligations. Si les investisseurs ne satisfont pas aux normes de l'OIT, il devrait être possible de recourir au mécanisme général de règlement des litiges pour trouver une issue au conflit. Si une solution ne peut être trouvée, des sanctions sous la forme de lourdes amendes devraient être imposées après épuisement des mécanismes de règlement des conflits.
Non-dérogation : les deux parties doivent intégrer une clause de non-dérogation les engageant à ne pas abaisser les normes du travail ou les normes environnementales (ou à ne pas proposer de le faire) afin d’attirer les investissements étrangers. Il doit y être spécifié que cette obligation s’étend à toutes les parties de leurs territoires, afin d’empêcher que l’accord n’aboutisse à une expansion de la production dans les zones franches industrielles (ZFI).
Études d’impact : les deux parties doivent s’engager à évaluer l’impact de l’accord sur les droits de l’homme et à agir en fonction des résultats. Ces études d’impact devraient couvrir l’ensemble des conséquences sociales et environnementales des accords, y compris l’accès à des services publics de qualité, et l’utilisation de politiques différentes pour favoriser le développement industriel. L’UE devrait s’appuyer sur la jurisprudence de l'OIT et son mécanisme de supervision, les travaux d’Olivier de Schutter et les Principes directeurs des Nations Unies applicables aux études de l’impact des accords de commerce et d’investissement sur les droits de l’homme.
IV. Règlement des litiges
Les traités d’investissement prévoient le plus souvent des procédures de règlement des litiges entre investisseurs et états qui permettent aux premiers de contourner les systèmes juridiques des pays d’accueil pour tenter d’y faire appliquer leurs droits auprès des organes d’arbitrage international. Ces procédures sont considérées à juste titre comme un outil puissant dont les investisseurs abusent pour contester des mesures destinées à promouvoir l’intérêt public, qui interfère par conséquent sur des politiques et des législations pourtant légitimes. En effet, la CNUCED rapporte que les États ont été confrontés à des revendications allant jusqu’à 114 milliards de dollars et à des adjudications s’élevant à 867 millions de dollars. Ces montants n’incluent pas les coûts de la défense juridique et les frais annexes.
Pour rééquilibrer cette situation, la CES demande :
de régler les litiges entre États uniquement : cette mesure garantirait le rôle primordial des gouvernements dans la détermination et la protection de l’intérêt public.
d’épuiser les voies de recours interne : si l’UE continue à soutenir le règlement des litiges entre investisseurs et États, les investisseurs devraient alors être obligés, le cas échéant, d’épuiser les voies de recours internes du pays d’accueil avant de pouvoir intenter une procédure de règlement investisseur-État, à moins que son inutilité ne soit démontrée. Cette mesure garantirait le droit souverain des pays d’accueil à régler les litiges selon leur propre système juridique. Dans les pays où l’ordre juridique est plus faible, cette méthode concourrait à le renforcer sans pour autant priver les investisseurs d’un recours possible dans le cadre d’un règlement investisseur-État. Elle permettrait ainsi partiellement de rééquilibrer les droits dont jouissent les investisseurs étrangers par rapport aux entreprises nationales, de même que ceux des syndicats et des organisations de protection de l’environnement et des droits de l‘homme.
Bouclier contre les investisseurs : l’UE devrait mettre en place un « bouclier » qui permette aux états d’empêcher les actions en justice inappropriées, sans fondement ou qui porteraient atteinte à la population. Le gouvernement des États-Unis a déjà introduit un tel bouclier dans certains domaines de la politique publique comme la réglementation fiscale et financière. L’UE devrait également créer un tel mécanisme pour tous les domaines d’intérêt public.
Réforme des procédures de règlement des litiges entre États et investisseurs : les mécanismes de règlement des litiges doivent être transparents à tous égards, et autoriser le dépôt de mémoires amicus curiae, comme l’ont noté la Commission et le Parlement. Pour s’assurer que les arbitres prennent des décisions cohérentes et de qualité, sans conflit d’intérêts, les mécanismes devraient prévoir une possibilité d’appel, et des critères de sélection des arbitres devraient être fixés pour éviter les conflits d’intérêts.
Portée des dispositions entre investisseurs et États : lorsque des dispositions entre investisseurs et états sont incluses, leur champ d’application doit être clairement délimité afin d’offrir la latitude suffisante en matière de politiques publiques et de garantir l’intégrité des droits de l'homme. Les objectifs d'intérêt public (y compris les droits fondamentaux du travail, la protection de la santé publique, la sécurité, les droits des salariés, la législation sociale, les droits de l'homme, la réglementation des marchés financiers, la politique industrielle, la politique fiscale et la protection de l'environnement) doivent être exclus du champ d'application du chapitre relatif à la protection des investissements.
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