Bruxelles, 16 juin 2020
Adopté à la réunion du Comité executif extraordinaire du 9 juin 2020
Déclaration de la CES sur l'épidémie de COVID-19 et la stratégie de relance
La pandémie de COVID-19 et ses conséquences ont mis en péril la démocratie et le projet européens. Le confinement et les mesures adoptées par les gouvernements européens pour faire face à l'urgence ont généré des conséquences terribles en termes de récession économique, de chômage massif, d'obstacles à la liberté de circulation, de détérioration des conditions et des droits de travail, d'inégalité accrue et d'exclusion sociale.
Pour la CES, la santé des citoyens et des travailleurs ainsi que la protection des emplois et des droits ont constitué les priorités lorsque les institutions ont pris des mesures de confinement. Aujourd’hui, au moment où ces mesures sont assouplies afin d'obtenir un retour progressif à l'activité économique, la santé et la sécurité des citoyens et des travailleurs doivent être pleinement protégées.
La crise financière a eu des effets dévastateurs sur nos systèmes de santé et nos services publics, preuve que les coupes et privatisations ne sont pas la solution pour assurer le bien-être des individus et la sécurité de nos sociétés. Les politiques d'austérité ainsi que l'approche néolibérale des politiques fiscales, de la concurrence et du commerce ont conduit à une diminution spectaculaire des investissements publics et privés. De nombreux États membres n'ont donc pas été en mesure de fournir des services de santé adéquats à la population et de protéger les travailleurs des secteurs de la santé et des soins.
La réaction face à l’épidémie en termes de coordination des États membres et d’initiatives de l’UE est arrivée très tard. Les mesures d’urgence mises en place pour soutenir les travailleurs, les systèmes de santé et les entreprises touchées par la crise montrent encore de sérieuses limites : de nombreux travailleurs et entreprises ne sont pas soutenus par ces mesures, souvent peu adéquates, alors que dans de nombreux cas, les ressources déployées n’ont pas apporté de réel soutien. Cela doit être résolu le plus rapidement possible.
En outre, certains gouvernements ont utilisé la pandémie comme excuse pour porter atteinte à l'État de droit, aux droits humains ainsi qu’aux droits des travailleurs et des syndicats, en particulier la négociation collective. Cette situation, associée aux urgences économiques et sociales croissantes, renforce le désespoir et la colère de la population. Les forces populistes d'extrême droite et anti-européennes profitent de cette occasion pour retrouver un espace politique.
Un retour à la normale n’est pas acceptable, si cela signifie un retour à nos vieilles habitudes. Une réponse européenne solide est nécessaire pour prévenir et contenir la récession économique, le chômage et la pauvreté, et pour reconstruire le projet européen et la démocratie. L'UE est à la croisée des chemins : soit elle procède à un changement de cap et s'engage à respecter ses principes fondateurs, soit elle s’expose à une crise politique sans précédent.
La CES a exhorté les institutions européennes et les États membres à entreprendre sans attendre une stratégie de relance claire, ambitieuse et coordonnée. Nous recommandons une relance basée sur un modèle économique plus durable, plus inclusif et plus équitable, ainsi que sur une économie sociale de marché, qui assurent que l'environnement soit respecté, que l'innovation numérique soit mise au service des personnes, que l'économie européenne soit protégée, que les mesures de relance stimulent l’investissement et la création massive d'emplois de qualité, que la répartition équitable entre les bénéfices et les salaires soit assurée, que les travailleurs et les droits sociaux soient protégés, que les services publics (en particulier les soins de santé, l'éducation et la formation) soient restaurés et renforcés, et que la protection sociale universelle soit assurée.
Le plan de relance proposé par la Commission européenne, qui reprend et élargit la proposition présentée par la France et l’Allemagne et qui comprend de nombreuses demandes avancées par la CES, constitue un pas significatif dans la bonne direction.
La CES plaide pour un financement massif des investissements à fournir aux États membres, et pour que l'argent soit collecté via des instruments de dette communs garantis par la Commission européenne par l'augmentation des ressources propres de l'UE, évitant ainsi de créer une dette supplémentaire intenable dans les pays de l'UE.
La stratégie de relance doit réparer les dégâts de la crise et construire un nouveau modèle économique et social basé sur la solidarité, la convergence économique et sociale et la cohésion, en rompant enfin avec les politiques d'austérité. La suspension du pacte de stabilité a permis de prendre les mesures d'urgence nécessaires, mais seule une révision radicale de la gouvernance économique et sociale de l'UE et du processus du Semestre peut garantir une reprise équitable.
Les investissements pour sortir de la récession doivent contribuer aux engagements de l'UE en faveur de l'action climatique et de la lutte contre le chômage, en particulier chez les jeunes, et ces conditions doivent être primordiales pour tout financement. Les services publics, les soins de santé, l’éducation et les formations, les systèmes de protection sociale et les infrastructures sociales doivent être fortement soutenus.
Il est important d'augmenter les ressources propres de l'UE, sur la base du système d'échange de quotas d'émissions, un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et la taxation des opérations des grandes entreprises, en incluant une nouvelle taxe numérique et une taxe sur les plastiques non recyclés. Il faut mettre un terme à la concurrence fiscale déloyale par le biais d’une assiette fiscale et d’un taux d’imposition minimaux sur les sociétés de l’UE, et grâce à un renforcement de la lutte contre les paradis fiscaux, l’évasion fiscale, l’évitement et la fraude.
La CES attend de la stratégie de relance qu’elle mette l’accent sur la transition juste à tous les niveaux, sur le renforcement des industries et des secteurs économiques de l’UE, sur le soutien aux travailleurs touchés par l’insolvabilité et la restructuration, sur la refonte des chaînes d’approvisionnement européennes afin de les rendre plus durables, sur la refonte de nos règles de concurrence et sur une politique commerciale plus équitable et plus inclusive, notamment grâce à des dispositions contraignantes et exécutoires en matière de travail dans les accords commerciaux.
L'UE ne doit pas simplement donner de l'argent aux entreprises sans exercer un certain contrôle sur leurs agissements. Le financement du plan de relance devrait être conditionné à la création d'emplois décents, au paiement d'impôts et à la réalisation d'objectifs climatiques convenus grâce au principe de transition juste. Il est primordial que toute entreprise refusant de négocier avec les syndicats ne bénéficie d’aucune subvention, d’aucun fonds et d’aucun autre marché public.
La CES a toujours exigé que le respect de l'État de droit et des droits fondamentaux soit une condition du financement de la relance, en soulignant la nécessité que les droits de travail et des syndicats, les droits sociaux, le dialogue social et économique, la démocratie sur le lieu de travail, le Socle européen des droits sociaux et l'Agenda 2030 des Nations Unies soient à la base de tous les financements accordés.
Il est également très important que la Commission européenne confirme toutes les initiatives qui stimuleraient une reprise juste et socialement durable, tout en augmentant le profil de sa politique de voisinage, de développement et de coopération internationale, et en renforçant ses engagements en faveur d’un plan d'action européen pour la démocratie et en faveur de la relance de la conférence sur l'avenir de l'Europe.
Dans les circonstances extraordinaires actuelles, la solidarité est plus que jamais nécessaire. Sans une stratégie ambitieuse partagée par tous les États membres et conduite par l'UE dans un esprit communautaire, l'Europe ne peut réussir.
Par conséquent, la CES appelle tous les gouvernements à assumer leurs responsabilités, à surmonter leurs différends et à opter pour une approbation et une mise en œuvre rapides de la stratégie de relance, qui, bien que n'étant pas suffisante, est nécessaire de toute urgence. Les travailleurs et les citoyens européens ont besoin d'aide et ne peuvent pas attendre plus longtemps.
La CES et ses organisations membres sont prêtes à contribuer aux plans nationaux et sectoriels pour rendre la stratégie de relance pleinement opérationnelle. Nous appelons à un dialogue social efficace et à la pleine implication des syndicats et des partenaires sociaux au plus haut niveau avec les institutions européennes et les gouvernements des États membres.
L'avenir de la démocratie, de l'économie et de la cohésion sociale européennes est en jeu. Le mouvement syndical en Europe a toujours défendu le renforcement du projet européen en promouvant une Union européenne qui protège ses citoyens et ses travailleurs. La Confédération européenne des syndicats, représentant tous les travailleurs de tous les pays, s’unit pour appeler à une Europe plus juste en matière de solidarité et de justice des droits, de justice sociale et de justice environnementale.