Déclaration de la CES sur les prochaines étapes après le référendum au Royaume-Uni
A l’initiative de la CES et en collaboration avec le TUC, les responsables syndicaux européens ont été invités à une réunion qui s’est tenue aujourd’hui à Londres afin de discuter des prochaines étapes après le référendum au Royaume-Uni.
Le mouvement syndical européen est très inquiet du résultat et des conséquences négatives potentielles sur l’emploi et les conditions de travail pour les travailleurs britanniques et européens.
En cette période d’incertitude, nous devons ensemble œuvrer à une Europe forte, plus démocratique et différente. Avoir réussi à transformer l’Europe d’un continent en guerre en un continent de paix est un accomplissement fondamental de l’Union européenne qui repose sur un socle de droits humains et sociaux qui doivent être préservés. L’esprit de solidarité internationale qui préside à l’intégration européenne doit être renforcé, en particulier en ces temps où le projet européen est remis en cause.
La priorité première de l’UE et du gouvernement britannique, dans leurs différents rôles et responsabilités respectifs, est d’assurer que les turbulences économiques provoquées par le vote, comme d’ailleurs les négociations et décisions qui s’en suivront, ne donnent pas lieu à des pertes d’emplois – que ce soit aujourd’hui ou dans les mois et années à venir.
Les prochaines négociations relatives au Brexit ne peuvent remettre en cause les fondements de l’Union européenne : un marché unique basé sur la libre circulation et des règles d’application générale qui protègent les travailleurs, les consommateurs et l’environnement, un modèle social qui est toujours un exemple pour le reste du monde bien qu’il ait été affecté par les politiques d’austérité et les coupes budgétaires. Rien de tout cela ne peut être abandonné. Au contraire, il faut le maintenir et, là où cela s’avère nécessaire, le rétablir. Cela ne peut être d’application pour certains pays et pas pour d’autres. Nous rejetons une Europe « à la carte » qui menace les droits sociaux et les droits des travailleurs ainsi que les principes et libertés fondamentaux de l’Union européenne. Nous voulons une Europe qui soit au service des citoyens et pas seulement d’intérêts économiques.
Nous ne permettrons pas que les travailleurs soient montés les uns contre les autres. Nous refusons de faire des migrants des boucs émissaires et nous appelons les gouvernements nationaux et l’UE à s’attaquer aux causes premières des inquiétudes des populations locales. Il faut agir pour mettre fin à la pression sur les salaires, pour assurer que les travailleurs faisant le même travail au même endroit bénéficient du même salaire et pour faire en sorte que les conventions collectives et les systèmes nationaux de relations du travail soient respectés. Les travailleurs migrants contribuent de manière significative à notre économie et à notre marché du travail par le biais des cotisations sociales et de l’impôt sur le revenu, ce qui rend notre état-providence plus durable.
Un signal clair doit être lancé pour signifier que racisme et xénophobie ne seront pas tolérés au travail ou dans la société et que les attaques à caractère raciste avant ou après le référendum, au Royaume-Uni ou dans tout autre pays européen, doivent cesser. Racisme, xénophobie, populisme et sentiments anti-européens sont le résultat de la crise économique ou de mauvaises politiques mises en place pour y faire face ainsi que de politiciens accusant l’UE d’erreurs dont ils sont eux-mêmes responsables. Cela a créé de l’incertitude sociale, de la peur et de la colère, y compris chez certains travailleurs. En tant que syndicats, nous devons promouvoir une vision plus positive basée sur des alternatives crédibles, en particulier parmi nos propres membres.
Des allégations mensongères à propos des migrants, des travailleurs mobiles et de la liberté de mouvement ont beaucoup contribué au résultat du référendum. Nous réaffirmons qu’il n’y aura pas d’accès complet au marché unique sans application des quatre libertés qui y sont associées, et en particulier la libre circulation des personnes et des travailleurs, sans le socle de droits sociaux consacrés par la Charte européenne et l’acquis social de l’UE et sans une contribution financière équitable au budget européen.
La CES réitère son exigence de longue date de voir les droits sociaux avoir priorité sur les libertés économiques.
D’énormes inégalités et déséquilibres persistent entre pays et au sein même de plusieurs pays qui affectent en particulier l’Europe centrale et orientale. Le dumping social et salarial et la discrimination en matière de droits sociaux et de droits des travailleurs doivent être combattus en intégrant une dimension sociale dans l’UE qui profite à chacun et pas seulement à certains pays ou composantes de la société. Une convergence à la hausse et une intégration accrue dans les domaines des droits et des systèmes de protection sociale doivent être poursuivies sans affaiblir les pratiques nationales qui fonctionnent bien.
La colère et le désenchantement des électeurs – y compris chez les travailleurs – ne se limitent pas au Royaume-Uni. Il règne une insatisfaction générale partout en Europe à laquelle il faut répondre d’urgence en assurant une croissance durable et des emplois de qualité et en rétablissant l’espoir dans l’avenir. L’austérité et les règles du pacte budgétaire ont généré pertes d’emplois, travail précaire, détérioration des conditions de travail et réductions salariales ainsi que des coupes sauvages dans les services publics et la protection sociale. Cela a conduit au désenchantement à l’égard du projet européen parmi des tranches de la population qui, sinon, y auraient apporté leur soutien. Le mouvement syndical européen réclame la fin de l’austérité.
En l’absence d’une protection sociale adéquate, le coût de l’intégration économique accroît les inégalités, l’insécurité et la marginalisation parmi les citoyens de l’UE. Les inégalités entre hommes et femmes et vis-à-vis des jeunes ainsi que les écarts sur le marché du travail et au sein de la société freinent l’économie et le progrès social.
L’Europe a besoin d’un vaste plan d’investissement dans les infrastructures et le logement, pour rebâtir les services publics, créer des emplois de qualité, soutenir une croissance durable, améliorer les compétences, la recherche et l’innovation et faire face aux défis majeurs que sont les inégalités, le changement climatique, le vieillissement de la population et la numérisation.
Les travailleurs ont besoin d’une augmentation salariale pour stimuler la relance économique et lutter contre les inégalités. Salaires et conditions de travail doivent être améliorés ; le droit à la négociation collective doit être garanti et, là où cela est nécessaire, il doit être rétabli afin de veiller à une juste distribution des profits et au renforcement de la participation des travailleurs.
La CES et ses affiliés, y compris le TUC, continueront à œuvrer ensemble pour une Europe meilleure et solidaire. Notre but est de contribuer à une Europe fondée sur la justice sociale dans laquelle les intérêts de tous les travailleurs sont correctement protégés : travailleurs britanniques et travailleurs de l’UE, qu’ils vivent et travaillent dans leur propre pays, au Royaume-Uni ou dans tout autre État membre.
La CES suivra attentivement les négociations et agira afin d’assurer une issue favorable pour les travailleurs. La CES et le TUC exigent que les syndicats soient pleinement impliqués dans les négociations, des deux côtés, et demandent à la Commission européenne qu’elle prenne la direction de ces négociations en collaboration avec le Parlement européen.
Il ne saurait y avoir ni report ni suspension des actions visant à créer une Europe plus juste et plus égalitaire, à créer plus et de meilleurs emplois et à rééquilibrer la gouvernance économique à travers des politiques sociales et budgétaires fortes et progressistes. Au contraire, des initiatives telles que la révision de la directive sur le détachement des travailleurs, le pilier européen des droits sociaux, le renforcement du dialogue social et de la participation des syndicats et des employeurs dans l’élaboration des politiques économiques et sociales européennes doivent être poursuivies avec davantage d’urgence et d’engagement.
L’avenir de l’Europe est en jeu. Sans reconnecter l’Europe avec ses citoyens, sans une Europe pour tous les citoyens, sans une Europe de progrès social, nous serons confrontés à une augmentation des mouvements et des votes anti-européens. C’est maintenant que l’Union européenne doit changer et se réformer. L’UE doit être relancée par des réformes qui favorisent transparence, démocratie, égalité, conditions de travail et qualité de vie décentes pour tous – hommes et femmes, jeunes ou vieux, travailleurs migrants, mobiles ou locaux.
La CES et ses affiliés sont convaincus qu’une meilleure Europe, une Europe plus cohérente est nécessaire qui soit basée sur la coopération, la solidarité et une vision pour un avenir meilleur et plus durable afin de s’attaquer aux défis communs auxquels nous avons à faire face en ces temps très difficiles. Tous les acteurs y ont leur part de responsabilité et ont un rôle à jouer. Nous, mouvement syndical européen, sommes prêts à jouer le nôtre dans le débat sur l’avenir de l’Europe pour contribuer de manière constructive à son renouveau.