Document de réflexion sur la maîtrise de la mondialisation - évaluation de la CES
Adoptée par le comité exécutif lors de sa séance de 13-14 juin 2017
Le document de réflexion sur la maîtrise de la mondialisation est le deuxième des cinq documents de réflexion annoncés par la Commission européenne lorsqu'elle a publié son livre blanc sur l'avenir de l'Europe. Contrairement au livre blanc et au document de réflexion sur la dimension sociale de l'Europe, le document sur la mondialisation ne fournit aucun scénario d'avenir. Si la Commission y donne sa vision de l'état actuel de la mondialisation, elle analyse également les avantages et les échecs de la mondialisation pour certaines catégories d'individus. Mais il convient surtout de noter que la Commission y admet pour la première fois que la mondialisation doit être plus juste, qu'en marge de ses effets positifs, elle a également eu des effets négatifs et qu'il reste des difficultés à surmonter.
Les syndicats appellent depuis longtemps à une distribution plus juste des avantages de la mondialisation, et force est de constater que ce besoin est confirmé dans le document de réflexion rédigé par la Commission. La réponse à la mondialisation n’est pas la fermeture des frontières - aux échanges commerciaux ou aux flux de population - mais l’application de règles qui préviennent la course à l’abaissement des salaires, les mauvaises conditions de travail, le dumping social et l’exploitation. Les pratiques commerciales injustes doivent cesser, notamment celles des multinationales qui contournent l'impôt et ne respectent pas la législation sur le travail. Les entreprises doivent s'assurer que lorsqu'elles sortent de l'Union européenne, elles transfèrent leurs responsabilités et obligations à toute la chaîne logistique.
La CES se réjouit de voir que la Commission fait écho à ses demandes relatives à une meilleure sécurité sociale, à l'amélioration des compétences et de l'éducation, aux mesures en faveur d'achats publics équitables, d'accords commerciaux transparents, de respect des normes sociales de l'OIT et d'une redistribution globale des richesses. Toutefois, le document ne va pas assez loin. La négociation collective doit être encouragée à l'échelle européenne et mondiale. Le document fait référence à un respect strict des règles et aux sanctions à infliger aux sociétés qui les contournent, mais il n'indique pas comment mettre en œuvre ces mesures.
propositions relatives à la justice fiscale ne répondent pas aux demandes formulées par la CES qui souhaite que les entreprises rédigent des rapports obligatoires et publics de leurs activités, pays par pays. Et si le Fonds d'ajustement à la mondialisation est une initiative importante, elle n'est pas suffisante. Pour relever les défis actuels, il est indispensable d'engager davantage de ressources, non seulement dans le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation (FEM), mais également dans d'autres fonds structurels de l'UE. La CES note que la coopération au développement est fondamentale pour aboutir à une mondialisation plus juste pour tout le monde et appelle à la Commission européenne à inclure les syndicats dans les pays tiers dans la mise en œuvre des projets de coopération au développement. Aussi, l'Union devrait développer un plan d’investissement pour relever les défis de la mondialisation.
Le document de réflexion est plein de bons sentiments et l'analyse qui y est fournie s'avère parfois trop optimiste et positive. Mais la Commission y reconnaît enfin que la mondialisation, dans sa forme actuelle, crée des inégalités inacceptables. Nous avons besoin de beaucoup plus de clarté sur la manière dont ces propositions seront mises en œuvre, et la CES fera pression sur la Commission pour qu'elle maintienne et respecte ses engagements.
1. Politique commerciale de l'UE et mondialisation
La CES a préparé une proposition détaillée visant à élaborer une politique commerciale à la fois juste et progressive. La proposition inclut certains des points suivants traités dans le document de réflexion sur la mondialisation.
Cohérence entre les institutions multilatérales et pour une gouvernance sociale à l'échelle mondiale :
Le document indique que « Pour mieux maîtriser la mondialisation, nous avons besoin d’une gouvernance mondiale accrue et de davantage de règles internationales » et « ... nous devrions contribuer au poids des institutions multilatérales et à la réforme de celles-ci pour les rendre plus équitables et plus efficientes, de façon à ce qu'elles puissent continuer à apporter des solutions en la matière. Cependant, dans un ordre mondial de plus en plus contesté, nous devrions également être disposés à faire avancer les choses en coopérant avec de plus petites coalitions, tout en laissant la porte ouverte aux autres pays, afin qu’ils puissent nous rejoindre dès qu’ils seront prêts. » Un aspect déterminant du point de vue de la CES est le besoin de cohérence entre l'OMC et l'OIT. Nous n'avons cessé de faire pression afin que les accords commerciaux de l'OMC incluent les questions sociales visées dans les conventions de l'OIT et afin que l'OMC et l'OIT coopèrent par l'intermédiaire d'un mécanisme institutionnel conjoint impliquant les partenaires sociaux.
La cohérence doit également se refléter dans toutes les actions de la Commission européenne. Il serait bon que toutes les DG s'inspirent de la nouvelle approche dans les efforts déployés en faveur d'une mondialisation plus juste. La Commission doit être constamment guidée par ses obligations lorsqu'elle mettra en œuvre les objectifs de l'agenda 2030 de l'ONU, dans ses actions à la fois externes et internes.
Mise en œuvre et application des accords :
Le document invite à « mieux faire respecter les accords et règles existants dans des domaines tels que les échanges, les normes de travail, le climat et la protection de l'environnement. L’Organisation mondiale du commerce dispose d’un système contraignant de règlement des litiges que l’UE devrait continuer à utiliser s’il y a lieu. Nous devrions également veiller à ce que les engagements pris par nos partenaires dans le cadre de nos accords bilatéraux en matière de commerce et d’investissement soient respectés ». La CES est tout à fait d'accord avec ce point de vue, valable également pour l'UE elle-même. Le refus de la Commission de mettre en place le mécanisme de résolution des litiges dans le chapitre Développement durable de l'accord de libre-échange entre l'UE et la Corée n'est qu'un exemple de son incapacité à recourir aux mesures disponibles pour faire appliquer les droits des travailleurs dans les accords commerciaux, y compris le SPG+. La CES a formulé des propositions détaillées concernant ces questions. Il est important de souligner qu'une mondialisation juste n'est envisageable que si les normes de l'OIT sont intégrées dans les accords commerciaux et s'il existe des recours efficaces pour lutter contre les infractions à ces normes.
Protection de l'investisseur :
Le document indique que « L’UE poursuivra également ses efforts visant à établir des règles équitables en matière de protection des investissements internationaux, tout en permettant aux gouvernements de poursuivre leurs objectifs légitimes de politique publique. Les différends ne devraient plus être réglés par des arbitres dans le cadre du règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE). Aussi la Commission a-t-elle proposé la mise en place d’un tribunal multilatéral des investissements en cours de discussion avec nos partenaires, qui permettrait de créer un mécanisme équitable et transparent ».
Si elle salue le rejet du RDIE dont nous espérons par conséquent qu'il sera exclu des accords commerciaux européens, la CES continue d'avoir de sérieux doutes quant à savoir si le tribunal multilatéral des investissements actuellement en discussion sera ou non la bonne solution. Nous continuons de maintenir qu'aucune mesure spéciale ne devrait s'appliquer aux investisseurs étrangers et qu'il n'est pas envisageable de traiter les investisseurs avec plus d'égards que les travailleurs, lesquels doivent en tout cas avoir accès à des mécanismes de plainte et recours au moins équivalents. Nous observons également que le document de réflexion passe sous silence les traités d'investissement bilatéraux dont la légalité est mise en doute pour les États membres, ainsi que les TIB intraeuropéens que nous estimons illégaux.
Défense commerciale et réciprocité :
Le document indique que « Nous devons également disposer d’instruments de défense commerciale efficaces : il convient de les réformer afin de les rendre plus rapides, plus résilients et plus efficaces dans la lutte contre le dumping et les subventions déloyales » et « ...des préoccupations ont été récemment exprimées concernant les investisseurs étrangers, notamment les entreprises publiques, qui rachètent des entreprises européennes dotées de technologies clés pour des raisons stratégiques. Souvent, les investisseurs de l’UE ne jouissent pas des mêmes droits à investir dans le pays d’origine des investisseurs. Il convient d’analyser attentivement ces préoccupations et d’y répondre de manière appropriée ». Une fois de plus, la CES a insisté sur la nécessité d'une action rapide et décisive pour lutter contre le dumping (surtout contre les pratiques de travail injustes qui doivent absolument être prises en compte), le vol de propriété intellectuelle et le besoin de réciprocité. La Commission reconnaît dans son document qu'il y a un problème, mais elle ne propose pas encore de solution adéquate.
Droit de réglementation :
Le document reconnaît que « les gouvernements ne maîtrisent plus la situation, n'étant pas capables ou désireux de façonner la mondialisation et de gérer son impact d’une manière qui bénéficie à tous. Tel est le défi politique que nous devons maintenant relever ». Cette déclaration ne soutient pas forcément le point de vue exprimé et il convient de préciser que ce problème n'est pas qu'un défi politique à relever. C'est une réalité qu'il faut traiter par des mesures actives. Les capitaux volants et les entreprises multinationales doivent être contrôlés. Ce contrôle implique un travail au niveau international, par exemple l'application des principes directeurs de l'OCDE pour les entreprises multinationales et la mise en œuvre de la déclaration récemment revue de l'OIT sur les multinationales. La Commission a toujours fait preuve de volontarisme en matière de RSE. Des mesures exécutoires plus strictes sont nécessaires qui doivent aboutir à des conséquences matérielles pour des abus des normes du travail.
2. Négociation collective et campagne de hausse des salaires
Le document de la Commission reconnaît que : « Au cours des dix dernières années, les revenus réels des ménages de la classe moyenne dans l’UE et dans d’autres économies avancées ont globalement stagné, même lorsque l’économie progressait dans son ensemble. » Si cette reconnaissance est la bienvenue, les propos exprimés sont un euphémisme par rapport aux inégalités grandissantes, à la baisse des salaires réels et à l'écart salarial croissant auxquels sont confrontés les jeunes dans de nombreux États membres de l'Union européenne, aux coupes et aux gels des rémunérations dans le secteur public et au renversement de la convergence des salaires entre l'Ouest et l'Est de l'Union européenne. Néanmoins, cette reconnaissance renforce les arguments de la CES qui, dans sa campagne de hausse des salaires, milite pour une augmentation générale des rémunérations de tous les travailleurs européens afin de lutter contre les inégalités et de stimuler la croissance.
Le document mentionne le rôle de plus en plus essentiel joué par les chaînes de valeur mondiales. Il indique également que « En outre, nous devrions faire avancer les efforts visant à améliorer les normes sociales et de travail et les pratiques en la matière, en étroite coopération avec l’Organisation internationale du travail, mais aussi la société civile, les partenaires sociaux et le secteur privé. Dans ce contexte, des systèmes de négociation collective devraient être promus à l’échelle mondiale ». La négociation collective doit être une étape clé du nouveau consensus européen sur le développement, et l'alignement sur l'agenda 2030 de l'ONU doit s'inscrire non seulement dans les efforts externes, mais également internes de l'UE. Le document de réflexion pointe la nécessité de renforcer le dialogue social et la négociation collective à l'échelle nationale, avec des partenaires sociaux libres et autonomes. C'est une démarche importante qui doit être mise en place dans l'UE et au-delà. La CES souligne l’importance de l’objectif développement durable 8 sur le travail décent, et appelle l’Union européenne à travailler avec les syndicats européens et des pays en développement pour aboutir à sa réalisation. L’union européenne devrait notamment se focaliser à travailler avec les syndicats pour éliminer la discrimination raciale, sexuelle, de gendre et de handicap.
Le document de réflexion répertorie toute une série de défis à relever dans le cadre de la mondialisation à l'horizon 2025. Les économies mondialisées entraînent une concurrence déloyale entre les travailleurs qui jouissent de normes de protection trop différentes. Rempart contre le dumping social, la négociation collective est l'outil le plus adapté pour relever bon nombre de ces défis. Les partenaires sociaux du monde entier devraient pouvoir tirer profit des économies interconnectées ou gérer les effets négatifs de la mondialisation sur les travailleurs afin de faire face aux conséquences de la délocalisation ou de la restructuration. Grâce à la négociation collective, les partenaires sociaux sont en mesure de faciliter l'inclusion et l'intégration des réfugiés et des migrants dans l'environnement de travail. Il serait bon d'analyser pleinement la possibilité d'une négociation collective transnationale qui permettrait à tous les travailleurs de profiter de la mondialisation, indépendamment de l'endroit où ils travaillent.
potentiel de la négociation collective devrait être mieux analysé, en particulier dans sa dimension transfrontalière. Les accords d'entreprises transnationaux renforcent le niveau d'engagement et de responsabilité des multinationales dans le cadre de leurs obligations sociales et environnementales. Mais l'équité est valable pour ces accords également. Le soutien apporté aux partenaires sociaux afin de créer un environnement juridique propice aux négociations transfrontalières avec les multinationales en Europe permettra au reste du monde de poser des bases équitables à la négociation collective. En promouvant la mobilité des entreprises, La Commission devrait en même temps promouvoir le droit des travailleurs et les mécanismes conséquents à la participation dans le lieu de travail dans le but de s’attaquer aux problèmes de la mondialisation soulignés dans le document de réflexion.
3. Imposition
Le document reconnaît l'importance de l'imposition. Elle est essentielle à un juste partage des charges entre employés et entreprises et pour financer les services publics. On estime que la perte d'impôts résultant de l'existence d'économies parallèles en Europe représente 139,3 % du déficit annuel de l'UE. Comme l'indique le document : « les grandes entreprises peuvent tirer parti de vides juridiques dans les règles internationales et transférer leurs bénéfices vers des pays à faible fiscalité plutôt que de payer des impôts là où elles produisent et vendent. Ces stratégies privent les gouvernements de l’UE de recettes fiscales, contribuent à l’injustice et à la perception que l’intégration mondiale ne profite qu’aux grandes entreprises et aux citoyens fortunés. » et « L’UE devrait continuer à prendre des mesures en matière de justice et de transparence fiscales à l’échelle mondiale. D’ici la fin de 2017, elle possédera une liste commune des pays et territoires non coopératifs et disposera donc d’instruments plus efficaces pour lutter contre l’évasion fiscale extérieure et traiter avec les pays tiers qui refusent de jouer le jeu. »
Pour assurer des règles du jeu équitables entre multinationales et PME, il est nécessaire de prendre davantage de mesures pour lutter contre l'évitement fiscal. La CES est assez dubitative quant à la possibilité de s'accorder rapidement sur une liste de pays et territoires non coopératifs en dehors de l'UE. À cet égard, nous demandons des rapports publics, pays par pays, pour chaque État dans lequel une multinationale est active, et pas seulement dans les États membres de l'UE. Seule une documentation de ce type permettra l'imposition des profits là où ils sont générés[1].
De plus, la CES regrette que seules les plus grosses multinationales (dont le chiffre d'affaires global est supérieur à 750 millions EUR) soient tenues de publier un rapport. Enfin, la CES appelle les institutions européennes à formuler rapidement une proposition ambitieuse concernant une assiette de l'impôt commune consolidée des entreprises permettant d'éviter que le prix du transfert ne soit l'outil principal utilisé pour transférer les bénéfices. La CES lance un groupe de travail sur les questions d'imposition et formulera des propositions supplémentaires.
4. Numérisation : l'optimisme ne suffit pas
La Commission présente légitimement la numérisation comme l'un des principaux facteurs d'influence du processus de mondialisation. Toutefois, son approche est trop optimiste et ne retient que les aspects positifs de la numérisation, de même que ses perspectives de croissance attendues. La réalité de la numérisation est qu'elle comporte son lot de vainqueurs et de perdants potentiels, d'opportunités mais aussi de risques.
À l'échelle des secteurs, la numérisation est considérée à juste titre comme un moteur de la transformation dans les domaines du transport, de l'énergie, de l'agroalimentaire, des télécommunications, de la logistique et de la distribution, des services financiers, de l'industrie et des soins de santé. La liste est incomplète, mais constitue un bon point de départ. Des effets possibles de « reshoring », à savoir de relocalisation en Europe de certains processus de production grâce à la numérisation, sont également soulignés. Toutefois, ce document ne traite pas la dimension sociale globale de la numérisation et son impact sur les emplois, les tâches et les travailleurs. Le terme « juste » revient régulièrement dans le texte, ce qui représente une avancée timide, même s'il n'est jamais clairement défini.
Lorsqu'elle aborde sa propre communication sur l'économie collaborative, la Commission donne l'impression de fournir des règles et des recommandations politiques claires au niveau européen, alors qu'en réalité, elle conseille aux États membres de s'abstenir de prendre des mesures réglementaires et adopte elle-même une approche politique laxiste.
La CES invite la Commission à relever les défis sociaux posés par la numérisation. La stratégie d'un marché numérique unique doit s'enrichir d'initiatives visant à combattre la fracture numérique entre et parmi les États membres. Les institutions européennes doivent veiller à la convergence en aidant les États membres à investir dans des infrastructures numériques et à lancer des politiques industrielles solides pour les secteurs dans lesquels la numérisation et la poursuite de l'automatisation sont planifiées ou attendues.
En ce qui concerne le phénomène planétaire de plateformes numériques et de crowdworking, la CES appelle les institutions européennes à proposer un cadre législatif assurant les mêmes chances pour tous les acteurs économiques et garantissant le respect/l'application des droits des travailleurs dans l'économie numérique et celle des petits boulots.
5. Instruments financiers européens
Le document de réflexion aborde la localisation des coûts de la mondialisation et admet que les régions ont besoin d'être soutenues localement pour gérer les effets négatifs de la mondialisation, mais aussi pour « rendre l’économie européenne plus concurrentielle, plus durable et plus résiliente face à la mondialisation et veiller à ce qu’elle génère les ressources nécessaires pour garantir une répartition plus équitable de ses avantages... ».
Dans le cadre financier pluriannuel (CFP), de nouveaux programmes ont été lancés ou réformés et renforcés, notamment le FEM, récemment actualisé. Il est essentiel d'assurer la cohérence entre les mesures dites curatives prises pour combattre les effets de la mondialisation, comme la fermeture ou la délocalisation des usines ou la restructuration, mesures financées par le FEM, et les mesures préventives comme l'apprentissage tout au long de la vie, la formation, la reconversion ou le renforcement des compétences des travailleurs, proposées par le FSE.
L'UE doit accroître le soutien apporté aux travailleurs affectés par la mondialisation et en particulier par la numérisation. Il faut renforcer la capacité du FEM et accroître ses moyens financiers dans le prochain budget européen d'après 2020 (CFP), éventuellement grâce à des sources innovantes de financement provenant de la taxation des robots ou des processus fortement automatisés.
Il est également crucial d'aligner le prochain CFP sur les engagements internationaux pris par l'UE, et notamment sur l'Accord de Paris sur le climat et les objectifs de développement durable des Nations unies (ODD). L'article 2 de l'Accord de Paris engage les parties à « rendre les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques ». Sur cette base et s'appuyant sur la feuille de route de l'UE vers une économie compétitive à faible intensité de carbone à l’horizon 2050, le budget de l'UE doit être utilisé dans le souci des préoccupations climatiques.
6. Migration
La migration est l'un des phénomènes humains les plus visibles à subir les conséquences de la mondialisation. L'analyse est brève, mais bien ciblée, elle inclut une référence appréciée au besoin de mieux intégrer les migrants dans les sociétés hôtes. Toutefois, l'analyse présente certaines incohérences par rapport à l'avenir.
Le document de réflexion évoque le fait que dans un monde globalisé, les mouvements de population augmenteront, mais que la migration diminuera si la mondialisation profite à tous. Il est regrettable de constater que la Commission considère la mondialisation comme une solution pour combattre ce qu'elle appelle la migration « illégale ». Cette analyse est faussée et ne fait que renforcer les sentiments et propos anti-migrants.
Le document explore à peine le lien entre développement et migration. La mondialisation est considérée comme un antidote à des flux migratoires excessifs. Le document laisse entendre qu'un avenir prospère pour les habitants des pays en voie de développement contribuerait à réduire et à gérer les flux migratoires. Il est vrai que la mondialisation a sauvé des millions de personnes d'une pauvreté extrême, mais elle n'a pas effacé les inégalités. Au contraire, l'augmentation des inégalités est l'un des principaux facteurs à l'origine des mouvements migratoires.
L'analyse comporte une autre erreur. Les faits démontrent que les populations vivant dans des situations d'extrême pauvreté sont plus enclines à émigrer lorsqu'elles ont accès à un niveau minimum, mais suffisant de compétences et de ressources. Cette tendance n'est pas près de changer à l'avenir. En effet, il est primordial d'assurer emplois et prospérité à la population dans son pays d'origine pour limiter les flux migratoires, mais dans un monde ouvert, beaucoup d'autres facteurs jouent inévitablement un rôle dans l'accélération de la migration. La plupart de ces migrants seront des travailleurs peu qualifiés, tandis que le reste du monde s'arrache les plus compétents. Ces aspects sont évoqués sans être traités explicitement.
Le document de réflexion peut être considéré comme positif s'il permet de soulever certaines contradictions persistantes dans l'UE. Ces dix dernières années, l'Europe a alimenté l'idée selon laquelle elle deviendrait une forteresse impénétrable. Des murs ont été érigés et l'accès légal à l'UE limité. Cette réalité est en totale rupture avec la vision d'une migration qui enrichit les économies et les sociétés. Toutefois, pour profiter d'un tel enrichissement, il convient de mettre un terme à la discrimination des personnes issues de l'immigration et qui tentent d'accéder au marché de l'emploi. Il y a un fort besoin de prévenir les abus de certains employeurs sur les migrants qui, au final, porte au nivellement par le bas des conditions de vie de tous les travailleurs.
Le document de réflexion élude le fait que l'UE s'est montrée peu efficace dans la gestion des flux migratoires. L'UE reste déchirée par le manque de solidarité, alors que le monde s'apprête à signer en 2018 un accord global pour la migration sous les auspices des Nations unies. Si l'Europe souhaite être la première à fixer les règles du jeu mondial en faveur d'un programme de migration et d'asile bien géré, il est urgent d'aligner son agenda interne sur les objectifs ambitieux fixés dans la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants, publiée en septembre 2016. De plus, l'UE doit renforcer la cohérence entre ses actions internes et externes. Le semestre européen et la stratégie Europe 2020 doivent être alignés sur l'agenda 2030 des Nations unies et sur ses ODD.
En ce qui concerne la dimension extérieure, on conviendra également que les normes existantes pourraient être encore mieux respectées. Les normes internationales visent à protéger tous les migrants partout dans le monde, mais comme c'est le cas en Europe, soit elles ne sont pas ratifiées, soit peu respectées. Les conventions internationales fixant les normes de protection pour les migrants doivent être transposées et respectées, notamment la convention 97 de l'OIT (migration des travailleurs, convention de 1949 révisée), la convention 143 de l'OIT (travailleurs migrants, dispositions supplémentaires, 1975), la convention 189 de l’OIT (travailleuses et travailleurs domestiques, 2011) et la convention 144 du Conseil de l'Europe sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local. La convention internationale des Nations unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille doit encore être ratifiée par les États membres de l'UE. Les pays doivent également respecter la convention de Genève de 1951 qui prévoit de protéger et de fournir une aide humanitaire aux réfugiés.
7. Changement climatique, développement durable et transition juste
Dans son document de réflexion, la Commission traite les questions climatiques de façon très superficielle, ce qui est particulièrement regrettable à l'heure où les USA ont rejeté l'Accord de Paris sur le climat. Augmenter et accélérer les efforts déployés afin de réduire les émissions et de s'adapter aux conséquences d'un changement climatique déjà inévitable sont identifiés à juste titre comme des conditions nécessaires à la maîtrise de la mondialisation. Toutefois, le document de réflexion néglige une série d'éléments essentiels si l'on souhaite que la mondialisation soit une perspective souhaitable pour tous.
D'abord, le document ne mentionne aucunement le besoin d'octroyer des fonds spécifiques en faveur du climat aux pays vulnérables. 100 USD par an d'ici 2020, en plus d'une contribution publique supplémentaire (ne provenant pas de l'aide publique au développement, APD) représentent le minimum que les pays développés puissent faire. Au-delà de 2020, une évaluation des besoins dans les pays en voie de développement doit permettre de définir la base des engagements des pays développés, compte tenu du fait que c'est eux qui ont contribué le plus à l'accumulation des gaz à effet de serre dans l'atmosphère.
Le document élude également complètement le besoin d'implémenter des politiques climatiques conformes aux ODD. La hausse de la consommation de biomasse importée, l'adoption de batteries et voitures électriques, ou l'utilisation de mécanismes orientés projets (grands barrages, gestion forestière) par les pays de l'UE illustrent, entre autres, le risque d'avoir des politiques climatiques directement ou indirectement préjudiciables pour les droits de l'homme dans des pays tiers.
La décarbonisation de l'économie que l'Accord de Paris devrait accélérer apportera de « nouvelles opportunités commerciales », mais elle entraînera aussi toute une série de difficultés sociales graves dans les régions et secteurs caractérisés par des activités comptant essentiellement sur l'énergie fossile. C'est pourquoi l'Accord de Paris fait explicitement référence au besoin d'assurer une transition juste pour les travailleurs, garantissant un travail décent et des emplois de qualité. La reconnaissance de ces difficultés est la première étape vers la mise en place de politiques qui permettent aux individus d'anticiper et gérer les problèmes à venir. La convention collective est un outil important pour faciliter une transition juste des travailleurs à une économie verte et pour prévenir les effets négatifs de cette transition sur l’emploi.
De façon similaire, pour illustrer la relation complexe entre les politiques climatiques et le commerce, il est particulièrement simpliste de présenter l'Accord de Paris comme une charte synonyme d'avantage concurrentiel pour les industries qui ont déjà réduit leur empreinte carbone. Bien que rien n'indique actuellement qu'il existe une fuite carbone dans l'UE, il est évident qu'une décarbonisation intensive des entreprises actives dans des secteurs aux émissions massives de carbone pourrait nuire à la compétitivité de ces entreprises présentes sur les marchés internationaux, surtout si elles sont en concurrence avec des sociétés qui ne sont pas soumises aux mêmes politiques. Dans toute une série de secteurs industriels, la décarbonisation intensive exige le déploiement rapide de technologies étendues visiblement incompatibles avec la concurrence internationale que se livrent de nombreuses industries. Le document de la Commission n'aborde pas vraiment les instruments concrets nécessaires à court terme pour faire face à ce risque qui constitue une source majeure d'inquiétude pour les travailleurs dans les secteurs trop souvent exposés au dumping social et environnemental. L'innovation est identifiée à juste titre comme une priorité, mais pour développer l'économie de demain (p.17), il faut aussi défendre notre leadership industriel dans l'économie actuelle.
Dernier point, mais pas le moindre, l'impact environnemental du transport international n'est quasi pas mentionné dans le document, alors que le transport aérien et maritime mondial représente près de 10 % des émissions globales de CO2. La demande accrue de transport qu'implique la mondialisation entraîne une augmentation constante des émissions due au transport international, en dépit des améliorations apportées en matière d'efficacité. À long terme, les mesures proposées par l'Organisation maritime internationale (OMI) et par l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) atténueront la croissance des émissions sectorielles de CO2, sans entraîner de réduction absolue de celles-ci. Dans ses propos sur la mondialisation, la Commission européenne ne mentionne aucunement cet élément crucial. Il n'existe pas de mondialisation du commerce sans une croissance du transport international, et le taux de croissance actuel du transport international est incompatible avec les contraintes climatiques.
Protection sociale
La protection sociale est abordée de manière plutôt superficielle. Elle n'est pas vue comme un outil permettant d'encourager un développement juste et durable dans les pays tiers. Malgré la référence au consensus européen sur le développement adopté récemment, l'accent est mis sur les opportunités d'investissement pour les entreprises européennes et sur la prévention de la pression migratoire. Nous devrions au contraire viser une amélioration globale de la dimension sociale pour tous, surtout pour les plus vulnérables d'entre nous, en orientant notre action sur la solidarité et l'inclusion.
La réponse interne à la mondialisation propose une approche un peu plus complète, bien qu'elle demeure assez simpliste. Nous saluons la référence à une redistribution juste et équitable de la richesse, à des investissements ciblés encourageant l'inclusion sociale des personnes vulnérables, y compris des migrants, pour renforcer la cohésion sociale. Toutefois, cette référence doit s'accompagner d'autres références concrètes aux stratégies européennes et mondiales de développement social fondées sur la protection sociale, mais les ODD de l'agenda 2030 des Nations unies et la stratégie Europe 2020 ne sont même pas mentionnés dans l'analyse destinée à la réponse interne. Il semblerait qu'il n'existe aucune approche holistique entre le modèle social européen et la dimension mondiale, alors que l'Europe, dépeinte comme un continent comptant parmi les « sociétés les plus égalitaires et inclusives au monde » présente en fait de graves problèmes de pauvreté et d'inégalités que le « renforcement » et l' « adaptation » des politiques internes ne suffiront pas à résoudre.
Une coordination stratégique globale des politiques de protection sociale doit être développée dans le respect des dimensions européenne et mondiale. Elle doit tenir compte de la stratégie Europe 2020 et de l'agenda 2030 dont les objectifs et les lignes d'implémentation doivent encore être clarifiés, de même que des ODD qui fournissent les orientations nécessaires à la planification future.
Une approche cohérente des seuils de protection sociale universelle doit être fournie conformément aux initiatives de l'OIT, afin de s'assurer que les personnes les plus vulnérables sont également prises en compte. Ce seuil de protection inclura aussi des avantages adéquats en cas de chômage et des systèmes de salaire minimum, et il assurera un accès universel à des services essentiels de qualité qui soient abordables financièrement (soins de santé, éducation, services au logement et services sociaux). L’Union européenne devrait contribuer à un fond global pour augmenter et soutenir une couverture majeure de la protection sociale dans les pays en développement.
Les objectifs européens et mondiaux doivent être intégrés et alignés sur l'objectif de convergence ascendante. Ces objectifs ambitieux partagés nécessiteront ensuite des indicateurs communs et comparables. C'est important si l'on souhaite évaluer la coordination interne des systèmes sociaux qui n'ont apporté que de maigres résultats. Dans un monde caractérisé par un nombre croissant d'inégalités, des protections sociales efficaces seront encore plus importantes pour lutter contre les effets négatifs de la mondialisation. Il est nécessaire d'améliorer les dépenses publiques et de les engager à la fois à l'échelle nationale et européenne pour répondre aux réels besoins sociaux.
Des systèmes probants de protection sociale requièrent des investissements considérables en ressources publiques, de nombreuses offres de services publics bien réglementées et un solide dialogue social bipartite ou tripartite pour leur gestion et leur conception. Ces éléments garantissent que la protection sociale contribue à préserver la dignité humaine et à vivre décemment partout dans le monde, indépendamment de la performance économique.
Conclusion
Le document de réflexion sur la maîtrise de la mondialisation est une étape dans la bonne direction. Il a permis d'ouvrir le débat sur les effets de la mondialisation, sur les conséquences néfastes dont nous sommes témoins et sur les inégalités croissantes devenues inacceptables. Le monde a besoin de changement. Au-delà du changement positif de discours, la Commission doit désormais fournir des solutions concrètes et innovantes aux nombreux problèmes épinglés dans le document de réflexion.
Si la Commission s'attaque sérieusement au pilier européen des droits sociaux et renforce la dimension sociale de l'Europe, il lui reste à lutter contre les effets négatifs de la mondialisation. Nous souhaitons que la Commission formule des propositions concrètes sur la manière dont elle entend relever les défis actuels auxquels sont confrontés l'Europe et le monde. La Commission doit adopter une vision critique à ses politiques actuelles qui ne correspondent pas à la narrative « nouvelle » mentionné dans le document de réflexion.
Seule, l'Europe n'est pas en mesure de relever la plupart de ces défis. L'Europe a besoin de montrer son leadership dans la recherche de solutions aux nombreuses menaces auxquelles nous sommes confrontés. La solution n'est définitivement pas celle choisie par le président américain Donald Trump en matière de changement climatique ou de recours au protectionnisme. Faire face au changement climatique et aux conséquences néfastes de la mondialisation est le défi que doivent relever les dirigeants du monde. Pour y parvenir, ils devront veiller à créer des emplois de qualité en misant sur l'investissement, l'innovation et des services publics forts qui permettront aux personnes actives et aux régions industrielles d'opérer la transition de manière juste et équitable.
[1] Un exemple positif est celui du fonds souverain norvégien, le plus grand de sa catégorie dans le monde. Début 2017, il a exigé des multinationales dans lesquelles il investit qu'elles publient des répartitions pays par pays, précisant où et comment leur modèle commercial génère de la valeur économique, où cette valeur est soumise à l'impôt et le montant d'impôt payé. Si les entreprises choisissent de se soustraire à ces principes de transparence, elles doivent être disposées à expliquer publiquement pourquoi.
https://www.nbim.no/contentassets/48b3ea4218e44caab5f2a1f56992f67e/expectations-document---tax-and-transparency---norges-bank-investment-management.pdf