Violence à caractère sexiste au travail et à la maison – une question syndicale
Adoptée au Comité Exécutif des 13 et 14 Décembre 2017
Introduction
La violence à caractère sexiste demeure un phénomène qui dépasse toutes les frontières. Rien que dans l’Union européenne, 62 millions de femmes ont vécu cet abus de pouvoir sous forme d’agression physique depuis l’âge de 15 ans. Cela englobe également les nombreuses formes de violence psychologique. Cela se passe partout, que ce soit à la maison, au travail, en public, dans chaque société et dans tous les pays de l’Union européenne, indépendamment du milieu social des victimes et des auteurs. La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) définit la violence à caractère sexiste comme « une violence dirigée spécifiquement contre une femme du fait de son sexe ou qui affecte les femmes de façon disproportionnée[1]. »
Elle constitue une forme brutale de discrimination et une violation des droits humains fondamentaux. Il s’agit à la fois d’une cause et d’une conséquence de la discrimination et des inégalités marquées entre les femmes et les hommes. En tant que telle, la violence à caractère sexiste est une question fondamentale qui concerne les syndicats, qui est liée au cadre de travail et qui affecte la santé, la sécurité et la dignité des travailleurs.
L’élimination de la violence et du harcèlement à caractère sexiste au travail, y compris la violence de tiers, fait partie intégrante de l’objectif d’égalité au travail et dans la société. Pendant longtemps, le lieu de travail a été reconnu comme ayant un rôle majeur dans la prévention et l’élimination de la violence à l’égard des femmes dans le cadre d’une stratégie intégrée de lutte contre la violence à caractère sexiste.
Bien que la violence au travail ne soit pas un problème nouveau, les syndicats reconnaissent aujourd’hui que la précarisation croissante du travail, les nouvelles formes d’organisation du travail et la pression liée au travail ont contribué à intensifier le harcèlement au travail et à occulter le problème. Bien que les femmes soient exposées à différentes formes de violence et de harcèlement à tout âge, la nature changeante de leurs relations (avec les membres de la famille, leurs collègues, leur hiérarchie, etc.) et les différents environnements (à la maison, à l'école, au travail, en communauté, etc.) dans lesquels elles passent du temps les exposent à des formes spécifiques de comportements abusifs au cours de chaque phase de leur vie. Ainsi, les travailleuses, et surtout les jeunes travailleuses, sont particulièrement touchées étant donné qu’elles travaillent souvent dans des secteurs mal rémunérés et précarisés de l’économie ; beaucoup d’entre elles souffrent en silence par crainte de subir des représailles ou de perdre leur emploi. L’élément clé consiste à élaborer des solutions ayant trait au cadre de travail dans lesquelles les travailleurs ont confiance et qui s’attaquent aux causes sous-jacentes de la violence au travail.
De même, la violence domestique est un problème qui concerne le milieu professionnel : elle peut avoir un impact sur la participation d’une femme au travail, son rendement professionnel et sa sécurité au travail. La violence au travail, y compris les effets de la violence domestique au travail, a une incidence sur le bien-être, la santé, la sécurité et la performance professionnelle des travailleurs.
La négociation de mesures de soutien en milieu de travail, telles que la flexibilité de travail, les congés payés ou les changements de lieu d’affectation, peut faire en sorte que les femmes conservent leur emploi sans risques et jouissent d’une indépendance financière et d’un soutien au travail qui leur permettent de quitter des partenaires violents et de vivre en toute indépendance sans crainte de subir d’autres violences.
Contexte
La CES et ses affiliés jouent un rôle de premier plan dans la lutte contre la violence à caractère sexiste. En 2007, la CES et les employeurs européens (BusinessEurope, UEAPME et CEEP) ont réussi à négocier un accord-cadre avec les partenaires sociaux européens pour lutter contre la violence et le harcèlement au travail. Certaines confédérations ont signé des accords-cadres au niveau national et sectoriel pour appliquer l’accord (en Italie et en France, par exemple) ; d’autres ont inséré de nouvelles clauses dans des accords existants au niveau sectoriel ou à l’échelon de l’entreprise, tout en développant des directives, des manifestes ou des déclarations approuvés conjointement.
En 2011, la CES a adopté son document Stratégie et plan d’action qui stipulait que la « dépendance économique et les stéréotypes sexistes contribuent à l’inégalité et à la violence » et a appelé à un nouvel instrument juridique européen pour lutter contre la violence faite aux femmes. L’année suivante, la CES a adopté son programme de travail en matière d’égalité entre les femmes et les hommes qui visait à encourager les syndicats à aborder la question du lien entre la violence domestique et l’environnement de travail. En 2014, l’enquête du 8 mars de la CES sur la violence à caractère sexiste a recueilli pour la première fois des informations sur la manière dont les affiliés de la CES ont abordé la question de la violence à l’égard des femmes, ce qui a permis d’identifier des tendances et des préoccupations communes. L’enquête a montré que certains syndicats se sont attachés à développer des stratégies et des actions, dont des directives et des conventions collectives de travail.
Dans le cadre de son actuel Programme d’action en matière d’égalité entre les femmes et les hommes (2016-2019), la CES a choisi de faire de la lutte contre le harcèlement sexuel et la violence au travail une de ses principales priorités. Dans le cadre de ce programme, la CES a mené une étude révolutionnaire « Safe at Home, Safe at Work » (En sécurité à la maison – en sécurité au travail) qui visait à sensibiliser un large public à la nécessité de prendre systématiquement le genre en considération lorsqu’il est question de violence et de harcèlement au travail, et à formuler des recommandations pour l’élaboration de politiques nationales et européennes et le développement de mesures et de politiques futures par les syndicats et/ou les partenaires sociaux. L’étude a été réalisée à une époque où la violence et le harcèlement au travail s’intensifiaient, où les inégalités entre les femmes et les hommes au travail étaient persistantes et croissantes et où une culture du sexisme en milieu de travail prévalait.
Voici les conclusions de l’étude :
- Un grand nombre de syndicats en Europe s’impliquent dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes.
- Les conventions collectives au niveau national, sectoriel et à l’échelon de l’entreprise qui prévoient des clauses portant sur la gestion de la violence à l’égard des femmes figurent parmi les mesures prises.
- Des accords prévoient d’obliger les employeurs à élaborer des procédures de gestion de la violence, à prévoir des formations pour permettre aux managers et aux employés d’identifier les signes de violence au travail et de prévenir cette violence, et à organiser une assistance médicale et psychologique pour les employés victimes de violence domestique.
- De nombreux syndicats proposent une aide juridique ou autre aux affiliés victimes de violence au travail et, dans certains cas, aux victimes de violence domestique.
- Beaucoup de syndicats ont organisé des événements pour parler de la violence contre les femmes et ont pris part à des initiatives gouvernementales de lutte contre la violence à l’égard des femmes.
- Les syndicats nationaux se sont servis de l’« Accord-cadre européen de 2007 sur la prévention, la gestion et l’élimination de la violence au travail » négocié et signé par la CES et les employeurs européens (BusinessEurope, UEAPME et CEEP) pour réclamer instamment des mesures de protection des femmes contre les comportements violents.
Ces derniers mois, la question de la violence à caractère sexiste a connu un regain d’attention aux niveaux européen et international avec, d’une part, la signature par l’Union européenne de la Convention d’Istanbul de lutte contre la violence faite aux femmes et, d’autre part, l’année européenne consacrée à des actions ciblées de lutte contre la violence faite aux femmes. Ces deux mesures sont nécessaires et bienvenues. De plus, les actions mondiales #metoo, #balancetonporc, #NiUnaMenos et #16Pledges pour lutter contre la violence à caractère sexiste et le harcèlement des femmes procurent une visibilité bien nécessaire au problème. Toutes ces actions ont été fortement soutenues ou même initiées par les syndicats.
La Convention d’Istanbul et le potentiel que représente un solide cadre juridique européen à propos de la violence à caractère sexiste – sous forme de nouvelle directive visant à assurer la pleine application de la Convention – sont considérés comme étant d’une importance cruciale pour développer une approche coordonnée et intégrée de lutte contre la violence faite aux femmes et pour examiner comment l’élaborer plus avant en milieu de travail.
La CES appuiera fortement une nouvelle convention de l’OIT sur la violence contre les femmes et les hommes dans le monde du travail, qui fera l’objet d’une discussion lors de la Conférence internationale du travail en 2018. Une convention de ce type offre la possibilité d’adopter une approche large qui engloberait à la fois la violence domestique au travail et la nécessité d’accorder toute l’attention voulue à la violence à caractère sexiste.
La CES est convaincue que les partenaires sociaux jouent un rôle crucial dans la prévention et la lutte contre les effets de la violence et du harcèlement sur le lieu de travail, en particulier la violence à caractère sexiste. À cette fin, le dialogue social doit être renforcé et/ou rétabli à tous les niveaux dans les pays où il a été détricoté ou affaibli par des mesures d’austérité.
La négociation collective, bien qu’attaquée, reste l’outil majeur utilisé par les syndicats pour prévenir et combattre la violence et le harcèlement sexuel, y compris la violence à caractère sexiste au travail, le harcèlement de tiers et les effets de la violence domestique au travail. Les syndicats constatent également qu’une législation qui impose des obligations claires aux gouvernements, aux employeurs et aux syndicats renforce considérablement la négociation collective.
Les engagements et les actions de la CES pour lutter contre la violence à caractère sexiste
La CES est d’avis que les syndicats doivent jouer un rôle de précurseur dans le lancement de nouvelles initiatives (et dans le renforcement des actions existantes) visant à lutter contre la violence à caractère sexiste au travail, y compris la violence domestique au travail, et ce en élaborant des politiques, des procédures et des mesures de soutien dans lesquelles les travailleurs ont confiance.
La CES insiste sur la nécessité d’un cadre juridique solide qui permette d’aborder la question de la violence à caractère sexiste au travail. En effet, ce cadre constituerait une base pour la négociation collective et garantirait la prise en compte de la violence à caractère sexiste au travail dans la négociation collective.
Une convention de l’OIT et un cadre juridique européen sur la question de la violence à caractère sexiste fortement axée sur l’environnement de travail permettra de faire en sorte que les gouvernements s’engagent à mettre en place un cadre juridique solide aux niveaux national et européen pour donner de la visibilité et un rôle à la négociation collective ayant pour but la prévention et la lutte contre la violence à caractère sexiste au travail.
La CES soutiendra activement la CSI et les organisations de la société civile pour avancer aux niveaux international et européen.
Il faut également instaurer des droits légaux au travail pour les victimes de violence domestique, dont le droit à des congés payés et à une aide, et imposer aux employeurs d’autres mesures et obligations de prévention et de lutte contre cette forme de violence. L’instauration de ces droits devrait également s’accompagner d’une obligation pour les employeurs de mettre en place, en concertation avec les syndicats, des mesures sectorielles et des mesures sur le lieu de travail, dont la définition de mesures de prévention, l’élaboration de procédures efficaces de gestion des plaintes, le traitement de la question des sanctions pour les auteurs, y compris l'exclusion de l’auteur du lieu de travail des victimes ; fournir les informations pour veiller à ce que les travailleurs comprennent les politiques et les procédures, et le soutien aux victimes de violence et de harcèlement au travail. La CES insiste sur la nécessité d’un système d’aide complet pour les travailleuses victimes de violence à caractère sexiste.
La négociation collective en tant que moyen efficace et durable pour réduire la violence et le harcèlement au travail. Grâce à la négociation collective, les syndicats peuvent aussi aborder le lien entre les niveaux croissants de violence et de harcèlement au travail et les conditions de travail, l’affaiblissement des droits des travailleurs, et la précarisation croissante du travail.
Il faut repenser les stratégies syndicales pour lutter contre les inégalités entre les sexes en examinant de plus près la discrimination et les inégalités relatives aux rôles et aux relations entre les sexes sur les plans individuel et institutionnel. Cela nécessite un engagement à changer les mentalités et à aborder des questions telles que les préjugés inconscients et les formes institutionnelles de discrimination entre les sexes, ainsi que les inégalités structurelles dans la société et sur le lieu de travail, y compris au sein des structures et procédures syndicales.
Une culture de la discrimination et de l’inégalité au travail ne peut être dissociée du patriarcat et des inégalités dans les relations entre les sexes dans la société, la communauté et la famille. L’égalité des sexes relève de la responsabilité de tous les individus de la société et nécessite la contribution active des hommes et des femmes. Les syndicats doivent s’engager à développer des campagnes de sensibilisation et d’éducation. Plus de femmes dans les postes de décision contribueraient à un milieu de travail exempt de harcèlement et de violence. Les dirigeants syndicaux masculins, les négociateurs et les hommes sont particulièrement encouragés à promouvoir une approche de tolérance zéro à l’égard de la violence et du harcèlement contre les femmes, y compris dans les rangs syndicaux.
Les syndicats doivent encourager des campagnes systématiques et permanentes de sensibilisation pour que les travailleurs et les syndicalistes masculins et les employeurs soient conscients du caractère sexiste de la violence contre les femmes. C’est particulièrement important pour garantir la prise en compte du harcèlement sexuel et de la violence domestique au travail dans les accords relatifs à cette problématique, dans les négociations à l’échelle de l’entreprise et dans les politiques relatives à l’environnement de travail.
Il faut davantage favoriser l’échange de best practices de lutte contre la violence et le harcèlement sexuel à l’égard des femmes au travail.
La CES va poursuivre son travail de lutte contre la violence faite aux femmes en se basant sur l’expérience de ses affiliés ainsi que sur les études qui ont été menées, en particulier « Safe at Home – Safe at Work » et les recommandations découlant de celle-ci.
La CES continuera de promouvoir le matériel de sensibilisation sur l’Engagement le 25 novembre, la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
Quelques données clés sur la violence contre les femmes au travail
Un travailleur sur six en Europe déclare avoir été victime d’actes de violence, de harcèlement et de comportement intempestif à connotation sexuelle (Eurofound). Le harcèlement sexuel au travail concerne 3 % des travailleurs en Belgique, entre 4 et 20 % des travailleurs au Danemark, et entre 16 et 20 % des travailleurs en France. Environ 90 % des victimes de harcèlement sexuel sont des femmes et 10 % environ sont des hommes.
Selon l’étude FRA de 2014 menée à l’échelle européenne et intitulée « La violence contre les femmes », une femme sur trois a subi des violences physiques ou sexuelles au cours de sa vie d’adulte ; 55 % des femmes ont été victimes de harcèlement sexuel dans l’Union européenne ; 32 % des victimes dans l’Union européenne déclarent que l’auteur était un supérieur hiérarchique, un collègue ou un client ; 75 % des femmes occupant des postes exigeant des qualifications ou des postes de direction ont été victimes de harcèlement sexuel ; 61 % des femmes employées dans le secteur des services ont été victimes de harcèlement sexuel ; 20 % des jeunes femmes (de 18 à 29 ans) de l’UE28 ont été victimes de cyberharcèlement ; une femme sur dix a été victime de harcèlement sexuel ou de harcèlement criminel utilisant les nouvelles technologies.
Une enquête du TUC sur le harcèlement sexuel au travail en Grande-Bretagne a révélé que plus de la moitié des femmes et près de deux tiers des femmes âgées de 18 à 24 ans ont déclaré avoir été victimes de harcèlement sexuel au travail. Dans une enquête de 2016 menée auprès de femmes membres du syndicat britannique University and College Union sur le harcèlement sexuel dans le secteur des universités/collèges, 54 % ont déclaré avoir vécu personnellement une forme de harcèlement sexuel au travail.
Une enquête en Irlande a montré que le nombre de cas de harcèlement d’infirmières et de sages-femmes signalés au cours des quatre dernières années avait augmenté de 14 %, et 6 % des personnes interrogées ont dit être quotidiennement victimes de harcèlement.
En Allemagne, 52,2 % des femmes interrogées ont subi des violences et du harcèlement sexuels dans un espace public, au travail ou dans la sphère privée.
Un rapport de la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF) sur la violence au travail à l’égard des travailleuses des transports révèle que les femmes qui travaillent dans le secteur font l’objet de nombreux outrages, menaces, intimidations et comportements offensants. Les réponses de plus de 1400 travailleuses des transports à travers l’Europe montrent que : 63 % des personnes interrogées ont subi au moins un acte de violence récemment ; 25 % des participants au sondage croient que la violence à l’égard des femmes est monnaie courante dans le secteur des transports ; 26 % pensent que le harcèlement doit être considéré comme « faisant partie intégrante du métier » dans les transports.
Pour ce qui concerne la violence de tiers, on estime que 2 à 23 % de l’ensemble des travailleurs sont concernés. Ce chiffre grimpe à 42 % concernant ceux qui travaillent en contact direct avec le public ; la majorité d’entre eux sont des femmes. Une enquête menée par un syndicat en Bulgarie a révélé que plus de la moitié des travailleuses actives dans les transports a subi des violences de la part de passagers. Les professionnels de la santé constituent une autre catégorie de travailleurs à déclarer des taux élevés de violence de tiers en Bulgarie ; dans le secteur de l’éducation au Danemark, on a noté une augmentation de 50 % des violences physiques commises par des élèves à l’égard d’enseignants. Dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration, un sondage réalisé par 3F a révélé que 24 % des travailleurs avaient subi du harcèlement sexuel au travail, principalement de la part de clients. L’enquête néerlandaise de 2011 sur les conditions de travail a montré que 24 % des travailleurs ont été exposés au moins une fois à une forme de violence de tiers tels que des clients, des consommateurs, des étudiants et des passagers.
[1] http://www.un.org/womenwatch/daw/cedaw/