Mise à jour sur les positions de la CES sur l'achèvement de l'UEM au regard des dernières propositions de la Commission
Adoptée lors du Comité Exécutif des 18 – 19 Décembre 2018
Introduction
À la suite du rapport des cinq Présidents publié en juin 2015, traçant la voie de « l’achèvement de l’Union économique et monétaire européenne », du Livre blanc sur « l’avenir de l’Europe » de mars 2017, du « Document de réflexion sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire » publié en mai 2017 et du paquet sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire européenne publié en décembre 2017, la Commission européenne a publié deux règlements sur la création d’une fonction européenne de stabilisation des investissements et sur l’établissement d’un programme de soutien des réformes. En outre, avec l’ambition de faire entrer les entreprises numériques dans le domaine des normes de l’Union européenne, la Commission a publié une directive du Conseil établissant les règles d’imposition des sociétés ayant une présence numérique significative.
La CES a fait plusieurs suggestions et évaluations sur les réformes de l’UEM dans les documents suivants : « Un Trésor européen pour les investissements publics (position de la CES) » adoptée par le Comité exécutif de la CES les 15 et 16 mars 2017, dans le « Document de réflexion sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire - Évaluation de la CES (position de la CES) » adoptée par le Comité exécutif de la CES les 13 et 14 juin 2017 et dans « Évaluation du paquet UEM (position de la CES) » adoptée par le Comité exécutif de la CES les 13 et 14 décembre 2017.
- Sur la proposition de règlement sur la création d’un mécanisme européen de stabilisation des investissements
L’économie européenne, contrairement à la récente déclaration de la Commission européenne, n’est pas encore sortie de la crise. Bien que les investissements privés aient retrouvé leur niveau d’avant la crise en pourcentage du PIB, les investissements totaux restent inférieurs à leur niveau d’avant la crise. En effet, les investissements publics se stabilisent actuellement à un niveau très bas après une baisse continue depuis 2008. Cela se traduit par un nombre d’heures travaillées moins élevé dans l’Union européenne et dans la zone euro qu’en 2008.
La CES, en mars 2017, a suggéré la mise en place d’un Trésor au niveau européen pour financer les investissements publics. D’autres propositions ont été formulées, notamment par le Fonds monétaire international[1] et l’Organisation de coopération et de développement économiques[2].
Elles sont toutes d’avis que l’achèvement de l’Union économique et monétaire européenne exige la mise en place d’une capacité financière comme moyen d’assurer un développement économique stable et durable pour prévenir les crises de liquidité ou de solvabilité.
La CES considère comme positifs les récents efforts des institutions européennes pour stimuler la croissance et l’emploi en Europe, notamment à travers le lancement du Plan d’investissement pour l’Europe (plan Juncker). Toutefois, le montant total des prêts à l’investissement a à peine atteint 5 % des investissements totaux dans l’Union européenne depuis le début du programme.
Selon la Banque européenne d’investissement (BEI), les investissements de l’UE dans les infrastructures sont inférieurs de 20 % à leur niveau d’avant la crise et 34 % des municipalités font état de niveaux d’investissement inférieurs à leurs besoins. Selon la BEI[3], les investissements de l’UE dans les infrastructures ne devraient pas être inférieurs à 335 milliards d’euros par an. Le « plan de la CES pour l’investissement, la croissance durable et des emplois de qualité » reste valable, car une augmentation des investissements de 2 % du PIB européen par an représenterait environ 300 milliards d’euros par an.
La CES estime qu’un Trésor[4] pourrait être le bon outil pour de futures améliorations institutionnelles et économiques tout en réglant certaines questions de gouvernance économique et en stimulant l’investissement public, conformément aux objectifs des Nations Unies en matière de développement durable.
La proposition de la Commission européenne est plus modeste. Le mécanisme en jeu ne permettra pas aux États membres d’accéder aux financements européens à des fins d’investissement public sur une base permanente, mais uniquement en cas de chocs asymétriques importants. La nouvelle fonction européenne de stabilisation des investissements fournira des prêts adossés garantis par le budget de l’UE à concurrence de 30 milliards d’euros, assortis d’un élément de type subvention pour couvrir l’intégralité des coûts des intérêts. Toutefois, bien que l’accès au régime ne se fasse qu’en temps de crise, une caractéristique supplémentaire par rapport à la proposition de la CES apparaît : une composante de type subvention pour couvrir les frais d’intérêt. En outre, comme indiqué dans la proposition de règlement, « à l’avenir », le mécanisme européen de stabilité (MES) ou son successeur juridique sous la forme d’un Fonds monétaire européen pourrait jouer un rôle de soutien à la stabilisation macro-économique ». D’autres débats et discussions pourraient être lancés sur les questions liées à l’emploi, telles que la possibilité de mettre en œuvre un régime de réassurance-chômage au niveau européen.
Selon la proposition, les États membres pourraient accéder au financement des investissements publics en cas de chocs asymétriques importants. La fonction de stabilisation est conçue pour les États membres de la zone euro et devrait être ouverte aux États membres n’appartenant pas à la zone euro qui sont entrés dans le mécanisme de change II (MEC II). Toutefois, elle sera limitée par des critères d’éligibilité stricts fondés sur le respect des décisions et recommandations du cadre de surveillance budgétaire et macro-économique[5]. L’activation, qui devrait être considérée comme automatique, sera basée sur un double critère relatif à l’emploi.
Les prêts que la Commission pourrait accorder aux États membres au titre de l’instrument proposé sont fonction d’un plafond fixé à 30 milliards d’euros. Ces prêts constituent un passif éventuel pour le budget de l’UE en cas de défaillance d’un État membre dans le remboursement d’un prêt accordé dans le cadre du régime. La bonification des taux d’intérêt serait financée par un fonds de soutien à la stabilisation alimenté par les contributions nationales annuelles basées sur la part de la banque centrale nationale de chaque État membre de la zone euro dans le revenu monétaire de l’Eurosystème. Les mêmes critères seraient utilisés pour les États membres n’appartenant pas à la zone euro qui participent au mécanisme de change (MCE II).
La CES, tout en notant l’approche curative pour la mise en œuvre d’une capacité budgétaire et le montant limité à disposition pour stabiliser les niveaux d’investissement public dans les États membres en période de chocs asymétriques, considère la fonction d’investissement de stabilisation et le Fonds de soutien à la stabilisation comme le cadre d’un instrument politique plus décisif permettant à l’Union européenne de se développer sur une base durable. La CES considère qu’il s’agit d’un pas modeste, mais positif vers une intégration plus poussée de la zone euro. Toutefois, la CES craint que les conditionnalités ex ante ainsi que les contraintes administratives puissent empêcher l’accès au régime par certains États membres en difficulté.
Les dernières conclusions du Conseil et du sommet de l'euro ne font malheureusement pas mention d'un accord sur cet outil spécifique. Toutefois, il est fait référence à la nécessité de "créer un instrument budgétaire de convergence et de compétitivité pour la zone euro, ainsi que des États membres du MCE II sur une base volontaire", qui feraient partie d'un budget de l'UE. La fonction européenne de stabilisation des investissements devrait en faire partie.
- Sur la proposition de règlement établissant le programme d’appui aux réformes
Le programme d’appui aux réformes s’appuie sur l’héritage du programme d’appui aux réformes structurelles. Toutefois, le programme d’appui aux réformes structurelles se limitait à l’assistance technique aux États membres pour la mise en œuvre des réformes structurelles. Son budget s’élevait à 142,8 millions d’euros.
Le nouvel instrument incite financièrement les États membres à mettre en œuvre les réformes structurelles recommandées par la Commission dans le cadre du semestre européen, en dépit du fait que la participation des syndicats au débat sur les réformes structurelles fait encore défaut dans certains États membres et implique un manque d’appropriation. La participation au programme est volontaire et aucun cofinancement n’est exigé des États membres. Les États membres eux-mêmes peuvent demander un financement au titre de l’instrument de mise en œuvre de la réforme et convenir ensuite avec la Commission d’une feuille de route pour la réforme dans un délai maximum de trois ans. L’état d’avancement des calendriers de réforme sera ensuite présenté dans les programmes nationaux de réforme, qui font partie du semestre européen. La Commission évaluera si la réforme a été mise en œuvre de manière satisfaisante. Si l’évaluation est positive, la Commission effectuera le paiement.
Le programme d’appui aux réformes sera doté de 25 milliards d’euros. 22 milliards d’euros seront consacrés à l’outil de mise en œuvre de la réforme afin d’apporter un soutien financier aux réformes clés identifiées dans le contexte du semestre européen. Un montant de 0,84 milliard d’euros sera consacré à l’instrument d’appui technique destiné à aider les États membres à concevoir et à mettre en œuvre des réformes et à améliorer leur capacité administrative, et un montant de 2,16 milliards d’euros sera consacré à une facilité de convergence qui fournira un soutien financier et technique spécifique aux États membres qui ont fait des progrès tangibles sur la voie de l’adhésion à l’euro.
La CES, tout en soutenant l’appui technique à la mise en œuvre des politiques et la proposition d’un mécanisme de convergence pour aider les États membres n’appartenant pas à la zone euro à rejoindre la zone euro, est en désaccord avec cette approche. Une approche conditionnelle est déjà présente dans le semestre européen, car « un manquement à la mise en œuvre des recommandations pourrait entraîner de nouvelles étapes procédurales en vertu du droit communautaire pertinent et, en définitive, des sanctions en vertu du PSC et de la PDM. Ces sanctions peuvent inclure des amendes et/ou la suspension d’un maximum de cinq Fonds européens, à savoir le Fonds européen de développement régional (FEDER), le Fonds social européen (FSE), le Fonds de cohésion (FC), le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et le Fonds européen maritime et de la pêche (FEMP)[6]. En outre, le pacte budgétaire prévoit la possibilité pour la Cour de justice de l’Union européenne d’intervenir en cas de non-respect avec des arrêts contraignants et des amendes.
La CES estime donc qu’il existe suffisamment de conditionnalités pour obliger les États membres à mettre en œuvre des réformes structurelles et à respecter les règles budgétaires dans le cadre de la gouvernance économique européenne. Elle rejette donc le premier pilier du programme d’appui aux réformes, à savoir l’outil de mise en œuvre des réformes. La CES craint que ce nouvel instrument politique ne soit une relance du « pacte pour la compétitivité » que les syndicats ont vigoureusement combattu dans le passé. En outre, nulle part les réformes structurelles attendues ne sont clairement définies. Enfin, les procédures technocratiques prévues mettent en évidence l’absence de responsabilité politique (la Commission européenne décide seule quelles réformes structurelles seront soutenues financièrement et si elles ont été mises en œuvre avec succès), ce qui n’est pas satisfaisant sur le plan démocratique. La CES favoriserait l’octroi de soutien financier basé sur les développements économiques et sociaux et les besoins de convergence vers le haut.
- Directive du Conseil établissant les règles d’imposition des sociétés ayant une présence numérique significative.
La CES a pris position sur l’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés et les rapports publics pays par pays[7] pour les grandes multinationales afin de réduire l’évasion fiscale. Elle soutient également la mise en œuvre d’un taux minimum d’imposition des sociétés de 25 % dans l’Union européenne.
Le 15 mars 2018, les membres du Parlement européen ont voté à une écrasante majorité en faveur de deux rapports sur l’assiette commune pour l’impôt des sociétés (ACIS) et l’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés (ACCIS). Le 21 mars 2018, la Commission européenne a présenté deux propositions visant à taxer les entreprises numériques qui créent de la valeur. La définition de l’établissement permanent numérique est présentée dans la proposition de directive du Conseil établissant les règles d’imposition des sociétés ayant une présence numérique significative. Elle définit une plate-forme numérique réputée avoir une présence numérique imposable ou un établissement permanent virtuel dans un État membre si elle remplit l’un des critères suivants : elle dépasse un seuil de 7 millions d’euros de recettes annuelles dans un État membre ; elle compte plus de 100 000 utilisateurs dans un État membre au cours d’un exercice fiscal ou plus de 3000 contrats de services numériques professionnels sont créés entre la société et des utilisateurs professionnels au cours d’un exercice fiscal.
Dans l’intervalle, la proposition de directive du Conseil relative au système commun de taxation des services numériques sur les recettes provenant de la fourniture de certains services numériques suggère une taxe provisoire sur certaines recettes provenant d’activités numériques, qui garantirait que les activités qui ne sont actuellement pas effectivement taxées commenceraient à générer des recettes immédiates pour les États membres.
La taxe s’appliquera aux recettes générées par des activités où les utilisateurs jouent un rôle majeur dans la création de valeur, telles que les recettes générées par la vente d’espace publicitaire en ligne et/ou de données générées par des informations fournies par les utilisateurs et/ou par des activités d’intermédiaires numériques qui permettent aux utilisateurs d’interagir avec d’autres utilisateurs et qui peuvent faciliter la vente des biens et services entre eux.
Les recettes fiscales seraient perçues par les États membres dans lesquels les utilisateurs sont établis et ne s’appliqueraient qu’aux sociétés dont le chiffre d’affaires annuel total dans le monde s’élève à 750 millions d’euros et les recettes dans l’UE à 50 millions d’euros.
Bien qu'une taxe sur les services numériques ne résoudrait qu'une petite partie du problème (taux d'imposition très bas et réclamations fiscales basées sur les revenus par opposition aux activités commerciales générales), la CES considère que la nouvelle définition de la présence numérique permanente fournit une bonne base pour débattre de la voie à suivre pour intégrer correctement les entreprises numériques dans le système ACCIS. Les possibilités d'évasion fiscale résultant de l'utilisation de modèles commerciaux numériques doivent être identifiées et évitées en priorité. Il faut lutter contre toutes sortes de stratégies d’évasion fiscale des entreprises numériques - pas seulement celles qui sont visées par l’instrument de « l’établissement stable numérique ». Avant tout, la CES demande que les demandes et les recommandations du Parlement européen à la suite de ses enquêtes sur le blanchiment de capitaux, l'évitement fiscal et l’évasion fiscale soient rigoureusement et rapidement satisfaites. Nous insistons également sur l'instauration d'une véritable taxe européenne sur les transactions financières, qui inclut tous les types de titres et dérivés financiers dans l'assiette fiscale.
Les dernières conclusions du Conseil ne font pas mention d'un accord sur cette question. La nouvelle proposition franco-allemande imposerait toujours une taxe de 3%, mais ne couvrirait pas les ventes de données et les plateformes en ligne, car elle serait axée sur les revenus publicitaires. C'est un pas dans la mauvaise direction au regard de la proposition de la Commission.
[1] N. Arnold, B. Barkbu, E. Ture, H. Wang & J. Yao (2018), « A Central Fiscal Stabilization Capacity for the Euro Area », FMI Staff Discussion Note, SDN/18/03.
[2] J. Stráský & G. Claveres (2018), "Stabilisation policies to strengthen Euro area resilience", OECD Economics Department Working Papers, No. 1492, OECD Publishing, Paris
[3] BEI, De la reprise à la croissance durable, Rapport d’investissement 2017/2018.
[4] Un Trésor européen pour l’investissement public (position de la CES), adoptée par le Comité exécutif de la CES les 15-16 mars 2017.
[5] Tenant compte de la communication de la Commission européenne intitulée « Tirer le meilleur parti de la flexibilité dans le cadre de la règle existante du pacte de stabilité et de croissance », janvier 2015.
[6] Voir « The legal nature of Country Specific Recommendations », Parlement européen, juin 2017.
[7] Position de la CES sur l’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés (ACCIS), adoptée lors de la réunion du Comité exécutif des 14 et 15 décembre 2016.