Paris, 2 Octobre 2015
Motion d’urgence – Accord sur le commerce des services (ACS)
Adoptée au 13ème Congrès de la CES le 2 octobre 2015
Depuis 2013, l’UE est engagée, avec 23 autres membres de l’OMC, dans des négociations plurilatérales concernant l’Accord sur le commerce des services (ACS) dans le but de libéraliser davantage ce commerce par un accord international allant bien au-delà des dispositions existantes de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS). Selon les objectifs définis dans le mandat de négociation de l’UE, cet accord doit être « complet et ambitieux », « s’appliquer en principe à tous les secteurs et modes de fourniture » et « lier le niveau autonome de libéralisation ». Et pourtant, les négociations sont menées à huis clos dans le plus grand secret.
Toutefois, en juin et juillet 2015, Wikileaks a divulgué le recueil le plus complet jamais publié de documents secrets des négociations ACS révélant pour la première fois la pleine étendue de l’accord envisagé. Les documents ainsi dévoilés comprenaient l’avant-projet du texte de base de ce nouvel accord ainsi que plusieurs annexes traitant notamment de réglementation intérieure, de circulation des travailleurs et de secteurs particuliers tels que les transports maritimes et l’aviation. Une première étude de ces documents a montré que l’ACS pourrait avoir des conséquences préjudiciables significatives sur les conditions de travail et de vie d’importantes franges de la population, y compris celles des travailleurs en Europe.
Il apparaît que des prétendues clauses d’ajustement et de suspension doivent être incluses dans l’ACS avec pour effet de verrouiller un certain degré de libéralisation et de limiter l’espace de la politique publique au bénéfice d’une libéralisation toujours croissante. Dans les secteurs concernés par de telles clauses, l’ACS rendrait impossible tout retour à un niveau moindre de libéralisation. La remunicipalisation de services d’intérêt général qui a eu lieu ces dernières années ne ferait plus partie des choix potentiels de gouvernements démocratiquement élus. L’insertion possible dans le texte de base de ce qu’on appelle une clause de la nation la plus favorisée (NPF) pourrait entraîner le risque d’introduire par voie détournée dans l’ACS un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) via d’autres accords de libre-échange tels que l’AECG ou le PTCI (TTIP). D’autres sources d’informations plus récentes confirment que les négociateurs de l’ACS discutent même d’une éventuelle annexe sur la facilitation de la mobilité des patients malgré l’assurance du contraire donnée en février 2015 par la Commissaire Malmström en charge du commerce en réaction à la fuite par la partie turque d’une première note conceptuelle qui avait alors déclaré que « en aucun cas, je ne proposerai un accord de commerce qui contient des dispositions relatives à la portabilité de l’assurance-maladie ».
L’une des questions clés des négociations ACS porte sur les règles relatives à la législation intérieure qui est directement liée à des réglementations importantes pour la protection de normes. Les documents sur les négociations nouvellement divulgués révèlent que les réglementations doivent être conformes aux dispositions de l’ACS même si elles ne sont pas discriminatoires et qu’elles sont destinées à garantir des droits culturels, sociaux ou écologiques fondamentaux. Les réglementations doivent de même passer un soi-disant test de nécessité établissant qu’elles ne sont « pas plus contraignantes que nécessaire ». L’objectif est ici de limiter la marge de manœuvre des gouvernements en matière réglementaire, mettant ainsi une pression à la baisse sur les normes de travail, sociales, environnementales et de protection des consommateurs. Cela aurait également un impact, par exemple, sur les services financiers pour lesquels l’application de normes plus strictes est particulièrement importante suite à la crise financière mondiale. Pourtant, les documents de négociation montrent qu’une libéralisation des marchés financiers encore plus pousséeest envisagée dans l’ACS. Le retrait officiel de l’Uruguay et du Paraguay des négociations ACS début septembre peut être vu comme un autre indice que des états commencent à voir ces risques et à réagir à la pression croissante du public.
A la lumière de ces publications alarmantes récentes, et avec en toile de fond la rédaction en cours des recommandations du Parlement européen sur l’ACS, le Congrès de la CES réclame d’urgence que les éléments suivants soient garantis dans les négociations ACS :
Les négociations ne peuvent être secrètes. Les documents de négociation doivent être publiés afin de permettre au grand public et à la société civile de s’informer en temps utile. Nous exigeons le plus haut niveau de transparence et d’implication du Parlement européen, des parlements nationaux, des partenaires sociaux et des organisations de la société civile.
Le maximum doit être fait pour protéger les services publics. Il faut en particulier veiller à ne pas faire pression en faveur d’une libéralisation ou d’une privatisation des services publics ni à bloquer le retour à une offre de services publics plus importante – voire même complète – par une quelconque clause d’ajustement ou de suspension. Les services publics comme les soins de santé et les services sociaux, l’éducation, la distribution d’eau et le traitement des déchets doivent donc être exclus du champ d’application de tout accord de commerce. Cette exclusion doit s’appliquer quelle que soit la manière dont les services sont fournis et financés. A cet égard, nous demandons à la Commission européenne de rejeter ouvertement l’utilisation d’une liste négative ou hybride dans tout accord de commerce.
Les possibilités de légiférer ne peuvent en aucun cas être limitées si une telle limitation se traduit par un abaissement des normes nationales de travail, sociales, environnementales et de protection des consommateurs. Le droit des États membres à légiférer et à introduire de nouvelles réglementations ne doit pas être compromis. Entre deux services répondant aux mêmes besoins, les États membres doivent avoir la possibilité de donner la préférence à celui qui respecte les normes de travail.
Aucune limitation portant sur l’introduction d’une nouvelle réglementation prudentielle pas plus qu’une libéralisation accrue des marchés financiers ne peuvent être acceptées. Les gouvernements doivent garder le droit d’intervenir sans réserve en temps de crise financière et de limiter les flux financiers internationaux afin de prévenir les crises monétaires. La crise financière a démontré qu’en lieu et place de plus de libéralisation et de plus de dérégulation, les gouvernements doivent réintroduire des règles et une régulation des marchés financiers.
Les normes européennes relatives à la protection des données telles que prévues dans le projet de règlement général sur la protection des données de l’UE ne peuvent être mises en question. Les données recueillies par des entreprises étrangères doivent donc être traitées sur place conformément aux lois locales sur la protection des données.
L’établissement de mesures temporaires de libre circulation des travailleurs ne peut en aucun cas être prétexte à affaiblir le droit du travail, le droit social et les dispositions des conventions collectives du pays d’accueil et doit se conformer à l’obligation de procéder à une analyse préliminaire du marché du travail. Les éventuelles négociations sur le mode 4 doivent être conditionnées au fonctionnement préalable d’une coopération transfrontalière en matière d’administration et de justice des questions relatives au travail et à l’emploi afin de garantir la pleine application des salaires et des conditions de travail prévus dans les conventions collectives. Tout manquement de la part des parties contractantes à ce sujet doit pouvoir être soumis à un règlement des différends, y compris des sanctions.
Tout mécanisme de règlement des différends envisagé dans l’ACS – même si ce n’est qu’à titre temporaire avant une éventuelle multilatéralisation de l’accord sous l’égide de l’OMC – doit tenir compte des critiques actuelles à l’encontre du RDIE et plus précisément ne pas offrir aux investisseurs privés la possibilité de contester des politiques démocratiquement choisies. Il faut en outre y inclure de solides clauses sociales permettant d’effectivement sanctionner les violations des normes internationales du travail.
Si l’ACS ne rencontre pas toutes ces exigences, la CES appelle à son rejet.