Position commune de la CES et du CSEE sur un système européen de suivi des diplômés pour les apprenants de l’EFP et les étudiants de l’enseignement supérieur

Bruxelles, le 2 juillet 2020

Adopté par le Bureau du CSEE le 23 juin 2020 

Adopté par le Comité Executif de la CES le 2 juillet 2020


 

Contexte

La Commission européenne a créé un groupe de travail sur les systèmes de suivi des diplômés pour le mandat 2018-2020 suite à la proposition de la CE présentée au Conseil qui a adopté une recommandation sur le suivi des diplômés en novembre 2017. Cette recommandation du Conseil invitait l'UE à encourager l'échange et le partage d'expertise et de connaissances entre les organisations de différents pays afin de soutenir les progrès à l’échelle nationale ; à faciliter la collecte de nouvelles données comparables sur la situation professionnelle des diplômés dans les États membres de l'Union par le biais d'une enquête pilote européenne sur les diplômés ; et à favoriser le renforcement des capacités et la coopération des parties prenantes en matière d'amélioration du suivi des diplômés.

Le groupe de travail est composé de représentants des ministères de l’Éducation ou des bureaux nationaux de statistiques, de parties prenantes et de partenaires sociaux. Il a mis en place 4 groupes ad hoc pour travailler à l’élaboration d’options en vue de la comparaison de données européennes sur les diplômés (groupe ad hoc 1), la collecte d’informations sur les apprenants et les employés diplômés et mobiles (groupe ad hoc 2), la collecte d’informations sur les éléments de données administratives (groupe ad hoc 3), et l’élaboration de principes et de normes pour l’EFP (groupe ad hoc 4). Un représentant de la CES siège au sein du groupe ad hoc 4 et coopère avec le représentant du CSEE participant au groupe ad hoc 1. Le rapport du groupe de travail sur le suivi des diplômés devrait être finalisé et publié en octobre, accompagné de recommandations à l’intention des ministres de l'Éducation des pays de l'UE/AELE/EEE.

L'un des groupes ad hoc a piloté une enquête de suivi des diplômés au niveau européen et la Commission européenne a publié deux rapports le 5 juin 2020 prônant les avantages d'un « système de suivi des diplômés à l'échelle européenne ».



Position commune de la CES et du CSEE

En tant que représentants des syndicats de travailleurs et des syndicats de l’enseignement, nous considérons que les plans de la Commission européenne visant à instaurer un système européen de suivi de la réussite des diplômés sur le marché du travail posent problème à plusieurs égards. Siégeant au sein du groupe de travail sur le suivi des diplômés de la CE, nous avons cru comprendre que, selon les dernières prévisions, le rapport final du groupe de travail proposera aux États membres de l'Union de lancer une enquête de suivi des diplômés au niveau européen, en complément d’enquêtes du même type à l’échelle nationale ou intégrée à celles-ci, s’il en existe. Cette enquête sera financée en partie par l'Union et les États membres participants, et menée avec le soutien de services de liaison nationaux et d’un secrétariat qui devra être créé au niveau européen. Notre préoccupation tient au fait que même si le projet de rapport de la Commission européenne souligne le caractère volontaire de la participation des pays à une telle enquête harmonisée, il prévoit que tous les États membres de l’Union y prendront part d’ici 2028.

  1. Nous appuyons les efforts du groupe d'experts de la Commission européenne visant à réunir des experts des ministères de l'Éducation et des bureaux nationaux de statistiques, des parties prenantes et des partenaires sociaux sur une plateforme d'apprentissage, en vue d’échanger des expériences sur les systèmes régionaux et nationaux de suivi des diplômés. Nous considérons qu’un tel suivi aux fins d’amélioration des informations relatives aux possibilités des diplômés sur le marché du travail est important pour les gouvernements et les partenaires sociaux, afin qu’ils élaborent ensemble, dans le cadre du dialogue social, des solutions et des actions stratégiques efficaces sur la sécurité de l'emploi, l'apprentissage des adultes et la formation des employés dans le but de favoriser la bonne employabilité des diplômés ainsi qu’une transition juste vers un marché du travail équitable et de qualité. En outre, grâce au retour d’information, le suivi des diplômés devrait permettre d’améliorer l'égalité d'accès à l'éducation et à la formation, notamment pour les groupes vulnérables et les personnes socialement et économiquement défavorisées, et de garantir l'inclusion dans l’ensemble des domaines d'études.
  1. Nous savons qu’un débat a lieu au sein du groupe de travail sur le suivi des diplômés de la CE concernant le lancement d’une enquête européenne auprès des diplômés qui les interrogerait sur les sujets suivants : leur statut professionnel, conditions de travail, emplacement géographique de leur emploi, lien entre le domaine d’études et l’emploi occupé ainsi qu’entre le type d’emploi et le niveau de qualification, niveau de formation des parents, progression de carrière, inadéquation entre les sujets d’études et l’emploi occupé, raisons de l’inadéquation entre l’emploi occupé et le niveau d’études, inadéquation des compétences, mobilité dans le cadre des études, mobilité sociale et intégration, expérience d’apprentissage du diplômé en matière d’emploi, durée de l’emploi, satisfaction des employés, durée de la recherche d’emploi et expérience d’apprentissage en milieu professionnel. Nous pensons que les enquêtes nationales auprès des diplômés et les données administratives sur l’employabilité sont des outils importants pour obtenir des informations sur la capacité des apprenants à passer des études au marché du travail. Ces informations doivent toutefois être interprétées conformément aux données sur les possibilités que les entreprises offrent aux jeunes travailleurs, par exemple des processus équitables de recrutement et de maintien en poste des travailleurs, une formation inclusive et de qualité proposée aux employés, des conditions de travail justes et un salaire approprié, et des perspectives de carrière. En outre, nombreux sont les jeunes travailleurs qui acceptent un emploi dont ils ne veulent pas afin de pouvoir bénéficier d’une protection sociale. Par ailleurs, l'employabilité des diplômés dépend de nombreux facteurs, y compris le nombre de postes vacants dans la région. S’il est important d’informer les établissements d'enseignement de la réussite des diplômés sur le marché du travail, nous appelons à la prudence quant à l’utilisation de ces résultats pour la mise en œuvre de changements majeurs dans les programmes d'enseignement en fonction des besoins du marché du travail. Nous soulignons que la réussite des diplômés dans leur recherche d'emploi et leur recrutement, ainsi que les possibilités qu’ils ont d'utiliser pleinement leurs aptitudes, compétences et résultats d’apprentissage dans les emplois qu’ils occupent dépendent, dans une large mesure, des opportunités offertes par les employeurs. L'enquête du CEDEFOP sur les compétences et les emplois en Europe montre que 45 % des travailleurs estiment que leurs compétences ne sont pas entièrement en adéquation avec l’emploi qu'ils exercent. Il est également essentiel que les employeurs aient une meilleure compréhension des qualifications et des résultats d’apprentissage des personnes qu'ils recrutent et qu’ils suivent le développement des compétences de leurs employés durant toute leur carrière au sein de la même entreprise. D’après cette même enquête, 26 % des travailleurs dont l’emploi correspondait au départ à leurs compétences déclarent être devenus surqualifiés au fil du temps, tandis que 18 % des employés adultes ont constaté que leurs compétences n'étaient pas utilisées efficacement sur le lieu de travail conduisant ainsi à une sous-qualification.[1] Les travailleurs surqualifiés sont principalement des hommes avec un niveau de formation supérieur, occupant généralement des emplois moyennement ou peu qualifiés (opérateurs d'installations et de machines, emplois dits élémentaires) dans certains secteurs (hôtellerie, arts et divertissement). Néanmoins, plus d’un salarié de l’UE sur cinq (22 %) ne parvient pas à perfectionner ses compétences dans son emploi actuel, aussi en raison d’un manque de formation. Il ressort également de l’enquête du CEDEFOP que 70 % des entreprises souffrent de pénuries de compétences, mais elles sont peu nombreuses à associer cela aux obstacles qu'elles créent pour trouver des travailleurs qualifiés, par ex. problème de recrutement, situation géographique de l'entreprise, niveau de salaire et conditions de travail.[2] Ces problèmes seront plus graves suite à l’impact de la crise du COVID-19 sur les entreprises et leurs budgets à allouer à la formation de leurs salariés.
  1. Pour les raisons susmentionnées, il est inapproprié, voire dangereux, de viser une réforme des systèmes éducatifs sur la base des résultats des enquêtes de suivi des diplômés, et d’utiliser ces résultats pour rejeter la faute d’une faible employabilité sur le parcours éducatif des diplômés, les établissements d’enseignement, les enseignants et les formateurs en les accusant de faire preuve d’inefficacité et de dispenser une éducation de mauvaise qualité. Nous rappelons à la Commission européenne l’importance de mettre en œuvre le premier principe du Socle européen des droits sociaux qui souligne clairement que l’éducation vise à préparer l’apprenant à devenir un citoyen démocratiquement responsable et à entrer sur le marché du travail. « Toute personne a droit à une éducation inclusive et de qualité, à la formation et à l’apprentissage tout au long de la vie afin de maintenir et d’acquérir des compétences qui lui permettent de participer pleinement à la vie en société et de gérer avec succès les transitions sur le marché du travail ».
  1. Nous notons que la recommandation du Conseil du 20 novembre 2017 sur le suivi des diplômés[3] a appelé la Commission européenne à mettre en place un groupe d’experts afin de faire avancer les recommandations et d’élaborer la phase pilote d’une enquête européenne auprès des diplômés de l’enseignement supérieur. « Si la phase pilote s’avère fructueuse, la Commission consultera les États membres pour savoir s’il faut procéder au déploiement complet d’une enquête européenne auprès des diplômés de l’enseignement supérieur ». Nous signalons que nous ne sommes pas convaincus qu’une enquête pilote sur le suivi des diplômés à l’échelle européenne, testée uniquement auprès de quelques étudiants de l’enseignement supérieur, devrait être recommandée aux États membres de l’Union et potentiellement étendue aux diplômés de l’EFP. S‘il est vrai qu’il existe de nombreuses sources de renseignements en matière de compétences au niveau européen sur l’employabilité des jeunes (Eurostat, l’OCDE, le CEDEFOP, etc.), nous nous interrogeons sur les avantages que représenterait la mise en œuvre d’un système de suivi des diplômés au niveau de l’Union pour les citoyens européens, partenaires sociaux, enseignants et formateurs, apprenants et travailleurs. De surcroît, de nombreux pays disposent de systèmes nationaux de suivi bien implantés qui visent divers objectifs (informations sur l'éducation et l'emploi, financement, etc.) et fonctionnent selon différentes méthodes (collecte de statistiques ou enquêtes répétées auprès des diplômés à différentes périodes après l'obtention du diplôme). Nous doutons donc de l’utilité d’une telle enquête unique au niveau européen.
  1. Dans le même temps, il est essentiel de garantir la sécurité des données des répondants à toutes les enquêtes de suivi des diplômés et la transparence des résultats obtenus parmi les acteurs intéressés, par exemple les apprenants et les partenaires sociaux. Pour le secteur de l’EFP, le groupe d’experts a élaboré un ensemble commun de principes visant à améliorer les systèmes nationaux de suivi des diplômés, lorsque nécessaire. Il s’agit d’un outil que nous considérons comme très pratique et utile. Nous estimons toutefois que lesdits systèmes devraient être perfectionnés afin de recueillir également des informations sur les apprenants qui ont suivi des cours d’EFPC.
  1. Nous avons également de fortes inquiétudes concernant la gestion, la propriété et l'utilisation des informations tirées d'une enquête européenne unique sur les diplômés. En effet, une enquête et un système centralisés de suivi des diplômés au niveau européen contrôleraient la réussite des diplômés, mais auraient également plus de renseignements et d'impact sur les systèmes d'emploi et d'éducation en Europe, alors que le domaine de l’emploi dépend fortement du dialogue social national et des conventions collectives et que celui de l’éducation relève clairement de la compétence nationale. En outre, nous craignons qu’en établissant un lien entre employabilité et programmes des apprenants, un tel système harmonisé de suivi des diplômés au niveau européen ne néglige les compétences nationales en matière d’éducation et l’autonomie institutionnelle des établissements d’enseignement professionnel et supérieur dans l’élaboration desdits programmes. Nous pensons qu’une telle enquête ne se cantonnerait pas à harmoniser les systèmes de suivi des diplômés, mais qu’elle tenterait également d’harmoniser les résultats d’apprentissage et les programmes d’éducation, en faisant fi de la compétence des partenaires sociaux du secteur en matière d’élaboration et de mise à jour des profils professionnels dans le cadre de l’EFP.
  1. La Commission européenne envisage de demander aux États membres la mise en place de centres nationaux/services de référence sur le suivi des diplômés de l’EFP et de l’enseignement supérieur, et de créer un secrétariat européen pour le contrôle des systèmes de suivi des diplômés via lesdits centres nationaux en fonction de programmes de travail annuels. Nous nous interrogeons sur la façon dont les partenaires sociaux concernés du secteur de l'éducation et les entreprises devraient être impliqués et jouer un rôle dans le travail de ces centres nationaux.
  1. Nous pensons qu’une enquête européenne de suivi des diplômés auprès des étudiants de l’enseignement supérieur pourrait avoir un impact négatif sur l’autonomie institutionnelle et la liberté académique des établissements d’enseignement supérieur. Nous citons ici le Communiqué de Paris qui soulignait que « La liberté académique et l’intégrité, l’autonomie des établissements, la participation des étudiants et des personnels dans la gouvernance de l’enseignement supérieur, ainsi que la responsabilité publique de l’enseignement supérieur et en sa faveur, forment l’ossature de l’EEES ».
  1. Enfin, nous déconseillons le recours au système ESCO[4] pour la définition des professions dans les enquêtes sur les diplômés, ainsi que pour la future enquête de suivi des diplômés prévue au niveau européen, car les résultats seraient trompeurs. Nous rappelons que les exigences d'apprentissage et les tâches de travail rattachées à un titre de profession communément convenu mentionné dans le système ESCO sont généralement différentes d’un pays à l’autre.

 

[1] CEDEFOP, 2018, Analyse des pénuries et inadéquations des compétences

[2] CEDEFOP, 2015, Compétences, qualifications et emplois dans l’UE : vers une adéquation parfaite ?

[3] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32017H1209%2801%29

[4] ESCO : Compétences, qualifications et professions européennes