POSITION DE LA CES CONCERNANT LA REFORME STRUCTURELLE DU SYSTEME D'ECHANGE DE QUOTAS D'EMISSION DE L'UNION EUROPEENNE
Approuvée par le Comité exécutif lors de la Réunion du 16-17 décembre 2015
En juillet 2015, la Commission européenne a publié une proposition de réforme du système européen d’échange de quotas d’émission (SEEQE) pour la période 2021-2030. Cette proposition s’appuie sur les orientations définies par les conclusions du Conseil européen d’octobre 2014. La présente résolution vise à actualiser la position de la CES sur cet élément essentiel du cadre européen de lutte contre le changement climatique et à réaffirmer d'une part la nécessité de mieux articuler politiques industrielles et climatiques et, d'autre part, l'importance d'opérationnaliser par des mesures concrètes la "transition juste". Ces remarques et propositions sont fondées sur des consultations approfondies avec les syndicats européens affiliés à la CES, ainsi que sur le projet de recherche en cours de la CES portant sur les stratégies de développement industriel à faible intensité de carbone au sein de sept régions industrielles.
Liste des principales revendications de la CES :
- La Commission européenne doit élaborer une stratégie industrielle durable, intégrée et cohérente, et est encouragée à mettre en place une plateforme politique à cette fin.
- A l’issue de la COP21 de Paris, l’Union européenne devra évaluer de façon approfondie le risque de fuite de carbone ainsi que les instruments politiques dont elle dispose afin d'y répondre efficacement.
- L’Union européenne doit créer un Fonds pour une transition juste afin de soutenir les travailleurs qui seront touchés par la transition vers une économie sobre en carbone.
- L’Union européenne doit impérativement mettre en oeuvre le Fonds pour l’innovation et le Fonds pour la modernisation et impliquer les partenaires sociaux dans leur gestion.
- Au moins 90 % des recettes tirées de la mise aux enchères du SEEQE doivent être utilisées par les États membres afin de soutenir des actions directement liées au changement climatique.
Contexte
Dans l’objectif de contribuer à limiter le réchauffement climatique à maximum 2°C, l’UE s’est dotée d’objectifs ambitieux pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. L’UE doit en effet réduire ses émissions de 20% en 2020, d’au moins 40% en 2030 et de 80 à 95% en 2050. A cette fin, l’UE a développé un cadre politique et réglementaire dont la pierre angulaire est le SEEQE. L'objectif assigné pour 2030 aux secteurs couverts par le SEEQE est de réduire les émissions de 43% par rapport aux niveaux de 2005 (les secteurs non couverts par le SEEQE doivent eus réduire leurs émissions de 30% par rapport aux niveaux de 2005).
Le SEEQE a été mis sur pied en 2005 pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de la production d’énergie et de la plupart des secteurs manufacturiers, ce qui correspond à environ 45% des émissions de l’UE. Il couvre les émissions de CO2, d’oxyde nitreux (N2O) et des hydrocarbures perfluorés (PFCs) issus de plus de 12 000 centrales électriques et sites industriels répartis dans les 28 Etats membres ainsi qu’en Islande, au Lichtenstein et en Norvège. Basé sur le modèle du « cap and trade », le SEEQE limite le volume des émissions annuelles tout en autorisant les émetteurs à échanger leurs quotas d’émission. Ce volume diminue annuellement d'un certain pourcentage (1,74% actuellement). Le signal prix issu du « cap » doit orienter les investissements vers les technologies les moins émettrices alors que la flexibilité laissée aux acteurs du système permet de réduire le coût des mesures de réduction des émissions.
L’allocation gratuite des quotas par les Etats membres qui prévalait lors des deux premières phases du système (2005-2007 ; 2008-2012), a été remplacée dans la troisième phase (2013-2020) par un système d’allocation centralisé qui va progressivement davantage reposer sur la mise aux enchères des quotas. Dans ce système, 57% des quotas d’émission seront mis aux enchères alors que les 43% restant seront distribués gratuitement aux entreprises. Les installations de production d’électricité doivent pour l’essentiel acquérir leurs quotas d’émission via la mise aux enchères alors que les secteurs industriels vont voir décroître la part d’allocation gratuite, de 80% de leurs quotas en 2013, à 30% de ceux-ci en 2020.
Toutefois, pour pallier les risques de « fuites de carbone » (i.e. délocalisations induites par le SEEQE vers des pays dont les politiques climatiques sont moins ambitieuses), des mesures additionnelles ont été prévues. Les secteurs et sous-secteurs qui sont à la fois intensifs en émissions de CO2 et dont la production est significativement destinée aux marchés internationaux sont inscrits sur une liste revue tous les 5 ans, appelée liste « fuites de carbone ». Cette inscription permet aux industries concernées de recevoir gratuitement un volume de quotas d’émission calculé sur la base du niveau de référence des 10% d’installations les plus performantes au sein de l’UE pour un produit considéré. La liste actuelle pour les fuites de carbone comprend 177 secteurs industriels et couvre 97% des émissions de ces secteurs.
La législation européenne permet également aux Etats-membres de compenser l’augmentation du prix de l’électricité qui serait provoquée par le SEEQE via des aides d’Etats accordées aux entreprises concernées.
L’allocation gratuite des deux premières phases, couplée aux effets de la crise économique, a généré une sur-allocation de quotas d’émission qui est pour partie à l’origine du surplus de quotas d’émission qui a fait plonger le prix des quotas d’émission. Pour traiter ce problème de surplus et restaurer le signal prix du système, deux mesures ont été prises : premièrement le report de la mise aux enchères de 900 millions de quotas jusqu’en 2019-2020 et deuxièmement la mise en place dès 2018 d’une réserve stratégique de marché destinée à stabiliser les volumes de quotas d’émission présents sur le marché.
Les principales modifications proposées par la Commission européenne pour la période 2021-2030 sont :
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Le facteur de réduction linéaire passerait de 1,74% à 2,2 %, ce qui implique une intensification de la réduction annuelle des quotas mis sur le marché.
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Une plus grande différenciation et une révision plus fréquente des niveaux de références utilisés pour l’allocation gratuite.
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250 millions de quotas seraient affectés à une réserve pour les nouveaux entrants ou les activités de production en forte croissance.
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La liste pour les fuites de carbone ne comporterait plus que 50 secteurs et ne couvrirait plus que 90% des émissions industrielles.
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Un fonds pour l’innovation sera créé. Il sera alimenté par les revenus issus de la mise aux enchères de 450 millions de quotas d’émission, soit 10 milliards d’Euros selon les estimations de la Commission. Le fonds vise à davantage soutenir les énergies renouvelables, la capture et le stockage de CO2, ainsi que le déploiement des technologies industrielles bas carbone.
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Un fonds pour la modernisation sera également créé dont l’objectif sera de soutenir financièrement la modernisation des systèmes énergétiques dans les Etats-membres dont le PIB par habitant de 2013 est inférieur à 60 % de la moyenne européenne.
Principes généraux de la position de la CES
Dans la lignée de ses positions précédentes, la CES réaffirme avec force son soutien à des politiques de lutte contre le changement climatique qui non seulement apportent une juste contribution de l’Europe à la réduction globale des émissions de gaz à effet de serre mais qui génèrent aussi des avantages collatéraux comme la création d’emplois de qualité, la réduction des importations d’énergies fossiles ou l’amélioration de la qualité de l’air. La réforme du SEEQE doit contribuer à atteindre les objectifs de décarbonisation de l’économie européenne tout en permettant une "transition juste” pour l'ensemble des travailleurs sans porter atteinte à la qualité de vie ou générer de profits d’aubaine.
En demandant une « transition juste », la CES a toujours refusé d’opposer emploi et protection de l’environnement. Les deux objectifs doivent être poursuivis avec une détermination identique. La CES adopte la même approche dans le cadre de la réforme du SEEQE. Les activités industrielles, et les emplois de qualité qu’elles génèrent, sont absolument essentiels à une société prospère et juste. Les politiques climatiques européennes doivent stimuler la transformation de ces secteurs par l’investissement et l’innovation, mais ne doivent certainement pas en précipiter le déclin. La délocalisation des activités productives ne peut en aucun cas tenir lieu de politique de lutte contre le changement climatique. L'Europe doit se doter d'une véritable politique industrielle durable et prendre des mesures garantissant que le SEEQE contribue réellement à une transition vers une économie sobre en carbone qui soit efficace et socialement juste.
Revendications de la CES
La Commission européenne doit élaborer une stratégie industrielle durable, intégrée et cohérente, et est encouragée à développer une plateforme politique à cet égard.
La CES appelle la Commission européenne à lancer une initiative visant à la mise en place d'une véritable politique industrielle européenne durable, visionnaire et proactive, qui prenne en compte toutes les questions afférentes, notamment l’innovation, les infrastructures et les installations, les matières premières1, le financement, la formation de la main-d’oeuvre et les échanges internationaux. Malgré quelques initiatives positives, l’approche actuelle de la Commission européenne demeure fragmentée et beaucoup trop dépendante d’un seul instrument – le SEEQE – dont le fonctionnement repose davantage sur une logique financière que sur un véritable projet de construction d’une industrie européenne durable. Une plateforme européenne consacrée au développement d’une industrie durable, qui rassemble de manière équilibrée les industriels, les autorités publiques, les représentants syndicaux et les experts de la société civile, contribuerait de façon certaine à atteindre cet objectif. La collecte de données au moyen d’indicateurs présentant les ressources utilisées et les émissions générées par la fabrication des produits industriels, au sein de l’Union européenne et dans le monde, devrait constituer une priorité afin de monitorer la transformation de l’industrie européenne et de s’assurer que les objectifs climatiques sont atteints grâce à l’investissement et à l’innovation, et non en délocalisant les activités.
À l’issue de la COP21 de Paris, l’Union européenne devra évaluer de façon approfondie le risque de fuite de carbone ainsi que les instruments politiques dont elle dispose afin d'y répondre efficacement.
Les syndicats sont de plus en plus préoccupés par la perte d’emplois et d’investissement dans de nombreux secteurs industriels majeurs et considèrent que les importations en provenance de pays extracommunautaires – ainsi que les risques de dumping qui sont inhérents à cette situation – constituent une véritable menace qui pourrait s’aggraver si l’Union européenne instaurait une politique unilatérale de décarbonisation profonde.
Les synergies avec le Plan d’action de l’UE pour l’économie circulaire devraient être renforcées. Le mécanisme de lutte contre la fuite de carbone, essentiellement fondé sur l’allocation de quotas à titre gratuit selon un niveau de référence déterminé pour chaque secteur, que la Commission prévoit d’élargir et d’ajuster à la marge, nous semble inadapté. D’une part, il n’apporte aucune réponse aux principaux vecteurs des délocalisations, à savoir le prix des matières premières, l’insuffisance de la demande intérieure, le développement de marchés importants dans d'autres zones géographiques, l’importation de biens de production à bas coût en provenance des économies émergentes et la surcapacité dans certains secteurs. Par ailleurs, ce mécanisme n’incite que très faiblement à investir dans les technologies de production à faible émission de carbone. Le système protège – bien souvent de façon abusive – mais n’incite pas suffisamment à l'investissement et à l'innovation. La CES appelle par conséquent les législateurs européens à adopter d'autres solutions pour remplacer ou éventuellement compléter l’allocation de quotas à titre gratuit, notamment la mise en place de taxes fondées sur la teneur en carbone des biens introduits sur le marché européen, dont les entreprises exportatrices seraient totalement ou partiellement exonérées.
La CES demande également que l’allocation de quotas à titre gratuit soit réservée aux secteurs et sous-secteurs qui sont véritablement exposés à un risque important de délocalisation (principalement induit par les politiques climatiques) et que cette allocation soit conditionnée à la mise en œuvre de mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre ainsi qu’à l’utilisation des meilleures technologies disponibles, telles qu’identifiées lors de la révision des niveaux de référence tous les cinq ans. D’autre part, la méthodologie utilisée pour dresser la liste fuite de carbone doit se baser sur le véritable prix du carbone et non sur des hypothèses.
Les aides d’État sont absolument essentielles, notamment pour compenser les répercussions indirectes du SEEQE induites par le prix de l’électricité sur les coûts de production. Le recours à ces aides doit être mieux coordonné au niveau européen. En effet, aujourd’hui certains États membres fournissent des aides importantes afin de compenser les répercussions du SEEQE sur le prix de l’électricité pour l’industrie, alors que d’autres n’en fournissent absolument aucune. Une telle compensation doit se limiter à la part du coût du carbone qui n’est pas répercutée au client et ce, afin d’éviter les profits abusifs.
Enfin, le processus d'examen des demandes de recours aux aides d’État soumises par les États membres à la Commission européenne doit être le plus rapide possible.
L’Union européenne doit créer un Fonds pour une transition juste afin de soutenir les travailleurs qui seront touchés par la transition vers une économie sobre en carbone
La CES regrette l’insuffisance des mécanismes présentés dans la proposition de la Commission visant à soutenir les travailleurs dans les régions qui seront fortement touchées par la transition vers une économie sobre en carbone. L’insertion de la « formation et la reconversion des travailleurs affectés par la transition » à l’article 10 B de la proposition d’amendement de la directive laisse entièrement à la discrétion des États membres la décision de soutenir ou non les travailleurs concernés. Non seulement ladite disposition – qui concerne l’utilisation des recettes tirées des mises aux enchères des quotas d’émission par les États membres – n’est pas juridiquement contraignante, mais elle comprend par ailleurs une liste de douze possibilités d’allocation, ce qui qui rend fortement improbable le soutien effectif à ces travailleurs. La CES appelle par conséquent les législateurs européens à envisager de nouvelles solutions fournissant à ces travailleurs le soutien dont ils ont besoin. Un « Fonds pour une transition juste », destiné à financer les mesures de soutien aux travailleurs dans les régions et les localités affectées par la transition, pourrait être alimenté en partie par les fonds structurels et en partie par les mises aux enchères d’un certain volume de quotas d’émissions. Un tel fonds ne devrait cependant en aucun cas mobiliser les ressources du Fonds social européen et les partenaires sociaux doivent participer à sa gestion, conformément aux dispositions du Code de conduite européen en matière de partenariat.
L'Union européenne doit impérativement mettre en oeuvre le Fonds pour l’innovation et le Fonds pour la modernisation et impliquer les partenaires sociaux dans leur gestion
L’investissement constitue l’un des principaux leviers de la transition vers une économie sobre en carbone. La CES est très favorable à la création d’un Fonds pour l’innovation qui permettra de renforcer les ressources actuellement disponibles grâce aux instruments de financement en vigueur, et d’élargir le spectre des activités éligibles. Le déploiement des énergies renouvelables et d’autres technologies industrielles à faibles émissions de carbone est incontestablement nécessaire si l’on veut atteindre l’objectif de long terme qui vise à réduire les émissions tout en maintenant une base industrielle solide en Europe. Plusieurs rapports signalent que les technologies telles que le captage et le stockage du carbone, qui permettent à la fois de réduire de façon drastique les émissions générées par la production énergétique et les secteurs industriels, tout en étant compatibles, entre autres sources d’énergie, avec l’utilisation de combustibles fossiles, sont essentielles pour atteindre les objectifs de réduction profonde des émissions qui doivent être atteints dans le long terme. Afin que ces technologies puissent être mises en place dans les régions et les secteurs où elles sont indispensables à la construction d’une trajectoire crédible de réduction profonde des émissions sur le long terme, les ressources financières disponibles doivent être considérablement renforcées. Le Fonds pour l’innovation doit contribuer à cet objectif, mais les industries et les États membres ayant identifié ces technologies comme des priorités doivent également contribuer à atteindre le niveau d’investissement nécessaire. Toutefois, le déploiement de ces technologies n’a de sens que s'il est moins onéreux que d’autres mesures à long terme, et à condition qu’il soit compatible avec les objectifs de réduction des émissions à long terme ainsi qu’avec les normes les plus exigeantes en matière d’environnement et de santé.
Le Fonds pour la modernisation, destiné à soutenir la modernisation du système énergétique des États membres à plus faibles revenus, est une proposition que la CES salue également dans la mesure où elle concrétise le besoin de solidarité entre les pays européens. La CES demande que ces deux fonds soient effectivement mis en oeuvre et que des mesures appropriées soient prises afin d’optimiser leur impact, notamment en favorisant la synergie avec d’autres instruments financiers européens, et plus particulièrement avec le Fonds européen pour les investissements stratégiques (EFSI).
Au moins 90 % des recettes tirées de la mise aux enchères du SEEQE doivent être utilisées par les États membres afin de soutenir des actions directement liées au changement climatique
Une « transition juste » suppose un partage équitable du fardeau. La CES n’acceptera pas que des mesures prises pour lutter contre un risque présumé de fuites de carbone génère des profits abusifs bénéficiant aux grands groupes industriels tout en exposant un nombre croissant de ménages à la pauvreté énergétique. Les mesures permettant d’augmenter la quantité de quotas d’émission mise à disposition des entreprises à titre gratuit réduisent automatiquement le volume de quotas mis aux enchères. Cela prive les autorités publiques de sources de financement et génère indirectement des profits abusifs pour certaines sociétés, alors que les ménages ne peuvent échapper aux répercussions du prix des quotas d’émission sur leur facture d’électricité. La CES est favorable à l’objectif visant à protéger les activités industrielles fortement exposées au risque de fuite de carbone, à condition que cela n’exacerbe pas les effets distributifs négatifs qui amènent les ménages à payer le coût des émissions de CO2 de l’industrie. En plus des mesures réservant les quotas gratuits aux secteurs et sous-secteurs réellement exposés au risque de délocalisation induit par le coût du carbone, l’un des moyens d’atténuer les effets régressifs de l’allocation gratuite, consiste à veiller à ce que les recettes tirées de la mise aux enchères profitent à la société dans son ensemble, notamment en contribuant au financement d’une transition juste vers une économie sobre en carbone. La CES demande que l’Union européenne contraigne les États membres à allouer au moins 90 % de ces recettes à des activités directement liées à la lutte contre le changement climatique, notamment à l’innovation industrielle sobre en carbone, à l’amélioration de l’efficacité énergétique, à la formation et aux programmes de mise à niveau des compétences, aux mesures de lutte contre la pauvreté énergétique ainsi qu’au financement international de la lutte contre le changement climatique. Les États membres doivent toutefois être libres de définir les critères de sélection des investissements à financer avec les recettes tirées de la mise aux enchères.