Position de la CES Nouvel agenda pour les compétences » : Améliorer l'accès à la formation des travailleurs en Europe

Brussels 18, 2016 

  • Aux membre du comité d'executif
  • Pour information aux membres des organisation membres de la CES

 

Nouvel agenda pour les compétences » : Améliorer l’accès à la formation des travailleurs en Europe (position de la CES)

Adoptée lors de la réunion du comité exécutif le 13 avril 2016

La Commission européenne élabore « un agenda pour des compétences en Europe ». Les principales priorités de cette initiative, qui sera lancée en mars 2016, sont de garantir des compétences plus élevées et plus adaptées pour tous, de promouvoir une meilleure visibilité et utilisation des compétences disponibles, et d’aboutir à une meilleure compréhension des besoins de compétences et des tendances sur le marché du travail.

La Commission a consulté la CES et ses organisations affiliées en décembre 2015 et en janvier 2016, lors d’auditions spécifiques des partenaires sociaux. Le Secrétariat de la CES a établi la position suivante avec la participation active des membres du Comité Éducation et Formation et, après plusieurs consultations, avec les affiliés nationaux et les fédérations sectorielles européennes.

Un environnement favorable au développement des compétences

Les politiques récentes de la Commission européenne ont désigné l’enseignement et la formation professionnels (EFP) comme le principal moyen d’action pour promouvoir l’employabilité des travailleurs. La CES considère en effet que l’EFP contribue à l’employabilité, mais seulement si les travailleurs ont accès à des formations de qualité et si une croissance économique durable offre des emplois de qualité aux travailleurs et des offres d’apprentissage et de stage de qualité. L’initiative de la Commission est à saluer si elle va dans ce sens. Mais l’EFP n’est malheureusement pas la solution miracle pour lutter à elle seule contre le chômage et les emplois précaires. Par conséquent, la revendication de la CES en faveur d’une stratégie européenne pour l’investissement reste essentielle à la création d’un environnement favorable pour l’employabilité et le développement des compétences.

Une attention particulière devrait être accordée à l’enseignement de qualité, à tous les niveaux, et aux qualifications (qui sont décrites comme les connaissances, les aptitudes et les compétences) et pas seulement aux seules compétences. Les aspects des qualifications liés au travail, qui reconnaissent formellement les compétences, sont particulièrement importants dans le mécanisme de fixation des salaires, comme éléments formels utilisés par les partenaires sociaux dans les négociations collectives.

En ce qui concerne la formation en situation de travail, la Commission devrait développer l’Alliance européenne pour l’apprentissage (EAfA), qui a été constituée à l’initiative des partenaires sociaux et approuvée par les gouvernements nationaux via le Conseil. Le futur cadre de qualité européen pour l’apprentissage, qui sera présenté par la CES sous sa forme définitive en avril 2016, pourrait être utile à l’ensemble de la stratégie européenne d’apprentissage et étoffer l’Alliance européenne pour l’apprentissage.

  1. Le rôle clé des syndicats comme partenaires sociaux

Le rôle joué par les partenaires sociaux et le dialogue social dans les systèmes de qualification et de formation, à tous les niveaux de décision, devrait être reconnu et soutenu par les institutions européennes. À l’échelle de l’entreprise, les représentants des travailleurs doivent être associés à la définition des besoins en termes d’emploi et de compétences, la planification de celles-ci devant devenir une caractéristique commune des politiques des entreprises pour l’anticipation du changement. Il existe de bonnes pratiques dans ce domaine, par exemple la codécision en Allemagne, la négociation des plans de formation d’entreprise en France, la participation de représentants syndicaux délégués à la formation (ULR) au Royaume-Uni, etc. En général, la culture de formation dans les entreprises devrait être établie sur le long-terme. Le développement des compétences et de l’offre de formation devrait faire partie intégrante de la stratégie d’entreprise.

À l’échelle européenne, les conseils sectoriels pour les compétences sont les mieux placés pour déterminer les besoins de compétences et devraient par conséquent être mieux soutenus au moyen d’objectifs clairs et viables, définis par la Commission et les partenaires sociaux sectoriels. La définition et l’anticipation des compétences sectorielles ou des profils professionnels au plan européen devraient être examinées avec les partenaires sociaux sectoriels et les gouvernements dans le cadre privilégié par les partenaires sociaux. Les Alliances sectorielle pour les compétences, en tant que projet, peuvent également contribuer à la formulation de programmes de base dans un secteur à l’échelle européenne, mais seulement avec la participation des partenaires sociaux. Les compétences et les programmes professionnels dans les secteurs devraient être définis sur la base d’une participation égale des partenaires sociaux et du gouvernement. Par conséquent, la proposition de la Commission selon laquelle seuls les employeurs devraient concevoir les programmes et établir des partenariats avec les prestataires de formation n’est pas acceptable.

 

Des activités de recherche sont nécessaires afin de soutenir les partenaires sociaux dans leurs efforts pour répondre aux conditions de l’évolution sociale, économique et technologique rapide.

  1. Le renforcement de la dimension sociale de l’EFP

Lors du lancement d’une nouvelle initiative pour les compétences, la pauvreté et la discrimination devront également être abordées. Dans son initiative, la Commission ne devrait pas seulement viser à améliorer l’accès aux compétences des chômeurs et des travailleurs peu qualifiés, mais aussi des travailleurs à temps partiel, des travailleurs intérimaires, ainsi que des travailleurs atypiques et des travailleurs indépendants, qui devraient être aidés afin d’accéder à la formation au moyen de régimes contributifs sans avoir à supporter l’ensemble des coûts. Il est impératif d’accorder une attention particulière à l’égalité des chances en matière de formation et de perspectives de carrière pour les femmes, les handicapés et les personnes défavorisées sur le plan socio-économique. La Commission devrait également accorder une attention particulière à tous ceux qui sont sans emploi ou qui ne sont pas inscrits dans un parcours d’études ou de formation (NEET).

L’intégration des migrants et des réfugiés dans le marché du travail doit être un objectif de cette initiative. Un soutien législatif et financier immédiat est nécessaire à l’intégration des migrants dans le marché du travail, notamment pour mesurer et apprécier les aptitudes et compétences des migrants, des réfugiés et des migrants économiques. Sur ce dernier point, il est essentiel d’établir au niveau national des cadres efficaces, prévisibles et équivalents pour la validation formelle des compétences et des qualifications. Pour assurer une coordination adéquate, mais aussi la confiance nécessaire entre les États membres, les agences nationales compétentes et les services publics de l’emploi doivent jouer un rôle de premier plan.

  1. La CES demande un accès garanti à la formation pour tous

D’une part, 70 millions de travailleurs peu qualifiés ont besoin d’une mise à niveau de leurs compétences et, d’autre part, les travailleurs qualifiés sont soumis à un impératif de mise à niveau de leurs compétences et de formation continue. Chacun doit pouvoir bénéficier d’une offre de formation de qualité, et d’acquérir durablement et équitablement des compétences de base, des compétences clés et des compétences professionnelles.

Pour la CES, le droit à la formation doit être réaffirmé comme un droit européen. Cependant, la seule existence d’un droit ne se suffit pas à elle-même. Les travailleurs devraient avoir droit à la validation et à la reconnaissance des apprentissages acquis sur le lieu de travail et sur le marché de l’emploi, et bénéficier d’un soutien dans ce sens. Des mesures concrètes doivent en outre être prises et mises en œuvre afin de garantir un recours effectif à ce droit à la formation et une contribution financière des employeurs à la formation des travailleurs. C’est pourquoi la CES demande :

Une garantie de compétences professionnelles, afin d’assurer l’accès réel à la formation des travailleurs peu qualifiés et des chômeurs, en vue de garantir leur employabilité et leur capacité d’adaptation au marché du travail. Cette garantie devrait être constituée comme principe européen et mise en œuvre par les États membres et les partenaires sociaux au plan national. La définition des compétences professionnelles, les certifications/qualifications qui leur sont associées et l’offre de formation permettant d’accéder à ces compétences professionnelles de base, doivent être établies au plan national par les partenaires sociaux dans le cadre du dialogue social, et par les gouvernements. Cette complémentarité des approches européenne et nationale doit garantir que chaque adulte puisse acquérir le minimum de compétences requises en termes d’employabilité et de formation plus poussées, conformément à la réglementation nationale. L’un des exemples éventuels de cette garantie de compétences professionnelles est le « certificat interprofessionnel de compétences professionnelles de base » créé à l’initiative des partenaires sociaux en France.[1]

Les secteurs devraient par ailleurs définir les compétences professionnelles afin de répondre aux besoins sectoriels.

Dans le cadre de l’initiative de la « garantie de compétences professionnelles », la Commission devrait offrir une plateforme pour l’échange d’expériences et encourager par ailleurs les États membres à réduire le nombre de personnes peu qualifiées en Europe (en utilisant également le semestre européen).

Un congé de formation rémunéré, afin de permettre aux travailleurs de mettre à niveau leurs compétences en fonction des nouveaux besoins dans leur secteur et leur garantir l’accès à une formation sans rapport avec les besoins spécifiques de l’emploi : une occasion pour eux de préparer une nouvelle étape dans leur carrière. Les travailleurs et les employeurs ne pouvant en supporter à eux seuls tous les coûts, les gouvernements et/ou les partenaires sociaux doivent s’entendre pour assurer des systèmes de transition et, de manière générale, la formation tout au long de la vie, de préférence par le biais de conventions collectives, si ce n’est par la loi. La Convention nº 140 de l’OIT sur le congé‑éducation payé (1974) définit déjà cette mesure, mais de nombreux pays ne l’ont pas encore ratifiée. L’agenda pour les compétences doit accorder une importance particulière à ce droit. Des systèmes de transition, la requalification professionnelle e l’accès à l’EFP, à l’enseignement secondaire et supérieur doivent être offerts à tous, indépendamment du niveau d’éducation antérieur. L’enseignement supérieur devrait être accessible à tous à des conditions au moins équivalentes à celles des jeunes étudiants. Il s’agit là d’un aspect essentiel de la qualité générale de la main-d’œuvre et, par conséquent, de la compétitivité hors coûts de l’économie européenne.

Des mesures de garantie de l’accès à la formation pour toutes les catégories de travailleurs. Ces mesures doivent se fonder sur le droit des personnes à la formation, garanti de préférence par convention collective[2], sinon par la loi. Dans la mesure du possible, les conventions collectives et la législation doivent garantir l’offre de formation des travailleurs à temps partiel, des travailleurs sous contrat précaire, mais aussi des travailleurs indépendants et des travailleurs exerçant une activité professionnelle non salariée, indépendamment du niveau d’éducation antérieur.                       

 Un élément clé pour encourager les travailleurs à user de leur droit à la formation est de leur donner accès à un service d’accompagnement au développement professionnel, ce qui n’est actuellement pas le cas pour de nombreux travailleurs. Les systèmes d’orientation professionnelle sont essentiels pour donner aux travailleurs le pouvoir de décision en termes de formation, d’adaptation et de transition.

  1. La nécessité d’accroître l’investissement dans la formation

L’UE compte une moyenne de 27,5 % d’adultes participant à des activités liées à l’emploi et financées par les employeurs. Selon le Cedefop, les grandes entreprises offrent plus souvent des formations que les petites et moyennes entreprises[3]. Offrir aux travailleurs européens les compétences appropriées implique un niveau élevé d’investissement des entreprises dans l’apprentissage tout au long de la vie. Des politiques d’investissement durables à l’échelle européenne et nationale doivent également être encouragées, en particulier dans les pays où la participation des adultes dans les systèmes d’éducation et de formation est faible ; contribuant ainsi à la convergence sociale. La Commission doit également déterminer comment utiliser au mieux le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) et d’autres instruments d’investissements et fonds pour l’offre de formation.

Il s’avère que le FEIS n’est pas adapté à l’investissement social, comme la formation et le développement des compétences. La Commission européenne doit revoir ses instruments d’investissement afin de répondre aux besoins d’investissement social et de faire un meilleur usage des fonds existants tels que les Fonds structurels et d’investissement européens.

Le FSE devrait mieux soutenir les efforts visant à accroître la participation des salariés et des entreprises dans l’enseignement et la formation professionnels continus.

  1. Faciliter la mobilité des apprenants de la formation professionnelle initiale et continue

L’objectif du cadre stratégique européen Éducation et Formation 2020 selon lequel « au moins 20 % des diplômés de l’enseignement supérieur et 6 % des 18-34 ans diplômés de l’enseignement et de la formation professionnels initiaux dans l’UE devraient avoir passé à l’étranger une partie de leur temps d’études ou de formation » est loin d’être atteint. La CES reste convaincue de la pertinence de cet objectif et considère que les partenaires sociaux doivent y participer et déployer les efforts nécessaires à la réalisation de cet objectif.

Le financement au titre du programme Erasmus+ n’est pas suffisant pour promouvoir la mobilité de l’EFP, et des obstacles doivent être levés afin d’améliorer la mobilité dans le domaine de l’EFP. Davantage de ressources devraient être disponibles à l’échelle de l’UE pour les apprenants de l’EFP de tout âge. Le rôle des partenaires sociaux pour assurer la qualité de la mobilité dans l’EFP et le recours effectif aux fonds Erasmus+ et d’autres programmes pour financer l’EFP devrait être garanti.

D’autres obstacles à la mobilité sont le manque de compréhension et de confiance des employeurs dans les qualifications étrangères et la lente mise en œuvre de la directive relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles pour les professions réglementées dans l’UE. Des solutions satisfaisantes ont été trouvées par différents comités sectoriels de partenaires sociaux européens qui ont établi (ex. : secteur de la coiffure) ou élaborent (ex. :bâtiment, secteur de l’automobile, textile) leur(s) cadre(s) de qualifications / profils professionnels / programme de base ou compétences fondamentales dans leur secteur à l’échelle européenne, mais qui font face à une résistance à la mise en œuvre de ces accords au plan national.

Enfin, la Commission envisage la mobilité du seul point de vue de l’employabilité. Permettre aux chômeurs et aux travailleurs précaires d'accéder à des places d'apprenti et à des emplois de qualité est certes essentiel et cela à plus d'un titre. Cependant, les derniers développements intervenus en Europe montrent que limiter la mobilité à un seul aspect n'est pas approprié. La CES est fermement convaincue que la mobilité contribue autant que les valeurs démocratiques à la citoyenneté européenne, à la cohésion sociale et à favoriser la compréhension entre les cultures. En cette période de poussée du populisme, du radicalisme et de la xénophobie, il est plus important que jamais que les travailleurs en Europe se rencontrent par-delà les frontières des États et les frontières culturelles. Vivre cette rencontre en tant qu'étudiants qui suivent un parcours d'enseignement ou de formation, est une démarche que la Commission européenne se doit de mettre en valeur dans son nouvel agenda pour les compétences.  

La CES demande instamment à la Commission d'adopter une approche cohérente et logique dans ses initiatives politiques dans ce domaine, notamment en matière de développement des compétences. On constate en effet un manque de coordination entre une série d'initiatives menées parallèlement et pourtant étroitement liées et interdépendantes. Ainsi, la DG Connect travaille sur les compétences numériques, la DG EMPL sur le nouvel agenda des compétences, la DG HOME prépare la publication d'un paquet législatif « migration » qui pourrait aborder la question des compétences des travailleurs migrants alors que la DG GROW suit de près les initiatives sur les compétences liées à l'industrie et la DG EAC est responsable des politiques d'enseignement. C'est pourquoi la CES prie instamment la Commission d'adopter une approche plus cohérente et logique. 

Nous demandons à la Commission européenne de faire preuve de prudence lors de la révision prévue du Cadre européen des certifications (CEC) et, pour ce faire, d'utiliser et de développer les différents outils et instruments européens de certification et de reconnaissance des compétences. Dans certains pays, le CEC est encore en cours de déploiement et les politiques nationales de certification des parcours d'apprentissage publics et privés doivent répondre aux exigences du budget national et du dialogue social.


[1] Certification intersectorielle française des compétences professionnelles de base « Cléa” : http://certificat-clea.info/.

[2] Voir l’exemple d’industriAll : Résolution des fédérations syndicales européennes sur l’anticipation du changement et la gestion des restructurations.

[3]CEDEFOP : « Job-related adult learning and continuing vocational training in Europe », novembre 2015, http://www.cedefop.europa.eu/en/publications-and-resources/publications/5548.