Position de la CES pour un Green Deal européen solidaire

Bruxelles, le 7 novembre 2019

Position de la CES pour un Green Deal européen solidaire

Position adoptée par le Comité exécutif du 23 octobre 2019

L’objectif de cette prise de position est de rappeler à la Commission européenne les principes clés et les grandes orientations que le mouvement syndical européen souhaite voir inclus dans la future proposition de Green Deal européen. Ce document n’a pas pour but de commenter de manière exhaustive et détaillée chacune des mesures proposées à ce stade mais plutôt de veiller à une approche logique et cohérente pour l’élaboration d’un Green Deal européen permettant une transition juste vers la neutralité carbone d’ici à 2050. D’autres positions concrètes et détaillées sur chaque mesure spécifique seront définies ultérieurement par la CES durant le processus politique.

L’année 2019 a été marquée par des mobilisations citoyennes particulièrement importantes en Europe pour réclamer aux gouvernements et aux autorités publiques des actions urgentes et ambitieuses contre le changement climatique. Parallèlement, plusieurs pays ont connu d’intenses contestations suite à des réformes fiscales et sociales jugées injustes par une partie de la population. La CES estime que ces récents développements soulignent l’urgence et la nécessité de politiques climatiques ambitieuses et significatives qui soient solidaires et qui soutiennent les régions, les secteurs et les travailleurs les plus vulnérables.

En conséquence, les revendications clés de la CES relatives au futur Green Deal européen sont :

  • Une stratégie européenne en 2020 pour une transition juste à l’horizon 2030 – Alors que la prochaine Commission européenne a proposé un « Green Deal européen » comme l’un de ses projets phares pour les cinq années à venir, la CES insiste pour que les principes d’une transition juste soient maintenant traduits dans une stratégie et un cadre réglementaire tangibles qui garantissent que personne ne restera au bord de la route menant à la neutralité climatique.
  • Un plan d’investissement européen et des politiques macroéconomiques cohérentes pour lutter contre le changement climatique et créer des emplois de qualité – La CES est d’avis que l’UE doit stimuler ses investissements pour réduire ses émissions et son empreinte carbone à travers des projets qui soient aussi créateurs d’emplois de qualité. Un cadre d’orientation pour une transition juste et un programme d’investissements ayant un impact visible sur l’emploi créeront les conditions aptes à aligner les objectifs climatiques de l’UE pour 2030 et 2050 sur les recommandations scientifiques. Afin d’assurer une approche cohérente, toutes les politiques macroéconomiques de l’UE ainsi que les accords commerciaux internationaux doivent être alignés sur les objectifs de ce Green Deal européen et inclure des exigences sociales et environnementales.

     
  • Un niveau d’ambition fondé sur la science et s’accompagnant de réels moyens de mise en œuvre – L’ambition et les objectifs du Green Deal européen doivent être alignés sur les exigences scientifiques. A cet égard, la CES soutient la révision à la hausse de l’objectif 2030 de réduction des émissions de gaz à effet de serre – de -40 à - 55% (par rapport aux niveaux de 1990) – ainsi que l’objectif à plus long terme de neutralité carbone d’ici à 2050.
  • Une stratégie européenne pour développer une justice climatique internationale et lutter contre les fuites de carbone – Les efforts de l’UE pour faire de l’Europe le premier continent du monde climatiquement neutre seront dramatiquement insuffisants si les principales économies ne réduisent pas leurs émissions au même rythme. La CES rappelle que, pour conserver le soutien des travailleurs, la politique climatique de l’UE doit être socialement juste, créer et maintenir des emplois de qualité, être en ligne avec les recommandations scientifiques et être fondée sur un partage équitable du fardeau mondial parmi les principales économies ainsi que sur la lutte contre les fuites de carbone.

De manière générale, la CES insiste sur le fait qu’assurer la participation des travailleurs dans la gouvernance de ce Green Deal européen sera crucial pour élaborer et mettre en œuvre des politiques efficaces. A ce titre, nous appelons la Commission européenne à garantir que les syndicats seront formellement et effectivement impliqués à toutes les étapes du processus décisionnel ainsi que dans les phases de déploiement et d’évaluation des politiques aux niveaux européen, national, sectoriel, régional et de l’entreprise. Nous encourageons également les partenaires sociaux à intégrer la transition juste et le changement climatique dans l’agenda du dialogue social. A ce propos, la CES fera des propositions plus concrètes et œuvrera pour associer les partenaires sociaux aux actions pour le climat et à la gouvernance de la transition juste à tous les niveaux.

 

Contexte

Dans ses orientations politiques, la Présidente désignée de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a fait du « Green Deal européen » l’une des six grandes ambitions sur lesquelles la Commission concentrera son travail au cours du prochain mandat. En fixant pour objectif de faire de l’Europe le premier continent au monde climatiquement neutre, Mme Ursula von der Leyen identifie clairement la lutte contre le changement climatique comme étant une priorité politique essentielle.

Pour rendre cette ambition plus concrète, elle a énuméré une série de mesures qui devront être proposées dans les 100 premiers jours de son mandat :

  • Une législation européenne sur le climat afin d’ancrer l’objectif de la neutralité climatique à l’horizon 2050 dans la loi ;
  • L’extension du système d’échange de quotas d’émission ;
  • Une taxe carbone aux frontières afin d’éviter les fuites de carbone ;
  • Un plan pour une économie parée pour l’avenir et une nouvelle stratégie industrielle ;
  • Faire de l’Europe un leader mondial de l’économie circulaire et des technologies propres ;
  • Un fonds pour une transition juste ;
  • Un pacte climatique européen ;
  • Un plan d’investissement pour une Europe durable qui soutiendra des investissements à hauteur de mille milliards d’euros sur les dix prochaines années, y compris en convertissant une partie de la Banque européenne d’investissement (BEI) en Banque européenne du climat ;
  • Porter à 55% l’objectif de réduction des émissions de l’UE d’ici à 2030 ;
  • Une stratégie en matière de biodiversité à l’horizon 2030 ;
  • Une stratégie « Farm to fork » pour une alimentation durable ;
  • Un nouveau plan d’action pour l’économie circulaire.

Ces éléments constituent les principaux livrables attendus de Frans Timmermans, Vice-président exécutif désigné pour le Green Deal européen qui dirigera le travail de la Commission relatif au portefeuille climat, mais aussi de ses collègues Commissaires dont les portefeuilles sont concernés par ces mesures (énergie, emploi, environnement et océans, commerce, agriculture, transports, etc.).

Tout en saluant ces orientations politiques et ces nouvelles propositions, nous croyons important de rappeler certains des messages clés du mouvement syndical européen si nous voulons parvenir à un Green Deal européen qui soit ambitieux, efficace et socialement juste pour les travailleurs.

Une stratégie européenne en 2020 pour une transition juste à l’horizon 2030

Afin d’assurer une transition juste pour les travailleurs, la CES estime que la Commission européenne doit lancer en 2020 une stratégie pour une transition juste pour accompagner son Green Deal européen. Une telle stratégie doit au moins inclure les éléments suivants : une analyse précoce des impacts sociaux et économiques en vue d’identifier les défis et les opportunités par région et par secteur ; une planification des politiques pour anticiper les changements et éviter les ruptures sociales ; des moyens financiers suffisants pour faire face aux problèmes de main-d’œuvre ; l’implication effective des partenaires sociaux à chaque étape du processus ; des stratégies régionales de reconversion et un plan d’investissement pour stimuler la diversification économique dans les régions et secteurs en transition.

Cette stratégie pour une transition juste doit couvrir tous les secteurs car l’ensemble de l’économie sera concerné par la transition vers une économie bas carbone au cours des prochaines décennies. Tous les secteurs et régions doivent, dès lors, être soutenus dans l’élaboration de plans à moyen et long terme pour parvenir à la décarbonation. Cela étant, nous pensons qu’une attention particulière doit être accordée aux secteurs et régions qui seront, à court terme, les premiers et les plus impactés par la décarbonation tels que ceux dépendant des combustibles fossiles et du charbon et du lignite en particulier. Un cadre d’orientation de l’UE pour une transition juste doit soutenir ces régions et secteurs en priorité.

A cet égard, la Plateforme pour les régions charbonnières en transition est certainement un exemple d’initiative de bonne pratique. C’est un bon point de départ pour traduire la transition juste en action même si davantage de moyens sont nécessaires pour approfondir son travail en étroite coopération avec les syndicats locaux. La CES est d’avis que des initiatives comparables doivent être prises pour impliquer les régions dépendantes d’autres activités grandes consommatrices de combustibles fossiles (y compris par ex. l’industrie automobile, la sidérurgie, etc.). Ici aussi, la participation réelle des représentants des travailleurs et la garantie d’un dialogue social fort et effectif sont essentielles.

En ce qui concerne l’analyse des impacts sociaux et économiques, davantage d’efforts sont nécessaires afin de parvenir à une compréhension approfondie des conséquences qu’aura la décarbonation en Europe. En effet, les exercices de modélisation macroéconomique qui sous-tendent l’évaluation d’impact accompagnant les communications de la Commission européenne sont des outils utiles mais ils ne disent pas tout des conséquences sociales de la décarbonation. Dans cette évaluation, la Commission observe qu’« une trajectoire compatible avec l’objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre, conjuguée à un cadre facilitateur cohérent, devrait avoir un effet modéré à positif sur le PIB, les bénéfices estimés allant jusqu’à 2% du PIB d’ici à 2050 par rapport à la situation de référence », tandis que les actions pour le climat et l’énergie de l’UE pour parvenir aux objectifs 2020 ont « déjà entraîné une hausse de de la main-d'œuvre de l’Union comprise entre 1% et 1,5% »[1]. Cette tendance positive est confirmée par les chiffres d’Eurostat qui indiquent que les emplois verts ont augmenté au sein de l’UE-28 de 3,2 millions en 2000 à 4,5 millions en 2016. Un niveau de détails plus élevé est toutefois requis pour fournir l’assise de connaissances nécessaires à l’élaboration d’une stratégie européenne pour une transition juste.

A ce propos, les informations données par les États membres dans leurs plans nationaux finalisés en matière d'énergie et de climat (PNEC) devraient permettre à la Commission européenne d’identifier les régions et secteurs les plus exposés aux risques qu’entraîne la décarbonation pour le marché du travail européen[2]. Cela devrait également nous permettre d’identifier de nouveaux domaines de travail potentiels ainsi que le type de compétences qui seront nécessaires à l’avenir afin de développer des plans intégrés de reconversion professionnelle. Comme déjà mentionné dans de précédentes positions, la CES souligne la nécessité d’une implication formelle et effective des syndicats dans le développement de ces PNEC. Cette implication sera cruciale pour anticiper les changements que ce processus induira pour les travailleurs. La CES rappelle en outre la nécessité et l’urgence d’une révision substantielle et d’un renforcement des PNEC pour atteindre l’objectif européen d’une réduction de 55% des émissions d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990 et de parvenir à la neutralité carbone d’ici à 2050[3].

Les États membres devront ultérieurement fournir des prévisions similaires pour accompagner les « stratégies à long terme à faibles émissions » qu’ils doivent présenter d’ici au 1er janvier 2020. Pour compléter celles-ci, une perspective sectorielle est essentielle et la Commission européenne doit, en étroite collaboration avec les partenaires sociaux, plancher sur l’évaluation des impacts sociaux et économiques des différents scénarios pour parvenir à une décarbonation en profondeur. C’est sur ces bases que la Commission devrait, dès que possible, publier une communication décrivant de manière beaucoup plus claire les développements futurs du marché du travail liés à la décarbonation dans les différents secteurs et régions, à moyen terme (2030) et à plus long terme (2050).

En s’appuyant sur cette configuration, la Commission européenne devrait lancer en 2020 une « stratégie pour une transition juste » énumérant les différentes initiatives à prendre respectivement par l’UE et ses États membres pour parvenir aux objectifs 2030 de manière socialement juste et progresser vers la neutralité climatique d’ici à 2050 en ne laissant personne en arrière. Ces actions doivent impliquer les DG concernées (DG Climat, DG Ener, DG Regio, DG EMPL, DG AGRI, DG Grow) et viser à mobiliser tous les instruments européens disponibles, y compris les outils financiers (voir ci-dessous) pour anticiper les changements et éviter les ruptures sociales.

La mise en œuvre du Socle européen des droits sociaux (SEDS) a, à cet égard, un rôle central à jouer. En effet, agenda social et agenda environnemental étant étroitement liés, le SEDS doit être aligné sur le Green Deal européen. Autrement dit, le SEDS doit soutenir une juste transition écologique en prônant le dialogue social, en garantissant le plein respect des droits des travailleurs à l’information et à la consultation, en favorisant l’accès à la protection sociale, à l’éducation, à la formation et à l’apprentissage tout au long de la vie, en améliorant les institutions du marché du travail (en particulier celles responsables des politiques actives du marché du travail – PAMT) et en veillant au respect et à la protection des droits des travailleurs et de leurs conditions de travail dans les processus de restructuration. L’implication des travailleurs au niveau de l’entreprise et sur le lieu de travail sera cruciale pour appliquer les principes du SEDS et garantir une transition juste.

La stratégie de l’UE pour une transition juste doit également avoir pour objectif d’éviter que la décarbonation creuse davantage encore les fractures existantes entre régions. Comme le montre clairement la communication de 2018 de la Commission européenne « Une Planète propre pour tous – Une vision européenne stratégique à long terme pour une économie prospère, moderne, compétitive et neutre pour le climat », certaines régions concentrent la plupart des défis : production électrique à haute intensité de carbone, part importante des industries émettrices de carbone dans le PIB, haut degré de précarité énergétique et PIB par habitant inférieur à la moyenne de l’UE. A l’autre bout du spectre, une série de régions concentrent la plupart des avantages concurrentiels nécessaires pour une économie bas carbone : potentiel d’énergies renouvelables, production d’électricité entièrement décarbonée, grâce notamment à la capacité hydroélectrique installée, et niveau élevé d’investissement en R&D[4]. Si on les limite à une combinaison de systèmes de tarification du carbone et à un soutien géographiquement aveugle aux technologies bas carbone, le risque est grand de voir les politiques climatiques aggraver encore les fractures géographiques au sein de l’UE, certaines régions attirant la plupart des investissements bas carbone tandis que d’autres seraient pénalisées par l’augmentation du prix du carbone dans le système d’échange de quotas d’émission sans aucun incitant réel en faveur d’une transformation industrielle et d’une diversification économique. Une « stratégie pour une transition juste » doit dès lors revêtir une forte dimension régionale et identifier les régions les plus exposées aux dégâts collatéraux d’une UE décarbonée. La « stratégie pour une transition juste » doit aussi déboucher sur une politique industrielle durable pour la diversification économique de ces régions.

La Présidente désignée de la Commission européenne a annoncé la création d’un « fonds pour une transition juste ». Selon la lettre de mission d’Elisa Ferreira, ce fonds « doit offrir un soutien sur mesure aux plus affectés, par exemple dans les régions industrielles et charbonnières à forte intensité énergétique confrontées à d’importantes transformations locales ». La CES se réjouit de cette proposition mais elle insiste sur le fait que cette « transition juste » doit faire partie intégrante du budget dans son ensemble et qu’il doit y avoir une forte coordination entre ce futur fonds pour une transition juste, le fonds social européen plus (FSE+), le fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEM), le programme InvestEU et le fonds européen de développement régional. Le champ d’application de ce nouveau fonds doit être clairement défini afin d’éviter toute confusion avec d’autres mécanismes existants mais aussi d’éviter un saupoudrage des moyens sur un trop grand nombre de secteurs et de régions. Ce fonds pour une transition juste doit contribuer à résoudre les problèmes des travailleurs dans les régions dépendantes des secteurs les plus concernés par le processus de décarbonation en fournissant une assistance technique et en soutenant leurs efforts visant à planifier la transformation de leurs économies et la diversification de leurs industries.

Nous insistons aussi sur le fait que le nouveau fonds ne doit pas reposer sur une réaffectation de fonds existants de l’enveloppe de cohésion mais doit disposer de ses propres moyens s’ajoutant à ceux déjà disponibles au niveau européen. Le montant du fonds doit être à la hauteur des besoins identifiés durant la phase d’analyse des impacts socio-économiques décrite plus haut. Faire face aux autres changements structurels qui affecteront l’économie toute entière, tels que la mondialisation ou la démondialisation, le passage au numérique et la robotisation, exige une mobilisation bien plus importante des instruments financiers, juridiques et politiques. Déterminer les principes d’une transition juste doit être une priorité pour l’UE afin d’anticiper le changement, éviter les ruptures sociales et affronter les restructurations lorsque nécessaire. Le « fonds pour une transition juste » n’est qu’un pas dans une longue marche pour faire de cette priorité une réalité.

Enfin, la CES pense que, pour être socialement juste, le Green Deal européen doit également inclure la lutte contre la précarité énergétique qui reste une réalité quotidienne pour plus de 10% des citoyens de l’UE. La Commission européenne devrait adopter des mesures pour promouvoir une énergie durable et abordable et garantir le droit à l’énergie (par ex. en interdisant les déconnexions, en renforçant les services publics et en évitant les effets distributifs négatifs lors de la révision de la directive sur la taxation des produits énergétiques ou du système européen d’échange de quotas d’émission).

Un plan d’investissement européen et des politiques macroéconomiques en faveur du climat et d’emplois climatiques de qualité

Un financement suffisant est la pierre angulaire de la transition juste et de l’action pour le climat. Pour atteindre ses objectifs 2030, l’UE devra massivement investir dans les défis climatiques au cours de la prochaine décennie[5]. S’agissant de réaliser l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050, le retard d’investissement – c’est-à-dire les investissements supplémentaires nécessaires par rapport au scénario de référence – se situe entre 175 à 290 milliards d’euros par an[6]. L’ampleur du défi climatique exige à l’évidence la mobilisation de moyens d’investissement exceptionnels.

La Présidente désignée de la Commission européenne a annoncé un « Plan d’investissement pour une Europe durable » qui soutiendra des investissements à hauteur de mille milliards d’euros sur les dix prochaines années dans toutes les régions d’Europe. De plus, une partie de la Banque européenne d’investissement sera convertie en Banque européenne du climat, ce qui signifie que le financement consacré aux questions climatiques augmentera de 25% aujourd’hui à 50% en 2025. La CES reconnaît une évolution positive dans ces annonces d’augmentation des investissements pour le climat mais demande à la Commission européenne et aux autres institutions de tenir également compte de propositions complémentaires telles que celles identifiées par la CES[7] ou par d’autres parties prenantes[8]. A cet égard, nous réitérons notre appel à l’UE pour qu’elle prenne des mesures concrètes en faveur d’une fiscalité équitable et efficace. La lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale doit en effet être au cœur du pacte finance-climat et les moyens ainsi dégagés doivent être utilisés pour des investissements publics, notamment dans les infrastructures. La suppression progressive de subventions dommageables à l’environnement (par ex. pour des projets liés aux combustibles fossiles) et les revenus de la mise aux enchères des quotas d’émission doivent également contribuer à la mobilisation de moyens financiers supplémentaires.

En tant que complément à la stratégie européenne pour une transition juste, ce plan européen d’investissement pour le climat doit avoir pour objectif la création d’emplois de qualité et, en parallèle, la réduction des émissions. De ce point de vue, il est urgent que l’UE mobilise davantage son budget et les fonds existants pour mieux favoriser la diversification de l’économie, une politique industrielle durable, la modernisation des infrastructures (mobilité durable, transport et stockage d’énergies renouvelables, assainissement des eaux), l’efficacité énergétique (notamment en isolant le parc immobilier avec une priorité pour les logements publics) et le déploiement d’énergies renouvelables, en commençant par les régions hautement dépendantes d’activités à forte densité de carbone qui, de ce fait, sont très vulnérables aux conséquences de la décarbonation.

De plus, la forte mobilisation d’investissements publics pour la transition écologique devrait favoriser la création massive d’emplois tout en stimulant les changements transformatifs en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Il a, par exemple, été calculé qu’un million d’euros investis dans la rénovation et l’efficacité énergétique d’immeubles peuvent générer jusqu’à 19 emplois et qu’un objectif de 40% d’efficacité énergétique en 2030 pourrait entrainer la création d’un million d’emplois supplémentaires dans le domaine de la rénovation immobilière en Europe tandis qu’une rénovation en profondeur permettrait de réduire de 90% les émissions de gaz à effet de serre des bâtiments d’ici à 2050[9]. Par conséquent, le Green Deal européen devrait stimuler les investissements publics et encourager les autorités publiques et les services publics à jouer un rôle clé dans cette transition. Il faut pleinement faire usage de la marge déjà disponible dans les budgets publics, la moitié des États membres affichant actuellement un excédent de leurs finances publiques. Les investissements supplémentaires doivent également être exclus lors de l’évaluation du niveau des déficits nationaux dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance (et des législations qui en découlent) ou être supportés par une capacité d’endettement européenne, que ce soit à travers un Trésor européen en charge du financement des investissements publics ou par le biais d’un élargissement des activités de la BEI.

Plus généralement, il conviendrait que les politiques macroéconomiques de l’UE ainsi que les accords commerciaux internationaux soient alignés sur les objectifs de ce Green Deal européen et qu’ils incluent des obligations sociales et environnementales pour garantir l’application de l’Accord de Paris, des accords environnementaux multilatéraux et des conventions de l’OIT.

L’économie circulaire à un rôle important à jouer dans la création d’emplois de qualité. A ce sujet, la CES soutient un modèle d’économie circulaire qui réduit l’empreinte environnementale de l’UE tout en tenant compte de la raréfaction des ressources. A cet égard, la CES se déclare pleinement en faveur d’une actualisation du paquet « économie circulaire » dans le but de créer une économie circulaire industrialisée beaucoup plus performante. Bien qu’elle soutienne aussi fortement toute initiative visant à favoriser davantage de circularité, la CES souligne l’attention particulière qui doit être accordée à la formation adéquate des travailleurs et à l’atténuation des conséquences négatives que de tels changements peuvent avoir sur l’organisation et les conditions du travail.

Enfin, alors que la réduction des émissions doit rester l’absolue priorité, les vagues de chaleur et autres événements extrêmes montrent que les conséquences du changement climatique se font déjà ressentir et sont irréversibles. Tenter d’anticiper et de s’adapter autant que possible aux changements qui s’annoncent doit également faire partie du « plan d’investissement européen pour le climat ». Investir dans l’adaptation sauve et, en même temps, crée des emplois (notamment dans l’agriculture, la gestion de l’eau, l’irrigation, les infrastructures, la foresterie ou la logistique)[10].

Une ambition fondée sur la science et les moyens de mise en œuvre

Plus tôt en 2019, la CES a adopté des positions demandant à l’UE de mieux aligner les objectifs climatiques sur base des recommandations scientifiques. Plus précisément, la CES soutient la révision à la hausse de l’objectif 2030 de réduction des émissions de gaz à effet de serre – de -40 à -55% (par rapport aux niveaux de 1990) – ainsi que l’objectif à plus long terme de neutralité carbone d’ici à 2050 même si atteindre ces objectifs représente un défi sans précédent pour un grand nombre de secteurs et de régions. Les orientations politiques présentées par la Présidente désignée de la Commission européenne semblent aller dans ce sens.

Toutefois, comme cela a déjà été souligné à plusieurs reprises, ces pourcentages ne disent pas tout et un objectif ne fait pas une politique. Sans financement et moyens politiques appropriés pour y parvenir, les objectifs révisés sont dénués de sens. Le débat sur les objectifs ne peut donc être séparé du débat sur les investissements et la juste transition. Il doit s’accompagner d’évaluations des impacts sociaux et économiques ainsi que de feuilles de route crédibles pour les secteurs les plus concernés.

De la même manière, la décarbonation requiert une approche holistique portant sur le rôle des services publics, le glissement de la fiscalité, une politique industrielle complète qui soit vraiment apte à parvenir à la neutralité carbone dans les secteurs à forte intensité énergétique et l’adaptation des secteurs de l’alimentation et de l’agriculture. La CES soutient pleinement celles et ceux qui, partout dans le monde, réclament des gouvernements qu’ils revoient à la hausse leurs ambitions dans la lutte contre le changement climatique. Les travailleurs demandent que ces ambitions soient soutenues par des politiques et des plans d’investissement effectifs aussi bien au niveau européen qu’au niveau des États membres.

Finalement, nous appelons la Commission européenne à veiller à ce que le futur Green Deal européen ainsi que toute mesure politique qui en résulte soient pleinement conformes aux objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies. Nous demandons en particulier aux décideurs politiques de tenir compte de l’égalité de genre, du travail décent, de la précarité énergétique et d’une énergie abordable dans tout futur plan d’investissement.

Une stratégie européenne pour développer une justice climatique internationale et lutter contre les fuites de carbone

2020 est une année importante pour le régime international du climat avec l’échéance pour la révision des contributions déterminées au niveau national (CDN). De par son autorité dans les négociations, l’UE doit s’efforcer de faire en sorte que toutes les grandes économies réduisent leurs émissions au même rythme en tenant compte des « responsabilités communes mais différenciées ». Les CDN révisées devraient mettre le monde sur la voie de l’équilibre entre sources d’émissions et absorption aux environs du milieu du siècle et, ce faisant, maintenir la hausse de température bien en-dessous des 2°C par rapport à l’ère préindustrielle voire, si possible, sous les 1,5°C comme le prescrit l’Accord de Paris.

Un autre enjeu au niveau international est l’article 6 de l’Accord de Paris et, plus précisément, les modalités de fonctionnement des mécanismes coopératifs à travers lesquels des pays peuvent ensemble atteindre leurs objectifs de réduction d’émissions. Cette question sera en bonne place à l’agenda de la COP 25 puisque c’est la seule question à propos de laquelle les gouvernements ne sont pas parvenus à s’entendre lors de la COP 24 à Katowice durant les discussions relatives aux modalités de fonctionnement de l’Accord de Paris.

Afin de garantir l’intégrité environnementale de l’Accord de Paris, il est crucial d’élaborer des règles transparentes et robustes qui interdisent strictement le double comptage. De même, puisque l’UE basera sa politique climatique exclusivement sur des mesures domestiques, éviter l’utilisation par d’autres économies de crédits douteux délivrés via des mécanismes flexibles est également une question de concurrence économique équitable sur les marchés mondiaux. Fixer un prix élevé du carbone pour les secteurs industriels dans l’UE alors que des concurrents internationaux peuvent éviter une action effective en faveur du climat en spéculant sur le marché mondial du carbone n’est pas une option que le mouvement syndical peut soutenir car elle aurait des conséquences dramatiques pour l’industrie et les emplois européens.

En conséquence, afin d’atténuer ces risques environnementaux et économiques, la CES appelle l’UE à soutenir les modalités de fonctionnement de l’article 6 uniquement si de strictes limites sont imposées pour le transfert d’unités d’émission internationales (1% des émissions de gaz à effet de serre des parties (en tonnes équivalent de CO2) durant la période de CDN) et/ou leur utilisation pour compléter une action domestique qui doit représenter le gros des efforts de décarbonation consentis par les pays. La CES demande aussi à l’UE de garantir des règles comptables transparentes et scientifiquement fondées. Nous croyons que les mécanismes coopératifs doivent strictement respecter les droits humains et être conformes aux ODD des Nations unies et être basés sur des règles complètes et bien réfléchies afin d’assurer l’intégrité environnementale de l’Accord de Paris et la compétitivité industrielle de l’Union européenne.

A cet égard, et dans le but de lutter contre les fuites de carbone, la CES soutient aussi la proposition de créer un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières par des tarifs douaniers qui intègrent les émissions de carbone dans le prix d’un produit importé donné. Nous pensons qu’une telle mesure, si elle est soigneusement conçue, peut contribuer à éviter les fuites de carbone, à maintenir dans l’UE des emplois de qualité et des industries innovantes et à financer une transition énergétique juste tout en promouvant les politiques climatiques européennes sur la scène internationale. Cette mesure doit toutefois être conforme aux règles de l’OMC et se limiter aux produits présentant la plus haute intensité de carbone. Nous insistons aussi sur le fait que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières doit être utilisé pour favoriser de manière égale la transition des pays développés et des pays en développement suivant le principe de responsabilités communes mais différenciées. Nous attendons avec impatience des propositions concrètes sur la façon dont un tel mécanisme pourrait être mis en place[11].

Enfin, la CES se déclare en faveur de l’ouverture d’un débat sur l’implication du droit de la concurrence dans la coopération industrielle transfrontalière et sur les aides d’État visant des secteurs spécifiques afin de réduire les émissions de carbone, de développer des emplois verts de qualité et de faire face au changement climatique.

Conclusion

En conclusion, la CES se réjouit de la priorité donnée au changement climatique dans le programme de la prochaine Commission européenne mais lui demande de rendre son Green Deal social et solidaire pour construire un cadre réglementaire réel et concret pour une transition juste dans l’UE qui ne laissera aucun travailleur au bord de la route tout en permettant une action pour le climat plus ambitieuse. Nous attendons de pouvoir discuter de la manière dont le changement climatique et une juste transition peuvent être formellement intégrés dans l’agenda du dialogue social au niveau européen, au niveau national, au niveau sectoriel, au niveau régional et au niveau de l’entreprise. A ce propos, nous demandons à la Commission européenne de prendre des mesures concrètes pour permettre aux partenaires sociaux d’inclure ces questions à l’agenda des relations industrielles au niveau de l’entreprise (à travers le renforcement des droits à l’information, à la consultation et à la participation et des comités d’entreprise européens).

[1] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/ALL/?uri=CELEX:52018DC0773 (p.23)

[2] Conformément à l’article 8b du règlement européen sur la gouvernance de l’Union de l’énergie, les États membres doivent fournir une analyse des impacts macroéconomiques et sociaux des mesures présentées dans leurs PNEC.

[3] Voir https://www.etuc.org/fr/document/projets-de-plans-nationaux-integres-en-matiere-denergie-et-de-climat-evaluation-de-la-ces

[4] Selon Eurostat, les cinq États membres ayant le plus investi en R&D en 2017 (Suède, Autriche, Danemark, Allemagne et Finlande) ont consacré environ 3% de leur PIB  en activités de R&D tandis que les 10 États membres ayant investi le moins (Roumanie, Lettonie, Malte, Chypre, Bulgarie, Croatie, Slovaquie, Lituanie, Pologne et Irlande) ont souvent consacré beaucoup moins de 1% de leur PIB à la R&D.  https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=File:Gross_domestic_expenditure_on_R_%26_D,_2007_and_2017_(%25,_relative_to_GDP).png

[5] Selon la Cour des comptes européenne, « Entre 2021 et 2030, il sera nécessaire d’investir chaque année 1 115 milliard d’euros », https://op.europa.eu//webpub/eca/lr-energy-and-climate/fr/#chapter4

[6] Voir les estimations de la Commission européenne (pp.19-20) https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2018/FR/COM-2018-773-F1-FR-MAIN-PART-1.PDF

[7] Voir https://www.etuc.org/fr/document/position-de-la-ces-sur-les-revendications-cles-pour-construire-une-transition-juste-et

[8] Voir l’avis d’initiative du CESE « Pacte européen finance-climat » https://www.eesc.europa.eu/fr/our-work/opinions-information-reports/opinions/pacte-europeen-finance-climat-avis-dinitiative

[9]http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2016/587326/IPOL_STU(2016)587326_EN.pdf

[10] Les calculs montrent qu’investir 1% du PIB de l’UE jusqu’en 2050 dans l’adaptation au changement pourrait entrainer « la création d’environ 1 million d’emplois directs et indirects et en sauver environ 330 mille autres d’ici à 2050. Voir « Evaluation des implications de l’adaptation au changement climatique sur l’emploi dans l’UE, Trinomics, 2014.

[11] Pour plus d’informations à ce sujet, voir l’avis d’initiative du CESE « Réconciliation des politiques climatique et énergétique : le point de vue du secteur de l’industrie » :

https://www.eesc.europa.eu/fr/our-work/opinions-information-reports/opinions/reconciliation-des-politiques-climatique-et-energetique-le-point-de-vue-du-secteur-de-lindustrie-avis-dinitiative