Position de la CES : Réforme de l’OMC pour promouvoir le développement durable, la justice sociale et le travail décent

Brussels 26/09/2019

New elected ETUC team 2019

Position de la CES : Réforme de l’OMC pour promouvoir le développement durable, la justice sociale et le travail décent

Adoptée lors du Comité Exécutif le 20 septembre 2019

« L’UE devrait donner la priorité aux solutions multilatérales dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), conformément à nos exigences d’une politique commerciale progressive. La CES a toujours soutenu le commerce équitable réglementé par les institutions multilatérales et appelé à une coopération forte entre l’OMC et l’Organisation internationale du travail (OIT). Nous exhortons l’UE et ses États membres à faire davantage pression sur l’OMC pour que le respect des normes du travail, telles que fixées et contrôlées par l’OIT, soit inclus dans les considérations de l’OMC et dans les futurs accords commerciaux multilatéraux ».[1]

Contexte

Le système commercial multilatéral fondé sur des règles, tel que défini par l’OMC, est confronté à la crise la plus profonde qu’il ait connue depuis sa création, et cela dans un climat marqué par des tensions commerciales et géopolitiques croissantes et par des initiatives protectionnistes unilatérales qui peuvent compromettre une approche multilatérale équitable.

L’OMC est confrontée aux conséquences de son incapacité à remplir le mandat de développement du cycle de Doha et de la prolifération d’initiatives et d’accords bilatéraux/plurilatéraux. Ce processus s’est déroulé parallèlement à l’accroissement des inégalités entre les pays et à l’intérieur des pays.

L’OMC a un problème de confiance de l’opinion publique, qui affecte sa légitimité. L’absence de résultats effectifs en matière de développement dans les négociations de l’OMC a contribué à une critique publique plus large de la mondialisation de l’économie et des politiques commerciales qui donnent la priorité aux entreprises multinationales par rapport aux travailleurs, aux personnes pauvres et les plus vulnérables.

L’OMC est confrontée à de multiples défis, y compris le blocage de la nomination des membres de son Organe d’appel par le gouvernement américain. Si cette pratique se poursuit après décembre 2019, l’Organe d’appel n’aura plus suffisamment de membres pour traiter les affaires, ce qui fait courir le risque que le système de règlement des différends de l’OMC cesse réellement de fonctionner. Un autre point litigieux est la capacité de l’OMC à contrôler les politiques commerciales des États membres. Le fait que de nombreux pays (y compris la Chine) ne se conforment pas aux exigences de notification de l’OMC — par exemple en ce qui concerne la notification des programmes de subventions gouvernementales — est un sujet de préoccupation depuis des années. Un autre domaine de réforme concerne le problème de l’absence de définition commune de ce qui constitue un pays développé ou en voie de développement pour l’OMC et du fait que les membres désignent eux-mêmes leur statut. Les membres de l’OMC qui utilisent la désignation de pays en voie de développement bénéficient d’un « traitement spécial et différencié ».

Le fait que 10 des pays du G20 — dont la Chine, l’Inde et la Corée du Sud — revendiquent actuellement le statut de pays en voie de développement auprès de l’OMC est un point de litige majeur.

Pour relever ces défis, la réforme de l’OMC doit garder le développement au cœur de ses préoccupations, promouvoir une croissance inclusive et tenir pleinement compte des intérêts et des préoccupations des pays en voie de développement, y compris les défis spécifiques des pays les moins avancés (PMA). Le processus de réforme de l’OMC doit préserver la marge de manœuvre dont disposent les gouvernements pour concevoir et mettre en œuvre des politiques nationales de développement et respecter les objectifs de développement durable (ODD).

L’UE a joué un rôle actif dans la recherche d’une solution à la crise de l’OMC, en suggérant une voie à suivre et en recherchant des alliances avec d’autres membres de l’OMC. Il y a cependant eu un manque inquiétant de progrès et l'avenir de l'OMC est en danger réel. C’est pourquoi la CES souhaite contribuer au débat en soutenant une position de l’UE que puisse influencer le processus de réforme d’une manière qui profite aux travailleurs.

La CES défendra les points de vue et les revendications exprimés dans cette position auprès de la Commission européenne et du Parlement européen. Nous allons également coopérer avec l'OIT et collaborer avec la CSI et d’autres confédérations syndicales pour faire part de nos préoccupations concernant la crise actuelle de l'OMC.

 Objectifs principaux de la CES

La CES réaffirme son objectif de parvenir à des politiques économiques et commerciales plus équitables. La CES estime qu’il est urgent de réformer l’OMC non seulement pour faire face à l’impasse actuelle dans ses procédures d’arbitrage, mais aussi pour engager les membres de l’OMC à des changements ambitieux et systémiques liés aux normes du travail, au réchauffement climatique, à l’égalité des sexes, à la cohésion sociale et économique et au respect des droits humains.

L’OMC doit refléter la relation inhérente entre le commerce et le travail. Les règles et accords commerciaux affectent les salaires et les conditions de travail des travailleurs. Ainsi, la CES réitère son appel aux règles de l’OMC et aux accords commerciaux pour faire respecter l’agenda du travail décent de l’OIT, d’utiliser les Principes directeurs pour les entreprises multinationales de l’OCDE et les principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies et promouvoir le respect et la protection des normes internationales du travail. L’OMC doit intégrer ces objectifs dans son mandat et jouer un rôle actif dans leur réalisation. Nous pensons qu’une meilleure prise en compte des normes de l’OIT peut contribuer à résoudre la crise de légitimité à l’OMC.

Cohérence multilatérale

La CES et le mouvement syndical international n’ont cessé d’insister pour que les organisations multilatérales travaillent de manière cohérente à la promotion et à la mise en œuvre de la justice sociale et des normes internationales du travail, des ODD, de la protection de l’environnement et des services publics.

Il faut améliorer les synergies entre l’OMC, l’OIT et les autres agences des Nations Unies, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l’OCDE. Les syndicats ont insisté pour qu’un Forum sur la politique de mondialisation soit mis en place, impliquant les partenaires sociaux et la société civile au sens large, qui soutiendrait une coopération transparente et renforcée entre les organisations multilatérales pour promouvoir les normes internationales du travail et les ODD.

L’OMC devrait soutenir l’application des droits des travailleurs tout au long des chaînes d’approvisionnement. Les règles relatives aux marchés publics devraient inclure des clauses sociales et environnementales contraignantes.

Le Secrétariat de l’OMC devrait permettre aux syndicats de contribuer à l’élaboration de ses règles pour soutenir l’application des normes du travail et faire en sorte que les syndicats participent activement à ses travaux ainsi qu’aux conférences ministérielles de l’OMC.

L’UE devrait promouvoir une meilleure coopération et l’élaboration conjointe de politiques entre l’OMC et l’OIT, et une représentation permanente de l’OIT à l’OMC entre autres par la création d’un groupe de travail de l’OMC sur le commerce et le travail décent auquel participeraient des représentants syndicaux. Cela devrait être lié au système d’examen des politiques commerciales de l’OMC, qui devrait systématiquement inclure un examen de la mise en œuvre par les pays des normes fondamentales du travail de l’OIT. Dans le cas de conflits basés sur des normes du travail, la décision de l'OIT devrait être contraignante pour l'OMC, soulignant ainsi la cohérence multilatérale.

Objectifs de développement durable, commerce et travail

En septembre 2018, la Commission européenne a publié un document de réflexion[2] sur la modernisation de l’OMC, dans lequel elle reconnaît les liens étroits entre les ODD et le commerce et le rôle important que joue le commerce dans leur réalisation. La CES souligne l’importance de l’appel de la Commission à discuter des questions de durabilité à l’OMC et prendra des mesures pour que cela devienne une réalité, en soutenant la création d’une large alliance de syndicats à travers le monde. Pour mettre en œuvre son engagement à soutenir la durabilité au sein de l’OMC, la Commission doit veiller à ce que les règles de l’OMC soutiennent l’agenda de l’OIT pour le travail décent. Par conséquent, le soutien de la Commission devrait englober et inclure les conventions fondamentales de l’OIT, les obligations et engagements en matière de santé et de sécurité au travail en vue de développer des systèmes de protection sociale, les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (UNGP) et les directives générales sur les entreprises. L'UE doit veiller à ce que les syndicats puissent être impliqués et dûment consultés lors des négociations sur les règles et les politiques de l'OMC.

La CES plaide pour des mesures efficaces de protection du climat dans le cadre de l'OMC. L’impact environnemental du commerce doit être réduit par des mesures appropriées. Pour contrer le changement climatique et la dégradation de l'environnement, les accords environnementaux multilatéraux tels que la Convention de Paris sur les changements climatiques doivent être ratifiés, mis en œuvre et appliqués.

Application des normes du travail

Il existe un précédent pour que les normes du travail soient prises en compte dans les règles de l’OMC puisque l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), précurseur de l’OMC, prévoyait une exclusion pour les biens produits par le travail carcéral.

Si les biens produits par le travail carcéral peuvent être exclus des dispositions du GATT, il en va de même pour ceux produits par le travail des enfants ou par des entreprises qui ne respectent pas les normes fondamentales de l’OIT telles que le droit d’association ou de négociation collective. Il s’agit de normes fondamentales, définies comme des droits habilitants. Comme le souligne le Comité économique et social européen (CESE), les exceptions au GATT doivent être étendues aux questions environnementales et sociales, pour inclure au moins les conventions fondamentales de l’OIT.[3]

La CES[4] a déclaré que les normes du travail devraient être appliquées par le biais de l’OMC ainsi que dans les ALE. Parmi les éléments clés figurent l’engagement des gouvernements à respecter les conventions et les instruments de l’OIT actualisés et l’agenda de l’OIT pour le travail décent. Ces engagements devraient être respectés par la mise en place d’un mécanisme de règlement des différends entièrement indépendant (consistant non seulement d’experts du commerce international) pour faire respecter les engagements en matière de droits des travailleurs. Ces engagements doivent tenir compte des orientations et des décisions des organes statutaires de l’OIT.

Les syndicats devraient pouvoir déposer des plaintes par le biais de ce mécanisme pour des violations des droits des travailleurs qui conduisent automatiquement à des enquêtes et, lorsque des violations des engagements en matière de droits du travail sont constatées, les gouvernements et les entreprises en infraction devraient être tenus de remédier à leurs actions. Les mesures de redressement pourraient comprendre des pénalités en dernier recours.

Nous appelons les États membres de l’UE à veiller à ce que l’OMC promeuve l’égalité entre les femmes et les hommes par des règles qui exigent le respect des droits en matière de non-discrimination et favorisent le travail décent. Les femmes risquent de manière disproportionnée d’être déplacées du fait de la libéralisation des politiques commerciales, passant d’emplois dans l’économie formelle à des emplois dans l’économie informelle, qui entraîne souvent une exploitation des travailleurs. Nous exhortons donc l’UE à utiliser la « boîte à outils sur le genre » de la CNUCED qui fournit un cadre systématique pour évaluer l’impact des réformes commerciales sur les femmes et les inégalités de genre avant la mise en œuvre de ces réformes. Nous demandons à l’OMC, à l’OIT et à la CNUCED de fournir un cadre similaire pour les droits des travailleurs.

Normes et services

La CES craint que les négociations commerciales et l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) se concentrent trop sur l’élimination des barrières commerciales « derrière la frontière », ce qui pourrait entraîner un abaissement des normes sociales et d’emploi.

Les décisions sur le niveau de réglementation des normes sociales et d’emploi devraient être prises dans le cadre de processus parlementaires démocratiques et/ou de négociations collectives et préserver l’espace politique futur. En tout état de cause, les syndicats devraient être consultés sur ces décisions.

Nous sommes préoccupés par le fait que des négociations plurilatérales non transparentes ont lieu entre certains membres de l’OMC, comme celles sur le commerce électronique, la règlementation intérieure et l’Accord sur le commerce des services (TiSA), actuellement à l’arrêt. Ces accords pourraient conduire les gouvernements à abaisser les réglementations sociales et en matière d’emploi que les entreprises multinationales — qui sont censées respecter le programme UNGP comme n’importe quelle entreprise multinationale dans n’importe quel État membre de l’ONU — considèrent comme des « obstacles » à leur accès aux marchés des services dans les pays concernés.

Nous craignons que les multinationales du numérique ne profitent des négociations sur le commerce électronique pour abaisser les normes d’emploi dans les secteurs numériques afin d’accroître leur capacité à faire des profits. Il s’agit d’une menace croissante, car un nombre croissant d’emplois comportent maintenant des éléments de prestation de services numériques — depuis les emplois basés sur des applications jusqu’aux employés d’entrepôt qui saisissent les commandes dans des bases de données en ligne. Les engagements pris par les gouvernements pour les services numériques dans le cadre d'un accord de commerce électronique peuvent donc avoir des conséquences difficiles à prévoir sur tous les secteurs. En particulier pour les services publics, les engagements en matière de commerce électronique risquent de réduire considérablement la marge de manœuvre nécessaire pour protéger les droits fondamentaux. Cela renforce la nécessité de ne pas inclure les services publics dans les accords commerciaux et les accords d'investissement, y compris lorsqu'ils sont fournis par des entreprises d'État. De tels accords peuvent également permettre aux entreprises numériques de détenir exclusivement les données des utilisateurs de leurs services, ce qui éviterait aux entreprises d’être tenues responsables de la manière dont elles utilisent, stockent ou transmettent les données personnelles des citoyens.

Les règles de l'OMC devraient être modifiées pour garantir le principe de précaution dans tous les accords commerciaux.

Soutenir le développement

Les membres de l’OMC devraient soutenir le développement industriel et économique des pays en voie de développement et des PMA qui ne contreviennent pas gravement aux normes fondamentales de l’OIT et leur donner l’autonomie dont ils ont besoin pour poursuivre leur diversification économique. Cela devrait inclure des arrangements qui permettent aux pays du Sud d’accéder aux marchés du Nord sur une base préférentielle plutôt que par le biais d’accords injustes tels que les Accords de partenariat économique (APE) qui exigent que ces pays ouvrent leurs marchés aux importations bon marché avec lesquelles leurs industries nationales ne peuvent rivaliser. En outre, les membres de l’OMC devraient veiller à ce que leurs entreprises multinationales respectent les engagements du PNUD et fassent preuve d’une diligence raisonnable[5] afin que les droits de l’homme et les droits des travailleurs soient respectés dans leurs chaînes d’approvisionnement. Le devoir de vigilance devrait être au cœur des politiques de l’OMC.

Les membres de l’OMC doivent aider les pays en voie de développement et les PMA à renforcer leur capacité à transformer leurs systèmes économiques et à progresser dans la chaîne de valeur mondiale. Pour accélérer la transition de l’économie informelle à l’économie formelle, ces pays doivent passer de la vente de matières premières à la vente de produits à forte valeur ajoutée à base de matières premières et développer une base industrielle et une économie manufacturière plus larges, qui serviront de base à une croissance tirée par l’emploi. L’OMC doit soutenir les règles d’approvisionnement local pour développer des politiques industrielles régionales.

Traitement spécial et différencié

La CES reconnaît que les règles du GATT devraient refléter les nouvelles réalités, y compris l’augmentation massive du nombre de membres de l’OMC et sa diversité croissante avec l’adhésion, entre autres, de la Chine, de la Russie, du Vietnam et de l’Arabie saoudite.

La question du traitement spécial et différencié représente un instrument essentiel pour remédier aux inégalités de développement et doit viser à faire en sorte que les pays dont les épaules sont les plus larges supportent une part proportionnelle de la charge. La CES est convaincue que pour résoudre la question du traitement spécial et différencié, la recherche du consensus est une condition sine qua non. La CES est d’accord avec la suggestion du CESE[6] d’entamer un processus de réflexion sur la définition des pays en voie de développement dans les travaux de l’OMC, qui pourrait reposer sur un ensemble de critères tels que le respect des normes du travail de l’OIT, les politiques de redistribution, la part de marché dans l’économie mondiale et les indices de développement humain, alignés sur les définitions déjà existantes dans les autres organisations internationales. Ces suggestions pourraient indiquer la bonne façon de parvenir au consensus nécessaire.


[1] Résolution de la CES pour une politique progressiste de l’UE en matière de commerce et d’investissement, adoptée lors de la réunion du Comité exécutif des 13-14 juin 2017 https://www.etuc.org/sites/default/files/document/files/etuc_resolution_for_an_eu_progressive_trade_and_investment_policy_en.pdf

[2] http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2018/september/tradoc_157331.pdf

[3] Avis du CESE : Réformer l’OMC pour s’adapter à l’évolution du commerce mondial https://www.eesc.europa.eu/pt/node/63550

[4] Contribution de la CES sur le document officieux des services de la Commission sur les chapitres relatifs au commerce et au développement durable dans les accords de libre-échange de l'UE https://www.etuc.org/sites/default/files/document/files/etuc_response_to_the_non-paper.pdf

[5] Voir le document de discussion de la CES sur les droits de l'homme et le devoir de diligence des entreprises

[6] Avis du CESE : Réformer l'OMC pour s'adapter à l'évolution du commerce mondial https://www.eesc.europa.eu/pt/node/63550