Position de la CES sur la proposition de la Commission européenne pour une réserve de talents de l'UE
Adoptée lors du Comité Exécutif des 6 et 7 décembre 2023
La CES rejette la proposition de la Commission relative à la création d'une réserve de talents de l'UE en l'état. Un certain nombre d'améliorations, notamment pour protéger les droits des travailleurs migrants et garantir l'égalité de traitement, devront être apportées pour rendre le règlement acceptable. La proposition reste très limitée en ce qui concerne l'offre réelle d'opportunités de migration de travail pour les travailleurs migrants à tous les niveaux de compétences et dans tous les secteurs, comme la CES le demande depuis longtemps.
Le 15 novembre 2023, la Commission a présenté sa communication sur les compétences et la mobilité des talents, qui comprend une proposition de règlement établissant une réserve de talents de l'UE ainsi qu'une recommandation sur la reconnaissance des qualifications des ressortissants de pays tiers.
La Commission propose un règlement pour établir une plateforme européenne visant à "faciliter le recrutement international et à offrir des opportunités aux demandeurs d'emploi des pays tiers dans les professions en pénurie dans l'UE, principalement dans les secteurs des soins de santé, de la construction, des transports et des technologies de l'information et de la communication.
La réserve de talents de l'UE sera un outil d'appariement volontaire pour les États membres intéressés, ouvert aux "demandeurs d'emploi peu, moyennement et hautement qualifiés". Seuls les employeurs établis dans ces États membres pourront publier leurs offres d'emploi. Elle soutiendra également la mise en œuvre des partenariats de talents, lancés avec le Maroc, la Tunisie, l'Égypte, le Pakistan et le Bangladesh.
La CES reste très critique à l'égard de la mise en place de cette réserve d'appariement, qui nous ramène à des modèles antérieurs de migration de main-d'œuvre conçus pour les employeurs et dirigés par eux, et que la CES rejette fermement. Les politiques européennes de migration de la main-d'œuvre devraient plutôt promouvoir le travail décent, l'égalité de traitement, l'inclusion sociale ainsi que la prévention et la protection des travailleurs migrants contre l'exploitation et les abus. Il ne s'agit pas seulement de "faire correspondre" les compétences, mais de donner la possibilité d'accéder à des permis de travail et de séjour, à des emplois décents et de qualité, sur la base du principe de l'égalité de traitement, ainsi qu'à l'accès aux soins de santé, au logement et à l'éducation.
La CES se félicite du fait que, contrairement aux plans initiaux de la Commission, la réserve de talents ait été présentée sous la forme d'une proposition formelle de règlement. Sa mise en place est une entreprise complexe et avant sa mise en œuvre, toutes les questions juridiques, techniques et pratiques pertinentes doivent être clarifiées dans le cadre du processus législatif ordinaire afin d'empêcher les migrants d'être placés dans des relations d'emploi précaires et exploitantes.
L'impact de la fuite des cerveaux et des soignants dans les pays d'origine des migrants, dont beaucoup sont confrontés à une pénurie de personnel de santé encore plus dramatique que dans l'UE, doit être pris en compte. Il est peu probable que l'augmentation des envois de fonds compense entièrement la fuite des cerveaux qui s'ensuit.
À la lumière des révisions en cours du permis unique et de la directive sur les résidents de longue durée, les progrès concernant la réserve de talents de l'UE devraient s'appuyer sur ces travaux, pour améliorer l'accès des travailleurs migrants aux permis de travail et de séjour, ainsi que l'application des normes de travail dans l'UE. Une attention particulière doit être accordée aux secteurs sensibles à la fraude, où les travailleurs migrants sont particulièrement vulnérables et exposés à un risque élevé d'exploitation et d'abus.
La CES s'oppose à la focalisation étroite sur les causes et les solutions aux pénuries de main-d'œuvre et/ou de compétences qui ne sont pas nécessairement liées à un manque de "travailleurs qualifiés". Les pénuries de main-d'œuvre sont dues à de mauvaises conditions de travail, à des relations d'emploi flexibles et de courte durée, à des salaires bas, à l'absence de convergence économique et sociale dans l'UE, à l'absence de politiques actives du marché du travail (PAMT) et à leur qualité, aux politiques industrielles, au sous-investissement des pouvoirs publics et des employeurs dans l'éducation et la formation. C'est aux employeurs d'améliorer les conditions de travail et les salaires, en négociant avec les syndicats, et de garantir un "droit à la formation en cours d'emploi", et aux gouvernements de garantir des politiques efficaces en matière de politiques actives du marché du travail, d'éducation et de formation, et non aux travailleurs migrants de supporter le coût de leur inaction. Dans les secteurs des soins de santé et des soins de longue durée, l'absence d'investissements publics suffisants entraîne une baisse des salaires et des conditions de travail et conduit à la privatisation de ces services essentiels. La CES appelle à une approche de la migration de la main-d'œuvre axée sur la transformation du genre, y compris l'égalité de rémunération pour un travail de valeur égale.
La CES réitère le rôle clé des partenaires sociaux de l'UE, tant au niveau interprofessionnel que sectoriel, qui devraient faire partie de la gouvernance de la réserve de talents de l'UE. Les syndicats des pays d'origine et de l'UE, à tous les niveaux pertinents, devraient être impliqués dans la gouvernance, la mise en œuvre et le suivi de la réserve de talents, y compris les points de contact nationaux.
Les éléments relatifs à la protection des données sur la manière dont les données seront collectées et traitées devraient faire partie de la plateforme en ligne. Les travailleurs migrants concernés devraient bénéficier de garanties strictes et d'une communication significative sur la manière dont leurs données sont utilisées dans ce cadre.
La CES reste critique quant à la mise en œuvre des partenariats de talents et s'inquiète de la tendance à utiliser les accords bilatéraux de migration de main-d'œuvre et les partenariats avec des pays tiers comme moyen de gouvernance de la migration de main-d'œuvre. Ces partenariats doivent renforcer les garanties, la protection et les droits des travailleurs migrants. Ils ne pourront jamais constituer une voie alternative pour contourner les garanties prévues par les directives européennes sur la migration de main-d'œuvre. Un système de suivi et de rapport périodique devrait être mis en place.
La réserve de talents et les partenariats devraient répondre au besoin de transparence, d'information et d'implication des syndicats dans les pays d'origine et de destination à tous les niveaux et secteurs concernés, de prise en charge des frais de recrutement et de voyage par les employeurs (y compris un hébergement de qualité), et l’accès à l'information pour les travailleurs dans leur propre langue, y compris les droits du travail et les droits syndicaux, les mécanismes de plainte et de recours. La réserve de talents devrait fournir des informations fiables aux travailleurs migrants à tous les stades, y compris le soutien disponible des syndicats et des organisations de la société civile.
Les normes de recrutement équitable, y compris l'interdiction des pratiques abusives, des frais de recrutement et des déductions, doivent être respectées. Dans les secteurs sensibles à la fraude, il convient d'interdire les intermédiaires et les agences et de limiter strictement la sous-traitance. Ces mesures devraient s'appuyer sur les politiques et principes de recrutement équitable de l'OIT et sur le code mondial de l'OMS pour le recrutement international des professionnels de la santé, y compris les initiatives des partenaires sociaux telles que le code de conduite de la FSESP et de l'HOSPEEM. Des outils tels que le conseiller en recrutement des migrants de la CSI devraient être envisagés.
La CES se félicite que la recommandation propose des solutions qui favorisent l'accès à l'emploi des migrants en abordant la question de la validation et de la reconnaissance de leurs compétences et de leurs qualifications. Ces dernières devraient être évaluées et reconnues de manière fluide, rapide et transparente, que des documents soient disponibles ou non. Un traitement équitable est essentiel pour y parvenir, et le rôle et responsabilité des employeurs est primordial pour assurer l'égalité de traitement dans l'analyse de l'apprentissage et de l'expérience professionnelle des migrants dans le cas des professions non réglementées.
Pour les professions réglementées, il est également essentiel de veiller à ce que les conditions de travail des migrants ne soient pas réduites. Au lieu de réduire les conditions d'accès à une profession réglementée et de proposer aux migrants des contrats temporaires et des salaires inférieurs, les États membres devraient les soutenir en leur offrant des possibilités de formation qui les aideront à combler l'écart entre leurs compétences et les qualifications requises, garantissant ainsi qu'ils bénéficient d'opportunités d'emploi justes et égales.
La recommandation devrait être opérationnelle avant que la réserve de talents de l'UE ne soit en place.
La CES rejette la proposition telle quelle. La CES s'engagera tout au long du processus législatif pour s'assurer que les demandes des syndicats susmentionnés sont prises en compte, faute de quoi la réserve de talents ne sera pas soutenue. La réserve de talents de l'UE devrait être opérationnelle à partir du début de l'année 2028, ce qui laisse suffisamment de temps pour remédier à ses lacunes.