Position de la CES sur le Paquet de mesures de la Commission européenne contre l’évasion fiscale
Adoptée lors de la réunion extraordinaire du Comité exécutif du 13 avril 2016
Le 28 janvier 2016, la Commission européenne a présenté son paquet de mesures relatives à la lutte contre l’évasion fiscale qui a pour but de prévenir la planification fiscale agressive, améliorer la transparence fiscale et créer des conditions de concurrence équitables pour les entreprises. Le paquet consiste principalement en une directive sur la lutte contre l’évasion fiscale, une recommandation sur les conventions fiscales, une révision de la directive sur la coopération administrative et une communication sur la stratégie extérieure. La CES estime qu’il est urgent de prendre des mesures contre l’évasion fiscale et accueille dès lors favorablement ces nouvelles mesures.
Le paquet vise aussi à mettre en œuvre les normes approuvées par l’OCDE à l’automne 2015, en particulier concernant l’érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (BEPS). Il fait également référence à l’assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) comme un ensemble unique de règles que les sociétés opérant au sein de l'UE peuvent utiliser pour calculer leur revenu imposable et donc comme outil de prévention du transfert des bénéfices. La CES appelle la Commission à présenter rapidement une proposition pour une ACCIS obligatoire assortie d’un taux minimum de 25%.
Bien que la CES salue l’initiative, nous pensons que de graves inquiétudes restent sans réponse dans le paquet de la Commission. L’ampleur de l’évasion fiscale est telle qu’il est urgent de s’y attaquer. Le service de recherche du Parlement européen estime que l’Union européenne perd chaque année environ 70 milliards d’euros en recettes fiscales en raison de pratiques d’évasion fiscale[1], ce qui représente un peu plus de 16% des investissements publics dans l’UE ou, par exemple, 90% et 110% des investissements publics en France et en Allemagne respectivement. Les révélations récentes des Panama Papers laisse penser que le montant réel est bien plus élevé. Dès lors, la CES appelle la Commission à désigner un expert indépendant qui serait chargé de réaliser une enquête pour déterminer le montant réel des revenus fiscaux perdus afin de révéler la véritable ampleur de l’évasion et de la fraude fiscales, légales et illégales.
Si la CES soutient également la proposition de soumettre aux administrations fiscales des rapports pays par pays sur les entreprises multinationales, elle regrette toutefois que la Commission ne propose pas de les rendre publics. Si ces rapports étaient publics, cela permettrait aux syndicats, aux ONG et aux autres parties intéressées de prendre part au débat sur les impôts acquittés par chaque multinationale dans chaque pays où elle est active et d’être ainsi en mesure de détecter les pratiques et avantages fiscaux abusifs.
La directive sur la lutte contre l’évasion fiscale vise à empêcher les entreprises basées dans l’Union européenne de transférer une part de leurs revenus vers des juridictions à fiscalité privilégiée. Pour cela, la Commission propose des règles qui réattribuent les revenus d’une filiale faiblement taxée à sa maison mère. La CES s’inquiète toutefois du fait que la définition de juridiction à fiscalité privilégiée dépend du taux d’imposition des sociétés dans chaque État membre. Ces juridictions sont seulement définies en termes relatifs comparés aux différents taux d’imposition (les bénéfices sont soumis à un taux d'imposition effectif sur les sociétés inférieur à 40 % du taux d'imposition effectif qui aurait été appliqué dans le cadre du système d'imposition des sociétés applicable dans l'État membre du contribuable). C’est regrettable eu égard au montant du revenu imposable dans les États membres où les multinationales sont implantées et à la lutte contre le transfert de bénéfices vers des juridictions à fiscalité privilégiée. Les États membres pratiquant des taux d’imposition des sociétés plus élevés tireront profit d’une telle mesure. Toutefois, compte tenu des différents taux d’imposition des sociétés et du fait que les États membres ne peuvent être considérés comme étant des juridictions à fiscalité privilégiée selon la directive sur la lutte contre l’évasion fiscale, les entreprises multinationales pourraient potentiellement contraindre les États membres à prendre part à une concurrence fiscale. Par exemple, une entreprise multinationale pourrait transférer son domicile fiscal d’un État membre pratiquant un taux d’imposition des sociétés élevé vers un autre au taux plus bas afin d’éviter de payer un impôt élevé dans l’État membre d’origine et de diminuer l’impôt sur les revenus transférés dans un pays tiers (voire même de ne payer aucun impôt si le taux d’imposition y est nul). Si l’État membre pratiquant un taux d’imposition des sociétés élevé souhaite garder cette entreprise multinationale dans sa juridiction, il sera motivé à diminuer son taux d’impôt sur les sociétés.
La CES réclame donc une tranche de taux d’imposition des sociétés avec un minimum sous lequel un pays serait considéré comme juridiction à fiscalité privilégiée. Cela permettrait de définir ce concept sans se référer aux taux d’imposition des sociétés des différents États membres. Nous demandons également qu’il soit possible de classer des États membres de l’UE comme étant des juridictions à fiscalité privilégiée, ce qui serait un moyen d’encourager les États membres à harmoniser leurs taux d’impôt sur les sociétés.
En outre, la CES estime qu’il faudrait diminuer les limites dans lesquelles les multinationales peuvent déduire le paiement d’intérêts de leur revenu imposable. Cela a très souvent été une source d’abus par des multinationales réduisant leur base imposable dans des juridictions à fiscalité élevée pour l’augmenter dans d’autres à fiscalité plus avantageuse. Plusieurs études montrent que les très hautes limites proposées dans la directive sur la lutte contre l’évasion fiscale – 30% du résultat d’exploitation des multinationales[2] ou jusqu’à 1 million d’euros – ne réduira pas le montant réellement déduit.
Enfin, la CES regrette que la Commission n’impose pas de limites aux rescrits fiscaux en Europe. Nous demandons la publication de ces rescrits fiscaux dans les rapports pays par pays qui devraient également être rendus publics. La CES déplore aussi le fait que les propositions législatives de la Commission n’interdisent pas les régimes fiscaux favorables aux brevets accordant donc un traitement fiscal spécial aux entreprises multinationales pour les revenus provenant de la propriété intellectuelle. Nous pensons qu’il ne suffit pas de se fier à l’« approche modifiée du lien » (« modified nexus approach »)[3] qui exige un lien direct entre les avantages fiscaux et les activités entreprises en-matière de recherche et de développement comme suggéré dans la communication de 2015 de la Commission sur « Un système d'imposition des sociétés juste et efficace au sein de l'Union européenne »[4].
[1] http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2015/558773/EPRS_STU%282015%29558773_EN.pdf
[2] Résultat avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissements (EBITDA).
[3] http://www.oecd.org/ctp/beps-action-5-agreement-on-modified-nexus-approach-for-ip-regimes.pdf
[4] http://ec.europa.eu/commission/priorities/sites/beta-political/files/com_2015_302_fr.pdf