Position de la CES adoptée à la réunion du comité exécutif les 6 et 7 décembre 2022
Messages clés
- Le présent document contient la position de la CES concernant l'opportunité de procéder à une révision complète des règles applicables à l'utilisation du budget général de l'UE ainsi qu'à tous les fonds de l'UE.
- La CES estime que les règles régissant l'utilisation des fonds de l'UE doivent garantir et renforcer le respect des droits sociaux et des principes démocratiques les plus élevés.
- La CES demande que les règles financières applicables à tous les fonds de l'UE :
- Soient alignées sur le SEDS, les ODD et les droits fondamentaux des travailleurs
- Intègrent les conditionnalités de l'État de droit
- N'autorisent l'octroi de fonds publics qu'aux employeurs qui respectent les droits des travailleurs et les conditions de travail applicables
- Renforcent l'efficacité des conditionnalités sociales dans les règles des marchés publics et des concessions, y compris via des sanctions efficaces
- Garantissent un rôle effectif au Parlement européen ainsi qu'aux parlements nationaux
- Réservent un rôle efficace et significatif aux partenaires sociaux à tous les niveaux dans la programmation, l'évaluation, la gestion et le suivi des fonds de l'UE
- Intègrent les priorités de la politique sociale de l'UE dans toutes les phases de mise en œuvre, de suivi et d'évaluation.
- Il est nécessaire d'harmoniser les règles financières avec les droits sociaux et les principes démocratiques déjà intégrés dans la politique et la législation de l'UE.
- Cet acquis devrait être étendu aux règles concernant l'utilisation de tous les fonds de l'UE, à la fois ceux provenant du budget de l'UE et ceux hors budget.
- Dans une perspective plus large, la CES soutient les remarques du PE sur la nécessité que la mise en œuvre du CFP soit plus cohérente avec la politique sociale de l'UE et que ses allocations répondent mieux aux besoins sociaux dans la phase postpandémique et de transition à laquelle l'UE est confrontée.
- La CES est convaincue que de telles mesures sont également cruciales pour assurer une plus grande cohérence politique ainsi qu'une efficacité des dépenses de l'UE avec les droits et les besoins des citoyens de l'UE.
Au printemps 2022, la Commission européenne a proposé une révision adaptée du règlement sur les règles financières applicables au budget général de l'Union[1] (“Règlement Financier” ou “RF”), datant de 2018, afin de l'aligner sur le règlement sur le Cadre Financier Pluriannuel 2021-2027 (CFP)[2], adopté après la pandémie, en 2020. La CE, par une telle initiative (techniquement une proposition de refonte du Règlement[3]), vise à mettre à jour et à consolider les règles régissant les dépenses du budget de l'UE dans un règlement unique et mis à jour.
Les deux réglementations, RF et CFP, sont étroitement imbriquées. Le CFP[4] établit « ce qu'il faut faire », traduisant les priorités politiques de l'Union en décisions budgétaires et en allocation de ressources ; le RF fixe les règles sur « comment » utiliser ces ressources, via un cadre multidimensionnel qui est applicable à toute situation les impliquant. Le Règlement à mettre à jour représente les règles du jeu en matière de mise en œuvre du CFP, le principal point de référence établissant les principes, les règles financières générales et les procédures pour l'établissement, l'exécution et le contrôle du budget de l'UE. Son importance va bien au-delà des aspects techniques et son impact peut être très pertinent du point de vue politique.
Le RF a déjà subi une révision complète en 2018[5], afin d'intégrer les enseignements tirés des périodes de programmation précédentes dans un règlement unique. Parmi les dispositions de 2018, certaines concernaient des règles simplifiées, des instruments de flexibilité ainsi que des outils permettant à l'UE de réagir en cas de besoins imprévus.
Le CFP actuel a été adopté en 2020, y compris de nouvelles propositions parmi lesquelles le plan de relance (NextGenerationEU) et la mise en place d'un important instrument de relance (FRR). Toutes les règles et tous les principes financiers d'application contenus dans le « RF », en revanche, datent encore de 2018. Ainsi, la CE propose que le règlement de gestion des fonds soit encore révisé et mis à jour pour correspondre au contexte actuel, qui a évolué si rapidement et de manière significative.
La CES reconnaît et soutient les raisons générales de fond de la proposition législative de la CE : fournir une plus grande sécurité juridique aux institutions de l'UE et aux bénéficiaires des fonds de l'UE, mieux protéger les intérêts financiers de l'UE, contribuer à la réalisation des objectifs politiques de l'UE, introduire une simplification supplémentaire pour les bénéficiaires de fonds de l'Union.
Néanmoins, la CES estime que cette initiative représente une opportunité d'approfondir une approche plus substantielle des principes fondamentaux, des droits sociaux et des priorités pour l'UE et ses citoyens, que les fonds de l'UE devraient soutenir. Les règles régissant l'utilisation des fonds de l'UE représentent en effet des outils puissants : elles conditionnent potentiellement l'accès aux ressources financières au respect effectif des droits sociaux et des principes démocratiques qui ont leur place parmi les valeurs et les priorités de l'UE - et à juste titre. La CES vise donc un résultat de l'initiative plus ambitieux que celui proposé.
La position de la CES
La CES demande qu'une révision des règles régissant l'utilisation des fonds de l'UE serve à renforcer la dimension sociale et démocratique de l'UE, en les consolidant à travers les outils législatifs et financiers de l'UE, et en déclenchant finalement leur plus grande efficacité.
La CES demande aux institutions de l'UE de renouveler et de renforcer l'approche des droits sociaux et des principes démocratiques dans les règles et procédures financières de tous les programmes de l'UE. Cela renforcerait leur efficacité et leur cohérence globale en vue d'atteindre les objectifs socio-économiques ainsi qu’une plus grande valeur ajoutée européenne. La CES remarque que ces droits et principes ne représentent pas des nouveautés mais font déjà partie de l'acquis communautaire. Une approche différente ne ferait que compromettre l'efficacité de la politique de l'UE et ses objectifs socio-économiques ; cela perturberait l'action des partenaires sociaux, si cruciale pour contribuer à la réalisation d'objectifs de haut niveau.
En particulier, le RF doit promouvoir une approche renouvelée et plus efficace :
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- De la conditionnalité de l'État de droit à tous les niveaux, conformément au Règlement 2020 existant et aux décisions récentes des tribunaux. Cela doit inclure le respect des normes internationales du travail et la garantie que l'argent public n'est fourni qu'aux employeurs qui respectent les droits des travailleurs et les conditions de travail applicables. En aucun cas, les coûts plus élevés résultant de la mise en œuvre de ce principe ne sauraient être supportés par les travailleurs, pas plus que leurs droits comprimés. En outre, les travailleurs devront être protégés de toute conséquence de la violation éventuelle de la conditionnalité de l'État de droit à tous les niveaux nationaux. L'UE devrait également garantir la continuité et la couverture budgétaire complète des programmes en cours ou déjà planifiés.
- De l’acquis social communautaire et des droits fondamentaux conformément à la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, en particulier les droits des travailleurs.
- Des objectifs de développement durable de l'Agenda 2030 des Nations unies, dont le rôle crucial pour une transition numérique et climatique juste doit être renforcé également via une meilleure allocation financière correspondant effectivement à la poursuite de chaque objectif
- Des principes du Socle Européen des Droits Sociaux, conformément à la déclaration de Porto[6], aux objectifs de Porto et à leurs adaptations et mises en œuvre nationales[7]
La CES demande que les règles financières concernant tous les types de fonds européens intègrent les normes sociales les plus élevées. Ainsi, la révision du RF doit renforcer :
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- des clauses sociales strictes et contraignantes dans les règles de passation des marchés publics et de concessions, incitant ainsi à l'adoption de normes et/ou de critères d'attribution contraignants de haut niveau, contribuant ainsi aux objectifs stratégiques sociaux, environnementaux et de gouvernance de l'UE, à commencer par la création d'emplois de qualité qui sont essentiels pour atteindre les futurs objectifs politiques de l'Union, tout en garantissant des conditions équitables pour une concurrence loyale, et en luttant contre le dumping social et empêcher qu'il soit effectué via des fonds de l'UE;
- des règles de conditionnalité sociale ambitieuses et des sanctions efficaces en cas de non-respect des conditions de travail et d'emploi applicables et/ou des obligations de l'employeur résultant de toutes les conventions collectives pertinentes et du droit social et du travail aux niveaux national, Communautaire et international. Il convient de s'appuyer sur les progrès réalisés dans ce sens dans le cadre de la réforme de la Politique Agricole Commune [8] de 2021, qui doit être encore améliorée.
La CES demande d'intégrer et de renforcer le principe de démocratie dans la prise de décision concernant les fonds de l’UE ; les crises et les situations d'urgence ne devraient pas justifier des violations illégales de ces principes. En particulier, il est nécessaire que le RF comprenne :
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- Des méthodologies claires pour évaluer si l'utilisation des fonds est cohérente avec la réalisation des priorités de la politique sociale de l'UE [9];
- Des processus à activer en cas de crise et d'urgence qui garantissent une prise de décision transparente et inclusive. La volatilité économique et sociale accrue des moments critiques tels que la crise des réfugiés ukrainiens nécessite que des instruments appropriés qui ne contournent pas les procédures participatives pour être rapidement opérationnels[10].
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- La pleine reconnaissance du rôle approprié du Parlement européen ainsi que des parlements nationaux dans le contrôle budgétaire de tous les programmes et ressources financières de l'UE, y compris les instruments hors budget, dont le nombre et la portée ont considérablement augmenté. C'est le cas de ressources importantes telles que celles engagées par le NGEU, qui, tout en augmentant l'ampleur du budget de l'UE pour permettre à l'UE de faire face aux plus grands défis de son existence[11], contournent le contrôle du Parlement européen car elles ne font techniquement pas une partie du budget de l'UE, mais considérées comme des" recettes affectées externes[12]”.
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- Un rôle substantiel et efficace pour les partenaires sociaux à tous les niveaux, y compris aux niveaux local ou sectoriel lorsque c’est approprié, dans la conception, la programmation, l'évaluation, la gestion et le suivi des fonds de l'UE, en ligne avec les pratiques d'implication les plus avancées. Bien que déjà prévue dans plusieurs actes législatifs de l'UE, la participation des partenaires sociaux n'est souvent ni prévue ni effective[13]. Le principe de partenariat, soutenu par le Code de conduite européen sur le partenariat, bien qu'il ne soit pas entièrement mis en œuvre et qu'il reste à affiner, est applicable aux fonds de cohésion mais pas à beaucoup d'autres. Néanmoins, il a prouvé sa valeur à la fois en termes de prise de décision, d'applicabilité et de contrôle[14]. Des recommandations et des outils thématiques dédiés devraient être établis à cet égard, tant au niveau de l'UE qu'aux niveaux inférieurs.
La CES demande donc aux institutions européennes impliquées dans le processus législatif de :
- Dépasser du cadre de la procédure de refonte proposée, qui limite la marge de manœuvre des décisions à des articles ciblés que la CE identifie comme ouverts au changement ;
- Élargir la discussion à d'autres réglementations, telles que celles sur la concurrence et les principes de gestion partagée, pour une approche plus cohérente ;
- Répondre au besoin de cohérence et d'harmonisation dans l'élaboration de la législation de l'UE, en reconnaissant que les droits et valeurs sociaux et démocratiques dans le discours sont déjà intégrés et poursuivis par de nombreux éléments de la politique et de la législation de l'UE ;
- Répondre à l'ensemble des forces politiques au sein du PE, qui ont appelé de manière transversale[15] à renforcer les dispositions sociales et démocratiques en les incluant dans les règles financières de l'UE ;
- Se conformer aux demandes des syndicats d'aborder les objectifs sociaux de la manière la plus concrète pour les législateurs, les praticiens et les utilisateurs des fonds de l'UE, mais surtout pour les citoyens de l'UE.
La CES, conformément à ces principes et priorités, fera pression sur les institutions de l'UE pour une révision large et complète du règlement financier et soutiendra le Parlement européen pour son examen réussi dans la phase de trilogue.
[1] Règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil du 18 juillet 2018 relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union
[2] Le budget à long terme de l'UE couvrant la période de 7 ans a été adopté en 2020: https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:32020R2093 ;
[3] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:52022PC0223
[4] Il établit le financement de différents programmes et politiques, comme ceux de la cohésion ou de l'agriculture ; organise chaque grande catégorie de ressources de l'UE en "rubriques" ; fixe leurs plafonds budgétaires ;…)
[5] Pour la première fois en vertu des nouvelles dispositions du traité de Lisbonne, selon lesquelles le Conseil doit adopter à l'unanimité le règlement CFP après avoir obtenu l'approbation du Parlement, le PE et le Conseil sont donc censés être sur un pied d'égalité pour la procédure budgétaire annuelle.
[6] https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/economy-works-people/jobs-growth-and-investment/european-pillar-social-rights_fr
[7] https://ec.europa.eu/social/BlobServlet?docId=25728&langId=en (document en ANGLAIS)
[8] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:32021R2115
[9] tels que la budgétisation sensible au genre, prevue dans l'accord interinstitutionnel signé au moment où le CFP a été convenu en 2020 et celui sur le climat et la biodiversité
[10] La situation ukrainienne est apparue comme problématique dans les comités du FSE+, toutes les parties ont signalé la non-adéquation des fonds de la politique de cohésion pour gérer la crise sur le long terme.
[11] Le NGEU crée des passifs jusqu'en 2058 en empruntant pour prêter et en empruntant pour les dépenses directes de l'UE.
[12] Art. 21 Règlement financier ; le PE met également en garde contre la faiblesse voire l'inexistence des procédures de consultation des parlements nationaux dans la mise en œuvre de la FRR. la forme de recettes affectées externes et en dehors de la procédure budgétaire n'est pas exclusive à NGEU, mais a été la solution choisie pour la facilité pour les réfugiés en Turquie ou encore les contrats de vaccins COVID-19
[13] Réf. à la consultation des partenaires sociaux en CPR, etc.
[14] La Cour des comptes européenne a récemment évalué que l'utilisation de la FRR et la mise en œuvre des PNRR sont affectées par des problèmes qualitatifs résidant dans la faiblesse des procédures nationales de prise de décision, impactant la définition et la faisabilité des jalons, des objectifs et, finalement, l'efficacité des RSP. Le Rapport de la CES sur l'état de mise en œuvre des PNRR montre un décalage entre les mesures adoptées dans les plans nationaux et les attentes des syndicats - principalement en raison de difficultés généralisées à identifier les priorités sociales et les jalons dans les PNRR. Ceci est une conséquence de l'absence ou de l'implication inappropriée des partenaires sociaux dans la mise en œuvre de la FRR.
[15] Résolution du Parlement européen du 24 novembre 2021 sur la révision du règlement financier en vue de l'entrée en vigueur du cadre financier pluriannuel 2021-2027 (2021/2162(INI))