Position sur la révision du mandat de l’Autorité européenne du travail
Adoptée par le comité exécutif de 6 et 7 décembre 2023
La création de l’Autorité européenne du travail (AET) en 2019 a marqué une étape importante dans la revendication de longue date de la CES d’un « pôle social » pour une mobilité équitable de la main-d’œuvre et une application efficace des droits des travailleurs en Europe. Conformément à la clause de révision de son règlement fondateur 2019/1149, il est grand temps d’évaluer si l’AET a tenu ses promesses en termes d’objectifs et de tâches, et s’il convient de modifier son mandat et son champ d’application.
L’AET dispose d’un potentiel important pour renforcer la dimension sociale de l’UE en améliorant l’application transfrontalière et la coopération avec la Commission, les autorités des États membres et les partenaires sociaux. Les travailleurs mobiles et migrants sont essentiels au fonctionnement du marché intérieur, mais des expériences telles que la crise du COVID ainsi que des systèmes complexes du marché du travail impliquant le travail non déclaré, la sous-traitance abusive, les intermédiaires et les sociétés boîtes aux lettres montrent que ces travailleurs sont souvent les plus vulnérables et les moins protégés. Le taux élevé d’infractions détectées au cours des 100 premières inspections transfrontalières de l’AET démontre clairement la valeur ajoutée de l’Autorité, mais aussi la nécessité d’actions plus nombreuses et plus fortes pour faire de l’AET un agent d’exécution reconnu et efficace sur le marché du travail européen.
Pour instaurer une compréhension, transparence et confiance communes, l’AET doit garantir une participation structurelle, systématique et opportune des partenaires sociaux aux niveaux européen, national et sectoriel à ses priorités et à ses activités opérationnelles. Il est essentiel d’unir les forces avec des syndicats reconnus et représentatifs, du développement et de la conception à l’exécution et à l’évaluation, pour s’assurer que l’AET apporte des résultats tangibles aux travailleurs sur le terrain. Les syndicats aux niveaux national et local doivent avoir la possibilité d’interagir avec l’AET, et l’Autorité devrait stimuler une coopération plus étroite entre les partenaires sociaux et les autorités des États membres. À cette fin, les agents de liaison nationaux de l’AET devraient également s’engager activement auprès de leurs partenaires sociaux nationaux, en recensant leurs besoins et en veillant à ce que l’AET acquière une meilleure compréhension des systèmes nationaux de relations industrielles. Un tripartisme renforcé exige une plus grande pertinence stratégique du groupe des parties prenantes de l’AET, et chaque partie de l’industrie devrait être en mesure de nommer son propre agent de liaison auprès de l’Autorité grâce à un financement communautaire spécifique. Pour renforcer la souplesse de l’AET dans les secteurs où la proportion de travailleurs mobiles est élevée, des points focaux sectoriels devraient être intégrés dans la structure de l’AET, combinant l’expertise de toutes les équipes opérationnelles et des partenaires sociaux concernés.
L’imbrication croissante des règles de l’UE en matière de mobilité et de migration de la main-d’œuvre appelle à une extension du champ d’application de l’AET pour inclure en particulier la directive 2014/36 sur les travailleurs saisonniers, la directive 2009/52 sur les sanctions à l’encontre des employeurs et la directive 2011/36 sur la lutte contre la traite des êtres humains. Le renforcement de la lutte contre la criminalité liée au travail et à la vie privée nécessite une coopération plus étroite avec d’autres agences de l’UE telles que EU-OSHA, EUROPOL, EUROJUST et l’OEPP (dans les cas impliquant des fonds de l’UE). En s’attaquant aux irrégularités, l’AET peut également contribuer à la mise en œuvre des instruments de l’UE sur le devoir de diligence des entreprises en matière de développement durable et sur le travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement.
Pour remplir pleinement sa mission, l’AET a besoin d’un mandat plus important. Les libertés économiques et les accords transfrontaliers des entreprises ne doivent pas être utilisés pour contourner ou porter atteinte aux droits des travailleurs. Par conséquent, l’AET doit avoir le pouvoir de demander des informations, d’enquêter sur des cas et de lancer des inspections conjointes et concertées avec la participation des États membres et des partenaires sociaux, dans le respect des rôles et des prérogatives des syndicats nationaux. Pour renforcer les capacités et combler les lacunes entre les différents acteurs chargés de l’application de la législation au niveau national, y compris les syndicats, les États membres devraient mettre en place des structures de coordination de l’AET, dotant les inspecteurs des outils et des ressources nécessaires pour qu’ils puissent s’engager pleinement dans des opérations transfrontalières, agir plus rapidement et coopérer avec les syndicats. Ces mesures devraient être complétées par des droits transfrontaliers pour les inspecteurs du travail collaborant avec l’AET, et par une directive européenne sur l’application de la législation prévoyant des normes minimales en matière d’inspection du travail conformes aux conventions de l’OIT, y compris la protection des travailleurs grâce à des pare-feu et à des mécanismes de plainte sûrs.
L’AET devrait contribuer à donner aux syndicats les moyens de garantir les droits des travailleurs dans les situations transfrontalières. La possibilité pour les partenaires sociaux de soumettre des cas devrait être renforcée en tant que canal efficace et accessible pour demander une inspection, plutôt que comme une mesure de dernier recours avec un processus compliqué sans garantie d’action. Les dossiers des partenaires sociaux devraient faire l’objet d’une enquête efficace, impliquant les demandeurs, les informant des progrès et des résultats, ou fournissant des explications justifiées en cas de rejet.
Les analyses et les évaluations des risques doivent être étayées par un mandat de traitement des données plus important pour l’AET, se traduisant par des priorités plus stratégiques et des activités opérationnelles dans le plein respect de la protection des données à caractère personnel et des droits fondamentaux. L’amélioration de la qualité, de la comparabilité et de la collecte des données sur les tendances, les violations et l’application de la législation en matière de mobilité de la main-d’œuvre nécessite une coopération plus étroite entre les autorités européennes et nationales. Le travail d’analyse de l’AET devrait être réalisé en interne, plutôt que par l’externalisation auprès de cabinets de conseil privés, afin de garantir la qualité et l’expertise. L’amélioration de l’échange de données et des références croisées pour l’intelligence opérationnelle nécessite également un accès direct de l’AET aux systèmes IMI, EESSI, ERRU et tachygraphiques pour extraire et demander des informations des registres européens et nationaux afin de mieux cibler les inspections dans les secteurs à haut risque et d’enquêter efficacement sur les fraudes.
L’AET devrait s’imposer comme un centre d’information pour la collecte et l’extraction de données dans le cadre d’un registre européen des entreprises opérant à l’échelle transfrontalière, avec la possibilité d’établir une liste noire des entreprises non conformes et de demander des comptes à leurs propriétaires. Les syndicats devraient également être en mesure de récupérer des données pour identifier et combattre efficacement les entreprises frauduleuses sur le marché intérieur, en vérifiant si un employeur a payé des impôts, des cotisations de sécurité sociale et les salaires conformément aux conventions collectives, ainsi que tout antécédent d’infractions ou de préoccupations exprimées par les autorités nationales et les syndicats. En promouvant des solutions numériques pour améliorer la coopération transfrontalière, l’AET devrait également veiller à ce que des initiatives telles que l’ESSPASS, la déclaration électronique sur le détachement et les cartes d’identité sociales atteignent leur plein potentiel en tant qu’outils numériques d’application de la loi.
Le mandat de l’AET doit également être renforcé en ce qui concerne le suivi des inspections et des sanctions. Cela nécessite des post-inspections, une évaluation des données relatives à l’application, des enquêtes sur la mauvaise application du droit communautaire, ainsi que des procédures efficaces pour imposer et percevoir des amendes, recouvrer les cotisations de sécurité sociale impayées et exécuter les jugements. Dans le même ordre d’idées, l’AET devrait aider les syndicats à engager des procédures transfrontalières au nom des travailleurs pour récupérer les salaires impayés auprès des employeurs et des régimes nationaux d’insolvabilité, en s’attaquant aux violations des droits du travail et aux faillites tactiques. Les recherches et les résultats opérationnels de l’AET devraient contribuer à l’élaboration de politiques davantage fondées sur les faits, en aidant la Commission à identifier les lacunes du cadre juridique de l’UE ainsi que le non-respect de la protection des droits du travail par les administrations nationales. En outre, la procédure de médiation de l’AET devrait être améliorée en termes de clarté juridique sur le type de cas pouvant faire l’objet d’une médiation. Le processus et les résultats des cas soumis à la médiation doivent être transparents, en veillant à ce que les partenaires sociaux soient également impliqués de manière adéquate, le cas échéant, et en respectant pleinement leur autonomie.
En tant que plaque tournante de la mobilité du travail, l’AET devrait continuer à améliorer la qualité et l’accessibilité des informations multilingues destinées aux travailleurs et aux syndicats, y compris les différents profils sectoriels, de mobilité et de migration (par exemple, les travailleurs détachés, saisonniers, frontaliers, du transport, expatriés, numériques, indépendants ou pluriactifs). Les informations doivent être précises et conviviales, adaptées aux besoins des travailleurs, des syndicats et des autorités de contrôle, et ne pas se contenter de reproduire les lignes directrices de la Commission. Il est essentiel de fournir des conseils sur les sources et les services disponibles au niveau européen et national, sur la manière de s’affilier à un syndicat, de faire valoir ses droits et de dénoncer les abus. Pour garantir l’égalité de traitement de tous les travailleurs, l’application et le respect des conventions collectives sont tout aussi importants et requièrent l’implication des syndicats. EURES devrait être réorganisé pour contribuer concrètement à la mission de mobilité équitable de l’AET au-delà du simple placement, en garantissant des pratiques de recrutement équitables, la promotion de l’emploi direct, la vérification de la qualité des offres d’emploi, la suspension des employeurs frauduleux, le suivi du soutien aux travailleurs exerçant leur liberté de circulation, rencontrant des problèmes ou souhaitant entreprendre une mobilité de retour. L’AET devrait également stimuler l’expansion des services de conseil et d’orientation syndicale pour les travailleurs mobiles et migrants par le biais d’un soutien à la coopération, d’échanges de bonnes pratiques et du renforcement des capacités. En complément de l’AET, un financement permanent de l’UE devrait être mis à la disposition de ces structures nationales et transnationales de soutien aux syndicats.