Recommandations de la CES à la lumière de la crise des prix de l’énergie
Résolution adoptée à la réunion du Comité exécutif du 22 et 23 juin 2022
Résumé des messages clés
- La crise actuelle des prix de l’énergie, exacerbée par la récente invasion russe de l’Ukraine, affecte fortement les consommateurs et les travailleurs. La flambée des prix du pétrole, du gaz et de l’électricité a réduit le pouvoir d’achat de nombreux citoyens de l’UE et a augmenté la pauvreté énergétique. Dans le même temps, cette inflation énergétique met en péril la viabilité de nombreuses entreprises et menace donc l’emploi des travailleurs. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a encore exacerbé les tensions sur les marchés des matières premières et de l’électricité et a mis en évidence la dépendance de l’UE vis-à-vis des combustibles fossiles russes.
- L’UE doit réduire rapidement et radicalement sa dépendance à l’égard des importations de combustibles fossiles russes tout en s’efforçant d’atteindre les objectifs de l’accord vert européen. À court terme, cela signifie qu’il faut diversifier les approvisionnements énergétiques de l’UE, assurer un stockage suffisant du gaz et adopter une politique d’achat plus coordonnée. Cela signifie également que l’UE devrait accélérer le déploiement de son Green Deal européen sur la base d’un cadre juridique solide de transition juste, notamment en matière d’efficacité énergétique, d’économies d’énergie, d’économie circulaire et d’énergies renouvelables. L’action climatique fait partie de la solution pour garantir un approvisionnement énergétique suffisant, la sécurité énergétique, l’accessibilité financière de l’énergie, pour réduire la fluctuation des prix de l’énergie et pour assurer la disponibilité des matières premières.
- Parallèlement, les décideurs politiques doivent accélérer et intensifier les mesures politiques destinées à soutenir les consommateurs, les travailleurs et les entreprises les plus touchés. La CES détaille ci-dessous une liste de mesures concrètes nécessaires pour protéger les citoyens européens vulnérables des conséquences négatives de la crise.
- La crise actuelle devrait également agir comme un signal d’alarme pour les décideurs politiques afin de remettre en question et de réviser le fonctionnement actuel du marché de l’énergie de l’UE. La dernière section de ce document détaille les recommandations de la CES sur la manière d’améliorer la conception du marché de l’énergie, notamment en ce qui concerne les mécanismes de fixation des prix, les mécanismes d’urgence pour plafonner/réguler les prix de l’énergie, le renforcement des droits des consommateurs dans les contrats d’énergie, le renforcement des obligations de service public, la promotion de la propriété publique le cas échéant, la création d’un droit à l’énergie et la lutte contre la pauvreté énergétique.
Contexte
Les prix du gaz, de l’électricité et du pétrole se sont envolés en Europe au cours de l’année dernière. Cette crise des prix de l’énergie est le résultat de la combinaison de plusieurs facteurs.
Mi-2021, le fort rebond de la consommation et de l’activité économique résultant de l’assouplissement des mesures COVID-19 entraîne une augmentation significative de la demande de gaz, notamment en Asie. En parallèle, un hiver particulièrement froid en Europe en 2021, combiné à une disponibilité plus faible que d’habitude de l’énergie éolienne et solaire, a entraîné une baisse du stockage de gaz et une nouvelle hausse des prix de l’énergie. Une baisse de la production de gaz naturel liquéfié dans le monde en 2021, due à une série de pannes imprévues, ainsi que des arrêts de centrales nucléaires en 2022 (pour cause de maintenance ou de défaut des infrastructures) ont encore renforcé les tensions sur les marchés[1]. Dans une bien moindre mesure, les hausses de prix des quotas d’émission de carbone du système européen d’échange de quotas d’émission ont également contribué à la hausse des prix de l’électricité. Enfin, les tensions géopolitiques autour de Nord Stream 2 et la récente invasion de l’Ukraine par la Russie ont contribué à exacerber la crise des prix de l’énergie, en ajoutant encore plus de volatilité et d’incertitude sur les marchés du pétrole et du gaz, et en soulignant la dépendance de l’UE vis-à-vis des importations russes pour ces produits de base.
La hausse des prix de l’énergie, une préoccupation majeure pour les travailleurs européens
Ces augmentations des prix de l’énergie sont une préoccupation majeure pour les travailleurs européens qui sont doublement touchés par cette crise.
La hausse des prix de l’énergie affecte directement le pouvoir d’achat des travailleurs, qui voient leur facture énergétique augmenter, souvent à un rythme plus élevé que leur salaire. C’est particulièrement le cas pour les ménages à faibles et moyens revenus qui ont signé des contrats d’énergie flexibles. Sans la mise en place de politiques adéquates, il existe un risque réel d’assister à une forte poussée de la pauvreté énergétique dans les mois à venir, alors que nous savons qu’avant la crise, plus de 34 millions de personnes dans l’Union européenne étaient déjà en situation de pauvreté énergétique[2]. Outre le coût de l’énergie, le pouvoir d’achat des travailleurs est également affecté par les hausses de prix d’autres produits, matières premières et services, résultant des tensions sur les marchés et de l’augmentation des coûts de production que les entreprises répercutent souvent sur les consommateurs pour conserver, voire augmenter, leurs marges bénéficiaires.
Les hausses des prix de l’énergie affectent également les travailleurs par l’impact négatif qu’une telle inflation peut avoir sur les entreprises. Des coûts énergétiques plus élevés peuvent en effet réduire la capacité d’investissement des entreprises et donc affecter les perspectives d’emploi. Cela met en danger l’emploi de nombreux travailleurs qui pourraient se voir licenciés temporairement ou définitivement. Cela est particulièrement vrai pour les secteurs à forte intensité énergétique, même si de nombreux autres secteurs pourraient également être concernés. Les crises des prix de l’énergie font face à des cycles de réinvestissement défavorables. Si l’énergie devient trop chère ou s’il est même impossible de s’en procurer, de nombreuses industries pourraient quitter l’Europe.
Mesures prises par la Commission européenne jusqu’à présent
Pour répondre à cette crise des prix de l’énergie, la Commission européenne a publié plusieurs documents d’orientation : le 13 octobre 2022, la Commission a publié une première communication intitulée « Lutte contre la hausse des prix de l’énergie : une panoplie d’instruments d’action et de soutien, qui fournit une liste de mesures que les États membres peuvent prendre pour alléger le fardeau des consommateurs à court terme. Le 8 mars, à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le pouvoir exécutif de l’UE a adopté une autre communication intitulée REPowerEU : Action européenne conjointe pour une énergie plus abordable, plus sûre et plus durable, dans le but de réduire considérablement la dépendance de l’UE vis-à-vis des importations de gaz russe et d’atténuer la crise des prix de l’énergie. Une troisième communication a été publiée le 23 mars Sécurité de l’approvisionnement et prix de l’énergie abordables : options pour des mesures immédiates et la préparation de l’hiver prochain, afin de détailler davantage les mesures de REPower EU et de consolider la liste des mesures à la disposition des États membres. Fin avril, l’ACER — l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie — a publié son évaluation finale de la conception du marché de gros de l’électricité de l’UE à la lumière de la crise énergétique actuelle. Enfin, le 18 mai, la Commission a publié une version consolidée de sa stratégie REPowerEU, détaillant davantage les mesures visant à réaliser des économies d’énergie, à diversifier les approvisionnements énergétiques et à accélérer le déploiement des énergies renouvelables pour remplacer les combustibles fossiles dans les foyers, l’industrie et la production d’électricité, ainsi qu’une communication sur les marchés de l’énergie annonçant les réformes possibles pour l’amélioration à long terme de la conception du marché de l’électricité.
Nécessité de réduire rapidement et radicalement la dépendance de l’UE à l’égard des importations de combustibles fossiles russes tout en atteignant les objectifs du Green Deal européen
La CES estime que la réduction rapide et radicale de la dépendance de l’UE aux importations de combustibles fossiles russes devrait être une priorité absolue pour les décideurs politiques de l’UE. Ceci est de la plus haute importance pour éviter que l’argent des citoyens européens continue à financer la guerre illégale de Poutine.
À court terme, cela signifie diversifier les approvisionnements énergétiques de l’UE (par exemple en augmentant les importations de GNL et de gazoducs non russes, en stimulant la production nationale de biométhane[3] et en accélérant le déploiement de l’hydrogène propre), sécuriser le transport et le transit de l’énergie, assurer un stockage suffisant du gaz en prévision de l’hiver prochain, ainsi qu’adopter une politique d’achat plus coordonnée[4]. Les décideurs politiques doivent cependant veiller à ne pas remplacer une dépendance par une autre. Il ne faut pas oublier que certains régimes politiques de pays exportateurs de combustibles fossiles violent les droits de l’homme. Parallèlement, des méthodes telles que le fracking ont une empreinte carbone très élevée. Tout nouvel accord devrait donc être conclu sur la base d’évaluations d’impact solides et devrait inclure des conditions fortes en matière de respect des valeurs démocratiques, des droits de l’homme, des droits des travailleurs[5] et de la protection de l’environnement. La diversification peut également entraîner une augmentation des prix de l’énergie. La CES rappelle également que dans sa Feuille de route vers le net zéro d’ici 2050, l’Agence internationale de l’énergie affirme que pour que cet objectif climatique reste possible, il ne devrait y avoir aucun investissement dans de nouveaux projets d’approvisionnement en combustibles fossiles[6]. Les futurs contrats liés à l’importation d’énergie fossile devraient donc tenir compte de cet impératif et rester limités à de courtes périodes de temps. Si de nouvelles infrastructures pour les énergies fossiles sont développées, elles devraient pouvoir être utilisées à l’avenir pour importer de l’hydrogène neutre pour le climat.
Parallèlement à ces considérations à court terme, les décideurs politiques doivent s’assurer que la stratégie de l’UE visant à réduire sa dépendance à l’égard de la Russie est conforme aux objectifs du Green Deal européen à long terme. Le dernier rapport du GIEC est absolument clair sur la nécessité d’accélérer l’action climatique si nous voulons rester dans la limite de 1,5 °C[7]. Le nouveau contexte créé par l’invasion russe ne doit pas occulter la nécessité d’agir maintenant pour un avenir durable. Il est également important de garder à l’esprit que les politiques climatiques ne sont pas la cause de la soudaine augmentation des prix. L’action climatique fait partie de la solution, car elle est non seulement essentielle pour limiter le réchauffement de la planète, mais aussi pour garantir un approvisionnement énergétique suffisant, la sécurité énergétique, le caractère abordable de l’énergie, la réduction de la fluctuation des prix de l’énergie et la disponibilité des matières premières.
À cet égard, la CES insiste particulièrement sur la nécessité de faire du principe de l’efficacité énergétique d’abord et des économies d’énergie des éléments centraux de la stratégie REPower de l’UE. Les pays de l’UE devraient, par exemple, intensifier leurs stratégies de rénovation des bâtiments avec une planification et des investissements publics pour aider en priorité les ménages à faibles revenus. Les décideurs politiques devraient également accélérer l’adoption de solutions d’économie circulaire ainsi que stimuler le déploiement des énergies renouvelables et d’autres solutions décarbonisées. Cela doit aller de pair avec le développement du réseau électrique (grâce à davantage d’interconnexions, de solutions de réponse à la demande, de stockage, de mécanisme de capacité, etc.) et d’une coopération et d’une coordination accrues des États membres pour sécuriser les approvisionnements énergétiques. Ces solutions sont essentielles à court, moyen et long terme car elles aideront considérablement l’UE à réduire ses importations de combustibles fossiles tout en diminuant les émissions de GES de l’Europe et en réduisant la pauvreté énergétique.
Si le cadre politique adéquat est mis en place, l’investissement dans ces priorités et l’accélération de l’action climatique peuvent également créer de nouvelles possibilités d’emplois de qualité en Europe. Toutefois, s’ils ne sont pas gérés correctement, ces changements rapides pourraient avoir d’énormes conséquences pour les travailleurs. Il est donc primordial d’assortir les politiques européennes de Green Deal et REPowerEU d’une ambition sociale équivalente, afin de s’assurer que les travailleurs soient correctement accompagnés et soutenus durant cette transition.
À notre grand regret, la dimension sociale de la crise actuelle, et le défi qu’elle pose en relation avec les changements dramatiques que nous devons entreprendre d’urgence, est largement absente du Plan REPowerEU. Les défis sont en effet bien plus vastes que les timides mesures visant à soulager les plus vulnérables, qui consistent en une référence au pacte pour les compétences et une note de bas de page à la proposition de recommandation du Conseil visant à assurer une transition équitable vers la neutralité climatique. Cette crise pourrait plonger des millions de personnes, y compris des travailleurs à revenu moyen, dans la précarité et provoquer une érosion dramatique du pouvoir d’achat. Le mouvement syndical attend donc une approche beaucoup plus forte et globale qui tienne pleinement compte des défis auxquels sont confrontés nos sociétés et nos travailleurs et qui propose des politiques appropriées et complètes pour les relever.
REPower EU et le Green Deal européen devraient donc être développés en étroite collaboration avec la nouvelle stratégie industrielle et devraient s’appuyer sur un cadre juridique de transition juste qui implique réellement les travailleurs et leurs syndicats[8]. Une attention particulière doit également être accordée à la formation, à la requalification et à l’amélioration des compétences des travailleurs afin d’éviter les pénuries de main-d’œuvre dans les secteurs stratégiques nécessaires à la réalisation de la transition verte. L’Europe doit s’appuyer sur son savoir-faire et son leadership technologique pour conserver et développer des chaînes de valeur industrielles européennes dans le secteur de l’énergie.
Tout cela nécessitera, bien sûr, des investissements supplémentaires massifs, tant publics que privés. Dans le contexte actuel d’incertitude sur le marché, il sera essentiel de stimuler davantage les investissements publics ; la CES appelle donc les décideurs politiques de l’UE à réviser et à redéfinir le cadre budgétaire de l’UE, notamment pour permettre une plus grande flexibilité dans le Pacte de stabilité et de croissance[9]. En parallèle, les décideurs politiques devraient rechercher des sources de revenus supplémentaires par le biais d’une fiscalité plus juste et efficace. Le cadre européen des aides d’État devrait également contribuer à accroître les investissements publics stratégiques. Parallèlement, la Commission et les États membres devraient utiliser pleinement la taxonomie et les autres outils disponibles pour inciter et réorienter les investissements privés vers ces priorités.
Renforcer les mesures politiques en faveur des consommateurs les plus touchés
Parallèlement à ces orientations stratégiques et à ces investissements, l’UE et ses États membres doivent adopter des mesures extraordinaires plus ambitieuses pour alléger la charge des ménages directement touchés par la hausse des prix de l’énergie à court terme, notamment en instaurant un plafonnement des prix de l’énergie. Un soutien supplémentaire à court terme peut également être mis en place sous diverses formes, par exemple des bons d’énergie destinés aux ménages à revenus faibles et moyens (en particulier ceux ayant des contrats d’énergie flexibles), l’extension des tarifs sociaux, une réduction temporaire de la TVA sur l’énergie pour les ménages les plus touchés, une réduction de la TVA sur les transports publics et/ou une baisse substantielle de leurs prix, etc. Parallèlement à ces mesures à court terme, les pouvoirs publics devraient investir massivement dans le financement des mesures d’efficacité énergétique et le déploiement des énergies renouvelables pour les ménages vulnérables.
Pour financer ces mesures, l’UE devrait fortement encourager les États membres à taxer les bénéfices exceptionnels réalisés par les entreprises énergétiques et les acteurs du marché à la suite de la crise des prix de l’énergie[10]. Les recettes extraordinaires provenant de la taxation de l’énergie[11], du système d’échange de quotas d’émission ou de la suppression progressive des subventions aux combustibles fossiles inchangés devraient également servir à cette fin, en gardant à l’esprit que les recettes du système d’échange de quotas d’émission ont également un rôle à jouer pour stimuler la décarbonisation du système électrique ainsi que le déploiement de technologies à faible émission de carbone pour les industries à forte intensité énergétique.
La crise actuelle des prix de l’énergie souligne également la nécessité d’évaluer les impacts distributifs sur les ménages lors de la conception des futures politiques climatiques et de s’assurer que tout impact régressif est corrigé et contrebalancé. C’est pourquoi il faut éviter de mettre en place un système d’échange de quotas d’émission sur le transport routier et la construction pour les ménages, car il aurait un impact négatif sur les consommateurs, en particulier ceux à revenus faibles ou moyens[12].
Des mesures extraordinaires sont nécessaires pour protéger les travailleurs et les entreprises en difficulté
En ce qui concerne le monde du travail, les acteurs concernés devraient encourager les entreprises à prendre des mesures concrètes pour alléger la charge des travailleurs et prévenir les pertes de pouvoir d’achat. Par exemple, les décideurs politiques devraient encourager et faciliter les négociations salariales afin de permettre des augmentations de salaire qui soient au moins en phase avec l’évolution de la productivité et l’inflation de base, en combinaison avec le soutien public dû à la crise des prix de l’énergie[13]. Les entreprises pourraient également augmenter l’indemnité kilométrique accordée aux employés tout en favorisant les véhicules à faible émission de carbone ou le covoiturage, rembourser intégralement les voyages d’affaires, mieux rembourser les transports publics ou encourager la marche et le vélo. Les entreprises devraient également prévoir une allocation pour couvrir les frais de chauffage et d’électricité de leurs employés en cas de télétravail. Ces solutions devraient être discutées et négociées dans le cadre du dialogue social bipartite ou tripartite et mises en œuvre aux niveaux de l’entreprise, du secteur et du pays.
En ce qui concerne les entreprises touchées par la crise des prix de l’énergie, la Commission et les États membres devraient encourager une implication précoce des syndicats par le biais du dialogue social et de la négociation collective afin d’anticiper et de gérer les conséquences négatives qui pourraient résulter de cette situation. Les décideurs politiques devraient également renforcer les droits des travailleurs à l’information et à la consultation en cas de processus de restructuration. Pour ce faire, au niveau de l’UE, la Commission européenne devrait proposer un cadre juridique de transition juste qui viendrait compléter le Green Deal européen et REPower EU.
En cas de pénurie de pétrole et de gaz résultant de la situation actuelle en Ukraine, qui obligerait les entreprises à réduire ou à arrêter leurs activités, l’UE devrait être prête à réactiver et à renforcer les mécanismes de solidarité (tels que SURE) pour soutenir les programmes de travail à court terme et les travailleurs qui seraient temporairement licenciés. Elle devrait également élargir leur portée pour couvrir les mesures nationales de lutte contre la pauvreté et pour une transition juste.
La Commission devrait également prévoir une souplesse suffisante en ce qui concerne les aides d’État destinées à soutenir les entreprises en difficulté en raison de la hausse des coûts de l’énergie[14]. Toutefois, toute aide d’État accordée aux entreprises est subordonnée au maintien de l’emploi ou à la planification de la transition d’un emploi à un autre par le biais du dialogue social et de la négociation collective, au respect des conventions collectives et du droit du travail applicables ainsi qu’au droit à la représentation syndicale. Les entreprises bénéficiant d’une aide publique devraient également être obligées de suspendre le versement de dividendes, les rachats d’actions, les primes aux dirigeants, et ne devraient pratiquer aucune forme d’évasion fiscale ou de planification fiscale agressive. Ces aides publiques devraient également être conditionnées à la réduction des émissions de GES à long terme et à l’élaboration d’accords de transition juste avec les travailleurs.
Nécessité de revoir le fonctionnement du marché européen de l’énergie
Outre les orientations stratégiques et les mesures urgentes destinées à soutenir les consommateurs et les travailleurs, l’UE devrait également examiner de plus près le fonctionnement actuel de son marché de l’énergie. La CES reconnaît la décision de la Commission européenne d’analyser en détail une série de questions en vue d’améliorer la conception du marché de l’électricité par le biais d’éventuelles orientations et propositions législatives, comme décrit dans sa communication du 18 mai COM (2022) 236. Cependant, la CES souligne la nécessité d’aller au-delà d’un ajustement cosmétique pour lancer une réforme profonde de la conception du marché de l’électricité basée sur les revendications développées ci-dessous.
Le mouvement syndical critique depuis longtemps la décision historique de libéraliser le marché européen de l’énergie. La CES estime que des caractéristiques structurelles importantes de la directive 2019/944 sur les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité ainsi que du règlement 2019/943 sur le marché intérieur de l’électricité ont contribué à exacerber la crise des prix de l’énergie, et devraient être révisées.
Tout d’abord, les décideurs politiques devraient réviser le mécanisme actuel de fixation des prix basé sur la tarification marginale afin que les combustibles fossiles ne soient plus utilisés pour fixer le prix de l’électricité. La fixation des prix de l’électricité sur la base de la production de combustibles fossiles n’est pas adaptée à un monde qui vise la neutralité carbone et où les sources d’énergie renouvelables, qui produisent de l’énergie à un prix beaucoup plus bas, vont devenir de plus en plus importantes. Le mécanisme de fixation des prix marginaux est particulièrement problématique dans un contexte de prix élevés des matières premières et d’augmentation du prix du carbone. Il convient de trouver un autre mécanisme de fixation des prix afin que les consommateurs finaux paient un prix de l’électricité qui reflète les coûts de la combinaison de production utilisée pour répondre à leur consommation. Cela pourrait se faire par la révision de l’article 6 du règlement 2019/943. Lorsqu’elle entreprendra cette révision, la Commission devra réaliser une analyse d’impact qui clarifiera les effets du nouveau système sur la distribution.
Deuxièmement, les décideurs politiques de l’UE devraient convenir d’un mécanisme d’urgence pour plafonner/réguler les prix de l’énergie lorsqu’ils dépassent un certain niveau. Plusieurs États membres ont pris cette option à la lumière de la crise actuelle[15] mais, étant donné que ce problème touche l’ensemble de l’UE, il devrait y avoir une approche coordonnée au niveau de l’UE avec un mécanisme commun pour éviter les disparités entre les pays. Cela pourrait nécessiter une révision de l’article 5 de la directive 2019/944. D’autre part, les pays de l’UE devraient éviter une course vers le bas en ce qui concerne les prix de l’énergie pour les entreprises, en se faisant concurrence les uns les autres alors que les coûts sont payés par les ménages (en tant que consommateurs et/ou contribuables). Un prix minimum européen pour les entreprises pourrait être envisagé à cet égard, tant qu’il n’existe pas de prix européen unique de l’énergie pour les entreprises. En tout état de cause, la Commission devrait également envisager des solutions pour empêcher une spéculation excessive sur les marchés de l’énergie.
Troisièmement, la législation existante devrait également être révisée afin d’accroître la transparence et la prévisibilité en matière de contrats d’énergie pour les consommateurs individuels. Les fournisseurs devraient mieux clarifier les risques associés au choix d’un contrat flexible et ne devraient pas le proposer comme option par défaut.
Quatrièmement, il devrait être obligatoire pour les fournisseurs d’offrir au consommateur la possibilité d’opter pour des contrats énergétiques fixes à long terme, ce qui n’est pas le cas actuellement. La directive 2019/944 devrait être révisée pour introduire un droit pour les consommateurs domestiques de recevoir une offre de fourniture qui les protège des variations de prix de l’électricité à court terme.
Cinquièmement, parallèlement à la libéralisation complète du marché de l’énergie et conformément à l’idée de créer un véritable droit à l’énergie pour les citoyens de l’UE, l’UE devrait veiller à ce que l’énergie, ainsi que ses infrastructures de transport et de distribution, soient considérées comme un bien commun et non comme une marchandise. L’article 9 de la directive 2019/944 traitant de l’obligation de service public devrait être révisé pour mieux refléter cela. Les acteurs publics devraient être considérés comme des acteurs clés lorsqu’il s’agit de garantir la disponibilité des services d’intérêt général et la propriété publique devrait être encouragée le cas échéant.
De même, les articles 28 et 29 de la directive 2019/944 traitant respectivement des consommateurs vulnérables et de la pauvreté énergétique, devraient être révisés pour introduire une interdiction permanente des déconnexions et renforcer la lutte contre la pauvreté énergétique. Cela serait conforme au pilier européen des droits sociaux et aux objectifs de Porto 2030 liés à la réduction de la pauvreté et de l’exclusion sociale. L’article 16 devrait également être révisé pour encourager davantage la création de communautés et de coopératives énergétiques citoyennes. Cette opportunité devrait également être utilisée pour réviser l’article 4 du règlement 2019/943 afin de clarifier davantage le concept de transition juste et de souligner le rôle et la nécessité de l’implication des partenaires sociaux dans l’anticipation et la gestion du changement.
En ce qui concerne l’impact du système d’échange de quotas d’émission sur les prix de l’énergie, la Commission devrait proposer des actions plus concrètes pour empêcher la spéculation sur le marché du carbone, afin d’éviter que les acteurs du marché ne tirent profit de la situation actuelle. Aucun profit ne doit être réalisé sur cette guerre et la crise des prix de l’énergie qui en résulte. Les décideurs politiques devraient également éviter de créer un nouveau système d’échange de quotas d’émission couvrant le transport routier et les bâtiments pour les ménages, tout en trouvant des moyens alternatifs pour financer le Fonds social pour le climat.
[1] Le 27 avril, 28 des 56 réacteurs français ont été mis à l’arrêt en raison d’une maintenance de routine ou de défauts, obligeant EDF à acheter de l’électricité au réseau européen à la place, alors que la demande explosait.
[2] Voir les estimations de l'Energy Poverty Advisory Hub.
[3] Pour autant que cela soit fait de manière à ne pas concurrencer d'autres utilisations des sols, comme la production alimentaire, la capture des émissions de gaz à effet de serre, etc.
[4] Il convient de noter que, quel que soit le bouquet énergétique choisi par les États membres pour réduire leur dépendance à l'égard des combustibles fossiles russes, l'UE continuera à importer de l'énergie ainsi que des matières premières. Alors que la politique internationale de protection des investissements de l'UE ne devrait pas empêcher la mise en œuvre de politiques publiques visant à contrôler les prix de l'énergie, les politiques commerciales de l'UE devraient garantir la sécurité du transport, du transit et des prix des produits liés à l'énergie (voir la position de la CES sur le traité de la Charte sur l'énergie).
[5] En effet, si les accords commerciaux ne garantissent pas la répartition équitable des bénéfices, le respect des droits de l'homme et des droits des travailleurs dans les pays partenaires, ils contribueront à l'instabilité sociale dans ces pays et iront donc à l'encontre de la sécurité énergétique de l'UE elle-même.
[6] Communiqué de presse —Selon le rapport spécial de l'AIE (https://www.iea.org/news/pathway-to-critical-and-formidable-goal-of-net-zero-emissions-by-2050-is-narrow-but-brings-huge-benefits), la voie vers l'objectif crucial et formidable de zéro émission nette d'ici à 2050 est étroite mais présente d'énormes avantages.
[7] Voir le sixième rapport d'évaluation du GIEC, Changement climatique 2022 : Atténuation du changement climatique, la contribution du groupe de travail III.
[8] Voir la position de la CES en faveur d'un cadre juridique pour une transition juste qui accompagnerait le paquet Fit for 55.
[9] Voir la résolution de la CES sur la question de la dette publique de l'Union européenne et les règles fiscales, adoptée lors de la réunion du comité exécutif virtuel des 5 et 6 octobre 2021.
[10] Les autorités publiques devraient également pouvoir taxer les bénéfices exceptionnels réalisés par les spéculateurs ainsi que par d'autres entreprises non énergétiques qui ont profité de leur position dominante sur le marché pour augmenter considérablement leurs prix et leur marge, prétextant l'inflation.
[11] Voir la résolution de la CES sur la politique salariale dans une période post-pandémique volatile, à venir.
[12] Voir la position de la CES sur la création d'un second système d'échange de quotas d'émission pour le transport routier et le bâtiment et d'un nouveau Fonds social pour le climat.
[13] Voir la résolution de la CES sur la politique salariale dans une période post-pandémique volatile, à venir.
[14] Pour éviter des distorsions trop importantes et prévenir de nouvelles inégalités entre les pays et les régions, ces aides d'État devraient être coordonnées au niveau de l'UE.
[15] Voir la liste des différentes mesures adoptées par les pays de l'UE à l'annexe I.