Renforcer l'équilibre hommes-femmes dans les conseils d'administration des entreprises
Résolution de la CES adoptée par le comité exécutif à la réunion du 23 septembre 2020
Contexte
Les femmes représentent la majeure partie de la ligne de front contre Covid-19 et seront particulièrement affectées par les conséquences sociales et économiques qui en découlent. La reconnaissance du fait que les droits des femmes et l'égalité des genres devraient faire partie du programme de relance COVID-19 devrait être simple, mais cela ne semble pas être le cas. Un facteur entravant est l'absence de femmes dans la prise de décision. La recherche montre que lorsque les femmes ont moins de pouvoir de décision dans les ménages, la salle de conférence ou les gouvernements, les besoins des femmes sont moins susceptibles d'être compris ou satisfaits. Alors que nous réagissons à la crise, nous devons inclure des mesures qui confèrent aux femmes des postes de décision, une partie de cette stratégie doit consister à faire progresser la directive sur les femmes dans les conseils d'administration. Les hommes et les femmes doivent être présents dans la salle de réunion et, surtout, nous avons besoin de mesures pour garantir la nomination de femmes d'horizons, de professions et d'expériences de travail divers. Cette directive est un élément important d'une stratégie plus large visant à placer le leadership et la contribution des femmes à la prise de décision au cœur des plans européens de résilience et de relance dans la prochaine génération de l'UE.
Alors que le taux d’emploi des femmes a augmenté ces dernières années (elles représentent aujourd’hui 45% de la main-d’œuvre européenne et la majorité des diplômés d’université), les femmes restent très largement sous-représentées dans les organes de décision économique, singulièrement aux postes de cadres supérieurs et au sein des conseils d’administration, tant dans les entreprises privées que publiques. Un large éventail de capital humain, de talents et de compétences qui pourraient contribuer à une meilleure stratégie de prise de décision et de croissance durable sont ainsi gaspillées.
L’égalité entre les hommes et les femmes est un principe fondateur de l’Union européenne, un droit fondamental[1], un élément essentiel du socle européen des droits sociaux[2] et une étape cruciale des objectifs de développement durable[3]. « Une Union de l’égalité où tout le monde, femmes et hommes, filles et garçons, seront libres de suivre la voie qu’ils ou elles auront choisie dans la vie, auront les mêmes chances de prospérer et pourront participer à notre société européenne et la diriger en toute égalité[4] » ne peut ignorer ces principes et doit en assurer la mise en œuvre la plus large possible.
L’égalité entre les femmes et les hommes est un engagement de longue date de la CES. « Une participation équilibrée des femmes et des hommes aux grandes décisions politiques et économiques de la société est un élément clé de l’instauration d’une véritable démocratie et de la contribution à la croissance économique »[5].
Le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes ne doit pas être confondu avec celui de la diversité : les femmes ne constituent ni un groupe, ni une minorité et plus de la moitié de la population mondiale, sans oublier 45% de la main-d’œuvre européenne. La participation équilibrée des femmes et des hommes dans les organes décisionnels est un impératif majeur des principes fondamentaux de démocratie, de représentativité et des droits humains.
L’égalité et la diversité de genre dans les conseils d’administration des sociétés sont des principes démocratiques essentiels et ont des retombées économiques positives. Les femmes, tout comme les hommes, doivent contribuer à la planification de notre économie et à la gestion de nos entreprises. Il n’est pas juste que les femmes restent confinées aux seconds rôles en Europe. Les inégalités et les déséquilibres de genre au sein des conseils d’administration des entreprises sont contraires à la démocratie au travail et entrainent un manque de représentativité ; ils reflètent en outre un médiocre sens des affaires.
Des mesures européennes contraignantes sont urgentes
De manière générale, et dans pratiquement tous les secteurs économiques de l’UE, les femmes sont sous-représentées aux postes de direction où elles ne comptent que pour 36% des cadres supérieurs. La situation est plus équilibrée dans le secteur public même si les hommes y restent aussi majoritaires. Parmi les membres de la CES, à peine 24% des postes de direction sont tenus par des femmes.
Les femmes dans les conseils d’administration des plus grandes entreprises européennes cotées en bourse n’occupent que 28,8% des sièges et le taux d’accroissement a ralenti depuis 2015. Bien que le pourcentage de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises dans l’ensemble de l’UE ait plus que doublé depuis octobre 2010, des progrès n’ont été enregistrés que dans les quelques pays où les gouvernements ont agi au plan législatif[6] : en France, chaque sexe est représenté à hauteur d’au moins 40% dans les conseils des entreprises concernées par la législation[7] ; les femmes comptent pour 1/3 des membres des conseils en Suède, en Italie, en Belgique, en Allemagne, aux Pays-Bas[8] et en Finlande ; et toujours pour moins d’1/5 dans 10 États membres. A Malte, en Grèce et en Estonie, les femmes représentent moins d’un dixième des administrateurs non exécutifs. Dans les États membres de l’UE, moins de trois des dix plus importantes entreprises (29,2%) comptent au moins 40% de représentants de chaque sexe parmi leurs administrateurs non exécutifs tandis qu’aucune femme ne siège comme administratrice non exécutive dans une entreprise sur six (17,4%). De plus, 54,3% des entreprises comptant au moins 40% de femmes à des postes non exécutifs sont concentrées dans à peine quatre pays : France, Royaume-Uni, Italie et Suède.
Les femmes sont encore plus rares tout au sommet de la hiérarchie, les postes supérieurs restant essentiellement occupés par des hommes. La nécessité d’une représentation accrue des femmes dans les conseils d’administration n’est pas encore perçue suffisamment rapidement par la direction exécutive[9]. Bien que la présence des femmes dans les conseils d’administration ait plus que doublé depuis 2012, elles n’y occupent toujours que 7,5% des sièges et seulement 7,7% des postes de directeur général leur sont attribués.
Depuis 2010, la Commission européenne a pris une série d’initiatives visant l’équilibre de genre dans les conseils d’administration[10]. La seule approche volontariste des entreprises en matière d’équilibre de genre dans les conseils d’administration ne s’est toutefois pas révélée efficace.
Face à cette situation, la Commissaire Dalli propose de rétablir la proposition de directive de la Commission sur l’équilibre de genre parmi les administrateurs non exécutifs des entreprises cotées en bourse (la directive sur la présence des femmes dans les conseils des sociétés)[11].
La proposition législative actuelle
La directive à laquelle la Commissaire Dalli fait référence a été proposée par la Commission en 2012 et fut soutenue par le Parlement européen en novembre 2013[12] mais les réserves émises par plusieurs États membres ont provoqué le blocage de la proposition au niveau du Conseil[13]. Cette proposition visait à aborder la question de l’inégalité de représentation en imposant que les femmes occupent un minimum de 40% des sièges des conseils d’administration en 2020 dans le secteur privé et en 2018 dans le secteur public.
La proposition incluait : une directive introduisant un objectif contraignant d’au moins 40% d’administrateurs de chaque sexe pour les administrateurs non exécutifs et un objectif flexible pour les administrateurs exécutifs à fixer par les entreprises elles-mêmes ; une applicabilité aux systèmes tant dualistes que monistes ainsi qu’aux systèmes mixtes dans les entreprises cotées à l’exclusion des petites et moyennes entreprises ; la désignation aux postes non exécutifs sur base d’une analyse comparative des qualifications de chaque candidat(e) et de critères préétablis, clairs, formulés de manière neutre et sans ambigüité ; la priorité donnée au candidat du sexe sous-représenté en cas de qualifications égales déterminées après une évaluation objective tenant compte de tous les critères ; l’obligation dans le chef de l’entreprise de communiquer tous les critères et les raisons de la non sélection d’un candidat féminin ; la charge de la preuve pour l’entreprise quant au respect des règles ; l’obligation pour l’entreprise de faire rapport des progrès et procédures ; des sanctions y compris des amendes administratives et l’annulation de la nomination en cas de violation des règles.
La CES continue à réclamer des mesures législatives contraignantes et une approche globale et cohérente au niveau européen en matière d’équilibre hommes-femmes dans les conseils d’administration.
Les données et l’expérience de millions de femmes montrent que des progrès ne pourront être réalisés à un rythme suffisant que si une mesure contraignante forte adoptée au niveau de l’UE peut concrètement améliorer le parcours et l’avancement professionnels des femmes en Europe.
La CES s’oppose à toute tentative visant à faire passer l’égalité au second plan de la relance. Dans le cadre de nos revendications, nous soutenons au contraire une initiative législative en faveur d’un avenir plus juste favorisant l’égalité entre les hommes et les femmes. La CES plaide avec force pour que la Commission européenne, le Parlement européen et la Présidence allemande préparent une directive sur la transparence des rémunérations et la présence des femmes dans les conseils d’administration avant fin 2020.
La CES maintient son soutien à la proposition et demande :
- L’application du quota de 40% aussi bien aux conseils non exécutifs qu’exécutifs (indépendamment les uns des autres) et aussi bien dans les entreprises privées que publiques avec une adaptation progressive de la législation nationale ;
- De fixer des objectifs non seulement pour les conseils mais aussi pour les postes de cadres supérieurs afin d’améliorer l’avancement des femmes à des postes plus élevés ;
- L’inclusion d’entreprises moyennes dans le champ d’application de la directive – en prévoyant peut-être une période de transition pour que les PME puissent s’adapter aux changements ;
- Les devoirs des dirigeants doivent être revus afin d’éliminer la priorité accordée aux intérêts des actionnaires, d’inclure l’obligation de promouvoir l’égalité de genre au sein de l’entreprise et de la chaîne d’approvisionnement, de réduire les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes et d’améliorer la citoyenneté d’entreprise en imposant l’égalité à tous les niveaux ;
- La nécessité de diversité parmi les femmes nommées et de procédures de sélection transparentes. Il est impératif que soient nommées des femmes d’horizons et de parcours de vie différents et que les États membres soutiennent cette diversité en facilitant l’accès à des opportunités de formation et en favorisant des programmes de formation adaptés aux besoins des entreprises pour assurer qu’un large éventail de femmes sont disponibles et préparées ;
- Responsabiliser les partenaires sociaux à tous les niveaux pour engager le dialogue social pour la mise en œuvre de la directive – en commençant par les grandes entreprises, cotées ou non, et les moyennes entreprises – ainsi que pour créer des systèmes communs de suivi, en particulier dans les pays où les femmes ne sont pas ou peu représentées dans les organes décisionnels ;
- D’assurer que la représentation des femmes basée sur les quotas reflète également un équilibre entre les femmes représentant les travailleurs et celles représentant les actionnaires ;
- D’actualiser les objectifs et leurs échéances en tenant compte des progrès déjà enregistrés dans plusieurs États membres ;
- D’assurer que la sélection d’un membre du conseil considère aussi bien ses qualifications formelles que son expérience pratique et qu’aucune discrimination indirecte à l’égard des femmes n’intervient en matière des qualifications, de l’expérience ou des connaissances requises pour le poste.
Une directive sur l’équilibre hommes-femmes dans les conseils d’administration ne sera efficace que si elle s’accompagne d’une série de politiques substantielles et intégrées de mise en œuvre destinées à lever les obstacles actuels empêchant les femmes d’accéder aux fonctions les plus importantes : persistance de l’inégalité d’accès aux ressources économiques, sociales et culturelles pour les femmes et les hommes, inégalités dans le partage du travail rémunéré et non rémunéré, discriminations et sous-évaluation persistante du travail des femmes, manque de respect et/ou de soutiens adéquats pour que le dialogue social joue son rôle pour combler l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes et assurer la représentation des femmes dans la prise de décision.
[1] Articles 2 et 3(3) TUE, articles 8, 10, 19 et 157 TFUE et articles 21 et 23 de la charte des droits fondamentaux de l'UE.
[2] Principe 2, https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/social-summit-european-pillar-social-rights-booklet_fr.pdf
[3] ODD 5, Parvenir à l’égalité des genres et autonomiser toutes les femmes et les filles
[4] Une Union de l’égalité : stratégie en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes 2020-2025, COM(2020) 152 final, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=COM%3A2020%3A152%3AFIN
[5] Résolution de la CES sur l’amélioration de l’équilibre hommes-femmes au sein des syndicats adoptée par le Comité exécutif le 9 mars 2011, https://www.etuc.org/sites/default/files/EC191_Gender_Equality_Resolution_FINAL_FR_2.pdf
[6] EIGE 2020.
[7] Une conséquence d’une loi de 2011 imposant à toutes les grandes entreprises (plus de 500 employés ou chiffre d’affaires de plus de 50 millions €) de compter au moins 40% de représentants de chaque sexe dans les conseils d’administration en janvier 2017 (EIGE 2020).
[8] Aux Pays-Bas, ceci n’est valable que pour les conseils d’administration non exécutifs. Exemple : FNV a remis un rapport au gouvernement néerlandais sur la diversité dans les conseils d’administration. L’une des recommandations était, hors quotas bien sûr, d’obliger les entreprises à fixer des objectifs pour les postes de cadres supérieurs : https://www.ser.nl/-/media/ser/downloads/engels/2019/diversity-boardroom.pdf
[9] Depuis 2012, la part des femmes parmi les cadres supérieurs a augmenté de 8,1 points à 18,4% tandis que la proportion de femmes aux postes non exécutifs a augmenté de 14,1 points à 31,4%.
[10] Stratégie pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2010-2015 ; Livre vert pour le cadre de la gouvernance d’entreprise dans l’UE en 2011 ; initiative volontaire pour toutes les entreprises cotées en Europe « Davantage de femmes dans les conseils d'administration, une promesse pour l'Europe ».
[11] Commission européenne, Proposition de directive relative à un meilleur équilibre hommes-femmes parmi les administrateurs non exécutifs des sociétés cotées en bourse et à des mesures connexes, COM/2012/0614 final - 2012/299 (COD,) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52012PC0614&from=EN
[12] https://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P7-TA-2013-0488+0+DOC+XML+V0//FR
[13] https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/gender-balance-corporate-boards/