Propositions de la CES concernant la révision de l’organisation du marché de l’électricité de l’UE
Adoptée lors de la réunion du Comité exécutif des 30 et 31 mars 2023
Une réforme du marché de l’énergie, loin du dogme de la libéralisation, est indispensable.
Le mouvement syndical a critiqué la décision historique de libéraliser le marché de l’énergie de l’Union européenne. La CES estime que des caractéristiques structurelles importantes de la directive et du règlement relatifs au marché intérieur de l’électricité ont contribué à exacerber la crise des prix de l’énergie et que ces éléments devraient faire l’objet d’une révision.
Les institutions européennes ne peuvent pas se satisfaire des prix actuels de l’énergie. Bien qu’ils soient relativement bas, ils demeurent très volatils. Les prix de l’énergie facturés aux consommateurs restent élevés. Par ailleurs, les facteurs qui influencent les variations de prix ont essentiellement exercé une pression à la baisse sur les prix au cours de l’hiver 2022-2023 (100 % de remplissage des stocks de gaz, réduction de la demande des consommateurs par crainte de factures d’énergie élevées, baisse de la production industrielle, conditions climatiques clémentes, et affaiblissement de la concurrence en matière d’accès au GNL sous l’effet du repli de la demande chinoise). Si l’un de ces facteurs devait évoluer, et tel sera le cas, les prix repartiront immédiatement à la hausse, alors qu’aucune mesure sérieuse n’a été prise pour lutter contre les stratégies spéculatives. Les interventions structurelles nécessaires en matière d’économies d’énergie et d’efficacité énergétique n’ont pas non plus été réalisées. En plus des mesures urgentes de court terme, qui étaient nécessaires en 2022 pour atténuer les effets de la crise des prix de l’énergie, la CES demande avec insistance d’aller au-delà de la simple cosmétique afin de réformer le marché de l’électricité en profondeur.
Compte tenu de la nature structurelle de la crise énergétique, la CES invite les décideurs politiques à se détacher du dogme de la libéralisation et à réformer en profondeur les politiques énergétiques de l’UE. Il importe de reconnaître que l’énergie est un bien public soumis à un contrôle démocratique, de rendre effectif le droit à une énergie propre et abordable et de renforcer les obligations incombant aux services publics. La politique énergétique de l’UE doit promouvoir une transition juste vers la neutralité climatique d’ici à 2050 et contribuer à l’autonomie stratégique de l’Union. L’organisation actuelle du marché de l’électricité entrave la réalisation de ces objectifs.
La CES enjoint aux décideurs politiques de l’Union de convenir d’une réforme structurelle du marché de l’électricité qui garantira des investissements dans la capacité de production supplémentaire nécessaire et qui contribuera à développer l’infrastructure permettant de transporter, de stocker et de distribuer l’énergie propre. Cette réforme doit également permettre d’éviter que les combustibles fossiles ne déterminent le prix de l’électricité décarbonée. Par ailleurs, la CES suggère de consolider le plafonnement du prix du gaz dans la production d’électricité grâce à un mécanisme financier s’appuyant en partie sur la contribution des superprofits engrangés par certaines entreprises du secteur de l’énergie. Si l’on ajoute à cela une réforme du marché de l’électricité, des sommes d’argent importantes pourraient être investies dans la production d’énergie propre et dans l’efficacité énergétique.
Système de tarification reposant sur le prix marginal.
D’abord et avant tout, les décideurs politiques devraient réviser le mécanisme actuel de fixation des prix, qui repose sur le prix marginal, afin que les combustibles fossiles ne déterminent plus le prix de l’électricité. Fixer les prix de l’électricité à partir de la production de combustibles fossiles ne convient pas à une société qui ambitionne d’atteindre la neutralité carbone, et dans laquelle les sources d’énergie renouvelable, qui produiront de l’énergie à un prix sensiblement inférieur, seront de plus en plus importantes. Le mécanisme de tarification reposant sur le prix marginal est particulièrement problématique, compte tenu de la hausse des prix des matières premières et de l’augmentation des prix du carbone. Il permet aux producteurs d’énergie de réaliser des bénéfices mirobolants tout au long de la chaîne de valeur énergétique (production, transport, commercialisation et distribution) et décourage la suppression progressive des combustibles fossiles. Les responsables politiques européens devraient dissocier le mécanisme de fixation des prix de l’électricité du prix du gaz afin que les prix de l’électricité reflètent les coûts du parc de production utilisé pour sa consommation. Comme mesure à court terme, nous proposons que le mécanisme ibérique de plafonnement des prix soit mis en œuvre à l’échelle de l’Union européenne.
Spéculation sur les marchés financiers.
La spéculation sur les marchés financiers contribue également à la volatilité et à la hausse des prix sans nécessairement refléter les éléments fondamentaux que sont l’offre et la demande. La CES estime qu’une réglementation plus ambitieuse, couplée à une imposition forte des superprofits, devrait permettre de contrôler ces marchés financiers et d’éviter la spéculation.
L’énergie comme bien public.
À rebours de la libéralisation totale du marché de l’énergie et conformément à l’idée de créer un droit à l’énergie pour les citoyens européens, l’Union européenne devrait veiller à ce que l’accès à une énergie abordable soit considéré comme un droit de l’homme et à ce que les infrastructures de transport et de distribution de cette énergie soient considérées comme un bien public et non pas comme un produit marchand. L’UE doit indiquer clairement que les États membres peuvent réglementer les prix et qu’ils sont chargés de son organisation concrète. Un système d’acheteur unique, c’est-à-dire une entité publique qui achèterait l’électricité aux producteurs, pourrait également être envisagé. Les investissements dans la capacité d’énergie propre ne devraient pas prendre uniquement la forme de subventions accordées aux grands producteurs, qui adoptent souvent des comportements monopolistiques. Si de grandes quantités d’argent public devaient être consacrées à des investissements, les infrastructures devraient être développées au moyen de l’actionnariat public, de la planification, des processus décisionnels démocratiques et de la promotion des communautés énergétiques. Les exigences à court terme en matière de bénéfices des actionnaires des entreprises énergétiques ne sont pas adaptées aux défis de notre époque.
Une énergie accessible pour les citoyens.
Pour éliminer la pauvreté énergétique, l’UE devrait examiner la possibilité de garantir un niveau minimal d’énergie aux citoyens, ce qui bénéficierait aux ménages et aux locataires à revenus faibles ou intermédiaires. Les États membres pourraient réglementer les tarifs à cette fin. Les prix devraient décourager les ménages à hauts revenus et les propriétaires de gaspiller de l’énergie, et créer des ressources permettant de financer des régimes d’aide. Les revenus, la composition du ménage, l’espace et l’efficacité énergétique des bâtiments devraient être pris en considération pour orienter la conception d’un système énergétique centré sur les personnes et la planète. Parallèlement, la rénovation énergétique devrait bénéficier de la possibilité pour les ménages d'accéder à des contrats à long terme et d’un soutien public pour décarboner rapidement la consommation.
Prévisibilité des prix pour les entreprises.
À des fins de transparence et de prévisibilité, afin que les entreprises ne soient pas exposées aux variations de prix qui menacent la viabilité économique de milliers d’entreprises et, par conséquent, de millions d’emplois, les fournisseurs devraient être tenus d’offrir la possibilité d’opter pour des contrats d’énergie fixes à long terme. Une aide supplémentaire assortie de conditionnalités liées aux domaines environnemental et social, destinée principalement aux PME et aux entreprises en difficulté, pourrait également être envisagée pour protéger les emplois et accélérer l’efficacité énergétique, les économies d’énergie et l’autoproduction de mesures énergétiques.
Interdiction des coupures d’énergie.
Les articles 28 et 29 de la directive 2019/944, qui portent sur les consommateurs vulnérables et la pauvreté énergétique, devraient être révisés pour interdire de façon permanente les coupures d’énergie et pour renforcer la lutte contre la pauvreté énergétique.
La transition juste, également dans le règlement sur le marché intérieur de l’électricité.
L’occasion doit également être saisie de réviser l’article 4 du règlement 2019/943 pour clarifier le concept de transition juste et pour souligner le rôle des partenaires sociaux ainsi que l’importance de leur participation en matière d’anticipation et de gestion du changement. L'amélioration des conditions de travail et des salaires dans le secteur de l'énergie est également cruciale pour garder et attirer les travailleurs dans le secteur.