Adoptée à la réunion du Comité exécutif des 24-25 juin 2024
Le commerce est une dimension essentielle de toute politique industrielle. L’économie européenne est pleinement intégrée dans un système mondial, dépend des importations de matières premières, d’énergie et de biens intermédiaires et des exportations vers les pays tiers, contribuant ainsi à la balance commerciale positive et à la prospérité de l’UE. Toutefois, la dépendance excessive à l’égard des fournisseurs étrangers et les perturbations, l’asymétrie des prix de l’énergie et de l’action climatique, les restrictions unilatérales à l’exportation et les droits de douane, les surcapacités, la course mondiale aux subventions appellent à repenser l’interaction entre le commerce et la politique industrielle afin de parvenir à une « autonomie stratégique ouverte » avec un agenda social fort[i]. L’objectif de cette résolution — qui fait partie d’un positionnement stratégique plus large sur la politique industrielle — est d’aborder l’agenda stratégique de la Commission avant le nouveau mandat et la réflexion en cours sur la politique commerciale au sein du Conseil.
Garantir des conditions de concurrence équitables au niveau international
L’UE met en œuvre des mesures visant à atteindre la neutralité climatique d’ici 2050. Ces politiques, que la CES a approuvées tout en luttant pour une transition juste, impliquent des investissements considérables et des augmentations des coûts de production pour l'industrie, tout en faisant face à une concurrence mondiale féroce.. La CES appelle donc à repenser les règles commerciales multilatérales qui ont été écrites avant que les gouvernements ne s’engagent à prendre des mesures contre le changement climatique. Nous avons besoin de règles de l'OMC pour inciter les autres régions du monde à prendre des mesures similaires, l'UE devant apporter son soutien aux pays les plus pauvres (y compris financier si nécessaire) et être autorisée à protéger son industrie contre les resquilleurs afin de garantir des conditions de concurrence équitables à l'échelle mondiale.
Les syndicats doivent être impliqués dans cette réflexion et dans la réforme des règles de l’OMC pour s’assurer que le droit commercial international ne prime pas sur le droit de l’environnement. Concrètement, la CES soutient une clause de paix climatique pour protéger les politiques climatiques dans le monde entier des conflits commerciaux, à condition que ces politiques dans les pays tiers soient transparentes et ne perturbent pas les chaînes d’approvisionnement mondiales. Une telle clause garantirait également que l’action climatique de l’UE n’enfreigne pas les règles commerciales internationales existantes et contrerait l’allégation des partenaires commerciaux selon laquelle l’UE est protectionniste.
Pour être mieux acceptées dans les pays tiers, les mesures unilatérales telles que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF ou CBAM) doivent être complétées par des outils de soutien visant à développer les industries vertes dans les pays partenaires.
L'approvisionnement en énergie et en matières premières de l'industrie européenne doit être durable et équitable envers les pays riches en ressources et doit viser à améliorer leurs perspectives de développement ainsi qu'à tenir compte de leurs objectifs de politique industrielle sans compromettre les chaînes d'approvisionnement mondiales qui sont cruciales pour l'industrie européenne. Les accords commerciaux ne doivent pas compromettre ces objectifs par des chapitres restrictifs sur les matières premières : l’objectif doit être de négocier des accords équilibrés qui répondent aux intérêts des deux partenaires.
La CES soutient également le retrait coordonné de l’UE et des États membres du traité sur la charte de l’énergie, récemment approuvé, en raison de son incompatibilité avec nos objectifs climatiques.
L’action climatique n’est pas le seul défi pour la compétitivité de l’industrie européenne. Les surcapacités, le dumping, les subventions étrangères et les restrictions d’accès au marché obligent l’UE à utiliser ses instruments de défense commerciale existants tout en évitant une approche fragmentaire dans la lutte contre la concurrence déloyale des pays tiers.
Imposer des normes universelles strictes
Le rapport Letta aborde la dimension externe du marché intérieur de l’UE, mais ses recommandations sont préoccupantes. D’une part, le rapport affirme que le marché unique doit rester un espace de normes élevées. Cependant, en ce qui concerne les autres parties du monde, le rapport suggère que nous devrions nous éloigner d’une logique consistant à imposer des réglementations qui nuisent aux partenaires et à notre capacité à négocier des partenariats stratégiques, ce qui implique que l’accès au marché devrait être le seul objectif de la politique commerciale de l’UE.
Inversement, la CES souhaite que « l’effet Bruxelles »[ii] projette des valeurs universelles, y compris des normes élevées en matière d’emploi et d’environnement. Le commerce de l’UE devrait servir de levier pour améliorer la vie des travailleurs dans les pays tiers, notamment en garantissant un meilleur respect des normes internationales du travail — il s’agit de l’approche opposée présentée dans le rapport Letta.
L’UE devrait accélérer la mise en œuvre de sa communication 2022 en continuant d’inclure des normes sociales et environnementales élevées et applicables dans les nouveaux accords de libre-échange, tout en apportant un soutien ciblé et ciblé à la mise en œuvre. L’UE devrait également mettre à jour les accords commerciaux existants et déployer cette approche dans d’autres accords, notamment en ce qui concerne les partenariats stratégiques.
La CES insiste sur une politique commerciale centrée sur les travailleurs qui contribue à la création d’emplois de qualité tant dans l’UE que dans les pays tiers, avec un commerce équitable et durable avec de véritables conditions de concurrence équitables. Pour y parvenir, l’inclusion de chapitres consacrés au commerce et au développement durable applicables et assortis de sanctions ne devrait pas faire l’objet de négociations, même si les partenaires commerciaux se montrent réticents.
La CES réitère ses demandes de clauses contraignantes, que ce soit par le biais de chapitres consacrés au commerce et au développement durable, en s’appuyant sur l’approche des conditions de concurrence équitables établie dans l’accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l’UE, ou d’autres outils tels qu’un mécanisme de réponse rapide. La CES soutient un rôle plus important de l’OIT au sein de l’OMC afin de garantir que les droits fondamentaux au travail fassent partie intégrante de l’agenda commercial mondial. Cependant, la CES demande également que les rapports des mécanismes de contrôle de l'OIT soient pris en compte lors de l'évaluation de la mise en œuvre des chapitres consacrés au commerce et au développement durable des ALE de l'UE, et plus largement des accords multilatéraux.
Compte tenu du rôle que jouent les services publics dans le soutien d’une industrie florissante, la CES réitère sa demande d’exclure systématiquement les services publics, directement ou indirectement, du champ d’application de tout accord de commerce ou d’investissement.
L’UE peut jouer un rôle dans la promotion d’un commerce équitable et réglementé, avec ses règles récemment adoptées sur la diligence raisonnable des entreprises en matière de durabilité des entreprises, la responsabilité et l’interdiction des produits fabriqués par le travail forcé. Toutefois, l’UE doit se montrer plus proactive en veillant à l’application des normes en matière de droits de l’homme et d’environnement dans tous ses accords et autres initiatives telles que la stratégie « Global Gateway ». L’UE doit également donner aux syndicats un rôle dans le respect des clauses de travail. Elle doit aider les pays tiers à atteindre ces normes et veiller à ce que les entreprises européennes remédient de manière adéquate aux violations des droits du travail dans leurs chaînes d’approvisionnement, en collaborant étroitement avec les syndicats dans ce processus.
La CES est également en faveur d’alliances prioritaires avec des pays intéressés par le respect des conventions de l’OIT. À cette fin, l’UE ne devrait pas refuser les offres visant à inclure un mécanisme de réponse rapide dans l’accord bilatéral sur les minéraux critiques, comme cela s’est produit récemment. Au contraire, l’UE devrait poursuivre cette approche avec ses alliés, y compris à l’OMC. La CES soutiendrait la suspension des accords commerciaux en cas de violation systématique et avérée des droits fondamentaux.
La CES estime que les accords commerciaux de l’UE sont des outils de la politique étrangère de l’UE et qu’ils doivent être utilisés pour une transformation réussie de nos sociétés conformément aux objectifs de développement durable des Nations unies, en garantissant une transition juste, le respect des droits de l’homme et des normes de travail élevées en Europe et dans le monde.
[i] https://www.etuc.org/fr/document/positionner-la-ces-pour-une-autonomie-strategique-ouverte-de-lue-avec-un-agenda-social
[ii] Voir les partenariats avec la Tunisie, l'Égypte et l'Azerbaïdjan, des démocraties illibérales dont les antécédents en matière de respect des droits de l'homme, y compris des droits syndicaux, sont médiocres.