Bruxelles, 19 juin 2020
Adopté à la réunion du Comité exécutif extraordinaire du 9 juin 2020
Résolution de la CES sur la stratégie de relance de l'UE après la pandémie du COVID-19
Le contexte
L'Europe est confrontée à la pire récession depuis les années 1930, suivie de la pire pandémie de ces cent dernières années.
La CES tient à adresser ses condoléances aux familles, amis et collègues des personnes décédées du COVID-19. Nous rendons hommage à tous les travailleurs qui ont fourni des soins et de l'aide aux personnes infectées et qui ont veillé à ce que les productions, fournitures et services essentiels aient été acheminés vers les systèmes de santé et la population. Nous exprimons notre solidarité et notre soutien à toutes les personnes infectées, ainsi qu’aux travailleurs et à leurs familles qui ont perdu leur emploi ou dont les activités ont été suspendues.
La pandémie et le confinement ont déjà engendré des conséquences terribles en termes de récession économique, de chômage massif, de détérioration des conditions et des droits de travail, d'inégalité croissante et d'exclusion sociale. Plus de 40 millions de travailleurs de l'UE ont dû recourir à des dispositifs de chômage partiel, à des compensations de revenus et à d'autres formes de protection de l'emploi. Plus de 10 millions de travailleurs ont été licenciés et se sont retrouvés au chômage permanent, en plus de tous les travailleurs atypiques, indépendants, précaires et non déclarés, qui n'ont pas eu accès aux mesures de protection.
Les personnes âgées ont été durement touchées par le virus, présentant le plus haut taux d’infection et de mortalité. Les femmes ont été particulièrement affectées par les effets de la pandémie. En outre, des catégories de personnes défavorisées telles que les migrants, les travailleurs mobiles et frontaliers, les minorités ethniques, les personnes handicapées et malades ont connu une aggravation de leur situation. Les travailleurs qui fournissaient des soins et une assistance aux personnes infectées et qui assuraient la production, les fournitures et les services essentiels étaient très souvent obligés d'exécuter leur travail dans des conditions insalubres et sans protection adéquate.
Les dirigeants politiques et les gouvernements ont montré leur manque de préparation face à cette crise sans précédent. Celle-ci a des effets dévastateurs sur nos systèmes de santé et nos services publics, preuve que l'austérité et les privatisations ne sont pas de bonnes recettes pour assurer le bien-être des personnes et la sécurité de nos sociétés.
Les réactions des États membres et de l'UE face à la pandémie sont arrivées très tard et comportent encore de nombreuses limites. Les mesures d’urgence mises en place pour soutenir les travailleurs, les systèmes de santé et les entreprises touchées par la crise montrent encore des lacunes : de nombreux travailleurs et entreprises ne sont pas soutenus par ces mesures, souvent peu adéquates, alors que dans de nombreux cas, les ressources déployées n’ont pas apporté de réel soutien aux personnes, aux services publics et à l’économie.
Cela était dû aux différends inacceptables entre les gouvernements nationaux, mais aussi à une bureaucratie omniprésente et à des conflits de compétences entre les différents niveaux des administrations publiques. En outre, certains gouvernements ont utilisé la pandémie comme excuse pour porter atteinte à l'État de droit, aux droits humains et démocratiques, ainsi qu’aux droits des travailleurs et des syndicats, en particulier la négociation collective. Cette situation, associée aux urgences économiques et sociales croissantes, renforce le désespoir et la colère de la population. Les forces populistes d'extrême droite profitent de cette occasion pour retrouver un espace politique, sapant ainsi notre démocratie.
Faire face à l'urgence
Pour toutes ces raisons, la CES plaide pour une mise en œuvre rapide de toutes les mesures d'urgence, en particulier le programme SURE, afin d'aider les travailleurs et les entreprises à traverser la crise, de maintenir l'emploi, de soutenir les services publics à tous les niveaux (notamment la santé publique et les systèmes de soins de longue durée) et de garantir l'approvisionnement des services et des biens essentiels. En outre, la CES réaffirme la nécessité d'étendre et de prolonger les mesures d'urgence, aussi longtemps que nécessaire, de les rendre cohérentes et de les coordonner à la stratégie de relance à venir.
La CES a émis à plusieurs reprises des directives très claires sur la manière de déployer les mesures d'urgence. Les décisions institutionnelles doivent être prises rapidement, sans imposer de conditions macroéconomiques, tout en garantissant une flexibilité totale. Les ressources doivent parvenir aux bénéficiaires en temps opportun, sans être bloquées par la bureaucratie et le système bancaire. La couverture complète de toutes les catégories de bénéficiaires, l'adéquation des paiements, ainsi que le respect de l'État de droit, des obligations fiscales, du dialogue social, des droits des travailleurs et des syndicats sont d'une importance capitale.
La CES a souligné à maintes reprises que la réduction du risque de contagion et la garantie du respect des dispositions en matière de santé et de sécurité pour tous les travailleurs doivent être la condition préalable à toute mesure d’urgence ou de redressement. Une nouvelle stratégie européenne, ambitieuse et efficace, est essentielle en matière de santé et de sécurité. Nous demandons à l'UE et aux États membres de résoudre les retards et les négligences dont ils ont fait preuve jusqu'à présent, d'appliquer pleinement les directives EU-OSHA pour faire face aux risques physiques et psychosociaux liés à la pandémie du COVID-19, de fournir un soutien adéquat aux inspections du travail et d'impliquer correctement les partenaires sociaux à tous les niveaux ainsi que les représentants syndicaux de la sécurité sur le lieu de travail dans la conception et la mise en œuvre de mesures de SST adéquates.
La CES continue de se mobiliser pour assurer le soutien nécessaire, par le biais du dialogue social, des négociations, du lobbying et de la coordination, à tous les travailleurs touchés par l'urgence. Nous réaffirmons la nécessité de renforcer les droits des travailleurs et des syndicats, ainsi que le dialogue social, la négociation collective et la participation des travailleurs. Tous ces outils fondamentaux seront utiles afin de répondre à l'urgence, de mettre en œuvre la stratégie de sortie et d’assurer la reprise.
La CES condamne une nouvelle fois l’abus des lois d’urgence par certains gouvernements visant à restreindre les droits des travailleurs et des syndicats ; et, avec ses organisations membres, elle est en première ligne dans la lutte pour défendre la démocratie, en particulier sur le lieu de travail, sur le marché du travail et dans l’économie.
Une relance durable et inclusive
La CES a exhorté les institutions européennes et les États membres à commencer immédiatement à définir une stratégie de relance européenne claire, ambitieuse et coordonnée, compte tenu de la nature extraordinaire de la crise. Nous avons besoin d'un plan de relance budgétaire massif, soutenu par une Union européenne capable de mobiliser des ressources et des investissements, afin de faire face aux risques de grave récession et d’explosion du chômage après la phase d'urgence.
Nous prônons un plan de relance basé sur un modèle économique plus durable, inclusif et équitable, basé sur une économie sociale de marché, où l'environnement est respecté, l'innovation numérique est mise au service des personnes, l'économie européenne est protégée, la création massive d'emplois de qualité est mise en avant, la répartition équitable entre les bénéfices et les salaires est assurée, et les travailleurs et les droits sociaux sont protégés. L’UE et les états membres doivent assurer l’universalité, l’égalité, la capacité et l’abordabilité des services publics, de la protection sociale et de l’éducation et la formation.
Nous avons vécu plus d'une décennie d'austérité et de coupes budgétaires, durant laquelle les intérêts commerciaux et les profits ont toujours été privilégiés par rapport à la protection des personnes et à la justice environnementale et sociale. Les inégalités dans la société et au travail ont par ailleurs été accentuées. Ce problème doit être réglé. Nous ne pouvons pas revenir à la situation d’avant. Toute stratégie de relance devra reposer sur une approche ambitieuse, équitable et inclusive.
Next Generation EU
La Commission européenne, dans sa communication « L'heure de l'Europe : réparer les dommages et préparer l'avenir pour la prochaine génération » publiée le 27 mai 2020, a lancé une stratégie de relance Next Generation EU, qui comprend des fonds allant jusqu’à 750 milliards d’euros, ce qui, combiné aux 1,1 billion d’euros du cadre financier pluriannuel 2021-2027, portera le montant total des ressources propres de l’Union européenne à 2 % du revenu national brut de l’UE, en plus des mesures d’urgence déjà lancées (540 milliards d’euros) et du prétendu programme PEPP de la BCE (750 milliards d’euros). Le plan de relance proposé par la Commission européenne, qui a repris et élargi la proposition présentée par la France et l’Allemagne et qui inclut de nombreuses demandes introduites par la CES, est un grand pas dans la bonne direction.
La CES est consciente que des investissements aussi colossaux seront en grande partie fournis aux États membres par le biais de subventions directes (500 milliards d’euros sur 750 milliards d’euros) et que l’argent sera collecté via des instruments de dette communs garantis par la Commission européenne au moyen d’une augmentation très attendue des ressources propres de l’UE. Cela évitera ainsi de créer une dette supplémentaire dans les pays de l’UE.
La CES apprécie que la Commission propose un certain nombre de nouvelles ressources propres, basées sur le système d’échange de quotas d’émissions, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, et sur la taxation du fonctionnement des grandes entreprises, en incluant une nouvelle taxe numérique et les propositions de la Commission concernant une taxe sur la valeur ajoutée et une taxe sur les plastiques non recyclés. De plus, la progressivité des systèmes de taxation nationaux doit être assurée, et la concurrence fiscale déloyale doit cesser au moyen d’une assiette fiscale et un taux d’imposition minimaux sur les sociétés de l’UE, et une lutte renforcée contre les paradis fiscaux, l’évasion fiscale, l’évitement et la fraude.
Il est bénéfique que ces investissements servant à sortir l'Europe de la récession contribuent aux engagements de l'UE en matière d'action climatique et de lutte contre le chômage, en particulier chez les jeunes. La CES se félicite que l'investissement privilégiera l'écologie et le numérique, et qu'il s'agira d'une condition générale pour tout financement des activités économiques, des infrastructures et des aides d'État, y compris le soutien à la solvabilité. En outre, il est important que tout l'argent soit acheminé par le biais des fonds de cohésion économique et sociale, garantissant ainsi la préservation de la solidarité, de l'égalité et de l'inclusion sociale.
Les services publics, les soins de santé, l’éducation et la formation, les systèmes de protection sociale et les infrastructures sociales doivent être fortement soutenus. La CES attend de la stratégie de relance qu’elle mette l’accent sur le principe de transition juste à tous les niveaux, sur le renforcement des industries et des secteurs économiques de l’UE, sur la défense des emplois en Europe, sur le soutien aux travailleurs touchés par l’insolvabilité et la restructuration en raison de la crise, sur la refonte des chaînes d’approvisionnement européennes en les rendant plus résilientes et plus durables, sur la refonte de nos règles de concurrence et sur une politique commerciale plus équitable et plus inclusive, notamment grâce à des dispositions contraignantes et exécutoires en matière de travail dans les accords commerciaux.
La reprise ne devrait pas correspondre à un retour à nos habitudes : l'austérité, les coupes budgétaires et les conditions budgétaires insupportables ne doivent plus jamais se reproduire. Les citoyens et les travailleurs veulent une Europe plus juste, plus verte et qui fonctionne mieux pour tous. L'UE ne peut pas simplement donner de l'argent aux entreprises sans exercer un certain contrôle sur leurs agissements. Le financement du plan de relance devrait être conditionné à la création d'emplois décents, la transparence du paiement d'impôts et à la réalisation d'objectifs climatiques convenus grâce au principe de transition juste. Il est primordial que toute entreprise refusant de négocier avec les syndicats ne bénéficie d’aucune subvention, d’aucun fonds et d’aucun autre marché public.
La CES apprécie que le respect de l'État de droit et des droits fondamentaux sera l'une des conditions du financement de la relance, tout en soulignant la nécessité que les droits des travailleurs et des syndicats, les droits sociaux, le dialogue social, la démocratie économique et sur le lieu de travail, le Socle européen des droits sociaux et l'Agenda 2030 des Nations Unies soient à la base de tous les financements accordés.
Il est également très important que dans son programme de travail « ajusté » pour 2020, publié en même temps que la stratégie de relance, la Commission européenne ait confirmé toutes les initiatives en faveur d’une reprise juste et durable sur le plan social. Elles incluront : le plan d'action pour la mise en œuvre du Socle européen des droits sociaux ; les mesures contraignantes de transparence salariale et la stratégie pour l'égalité des genres ; l'initiative législative sur des salaires minimums équitables ; le soutien à l'emploi des jeunes ; la stratégie en matière de compétences et le plan d'action pour l'éducation numérique ; l'initiative sur les travailleurs de plates-formes ; la garantie européenne pour les enfants ; l'éventuel cadre européen pour un système de revenus minimums. En outre, la révision des règles de gouvernance économique de l'UE ; une série d'initiatives pour une fiscalité équitable ; un régime européen de réassurance chômage permanent ; et un nouveau pacte sur la migration et l'asile. La poursuite du processus de transposition de la législation déjà adoptée a été confirmée, y compris la directive révisée relative au détachement des travailleurs. Ce qui manque au programme de travail, c’est la santé et la sécurité au travail, et cela doit être ajouté.
En outre, la CES restera vigilante à ce que l'annonce de la Commission selon laquelle le financement de la relance sera acheminé via le Semestre européen ne se traduira pas par de nouvelles mesures d'austérité et des contraintes budgétaires. La CES continuera de faire pression pour que le Semestre devienne plus socialement durable, grâce à une implication appropriée et structurée des syndicats dans sa conception et sa mise en œuvre, au niveau de l'UE et au niveau national.
Un chapitre spécifique sur la politique de voisinage, de développement et de coopération internationale de l'UE est inclus dans la stratégie de relance, avec un montant de ressources alloué de près de 130 milliards d'euros. La CES salue les efforts de l’UE visant à soutenir les pays confrontés à des difficultés liées à la crise actuelle, ainsi que les efforts visant à établir un multilatéralisme mondial plus juste et plus durable. Dans le même temps, la CES réaffirme que tous les fonds de coopération externe doivent viser les objectifs fixés dans la stratégie globale de relance, notamment la cohésion et la convergence économiques et sociales, la durabilité environnementale et sociale, la santé universelle et la protection sociale, l'État de droit et les droits humains, ainsi que les droits des travailleurs et des syndicats.
Enfin, la CES se félicite qu’une partie de la stratégie de relance soit consacrée au plan d’action européen annoncé pour la démocratie et à la relance de la conférence sur l’avenir de l’Europe, cette dernière ayant été reportée en raison de la pandémie. La CES souligne qu’une réflexion sur l’avenir de la démocratie européenne est plus importante que jamais, que les dirigeants politiques doivent être ouverts à l’examen de tous les changements nécessaires concernant l’architecture et le traité de l’UE, y compris le renforcement des droits sociaux par le biais d’un protocole de progrès social, et que les partenaires sociaux à tous les niveaux doivent être autorisés à apporter leur contribution à un tel débat, aux côtés des parlements nationaux et de l’UE.
Prochaines étapes
Le contexte politique dans lequel se déroulera le débat sur la stratégie de relance est très complexe : les gouvernements des pays appelés « Frugal Four » (Autriche, Danemark, Pays-Bas et Suède) s’opposent en effet à un CFP renforcé et à des subventions directes aux pays confrontés à des difficultés majeures liées à la pandémie. La Commission peut compter sur le soutien de la plupart des pays de la zone euro, tandis que la position de certains États membres de l'Europe centrale et de l’Est reste floue.
La CES considère la stratégie de relance présentée par la Commission européenne comme globalement positive, puisque la plupart des demandes que nous avons formulées ont été examinées. La stratégie proposée peut aider à maintenir la convergence vers le haut entre les États membres et à protéger l'économie européenne, la société et le monde du travail.
Dans les circonstances extraordinaires d'aujourd’hui, la solidarité est plus que jamais nécessaire pour assurer une stabilité, une prospérité et une cohésion à long terme, basées sur l'investissement, la croissance durable et inclusive, ainsi que sur l’emploi de qualité et la protection sociale. Sans une stratégie ambitieuse partagée par tous les États membres et conduite par l'UE dans un esprit communautaire, l'Europe ne peut réussir.
Par conséquent, la CES appelle tous les gouvernements à assumer leurs responsabilités, à surmonter leurs différends et à opter pour une approbation et une mise en œuvre rapides de la stratégie de relance et des mesures d'urgence déjà adoptées. Les travailleurs et les citoyens européens ont besoin d'aide et ne peuvent pas attendre plus longtemps.
La CES et ses membres sont prêts à contribuer aux plans nationaux et sectoriels afin de rendre la stratégie de relance pleinement opérationnelle, ainsi qu’à discuter avec les institutions européennes et les États membres sur la manière de résoudre tous les problèmes et obstacles possibles, et ce afin que la mise en œuvre du plan de relance soit une réussite.
La démocratie européenne, son économie et la cohésion sociale sont en jeu. Nous devons défendre et consolider le projet européen en renforçant la confiance des citoyens et en leur montrant que l’UE peut les protéger en ces temps très difficiles.