Résolution de la CES Une nouvelle stratégie européenne d’adaptation au changement climatique pour le monde du travail

ETUC Secretariat 2019

Une nouvelle stratégie européenne d’adaptation au changement climatique pour le monde du travail

Résolution de la CES adoptée par le Comité exécutif à la réunion du 28-29 Octobre 2020

Synthèse des messages clés

L’objectif de cette résolution est de présenter les recommandations de la CES avant l’adoption de la nouvelle stratégie d’adaptation de la Commission européenne qui fait partie du Green Deal européen. Les messages clés de la CES sont les suivants :

  • La nouvelle stratégie d’adaptation de l’UE devrait être juridiquement contraignante et inclure une forte dimension sociale avec une approche centrée sur l’être humain. Le monde du travail et l’impact qu’aura le changement climatique sur les conditions de travail et sur l’emploi n’ont jusqu’à présent pas été suffisamment abordés dans les politiques d’adaptation. La nouvelle stratégie d’adaptation devrait combler les lacunes existantes.
  • La nouvelle stratégie d’adaptation de l’UE devrait veiller à une approche inclusive de la gouvernance dans laquelle travailleurs et syndicats sont impliqués. Les travailleurs sont les mieux à même d’identifier les défis et les risques que les conséquences du changement climatique font peser sur leur travail. Ils devraient dès lors être associés à tous les niveaux à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques d’adaptation. Une attention particulière devrait également être accordée pour garantir l'égalité des sexes tant dans la gouvernance que dans les mesures politiques ainsi que pour soutenir les autres communautés vulnérables.
  • La nouvelle stratégie d’adaptation de l’UE devrait inclure des actions concrètes qui garantissent l’emploi et protègent la santé et la sécurité des travailleurs. Une nouvelle initiative législative et de nouveaux cadres d’action devraient être mis en place afin de protéger les travailleurs contre l’exposition aux fortes températures, aux radiations naturelles d’UV et autres risques pour la santé et la sécurité que le changement climatique et les mesures d’adaptation entrainent. La stratégie devrait également inclure des politiques actives du marché du travail ainsi que des mesures de reclassement et de formation professionnels.
  • La nouvelle stratégie d’adaptation de l’UE devrait garantir des investissements suffisants dans les services et infrastructures publics ainsi que le fonctionnement de systèmes de protection sociale inclusifs. Les travailleurs des services d’urgence et les mécanismes de protection sociale seront essentiels pour affronter les crises futures et accroître la résilience de nos sociétés. Ils devraient donc être correctement financés. Ces investissements devraient s'ajouter à de nouvelles ressources pour protéger l'environnement, la biodiversité et les zones géographiques vulnérables.
  • La nouvelle stratégie d’adaptation devrait renforcer les ambitions de l’UE en matière de coopération avec les pays émergents pour financer et développer des solutions d’adaptation. En utilisant pleinement son levier diplomatique, l’UE devrait orienter les négociations internationales, tant pour intensifier l’ambition climatique que pour avancer en matière d’adaptation.
  • La nouvelle stratégie d'adaptation de l'UE devrait fournir une cartographie claire de l'impact que le changement climatique aura sur les chaînes d'approvisionnement industrielles ainsi que sur la production d'énergie.

Eviter l’ingérable et gérer l’inévitable

Le changement climatique est un fait et ses conséquences deviennent réalité pour les citoyens et les travailleurs. La dernière décennie a été la plus chaude de l’histoire moderne[1]. Les augmentations de température s’accompagnent d’événements météorologiques extrêmes tels qu’inondations, tempêtes, sécheresses et feux de forêt qui deviennent plus intenses et plus fréquents au fil du temps.

Les données de l’Agence européenne pour l’environnement révèlent qu’entre 1980 et 2017, environ 90 000 personnes sont mortes dans l’UE en raison d’événements liés au climat et que les dégâts causés par ces événements ont entrainé des pertes économiques de près de 430 milliards d’euros[2]. Si aucune action n’est engagée, ces chiffres devraient monter en flèche dans les décennies à venir en conséquence directe du changement climatique.

Pour limiter ces dégâts à l’avenir et éviter de désastreuses conséquences pour notre société, la première chose à faire est de maintenir le réchauffement de la planète sous le seuil des 1,5 à 2°C et donc de drastiquement réduire nos émissions de gaz à effet de serre. C’est la raison pour laquelle les mesures d’atténuation sont, et resteront, une priorité absolue pour le mouvement syndical. La CES est résolue à poursuivre son travail pour assurer une transition juste vers une économie circulaire et climatiquement neutre[3].

Malgré tous ces efforts d’atténuation, nous devons également nous assurer que nos sociétés puissent anticiper ces changements et s’adapter aux effets néfastes qui surgiront quoique l’on fasse. Les mesures d’atténuation et d’adaptation devront de toute façon toujours être complémentaires et conformes aux objectifs de développement durable des Nations Unies.

C’est dans ce contexte que la Commission européenne devrait bientôt adopter, dans le cadre du Green Deal européen, une nouvelle stratégie d’adaptation pour encourager et renforcer les mesures d’adaptation parmi ses États membres.

La dimension sociale de l’adaptation au changement climatique

Si nous voulons que la nouvelle stratégie d’adaptation augmente la résilience de nos sociétés et améliore le bien-être des citoyens de l’UE, il est essentiel qu’elle inclue une forte dimension sociale et repose sur une approche centrée sur l’être humain. La stratégie devrait accorder une attention suffisante aux travailleurs et au monde du travail, tant dans sa gouvernance que dans ses mesures politiques.

A ce jour, la plupart des mesures d’adaptation définies dans la stratégie européenne précédente et développées par les États membres mettaient l’accent sur des solutions techniques, par exemple pour protéger les terres, éviter l’érosion côtière, gérer la fourniture d’eau, développer de nouveaux types de cultures, etc. Toutefois, un très petit nombre de ces mesures et des recherches scientifiques associées se sont penchées sur la dimension sociale du problème et sur les effets que le changement climatique aura sur les personnes, les travailleurs et les communautés. Le monde du travail et l’impact du changement climatique sur les conditions de travail et sur l’emploi ont souvent été laissés de côté dans ces débats. Le « Schéma directeur pour une nouvelle stratégie d’adaptation de l’UE  plus amitieuse»[4], publié en juin 2020 par la Commission européenne, confirme malheureusement cette tendance.

Cela est particulièrement inquiétant parce que la vie des travailleurs sera fortement affectée par les changements à venir. En effet, l’exposition accrue à des températures élevées sur le lieu de travail aggravera les risques de coups de chaleur, de fatigue, de manque de concentration et de complication de maladies chroniques. En outre, l’intensification d’événements extrêmes liés au climat, tels que tempêtes, inondations ou feux de forêt, entrainera davantage de dommages corporels. Les maladies professionnelles liées à des agents biologiques seront également affectées par les changements climatiques tels que l’augmentation des températures qui influence la répartition géographique des vecteurs (tiques, moustiques,…) d’agents pathogènes et favorise donc la propagation de maladies nouvelles dans des régions jusque-là préservées. Le changement climatique aggrave aussi les risques de déshydratation, de cancer de la peau, d’exposition aux poussières et pour la santé mentale. Les personnes travaillant à l’extérieur sont particulièrement exposées à ces types de risques. Tous ces facteurs augmentent également les risques en matière de santé et de sécurité au travail dans de nombreux secteurs.

Outre ces conséquences sur la santé et la sécurité, le changement climatique touchera aussi de nombreux autres domaines, qu’il s’agisse de l’organisation du travail, des besoins en compétences, de capacité d’investissement ou d’emploi. Les fluctuations des températures saisonnières et les événements météorologiques extrêmes affecteront gravement, entre autres, la productivité et la disponibilité d’emplois dans les secteurs comme l’agriculture, la foresterie, la construction et le tourisme. Les pénuries d’eau, les événements climatiques extrêmes et des températures en hausse pourraient aussi présenter des défis pour des secteurs tels que l’énergie, l’industrie et les transports en raison des dégâts aux infrastructures ou aux chaînes d’approvisionnement. Selon une étude commandée par la DG CLIMA, 410 000 emplois pourraient être en péril dans l’UE d’ici à 2050 si aucune mesure d’adaptation n’est adoptée[5]. Les projections de l’OIT basées sur une augmentation de la température mondiale de 1,5% d’ici à la fin de ce siècle suggèrent que « en 2030, 2,2 pour cent du total des heures de travail dans le monde seront perdus en raison de températures plus élevées, soit une perte équivalente à 80 millions d’emplois à plein temps représentant des pertes économiques de 2 400 milliards de dollars »[6].

Recommandations de la CES pour une stratégie d’adaptation soucieuse des travailleurs

Au vu de ces éléments, la CES exhorte la Commission européenne à inclure un chapitre spécifique dédié au monde du travail et à la dimension sociale dans sa nouvelle stratégie d’adaptation de l’UE. Les sections suivantes présentent quelques recommandations concernant les défis décrits plus haut. Ces recommandations s’inspirent du projet récent mené par la CES relatif au changement climatique et au monde du travail[7].

1. Une gouvernance inclusive impliquant travailleurs et syndicats

En matière d’adaptation, on trouve rarement une solution universelle. Bien que certaines solutions et normes minimales communes puissent être fixées au niveau de l’UE, les bouleversements qu’entraine le changement climatique peuvent être très différents d’une région à l’autre et l’adaptation dépend donc fortement des réalités sectorielles et géographiques. Un élément clé de la nouvelle stratégie d’adaptation de l’UE devrait donc être de proposer une gouvernance forte et inclusive au niveau national, régional, local et de l’entreprise pour faire en sorte que toutes les parties et communautés concernées soient impliquées dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques d’adaptation.

La CES estime à cet égard que la nouvelle stratégie devrait encourager et veiller à l’implication des syndicats et des représentants des travailleurs à toutes les étapes du processus et dans les différents secteurs, au niveau européen et dans tous les pays de l’UE. Les travailleurs sont en effet les mieux placés pour identifier les défis et les risques que le changement climatique fait peser sur leur travail et leurs conditions de travail. Les syndicats sont engagés à travailler sur ce sujet important et à trouver des solutions d'adaptation. Ils devraient dès lors être activement impliqués dans l’élaboration des futurs plans et mesures d’adaptation.

Au niveau européen, national, régional et sectoriel, la nouvelle stratégie d’adaptation de l’UE devrait garantir un dialogue social bipartite ou tripartite fort et stable et promouvoir cet outil pour permettre aux employeurs et aux travailleurs de discuter des besoins d’adaptation, d’identifier les inquiétudes des travailleurs et de développer des solutions de terrain.

La Commission devrait également fortement encourager les entreprises à discuter des plans et stratégies d’adaptation avec leurs travailleurs, par exemple à travers les comités d’entreprise européens, les comités d’entreprise, les comités de santé et de sécurité au travail et les représentants des travailleurs ou les délégués du personnel pour la santé et la sécurité[8]. Un tel dialogue est essentiel pour éviter des conséquences socioéconomiques négatives et les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs. Les comités de dialogue social sectoriel jouent un rôle important de contrôle de la mise en œuvre et de l’application du cadre juridique en matière de sécurité et de santé au travail (SST) ainsi que de promotion des nouveaux instruments destinés à répondre aux défis de SST dans différents secteurs. Le projet récent de la CES sur l’adaptation a montré qu’il existe des exemples concrets de conventions collectives entre travailleurs et employeurs qui contribuent à accroître notre résilience face au changement climatique.

En assurant une consultation et une implication adéquates des travailleurs et des syndicats, la Commission contribuerait également à davantage sensibiliser les travailleurs à cet important sujet ainsi qu’à garantir une application correcte des mesures d’adaptation. La nouvelle stratégie d’adaptation de l’UE devrait à cet égard continuer à soutenir le renforcement des capacités parmi les partenaires sociaux à tous les niveaux (aux niveaux européen, national, régional, sectoriel et de l'entreprise).

Enfin, la CES insiste sur la nécessité pour la nouvelle stratégie d’adaptation de l’UE d’être juridiquement contraignante. En effet, l’évaluation de la précédente stratégie de l’UE relative à l’adaptation au changement climatique menée par la Commission européenne en 2018 indique clairement que « il y a une marge pour améliorer la mise en œuvre et le suivi [des mesures d’adaptation] et que « les progrès dans l’adoption des stratégies d’adaptation locales ont été plus lents qu’espéré »[9]. Une stratégie juridiquement contraignante permettrait à la Commission européenne d’obliger les États membres à développer leurs plans et stratégies d’adaptation nationaux. Cela permettrait aussi une meilleure supervision et un meilleur contrôle de la mise en œuvre des mesures d’adaptation. Dans ce but, la stratégie d’adaptation de l’UE devrait définir des critères et indicateurs d’évaluation clairs.

2. Des mesures de politique qui maintiennent l’emploi et protègent la santé et la sécurité des travailleurs

En plus de ces considérations sur la gouvernance, la nouvelle stratégie d’adaptation de l’UE devrait aussi inclure des recommandations de politique afin d’assurer que la santé et la sécurité des travailleurs sont protégées et d’éviter les pertes d’emplois dans les secteurs les plus affectés. A cette fin, la CES recommande les mesures suivantes :

Tout d’abord, pour combler les lacunes existantes dans la recherche sur la dimension socioéconomique de l’adaptation, la nouvelle stratégie devrait encourager les États membres à développer des études pour évaluer l’impact du changement climatique sur le monde du travail. Si la R&D dans les nouvelles technologies vertes et adaptatives sont importantes, il existe aussi un besoin criant d’études plus détaillées pour évaluer en profondeur les conséquences qu’aura le changement climatique sur l’emploi et les conditions de travail. Ces études devraient être menées avec un niveau de granularité élevé et se pencher sur les différentes régions et les différents secteurs de l’économie européenne. Les récentes vagues de chaleur et sécheresses ont déjà temporairement mais gravement entravé les opérations industrielles ou la production d'énergie dans de nombreuses régions européennes. La stratégie d'adaptation devrait fournir une cartographie claire des impacts perturbateurs que les conséquences du changement climatique pourraient avoir sur les chaînes d'approvisionnement industrielles, en Europe et au-delà. De la même manière, elle devrait étudier l'impact sur la production d'énergie (hydroélectricité) et sur les opérations de maintenance associées (refroidissement des centrales).Elles devraient également tenir compte de la dimension de genre des politiques d’adaptation et déterminer dans quelle mesure les communautés les plus vulnérables sont affectées par les changements. L’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail peut jouer un rôle clé dans la production de telles études. La numérisation et l’utilisation de données agrégées peuvent aussi se révéler très utiles pour étudier et anticiper les effets du changement climatique sur les travailleurs.

La nouvelle stratégie d’adaptation de l’UE devrait également proposer de nouvelles initiatives législatives pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs contre les effets néfastes du changement climatique et inviter les États membres à faire de même au niveau national. De telles initiatives sont particulièrement urgentes lorsqu’il s’agit de l’exposition des travailleurs à des températures extrêmes. La protection dont les travailleurs bénéficient actuellement en Europe varie fortement selon les pays. Dans certains pays, les limites de température sont négociées collectivement tandis que, dans d’autres, ces limites sont fixées par la loi. Dans d’autres encore, ces deux cas cohabitent. Enfin, aucune limite n’existe dans certaines régions. La CES demande à la Commission européenne d’introduire un instrument législatif qui reconnaisse le risque accru que des températures élevées représentent et de définir un cadre pour la protection des travailleurs[10]. Les conditions météorologiques ignorent les frontières nationales, une action européenne est donc nécessaire. Le rayonnement naturel d’UV devrait être inclus en tant que facteur de risque dans le cadre de la directive sur les normes minimales de santé et de sécurité relatives à l’exposition des travailleurs aux risques liés à des agents physiques. Les partenaires sociaux devraient être soutenus dans leurs efforts pour protéger les travailleurs contre les radiations d’UV. Ces éléments devraient être pris en compte dans la nouvelle stratégie de l’UE en matière de santé et de sécurité au travail (UE SST) en cours d’élaboration par la Commission européenne. Un lien clair devrait être établi entre ces deux stratégies.

L’application de la réglementation UE SST est cruciale pour protéger la vie et la santé des travailleurs et garantir que le droit européen en la matière est respecté dans l’ensemble de l’UE. Les services de l’inspection du travail ont besoin de davantage de soutien et d’un financement adéquat, singulièrement face aux défis et aux risques pour la santé et la sécurité liés au changement climatique. La fréquence et la qualité des inspections doivent également être améliorées. L’UE devrait à cet égard prendre des mesures ambitieuses pour atteindre l’objectif de l’OIT de minimum un inspecteur du travail pour 10 000 travailleurs.

En outre, la crise de la Covid-19 a montré que, face à des défis et perturbations importants, le recours aux technologies numériques et au télétravail peut significativement accroître la résilience des entreprises et des sociétés. Toutefois, ces mesures d’adaptation peuvent également avoir de profonds effets sur l’organisation, la charge et les conditions de travail. Les politiques d’adaptation devraient dès inclure une réflexion plus large sur ces nouveaux éléments dans la perspective des futurs cadres d’action afin d’éviter que les travailleurs doivent s’adapter d’une manière qui pourrait être préjudiciable pour leur santé et leur sécurité, leur niveau de stress et leur équilibre vie professionnelle-vie privée.

En plus de ces considérations sur la santé et la sécurité, les conséquences du changement climatique et les besoins d’adaptation affecteront également l’emploi. Les nouveaux défis devront être relevés à travers des politiques actives du marché du travail favorisant un système productif plus vert et plus résilient. Ils exigeront également de nouvelles compétences et des formations pour les travailleurs ainsi que des investissements en infrastructures et en équipement. La nouvelle stratégie d’adaptation devrait inclure ces aspects.

De plus, la nouvelle stratégie d’adaptation de l’UE devrait accorder une attention toute particulière à l’égalité de genre. En effet, les politiques d’adaptation au changement climatique, comme toute autre politique, ne sont pas neutres du point de vue du genre. Puisque le changement climatique aura des effets différents sur les hommes et les femmes, il est important que les politiques d’adaptation reconnaissent et tiennent compte de ces différences. Afin de veiller à l’efficacité des mesures d’adaptation et de s’assurer qu’elles réduisent les inégalités et autres conséquences néfastes pour les femmes, il est crucial que ces mesures soient validées à travers une démarche basée sur l’égalité des sexes. A cet égard, la CES préconise une approche répondant aux besoins particuliers des hommes et des femmes dans l’élaboration et le processus de mise en œuvre à tous les niveaux des nouvelles politiques d’adaptation[11]. Les politiques d’adaptation existantes devraient aussi être revues dans cette optique et ajustées en conséquence. Pour prévenir les inégalités et développer des solutions inclusives, la participation des femmes au processus décisionnel et au marché du travail doit être garantie. Des vérifications et un processus inclusif similaires devraient être effectués pour protéger d’autres communautés vulnérables (tels les travailleurs migrants ou saisonniers) ou éviter tout type de préjugés ou de discriminations (fondés sur la culture, la religion, la race, l’origine ethnique, le handicap, etc.).

La nouvelle stratégie devrait aussi insister sur le rôle des services publics dans l’adaptation au changement climatique. De fait, le rôle de l’administration publique sera essentiel lorsqu’il s’agira de traduire les plans d’adaptation en actions concrètes au niveau local. Parallèlement, les travailleurs des services d’urgence tels que les pompiers, le personnel médical et de soins et la protection civile sont en première ligne de la lutte contre le changement climatique et souffrent déjà énormément en raison de la multiplication d’événements climatiques extrêmes . Ces travailleurs font face à des risques de santé et de sécurité accrus, à davantage de stress et à une plus lourde charge de travail dus au changement climatique. Par conséquent, la nouvelle stratégie d’adaptation de l’UE devrait garantir un financement correct et des ressources en personnel suffisantes ainsi que des infrastructures publiques adéquates dans tous les États membres. Ce besoin d’augmenter le financement des services publics devrait être repris dans toutes les politiques et recommandations de l’UE.

En plus des services publics, la nouvelle stratégie devrait renforcer les systèmes de protection sociale pour préserver les travailleurs et leurs communautés des conséquences néfastes du changement climatique (par ex. en matière d’allocations de chômage, systèmes de santé publics, de garantie salariale, etc.). La crise de la Covid-19 a montré que, en temps d’urgence, les systèmes de protection sociale comme les régimes de chômage temporaire et l’assurance maladie sont essentiels pour renforcer la résilience de notre société et protéger les communautés les plus vulnérables. Ici encore, une attention particulière devrait être accordée à la dimension de genre ainsi qu’aux minorités. Lorsqu’ils sont confrontés à des événements extrêmes liés au temps, les travailleurs ne devraient pas être soumis aux mêmes impératifs de productivité que dans des conditions normales. La charge et l’intensité de travail devraient donc être adaptées en conséquence afin d’éviter l’épuisement professionnel et les horaires insoutenables et préserver l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée en particulier dans les secteurs les plus touchés. De telles adaptations pourraient se faire sous forme d’allocations de chômage temporaire, ou d’un mécanisme similaire, en cas de mauvaises conditions météorologiques. Les travailleurs ne devraient pas servir de variable d’ajustement ni être tenus à des horaires flexibles sans discussion préalable avec les syndicats.

La CES appelle également la Commission européenne à davantage développer les mécanismes de solidarité existants entre les États membres et les régions de l’UE pour renforcer la coordination face à des urgences climatiques ou élaborer des solutions d’adaptation. Le changement climatique affectera certaines régions plus que d’autres et la solidarité européenne devrait veiller à ce que les coûts qui y sont liés soient équitablement répartis.

La CES demande à la Commission de se pencher sur les questions de précarité énergétique et de pauvreté en eau dans sa nouvelle stratégie d’adaptation. L’accès à l’eau, à l’assainissement et à l’énergie est un droit humain. Ce droit doit être reconnu dans le cadre d’adaptation futur. Ceci est particulièrement pertinent parce que l’approvisionnement en eau et en énergie sera de plus en plus menacé par le changement climatique. Une interdiction de déconnexion devrait être imposée et l’isolation adéquate des bâtiments devrait être une priorité absolue, en particulier pour les ménages à faible revenu.

D’une manière générale, les mesures d’adaptation sont supposées avoir des effets positifs sur l’économie et l’emploi. De telles mesures contribuent de fait à préserver les emplois existants en maintenant la viabilité et la résilience des entreprises. De plus, de nombreuses mesures d’adaptation exigent d’importants investissements qui, à leur tour, stimulent la demande de main-d’œuvre. Ces investissements peuvent également stimuler la demande pour de nouveaux types de biens et services et donc créer de nouveaux débouchés commerciaux et favoriser l’innovation. Il sera important de s’assurer que les nouveaux emplois ainsi créés sont de qualité et qu’ils répondent aux normes sociales les plus élevées. L’adaptation devrait donc aller de pair avec un ambitieux agenda social attentif à l’application du socle européen des droits sociaux et à une gouvernance inclusive.

3. Financer l’adaptation par une fiscalité équitable

Qu’il s’agisse d’atténuation ou d’adaptation, il est évident que les coûts économiques de l’inaction dépassent de loin les coûts des mesures d’adaptation qui s’imposent aujourd’hui. Il est donc essentiel que l’UE et ses États membres puissent compter sur un financement suffisant pour couvrir les coûts liés à l’action pour le climat et à une transition juste.

La CES estime que les discussions sur le financement de l’action pour le climat devraient être étroitement liées aux discussions sur une fiscalité equitable. L’introduction d’une taxe sur les transactions financières, d’une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés, d’un taux commun d’imposition des sociétés de 25% et d’une taxation de l’industrie numérique contribuerait de manière significative au financement de l’action pour le climat tout en redistribuant équitablement les gains et coûts de la transition. Le budget européen a également un rôle important à jouer à cet égard. D’autres types et mécanismes de taxation environnementale génératrice de revenus pourraient aussi concourir à financer l’adaptation.

4. Une stratégie européenne d’adaptation qui va au-delà de l’Europe

Bien que la nouvelle stratégie de l’UE relative à l’adaptation s’inscrira dans un cadre européen, il faut garder à l’esprit que les conséquences néfastes du changement climatique seront encore plus graves en dehors de l’Europe. D’autres continents seront en effet bien plus affectés par les changements à venir alors même que leurs capacités d’adaptation sont bien moindres. Les régions du monde les plus vulnérables sont aussi moins responsables du changement climatique que les pays industrialisés parce qu’elles émettent moins d’émissions de gaz à effet de serre.

Dans ce contexte, la nouvelle stratégie d’adaptation de l’UE devrait avoir pour but d’accroître les ambitions européennes en matière de coopération avec les pays émergents pour financer et développer des solutions d’adaptation. En utilisant pleinement son levier diplomatique, l’UE devrait également orienter les négociations internationales, aussi bien pour intensifier les efforts mondiaux en faveur du climat que pour accélérer l’adaptation. La nouvelle stratégie devrait établir un plan pour de telles activités diplomatiques et proposer des mesures concrètes.

Conclusion

Le changement climatique est une réalité. Il est ici et maintenant. Ses conséquences affectent de plus en plus les travailleurs dans tous les secteurs. La nouvelle stratégie d’adaptation de l’UE devrait mettre fortement l’accent sur la dimension sociale de ce problème et inclure des propositions concrètes pour faire face aux défis posés au monde du travail.

Afin de répondre aux inquiétudes des travailleurs, cette stratégie devrait mettre en place une gouvernance inclusive dans laquelle les syndicats ont leur mot à dire. Elle devrait également inclure un plan d’action et des recommandations concrètes à destination des États membres concernant la protection de la santé et de la sécurité de leurs travailleurs ainsi que le maintien d’emplois de qualité dans les secteurs et les régions les plus touchés. La nouvelle stratégie devrait aussi fournir plus de détails sur le financement de l’adaptation et être étroitement liée aux discussions sur l’équité fiscale. Enfin, la stratégie devrait détailler un plan d’action pour renforcer la diplomatie climatique de l’UE et améliorer le soutien aux pays en développement les plus touchés.

Pour s’assurer que le point de vue des travailleurs soit correctement pris en compte, la CES continuera à plancher sur ce sujet avec ses affiliés et encouragera toutes les organisations syndicales à s’impliquer dans l’élaboration et la mise en œuvre des futurs plans nationaux d’adaptation. Les membres de la CES sont engagés à travailler sur cette question importante.

Pour une information plus détaillée à propos de l’impact du changement climatique sur le monde du travail et pour plus de recommandations, on se référera au guide de la CES pour les syndicats sur l’adaptation au changement climatique et le monde du travail[12].

Annexe I – Recommandations aux organisations syndicales (diffusion interne)

En complément aux recommandations de politique contenues dans cette position, la CES pense également qu’il est important que le mouvement syndical s’implique davantage pour promouvoir le thème de l’adaptation dans ses structures internes. Un récente enquête interne, menée par Syndex dans le cadre du projet de la CES relatif à l’adaptation, a montré que l’adaptation au changement climatique reste un sujet relativement méconnu pour de nombreuses organisations syndicales européennes et qu’un important travail est nécessaire pour davantage développer leurs connaissances dans ce domaine ainsi que pour sensibiliser leurs membres. En se basant sur les conclusions du projet, la CES souhaiterait soumettre les recommandations suivantes à l’attention de ses affiliés. Plus d’informations et des exemples de bonnes pratiques sont disponibles dans le guide de la CES « Adaptation au changement climatique et monde du travail »[13].

Au niveau européen :

  • Continuer à sensibiliser les membres de la CES (confédérations nationales et fédérations sectorielles) à l’importance de l’adaptation au changement climatique.
  • Continuer à développer nos connaissances à propos de l’impact du changement climatique sur les travailleurs et des recommandations de solutions d’adaptation.
  • Faire pression sur les institutions de l’UE pour qu’elles tiennent compte de l’impact du changement climatique sur les travailleurs dans l’élaboration et le contrôle des mesures d’adaptation
  • Essayer d’inscrire ce thème à l’agenda des comités d’entreprise européens.

Au niveau national :

  • Essayer d’impliquer votre organisation dans l’élaboration et la mise en œuvre des plans et stratégies nationaux d’adaptation.
  • Pour davantage sensibiliser à ce thème, organiser des événements et des publications pour discuter du changement climatique et de son impact sur les travailleurs.
  • Promouvoir des actions au niveau de l’entreprise et inclure le changement climatique dans le programme de formation des délégués syndicaux.

Au niveau sectoriel/régional :

  • Tenter de cartographier et d’évaluer l’impact négatif que le changement climatique peut avoir sur votre secteur/région, tant sur le plan de l’emploi que des conditions de travail.
  • Appeler les organisations patronales à encourager la négociation collective et à négocier des conventions collectives sectorielles visant à protéger les travailleurs (par ex. concernant les limites de température au travail).
  • Diffuser le guide de la CES sur l’adaptation au changement climatique et le monde du travail et sensibiliser et informer les travailleurs à propos des risques spécifiques pour leur santé et sécurité dus au changement climatique dans leurs secteurs respectifs.

Au niveau de l’entreprise :

  • Etablir un dialogue avec la direction visant à identifier les risques auxquels les travailleurs sont confrontés et les informer à ce sujet.
  • Invoquer les droits des syndicats et/ou des comités d’entreprise à l’information et à la consultation et impliquer les comités et représentants du personnel pour la santé et la sécurité dans la récolte d’informations et en discuter. Les comités d’entreprise devraient également déterminer les besoins de formation pour développer les aptitudes et compétences adéquates des travailleurs pour s’adapter au changement climatique
  • Inviter les employeurs à négocier et à conclure des conventions collectives pour adapter les conditions de travail et les procédures en matière de santé et de sécurité.

À tous les niveaux, il est important que les organisations syndicales prêtent attention à la dimension de genre des conséquences du changement climatique et de l'adaptation. Ils devraient promouvoir une approche inclusive et sensible au genre lors de l'élaboration et de la mise en œuvre des mesures d'adaptation.


[1] Observatoire de la Terre, NASA, 2018, https://earthobservatory.nasa.gov/images/144510/2018-was-the-fourth-warmest-yearcontinuing-long-warming-trend

[2] AEE, 2019, Données Munich Re, https://www.eea.europa.eu/data-and-maps/indicators/direct-losses-from-weather-disasters-3/assessment-2

[3] Voir CES, 2019, Position pour un Green Deal européen solidaire, https://www.etuc.org/fr/document/position-de-la-ces-pour-un-green-deal-europeen-solidaire et CES, 2020, Résolution sur les initiatives européennes en matière de Green Deal, https://www.etuc.org/fr/document/resolution-de-la-ces-sur-les-initiatives-europeennes-en-matiere-de-green-deal-loi-sur-le

[4] Commission européenne, 2020, Adaptation to Climate Change Blueprint for a new, more ambitious EU strategy, https://ec.europa.eu/clima/sites/clima/files/consultations/docs/0037/blueprint_en.pdf

[5] Triple E Consulting, 2014, Evaluation des implications de l'adaptation au changement climatique sur l’emploi dans l’UE, https://trinomics.eu/wp-content/uploads/2015/06/Climate-Change-Adaptation-and-Employment.pdf

[6] OIT, 2019, Travailler sur une planète plus chaude; L’impact du stress thermique sur la productivité du travail et le travail décent, https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---dgreports/---dcomm/---publ/documents/publication/wcms_737037.pdf

[7] CES, 2020, Un guide pour les syndicats –  Adaptation au changement climatique et monde du travail, https://www.etuc.org/sites/default/files/page/file/2020-09/ETUC-adaptation-climate-guide_FR.pdf

[8] Cela pourrait être fait par ex. en inscrivant formellement le thème de l’adaptation au changement climatique à l’ordre du jour du dialogue social ou en désignant formellement un représentant ou un délégué des travailleurs dédié aux thèmes liés au climat et à l’environnement au sein des comités d’entreprise et des comités de santé et de sécurité.

[9] Commission européenne, 2018, Evaluation de la stratégie d’adaptation de l’UE, https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/swd_evaluation-of-eu-adaptation-strategy_en.pdf

[10] CES, 2018, Résolution sur la nécessité d’une action de l’UE pour protéger les travailleurs contre les températures élevées, https://www.etuc.org/en/document/etuc-resolution-need-eu-action-protect-workers-high-temperatures

[11] À cet égard, la CES appelle les institutions de l'UE et les États membres à œuvrer à la réalisation des objectifs stratégiques de la plate-forme d'action de Pékin sur les femmes et l'environnement, ainsi qu'à inclure systématiquement une perspective des droits des femmes et de l'égalité des genres dans la définition, mise en œuvre et suivi des politiques environnementales / climatiques à tous les niveaux

[12] CES, 2020, Un guide pour les syndicats, Adaptation au changement  climatique et monde du travail, https://www.etuc.org/sites/default/files/page/file/2020-09/ETUC-adaptation-climate-guide_FR.pdf

[13] Ibid.