Adoptée lors de la réunion du Comité exécutif des 27-28 septembre 2023
Cette résolution[i] présente les éléments clés du changement de paradigme nécessaire pour répondre aux récentes crises[ii], aux politiques de nos partenaires, par ex. la loi américaine de réduction de l’inflation, aux puissances émergentes et anti-démocratiques et aux problématiques géopolitiques complexes qui mènent l’UE à négocier de nouveaux partenariats et à accélérer la conclusion d’accords commerciaux afin de garantir ses approvisionnements en matières premières, y compris critiques, en biens intermédiaires et en énergies alternatives et autres produits très recherchés (voir Annexe) malgré de graves violations des droits humains et des droits des travailleurs[iii] dans le monde.
La CES considère que le respect des droits humains et syndicaux et de l'environnement est obligatoire pour les entreprises européennes. Les accords commerciaux de l'UE devraient promouvoir les mêmes valeurs et empêcher les violations entraînant un avantage concurrentiel.
La CES privilégie un commerce progressiste et ouvert, fondé sur le droit, juste et durable assurant l’égalité de droits et de prestations aux travailleurs et aux citoyens, l’OIT étant leader en matière de réglementation sociale travaillant avec l’OMC et les agences des Nations Unies pour réguler le multilatéralisme. La libéralisation du commerce n’a pas donné lieu à une redistribution des richesses et n’a pas été accompagnée de politiques expansives et équitables en matière d’économie, de marché du travail et d’éducation. La prochaine conférence ministérielle (MC13) doit être l’occasion de réformer l’OMC pour y ancrer la transition juste et les droits des travailleurs. Il est essentiel d’inclure des chapitres exécutoires sur le commerce et le développement durable dans les futurs accords commerciaux mais ils doivent entraîner de vrais changements.
Quoique créant des emplois, les modèles économiques et les pratiques d’achat qui prévalent ont également conduit à un accroissement des inégalités impactant négativement les travailleurs, les communautés et l’environnement, en particulier dans le Sud global. Le temps est venu pour l’UE de tourner le dos au paradigme néolibéral et de pleinement adopter une « autonomie stratégique ouverte » et le nouvel objectif déclaré[iv] de la politique commerciale de l’UE tout en étant en ligne avec les objectifs de sa stratégie industrielle et en protégeant les services publics par leur exclusion des accords commerciaux, ainsi que l'exclusion d'autres secteurs où l'accord commercial aurait un impact négatif sur les travailleurs.
La politique commerciale de l’UE doit être complétée par des politiques nationales ambitieuses, cohérentes et intégrées dans les domaines social, environnemental, du marché du travail, industriel et éducatif et, au besoin, par leurs équivalents au niveau européen, par ex. une politique industrielle et des investissements coordonnés afin de maintenir la cohésion au sein de l’UE. Pour assurer le fonctionnement du marché unique, l’UE devrait, dans certaines questions commerciales[v], également tenir compte de l’accord sur l’EEE.
Nous considérons comme essentiels les éléments suivants par rapport auxquels nous évaluerons les instruments commerciaux de l’UE.
Un nouveau processus démocratique
Tous les accords commerciaux de l’UE devraient être négociés selon des processus transparents, démocratiques et inclusifs dans lesquels les syndicats ont un rôle à jouer au sein de l’UE et des pays partenaires, allant de la négociation au suivi et à l’évaluation des accords. Cela contribuerait à contrer l’influence excessive des grandes entreprises.
Les syndicats doivent être consultés de manière significative lors des négociations et des discussions avec l’OCDE et l’OMC afin de veiller aux intérêts des travailleurs, à la qualité de l’emploi et à la réduction des inégalités, tant dans le Nord que dans le Sud global.
La création du dialogue social transatlantique est une bonne première étape mais il doit être plus incisif quant à l’agenda ministériel UE-États-Unis et ne devrait pas rester une instance isolée mais bien être reproduit dans d’autres partenariats commerciaux.
Droits du travail et sociaux au centre
La nouvelle politique européenne d’inclure des sanctions relatives aux normes du travail est bienvenue. Toutefois, les accords déjà conclus ne contiennent pas de telles dispositions ; de nouveaux chapitres sur le commerce et le développement durable devraient être inclus dans les ALE qui doivent encore être finalisés ainsi que dans les ALE existants lors de leur révision. Une fois inclus, l’UE doit aller plus loin dans leur implémentation, l’analyse effective des violations des droits du travail, la garantie de recours et d’accès à la justice pour les victimes.
La ratification et l’implémentation des normes fondamentales du travail de l’OIT et la conformité avec les conventions et instruments actualisés[vi] doivent constituer un préalable à l’ouverture de négociations. Si un pays partenaire ne remplit pas cette condition, il doit démontrer à travers une feuille de route contraignante et exécutoire comment il y parviendra dans un temps donné.
La CES rejette les accusations de protectionnisme[vii]. L’UE devrait répondre à de semblables allégations en expliquant clairement pourquoi certaines conditions sont essentielles pour faire face aux défis mondiaux[viii] et en offrant un soutien technique, un transfert de technologies et une coopération au développement afin de conjointement réduire les inégalités et la pauvreté mondiales plutôt que de les exacerber en exploitant les matières premières sans aucune création de valeur dans les pays partenaires.
L’UE devrait s’opposer aux abus à l’égard des travailleurs et effectivement promouvoir et soutenir le travail décent[ix], le droit d’organiser et la négociation collective. Tous les outils[x] devraient être déployés pour établir une responsabilisation accrue de ceux qui tirent profit de l’exploitation de la main-d’œuvre et assurer qu’aucun fonds public n’est accordé à tout qui ignore les conventions collectives. Nous appelons l’UE à soutenir le traité contraignant des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme, à promouvoir les règles de l’OMC qui imposent le respect des normes de l’OIT et autorisent l’imposition de droits de douane sur les produits d’entreprises qui violent les droits des travailleurs.
Une application rigoureuse
La CES a accueilli favorablement certains éléments innovants dans l’accord États-Unis-Mexique-Canada tels que le mécanisme de réaction rapide[xi]. Un mécanisme similaire devrait être inclus dans les accords de l’UE et le rôle des comités consultatifs nationaux devrait être renforcé au niveau de leurs compétences et de leurs moyens.
Au-delà des accords, l’UE devrait recourir à des instruments unilatéraux pour faire pression pour améliorer les droits et les conditions du travail, notamment en redoublant d’efforts en faveur de l’adoption d’un système généralisé de préférences (SGP) dénonçant ou suspendant ce statut ou sa mise à jour en cas de violations persistantes, par ex. au Myanmar ou aux Philippines. Ce système doit être amélioré afin de donner aux syndicats et à la société civile, dans les pays partenaires aussi, un rôle plus important pour contrôler les engagements pris en matière de droits du travail et humains.
L’OIT devrait bénéficier du statut d’observateur du contrôle des chapitres sur le commerce et le développement durable. La Commission devrait, elle, tenir compte des rapports de la Commission de l’application des normes de l’OIT sur le respect des droits fondamentaux dans les pays partenaires.
Diversification et chaînes d’approvisionnement durables
L’UE devrait collaborer avec des partenaires afin de rendre les chaînes d’approvisionnement moins vulnérables et plus résilientes en abandonnant la logique du « prix le plus bas pour le plus haut profit » et en encourageant les politiques publiques soucieuses de l’intérêt général. Le système multilatéral a besoin de réformes qui améliorent la coopération, une diligence appropriée tout au long des chaînes d’approvisionnement, le développement durable, une transition juste et la paix plutôt qu’une concurrence ruineuse.
En œuvrant avec des partenaires démocratiques au respect des règles du commerce, l’UE répondra plus efficacement aux politiques des économies autocratiques et non marchandes qui affectent la compétitivité de l’Europe. L’action récemment proposée pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales, telles que la surveillance des IED (investissements étrangers directs) est la bienvenue.
Les projets d’investissement « Global Gateway » de l’UE[xii] doivent être basés sur une analyse d’impact assurant une appropriation démocratique dans les pays partenaires ainsi qu’une soutenabilité sociale et environnementale des projets.
Annexe 1 – Matières premières critiques, énergie et autres chaînes d’approvisionnement
Economie circulaire, utilisation efficace des ressources, changement dans les modes de consommation et relocalisation où elle est possible doivent réduire la dépendance de l’UE aux chaînes d’approvisionnement mondiales et le besoin général de nouveaux matériaux.
Une énergie abordable est une condition essentielle pour accroître la compétitivité des industries européennes mais l’UE dépend toujours fortement des importations d’énergie. Alors que la consommation d’énergie devrait diminuer progressivement, la quête de l’UE pour de nouveaux fournisseurs d’énergie ne peut ignorer les graves violations des droits humains et syndicaux comme dans le cas du protocole d’accord avec la Tunisie, que la CES a fermement condamné, d’une union douanière modernisée avec la Turquie et de la mise à jour de la stratégie de l’UE pour le Moyen-Orient.
Tout en contrôlant la mise en œuvre progressive du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et son impact sur les secteurs concernés, y compris sur la balance commerciale sectorielle, l’UE doit également agir avec ses partenaires pour mieux aligner les agendas commercial, social et climatique afin de limiter le risque de fuite de carbone et de déperdition des investissements, d’atténuer le risque de tensions commerciales dues aux subsides ainsi que de permettre la poursuite de l’action pour le climat et d’autres politiques dans l’intérêt général sans s’exposer au risque de litige [xiii] avec des concurrents.
L’UE a annoncé la création de clubs des matières premières critiques. Selon nous, l’UE devrait s’associer avec des pays qui respectent les valeurs démocratiques et les droits des travailleurs. Nous exigeons la transparence par rapport à leurs objectifs, aux mesures qu’ils prévoient et au processus de négociation de ces clubs.
Les syndicats s’opposent aux embargos unilatéraux sur les exportations de matières premières critiques décrétés par un quelconque pays, y compris ai sein de l’UE, et appellent au respect des règles de l’OMC afin d’assurer des conditions de concurrence équitables tout en respectant l’intérêt légitime des pays partenaires à développer leur propre politique industrielle et à résister à l’exploitation de leurs ressources naturelles sans créer la moindre valeur.
L’UE devrait mettre en œuvre la nouvelle stratégie de l’OIT[xiv] sur le travail décent dans les chaînes d’approvisionnement visant à s’attaquer à l’exploitation et aux violations des droits fondamentaux dans les chaînes d’approvisionnement des matières premières critiques et à chercher d’y remédier.
La diplomatie commerciale transatlantique devrait être intensifiée pour limiter les frictions et accélérer la décarbonation. L’UE devrait accroître ses efforts pour conclure un accord[xv] en matière de décarbonation et de dumping et pour prévenir une discrimination abusive. L’UE doit également accélérer les négociations avec les États-Unis pour permettre que les minerais critiques, extraits ou traités en Europe, soient pris en compte dans le cadre des exigences de la loi sur la réduction de l’inflation[xvi]. Plus généralement, le Conseil du commerce et des technologies UE-États-Unis doit également être utilisé pour atténuer les tensions commerciales au-delà de l’UE et des États-Unis.
S’attaquer aux pratiques d’achat déloyales doit aussi être une priorité car les pressions sur les prix entre les marques et les procédures débouchent souvent sur des salaires impayés, des heures supplémentaires forcées et des problèmes de santé et de sécurité. Les syndicats demandent à l’UE de proposer une directive pour s’attaquer aux pratiques commerciales déloyales dans la chaîne d’approvisionnement de vêtements[xvii].
La CES demande à l'UE d'envisager l'exclusion possible des ALE des secteurs critiques de l'économie lorsque la conclusion de tels accords serait préjudiciable aux travailleurs et aux autres acteurs vulnérables, étant donné la fragilité de la durabilité économique, sociale et environnementale de ces secteurs.
[i] La résolution s’appuie sur des positions antérieures de la CES : Positionner la CES pour une autonomie stratégique ouverte de l’UE avec un agenda social fort (2022), Position de la CES sur l’examen de la politique commerciale de l’UE (2020), le Programme d’action visant à énoncer des principes directeurs pour positionner la CES par rapport aux changements rapides de l’environnement commercial et géopolitique et la Résolution de la CES pour une politique européenne progressiste en matière de commerce et d'investissement
[ii] La pandémie et les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, la crise des prix de l’énergie, l’urgence climatique, une crise du système multilatéral, etc.
[iii] L’indice CSI des droits dans le monde 2023 https://www.globalrightsindex.org/
[iv] Un plan industriel du pacte vert pour l’ère du zéro émission nette et la COM(2022) 409 – La force des partenariats commerciaux : ensemble pour une croissance économique verte et juste présentent l’objectif visant à soutenir la relance économique en stimulant les transitions écologique et numérique, en renforçant le multilatéralisme et en réformant les règles du commerce mondial afin d’en garantir l’équité et la durabilité.
[v] Par exemple, les droits américains sur l’acier et la réponse de l’UE.
[vi] Tel que le Protocole sur le travail forcé et les Conventions de l’OIT sur la santé et la sécurité au travail.
[vii] Ceci est la position du gouvernement indien notamment qui refuse d’approuver un chapitre sur le commerce et le développement durable dans les négociations relatives à un accord commercial UE-Inde. Cette position n’est pas un cas isolé depuis que certains gouvernements du MERCOSUR se sont également opposés à la réouverture du projet d’accord pour y inclure un chapitre exécutoire sur le commerce et le développement durable alors qu’ils soutiendraient une réouverture visant à un accès accru au marché pour leurs secteurs agricole et industriel.
[viii] Par exemple, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières fait partie de l’action pour le climat de l’UE et sert un intérêt public plus large.
[ix] Comme défini dans la déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable.
[x] Y compris l’Instrument relatif aux marchés publics internationaux et la prochaine directive sur le devoir de vigilance sociale des entreprises.
[xi] Ouvert aux plaintes des syndicats, ce qui permet une action rapide pour sanctionner des entreprises spécifiques violant les droits des travailleurs à la liberté d’association et à la négociation collective, etc.
[xii] Incluant l’engagement de mobiliser jusqu’à 300 milliards d’euros d’investissement entre 2021 et 2027 pour améliorer les infrastructures numériques, énergétiques et de liaisons de transport et renforcer les systèmes de santé, d’éducation et de recherche partout dans le monde ainsi que des projets liés aux mécanismes de réaction aux crises en République démocratique du Congo, en Namibie, en Argentine, au Chili et au Kazakhstan.
[xiii] Comme cela pourrait être le cas avec le Traité sur la Charte de l'énergie ou des accords commerciaux incluant un règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) auquel la CES continue de s’opposer.
[xiv] Stratégie de l’OIT sur la réalisation du travail décent dans les chaînes d’approvisionnement (347ème session du CA de l’OIT, mars 2023).
[xv] Accord mondial sur l’acier et l’aluminium durables avec les États-Unis et d’autres partenaires commerciaux.
[xvi] Section 30D de la loi sur la réduction de l’inflation relative au crédit d’impôt pour véhicule propre
[xvii] Similaire à la Directive 2019/633 sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire.