En cette Journée internationale de commémoration des travailleurs morts ou blessés au travail, les victimes de cancers professionnels et leurs familles appellent les responsables politiques à assurer aux travailleurs le degré de protection le plus élevé possible contre l’amiante.
Environ 90.000 personnes meurent chaque année dans l’UE d’un cancer lié à l’amiante qui constitue la cause principale des décès d’origine professionnelle.
Dans l’ensemble de l’UE, entre 4 et 7 millions de travailleurs sont exposés à l’amiante et on s’attend à ce que ce nombre augmente de 4% au cours de la prochaine décennie en raison de la rénovation des bâtiments dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe.
L’UE se penche actuellement sur la limite d’exposition à l’amiante mais la Commission et le Conseil européen veulent la maintenir à un niveau dangereusement élevé afin de réduire les coûts pour les entreprises.
Pour illustrer les conséquences d’une telle décision, les syndicats publient les témoignages de personnes dont la vie a été brisée par un cancer suite à une exposition à l’amiante au travail, et notamment :
- Deux sœurs ayant perdu leurs deux parents : « Une maladie sans traitement possible, terriblement pénible pour toute la famille… elle vous asphyxie. »
- Un travailleur pensionné du secteur des transports : « C’est comme une épée de Damoclès. Je pourrais mourir à tout moment. »
- Deux frères qui ont également perdu leurs deux parents : « Leur mort a finalement été une délivrance face aux souffrances qu’ils ont dû endurer. »
- Un militant dont les parents et les frères sont morts : « L’amiante est toujours présent dans des bâtiments des années 1960 et 70 qui vieillissent et se détériorent. Il se trouve dans l’air qu’on y respire. Les gens doivent en être conscients. »
Les syndicats plaident pour la valeur limite d’exposition professionnelle à l’amiante la plus sûre possible, soit 1,000 fibres/m3 comme le recommande la Commission internationale de la santé au travail soutenue par le Parlement européen.
Cela réduirait de 884 à 26 le nombre de décès dus à des nouveaux cas de cancer lié à l’amiante au cours des 40 prochaines années selon une étude tres commandée par la Commission européenne.
Pourtant, et la Commission et le Conseil européen soutiennent toujours que ce serait « une charge disproportionnée sur les entreprises » et veulent imposer une valeur limite dix fois plus élevée, soit 10,000 fibres/m3.
C’est la même valeur limite d’exposition à l’amiante, voire une valeur plus élevée, que celle actuellement appliquée en Allemagne, au Danemark, en France et aux Pays-Bas, ce qui signifie que cette limite n’améliorerait en rien la situation d’un tiers de la population de l’UE.
Cela multiplierait également près de dix fois le nombre de morts dus à un cancer lié à l’amiante (221) par rapport au nombre correspondant à une valeur d’exposition de 1,000 fibres/m3.
Le Secrétaire général adjoint de la CES Claes-Mikael Stahl a déclaré à ce sujet :
« Bien que l’amiante soit interdit en Europe depuis près de deux décennies, son utilisation a laissé un lourd héritage de douleurs et de souffrances qui voit encore chaque année des milliers de familles déchirées par le cancer. »
« Durant trop longtemps, des travailleurs ont payé de leur vie l’absence de normes de sécurité adéquates. Nous savons aujourd’hui que l’amiante est la menace la plus meurtrière sur le lieu de travail. Il n’y a donc aucune place pour des demi-mesures. »
« La rénovation bien nécessaire des bâtiments dans le cadre du Pacte vert conduira à une augmentation du nombre de travailleurs exposés à l’amiante. Les leaders européens ont donc la responsabilité morale de leur assurer les conditions de travail les plus sûres possibles. »
« En cette Journée internationale de commémoration des travailleurs, il est temps pour les politiciens d’apprendre des leçons du passé et d’enfin privilégier la sécurité des personnes par rapport aux profits, quoi qu’il en coûte. »
Et Tom Deleu, Secrétaire général de la Fédération européenne des travailleurs du bâtiment et du bois, d’ajouter :
« Alors que nous commémorons la mémoire de tous ces travailleurs, nous nous focalisons sur l’amiante, une menace toujours présente dans les bâtiments privés et publics, dans les écoles, les hôpitaux et nos maisons. »
« L’amiante qui tue encore les ouvriers qui inhalent chaque jour cette substance mortelle partout où des travaux de rénovation ont lieu. Il est temps de faire passer la vie et la santé avant le profit. »
« Arrêtons cette pandémie. La vague de rénovations est essentielle mais elle doit être organisée de manière sûre pour les travailleurs. Nous devons abaisser le niveau d’exposition, nous devons former ces travailleurs et les protéger. »
« Garantir la sécurité des travailleurs et sauver des vies sont dans les mains de la Commission européenne qui doit agir et assurer un niveau d’exposition maximum de 1,000 fibres/m3. »
Témoignages
Martin et Grega Velušček, famille de victimes – Voir le témoignage complet
« Après confirmation du diagnostic, notre mère a reçu tous les soins dont elle avait besoin et des traitements alternatifs ont été cherchés, y compris à l’étranger. Toutefois, l’espérance de vie de ces patients est inférieure à un an. Dès lors, la personne en souffrance et ses proches sont partagés entre sentiments d’espoir, de désespoir et d’incrédulité. Les derniers jours avant la mort de patients en soins palliatifs sont en tous points psychologiquement épuisants. »
« Un an après le décès de notre mère, notre père a également ressenti des douleurs dans le dos et les tests ont révélé la présence de métastases osseuses ainsi qu’un mésothéliome pleural. En plus du traitement conventionnel, nous avons essayé d’organiser un traitement par immunothérapie à Heidelberg en Allemagne. L’aspect le plus saisissant de notre visite à l’hôpital a été la question de savoir si notre père était conscient de la gravité et de l’incurabilité de la maladie. Bien sûr, la réponse a été affirmative. L’hôpital d’Heidelberg a procédé à tous les tests et, trois bons mois plus tard, a annoncé qu’un traitement pouvait être tenté mais notre père était déjà décédé entre-temps. »
« Etre confronté à un diagnostic ne laissant que peu d’espoir d’une amélioration a été extrêmement éprouvant aussi bien pour les parents que pour toute la famille. Le temps restant avant la mort n’a pratiquement été fait que d’adieux et la mort a finalement été une délivrance après toutes les souffrances que nous avons dû endurer. »
Isidoro (peut-on ajouter le nom de famille ?), victime
« J’ai une série de cicatrices aux poumons. Tous les six mois, je suis examiné à l’hôpital. On ne m’a jamais informé des risques que présentait mon travail. J’ai commencé à travailler dans le métro de Madrid dans les années 1960, tout d’abord comme conducteur et, après avoir réussi un concours public, dans les ateliers du département pneumatiques. J’étais technicien et j’avais un assistant. Nous réparions les systèmes d’ouverture des portes qui fonctionnaient au moyen de courroies en amiante. Pour faire en sorte que l’amiante adhère un peu mieux, nous le mettions en bouche. Une véritable horreur. Toutes ces informations sont restées cachées. »
« Ce qui met le plus en colère, c’est que l’on ne m’a jamais rien dit, que les personnes qui en sont responsables s’en sortent indemnes et qu’aucune d’entre elles n’a jamais rien voulu savoir à ce sujet. Le personnel médical du métro devait pourtant être aussi au courant. »
« J’ai subi une opération et de nombreux tests ont été faits. Lorsque je suis allé prendre connaissance des résultats, l’oncologue m’a dit que mes poumons étaient atteints. Depuis lors, je suis étroitement suivi. Je remercie les syndicats, leurs avocats, le bureau du procureur et l’inspecteur du travail pour leur aide. »
« Je suis de plus en plus fatigué. J’aimais faire des randonnées en montagne mais j’en suis incapable aujourd’hui parce que cela m’épuise. C’est comme une épée de Damoclès. A tout moment, ce qui me ronge de l’intérieur pourrait s’éveiller et je pourrais en mourir. Je souhaiterais aussi que ce genre de situation ne se présente plus jamais. Les politiciens devraient s’excuser, ils n’ont jamais exprimé de regrets pour ce qui nous est arrivé. »
Eric Jonckheere, président de l’association belge des victimes de l’amiante (Abeva) et victime
« J’ai commencé par militer contre l’amiante. Ce n’est que plus tard que j’ai découvert que j’en étais aussi victime. Mon père est mort d’un mésothéliome, ma mère est ensuite tombée malade. Elle nous a fait tester mes frères et moi pour savoir si nous avions été en contact avec l’amiante. Cela a été confirmé. Mes parents et mes frères ont fini par mourir des suites de leur exposition à l’amiante. Avant de mourir, ma mère a lancé une action judiciaire contre Eternit. Son souhait était de sensibiliser les gens aux dangers de l’amiante. L’industrie a menti à ce sujet et a déplacé le problème en délocalisant ses activités d’Europe vers des pays moins développés. J’accuse l’industrie parce que les responsables l’ont fait par appât du gain, parce que la santé de leur compte en banque est plus importante que la santé des travailleurs et que la vie des gens. Ils connaissaient les risques mais ils les ont cachés aux travailleurs et aux législateurs par pur profit. L’amiante est toujours présent dans des bâtiments des années 1960 et 70 qui vieillissent et se détériorent. Il se trouve dans l’air qu’on y respire. Les gens doivent en être conscients. L’Abeva vient en aide aux familles, notamment au plan administratif. Cela ne concerne pas seulement les malades mais également les familles pour qui la situation est aussi difficile. Comment expliquer à une multinationale que la place à côté de vous dans le lit est vide ? »
« Je savais que j’avais de l’amiante dans les poumons mais il faut aller de l’avant. Jusqu’au moment où vous apprenez que vous êtes le prochain sur la liste. Tout ce que vous aviez programmé s’effondre. C’est comme un tsunami qui emporte tout : votre santé, votre travail, vos rêves. Mais dans mon malheur, j’avais de la chance parce que je savais que j’avais la maladie en moi et je n’ai donc pas perdu de temps en tests. J’étais un des 5% de malades opérables. Les médecins ont pu tout enlever. Et me voici, deux ans plus tard. »
Maria Jesús et Yolanda Masa García, famille de victimes – Voir le témoignage complet
« Notre père est mort en 1997 à l’âge de 66 ans d’un mésothéliome pleural, une maladie sans possibilité de traitement et terriblement pénible pour toute la famille. Elle finit par vous étouffer. Lorsque les symptômes ont empiré, les médecins nous ont parlé des liens possibles entre son travail et les membres de la famille proche. Lorsque notre père est mort, ma sœur avait 26 ans, j’en avais 32. Notre mère, Matilde Garcia Lopez, femme au foyer, avait 65 ans lorsqu’elle est devenue veuve. »
« Nous recevions périodiquement des nouvelles d’anciens collègues de notre père décédés durant ce temps. En janvier 2003, notre mère a commencé à souffrir de maux de dos qui se sont progressivement aggravés. Nous pensions que cela était dû à des douleurs musculaires ou à une mauvaise posture. Mais les douleurs ont encore augmenté. Après plusieurs examens médicaux à l’hôpital universitaire de Palencia et à celui de Valdecilla, la confirmation est tombée lors d’une visite à la clinique universitaire de Navarre : notre mère a été diagnostiquée comme souffrant d’un mésothéliome pleural en mai de la même année. Ce type de cancer est spécifique d’un contact direct avec l’amiante, notamment avec les vêtements de travail contaminés. Elle est décédée le 24 septembre 2003. Depuis lors, notre famille reste face à ce terrible fléau qu’est l’amiante. »
Lenie Stormbroek, victime
« Je n’avais jamais pensé tomber malade à cause de l’amiante. J’en avais entendu parler mais je croyais que ça n’arrivait qu’aux hommes ayant travaillé longtemps avec de l’amiante. Nous pensons que ce qui a provoqué la maladie vient de mon père qui travaillait à la démolition de vieux bâtiments, d’abris et d’étables et à l’évacuation des gravats. L’entreprise de mon père travaillait près de la maison familiale qui parfois contenait également des restes de matériaux amiantés provenant des chantiers de mon père. Dès mon jeune âge et jusqu’à ce que je me marie, j’ai aidé ma mère à battre et à nettoyer les vêtements de travail de mon père et de mon frère qui travaillait également dans cette entreprise. Il est possible que mon mésothéliome vienne de là. Jusqu’il y a peu, j’ignorais la vraie dangerosité de l’amiante. »
Juan Carlos, délégué syndical
« En 2003, les organes de sécurité sociale ont demandé des informations concernant les pièces et composants de train contenant de l’amiante. Un rapport a été fait mais Metro de Madrid n’en a pas informé les travailleurs et les syndicats avant 2017. Les syndicats ont alors saisi le tribunal et le rapport a été rendu public par la police. Le bureau du procureur a déclaré qu’il s’agissait d’un crime contre la santé des travailleurs. »
« Sept responsables de Metro ont été inculpés mais il s’agissait de cadres intermédiaires. Les dirigeants sont des politiciens de la communauté de Madrid et n’ont pas été inquiétés. Les vieux trains sont remplis d’amiante, notamment dans les sols, la peinture et les freins. En 2005, nous avons commencé à construire de nouveaux trains sans amiante mais nous trouvons encore des pièces contenant de l’amiante parce qu’on nous a demandé de récupérer des pièces des vieux trains et de les installer dans les nouveaux. »
« Au Metro de Madrid, 14 de nos collègues sont morts à cause de l’amiante et sept autres en sont malades. En raison de la durée de latence de cette maladie, la plupart des travailleurs l’ayant contracté sont déjà pensionnés. Nous pensons que certains de nos collègues sont morts sans savoir qu’ils souffraient d’asbestose. »
Grâce au travail du syndicat, des indemnités ont été obtenues. Un inventaire des pièces contenant de l’amiante a également été dressé. Le syndicat est parvenu à ce que des tests médicaux soient effectués pour les collègues pensionnés depuis plusieurs années. Cela n’a pas été facile parce que, n’étant plus en fonction, ils n’avaient plus le droit ni l’obligation de se soumettre à des examens médicaux. »
« Ce que les travailleurs toujours actifs réclament, c’est la possibilité d’un départ à la retraite anticipé puisqu’il est probable qu’ils contracteront la maladie plus tard. Nous demandons également des examens médicaux plus complets. Si on n’utilise que les rayons x, l’amiante n’est détectée que quand il est déjà trop tard. Nous voulons que des CT scans soient effectués. Il faut également diminuer le niveau d’exposition à l’amiante. »