Conférence à mi-mandat 2025 Résolution: revendications des syndicats pour un élargissement réussi de l’UE
Vingt ans après la plus grande vague d’élargissement de l’UE, des millions de travailleurs attendent toujours la promesse d’un travail décent, de salaires équitables, de droits solides et d’une véritable protection sociale.
Bien que l’élargissement ait apporté la croissance économique, la stabilité politique et l’intégration de nouvelles démocraties dans l’Union, les institutions, les gouvernements et les entreprises de l’UE n’ont pas réussi à assurer la justice sociale pour les citoyens européens, alimentant ainsi la désillusion qui donne de l’oxygène aux forces nationalistes et antidémocratiques à travers le continent.
La CES réaffirme son engagement en faveur de l’objectif d’une Europe unie, mais souligne qu’un nouvel élargissement ne doit pas répéter les erreurs du passé : il doit apporter des améliorations tangibles aux conditions de vie et de travail de tous les travailleurs.
Le scénario géopolitique actuel justifie la poursuite de l’élargissement de l’UE. Cependant, la CES estime que l’élargissement de l’UE ne doit pas seulement consister à étendre les frontières, mais aussi à étendre l’équité, la dignité et la démocratie à chaque travailleur en Europe, y compris par le renforcement des droits des travailleurs et la pleine réalisation du socle européen des droits sociaux. Pour que cela devienne réalité, les travailleurs doivent pouvoir s’exprimer. Un dialogue social fort et fonctionnel est l’épine dorsale démocratique d’une économie équitable et une condition préalable à une Europe sociale qui tient ses promesses. Pourtant, dans de trop nombreux pays candidats, le dialogue social n’existe que sur le papier. Nous appelons l’UE et les gouvernements nationaux à investir dans de véritables structures qui traitent les syndicats indépendants comme des partenaires égaux dans
l’élaboration des réformes. La construction et le renforcement du dialogue social doivent être au coeur du processus d’élargissement.
Le respect des droits syndicaux - y compris la liberté d’association, le droit de s’organiser, de négocier collectivement et de faire grève - est une pierre angulaire de la démocratie et du modèle social européen. Ces droits doivent être pleinement garantis tout au long du processus d’adhésion, y compris le respect des normes internationales du travail. Le dialogue social doit être véritablement ancré à tous les niveaux.
Nous condamnons fermement les actions des gouvernements et des employeurs des pays candidats qui violent systématiquement les droits des travailleurs et des syndicats. Ces actions peuvent rendre le processus d’adhésion à l’UE plus compliqué et plus long et, si elles ne sont pas corrigées, pourraient conduire les pays candidats à ne pas satisfaire aux critères clés (les soi-disant “fondamentaux”). Les négociations actuelles sur l’élargissement doivent donner la priorité à un dialogue social efficace et à un renforcement des droits des travailleurs afin de garantir des emplois décents, de bonnes conditions de vie et de travail et un traitement globalement équitable pour les travailleurs, et d’éviter de répéter les erreurs du passé.
Malgré les progrès réalisés en matière de stabilité politique et de croissance économique, les cycles d’élargissement précédents n’ont pas permis de combler les écarts de salaires, de droits du travail et de niveau de vie entre l’Est et l’Ouest. Les écarts de salaires entre les anciens et les nouveaux États membres atteignent 4:1. Ces différences ont non seulement étouffé la convergence vers le haut, mais ont également contribué à l’émigration massive des pays d’Europe centrale et orientale, aggravant les pénuries de main-d’oeuvre et sapant les économies locales - une réalité que l’UE ne peut plus se permettre d’ignorer.
Les entreprises multinationales ont également contribué à la segmentation du marché du travail de l’UE, en s’emparant des bas salaires mais de la main-d’oeuvre hautement productive pour réduire leurs coûts et augmenter leurs profits. De nombreuses entreprises appliquaient et appliquent encore deux poids deux mesures en matière de droits des travailleurs : elles adhèrent à un dialogue social significatif, à la négociation collective et à la participation des travailleurs dans leur pays d’origine, tout en ignorant complètement ces caractéristiques dans les nouveaux pays d’accueil et en se livrant à l’éradication des syndicats. Cela souligne également la nécessité de prévenir le dumping social et la fraude.
De telles pratiques soulignent la nécessité d’une coopération syndicale transfrontalière accrue et d’une couverture des négociations collectives afin de garantir que la nouvelle vague d’élargissement soit bénéfique pour les travailleurs et ne soit pas seulement une source de revenus pour les entreprises. À cette fin, le principe du “salaire égal pour un travail de valeur égale” tout au long de la chaîne d’approvisionnement doit devenir une réalité.
Pour créer une convergence sociale vers le haut, les politiques soutenues de bas salaires et de flexibilité du travail doivent être inversées afin d’endiguer l’émigration et d’éviter d’exacerber les pénuries de main-d’oeuvre qui entravent le développement économique dans les pays candidats. Si l’UE veut offrir un traitement équitable à tous les travailleurs et des conditions de concurrence équitables aux entreprises, l’alignement sur l’ensemble de l’acquis social de l’UE, ainsi que sa mise en oeuvre effective, en particulier la directive (UE) 2022/2041 sur les salaires minimums adéquats, doivent être mis en place. En outre, les négociations collectives au niveau sectoriel et intersectoriel doivent être renforcées, car les négociations sur le lieu de travail ont un impact limité sur l’augmentation des salaires et des normes sociales.
Les subventions et les allègements fiscaux accordés aux multinationales doivent être liés à des conditions sociales et à l’acceptation d’un dialogue social constructif. De même, les règles relatives aux marchés publics devraient inciter les entreprises à se conformer au modèle social européen, à conclure des conventions collectives et à respecter les droits syndicaux et les droits de participation des travailleurs. Les conditionnalités sociales devraient également devenir une caractéristique standard lors du versement de fonds européens, que le bénéficiaire soit une entreprise ou un gouvernement national.
La CES demande donc:
• Pas d’accès au marché unique sans alignement complet sur l’acquis social de l’UE et sans dialogue social efficace. L’accès au marché unique pour les pays qui ne disposent pas d’un dialogue social et de normes sociales adéquats doit être rejeté car il renforcerait les différences salariales, entraverait la convergence et reproduirait la dynamique observée depuis 2004. L’Europe sociale doit être le fondement - et non
l’après-coup - du prochain élargissement. L’UE doit faire d’un dialogue social efficace, des droits syndicaux, d’une large couverture des négociations collectives et du respect des normes internationales du travail non seulement une pierre angulaire des négociations d’adhésion, mais aussi une condition préalable à l’adhésion à l’UE, comme le prévoit déjà le chapitre 19 des négociations d’adhésion (sur la politique
sociale et l’emploi). En outre, des tableaux de bord sociaux devraient être utilisés pour évaluer les progrès réalisés sur ces aspects.
• Faire la différence entre le dialogue social et le dialogue civil. Les organisations de la société civile (OSC) jouent un rôle crucial dans les sociétés démocratiques, mais ne remplacent pas les syndicats. Parfois, les OSC ont été instrumentalisées pour simuler le dialogue social. Contrairement au dialogue civil, le dialogue social est le forum fondé sur le traité de l’UE pour négocier les questions liées au travail, les politiques du marché du travail et les relations industrielles. Il est du ressort des organisations patronales, des syndicats et - lorsqu’il est tripartite - des gouvernements.
• Exploiter l’aide de préadhésion et la facilité de réforme et de croissance pour les Balkans occidentaux, l’Ukraine et la Moldavie afin d’élargir l’Europe sociale. Dans de nombreux pays candidats, les syndicats sont soumis à des restrictions financières et juridiques strictes, tandis que les structures d’organisation des employeurs et le dialogue social restent sous-développés. Une partie de ces fonds de plusieurs
milliards d’euros doit soutenir le dialogue social et le renforcement des capacités des organisations syndicales et patronales véritablement indépendantes dans les pays candidats. Les conditionnalités sociales et les règles relatives aux marchés publics doivent être respectées lors de l’attribution de ces fonds.
• Mettre en place des services publics complets et des systèmes de protection sociale conformes au socle européen des droits sociaux. Nous demandons le renforcement des institutions publiques qui contribuent à la justice sociale et à la démocratie. Cela inclut des investissements dans les inspections du travail, les administrations fiscales, les systèmes judiciaires indépendants afin de lutter contre la corruption, la fraude, le dumping social et fiscal qui, s’ils ne sont pas combattus, augmentent les inégalités, sapent la démocratie et le projet européen lui-même.
• La poursuite de l’élargissement doit s’accompagner de réformes de l’UE, afin d’équilibrer l’intégration économique avec une dimension sociale plus forte, de rationaliser le processus décisionnel et d’éviter la paralysie causée par les vetos nationaux, mais aussi de garantir une mobilité équitable et un traitement égal pour protéger les travailleurs contre l’exploitation. Les instruments juridiques existants, tels que la directive révisée sur le détachement des travailleurs, doivent être pleinement mis en oeuvre dans tous les États membres de l’UE, notamment en ce qui concerne la liste des conditions minimales essentielles ; de nouveaux outils, tels que le Passeport européen de sécurité sociale et les limites imposées aux chaînes de sous-traitance, doivent également être introduits.
• Mieux préparer les pays candidats à faire face au programme du pacte vert pour l’Europe, grâce à une planification et à un financement adéquats de la transition. Avec l’adoption du pacte vert pour l’Europe,l’UE s’est fixé des objectifs ambitieux qui nécessitent une transformation rapide et profonde de l’ensemble de l’économie. Ce changement sans précédent entraîne d’importants défis en matière de conformité
et d’investissement pour des régions entières, qui pourraient compromettre les objectifs de cohésion si le budget de l’UE ne fournissait pas un soutien adéquat aux zones qui en ont besoin. Ne pas le faire exposerait les travailleurs à des changements perturbateurs lorsque les pays candidats devront se conformer aux règles de l’UE, tout en exerçant une pression supplémentaire sur les fonds de cohésion.
• Favoriser des débats publics inclusifs sur l’élargissement, en engageant le grand public, les travailleurs et les syndicats indépendants dans un débat significatif et en permettant leur participation effective au processus. Dans les pays candidats, l’UE devrait abandonner son approche technocratique et de plus en plus géopolitique pour s’engager davantage sur le terrain.
Cet élargissement doit marquer un nouveau chapitre, celui d’une véritable convergence, où aucun travailleur n’est laissé pour compte, où aucun droit syndical n’est négociable et où les valeurs de l’Europe sociale ne sont plus une promesse, mais une pratique.