Bruxelles, 6 octobre 2020
Déclaration approuvée lors du Comité exécutif du 23 septembre 2020
Évaluation par la CES du plan de relance européen et du CFP
L’urgence n’est pas terminée
L'adoption d'un plan de relance européen ambitieux est essentielle pour que l'Europe sorte de l'épidémie de COVID-19 et évite un chômage massif, une récession et une augmentation des inégalités et de l'exclusion sociale, tout en construisant une reprise socialement juste et inclusive.
Les erreurs commises par le passé en abordant la crise financière avec une austérité et des stratégies néolibérales basées sur des réductions de salaire, des services publics et des systèmes de protection sociale ont eu un impact extrêmement négatif sur les travailleurs européens et leurs familles.
Ces erreurs ne doivent pas être répétées. Pour que le plan de relance européen soit réellement couronné de succès, il est essentiel que des mesures d'urgence solides et efficaces soient mises en œuvre en temps voulu, afin que l'économie européenne commence à se redresser et à rétablir les emplois.
Les mesures d’urgence mises en place jusqu’à présent par l’UE et les États membres ont en effet protégé les travailleurs, les entreprises et les services publics de perturbations massives. Cependant, il y a eu d’importantes lacunes dans la mise en œuvre en temps opportun, l’adéquation, l’universalité de la couverture et de l’accès, et la participation adéquate des partenaires sociaux à la conception, à la mise en œuvre et au suivi des mesures.
En outre, il était totalement inacceptable que, dans certains pays, les processus de restructuration impliquant des licenciements aient été autorisés aux entreprises qui ont bénéficié d’un soutien financier ainsi que de régimes de chômage partiel et de compensation du revenu.
Maintenant que les confinements sont petit à petit levés, mais qu’en parallèle nous assistons à une nouvelle augmentation des infections dans de nombreux pays, nous devons rester vigilants et nous assurer que tout le monde sera protégé. De plus, il n’existe aucune certitude quant à la date à laquelle un accord final concernant le plan de relance sera trouvé entre les institutions européennes, pas plus que quant à la date à laquelle le versement des ressources correspondantes aux États membres aura effectivement lieu. Il est donc essentiel de combler les lacunes inévitables, qui surgiront en prolongeant les mesures d’urgence pour la durée nécessaire.
La CES demande que :
- Toutes les mesures d'urgence nationales et européennes, en particulier celles liées à la protection de l'emploi et à l'indemnisation du revenu et de l’instrument SURE, se poursuivent pendant la durée nécessaire et jusqu'à la reprise complète de l'économie et à la stabilisation de l'emploi ;
- Toutes les lacunes existantes des mesures d'urgence, en particulier en termes d'adéquation et d'universalité de la couverture et de l'accès, soient entièrement corrigées ;
- Toutes les ressources nécessaires soient mises à disposition pour soutenir les services publics, en particulier les systèmes de soins de santé et de protection sociale ;
- La santé et la sécurité des travailleurs soient entièrement protégées à leur retour au travail ;
- La libre circulation des travailleurs soit équitable, sûre et non discriminatoire ;
- Toutes les ressources nécessaires soient mises à disposition afin de faire face aux restructurations et fournir un soutien adéquat aux travailleurs en difficulté en raison du ralentissement économique ;
- Toutes les ressources nécessaires soient utilisées afin d’éviter une crise de liquidité avant l’entrée en bourse de la FRR et de la NGEU ;
- Les partenaires sociaux soient pleinement impliqués dans la conception, l'implémentation et que le suivi des mesures d'urgence soit assuré à tous les niveaux.
Une relance juste et inclusive sur le plan social
La Confédération européenne des syndicats salue l’adoption par le Conseil du plan de relance européen de 750 milliards d’euros et du cadre financier pluriannuel 2021-2027 de 1 074 milliards d’euros. C'est une bonne nouvelle pour les 60 millions de travailleurs de l'UE qui dépendent d'investissements rapides pour sauver leur emploi ou éviter le chômage de longue durée. Cela représente un changement par rapport à la réponse désastreuse à la crise précédente, guidée par l'austérité, dont l'Europe ne s'était pas encore totalement remise quand le COVID-19 a frappé.
La CES exhorte toutes les institutions de l'UE et les gouvernements nationaux à soutenir le plan de relance et à faire de la mise en œuvre opportune du plan la priorité absolue. La CES insiste sur la pleine implication des partenaires sociaux aux niveaux européen, national et sectoriel dans la gouvernance du plan et du CFP, dans la conception et la mise en œuvre des priorités de l'investissement et dans le suivi des résultats, en particulier en termes de protection de l'emploi, de création d'emplois de qualité, de transitions justes et de défense des droits des travailleurs et des droits sociaux.
La CES salue la décision de financer les mesures de relance par le biais d'obligations européennes, garanties directement par l'UE, et d'accorder une part importante des fonds par le biais d'un financement direct, évitant ainsi de créer une dette supplémentaire pour les États membres. Les dépenses extraordinaires auxquelles les États membres ont été contraints afin de faire face aux effets de la pandémie vont générer une dette publique colossale, qui peut devenir intenable sur le long terme, bien que dépendant de la politique de la BCE après son examen stratégique. Il est donc plus urgent que jamais de procéder à la révision nécessaire des règles de gouvernance économique de l’UE.
Toutefois, certains aspects importants de l'accord conclu par le Conseil en juillet sont négatifs ou nécessitent une clarification :
- L'insistance de certains États membres à réduire certains fonds proposés et à introduire un contrôle du Conseil sur les plans de relance nationaux, ce qui pourrait entraîner une austérité ainsi que des réformes structurelles néfastes. Celles-ci se sont combinées à des demandes d'augmentation des rabais et de protection des paradis fiscaux, tout en affaiblissant les conditions de financement positives et contraignantes telles que celles liées au respect de l'État de droit.
- La réduction du montant des subventions du Fonds de relance et l'augmentation des rabais dans les contributions au CFP pour certains États membres ont entraîné des réductions inacceptables du Fonds pour une transition juste proposé, des mesures dans le domaine de la santé, du financement de la recherche et de l'innovation, ainsi que des mesures de solvabilité et de soutien à la restructuration.
- Le budget global de l'UE n'est pas assez important pour assurer une transformation verte et numérique ambitieuse, ni pour prodiguer des ressources adéquates pour la cohésion, la convergence et les priorités sociales.
- Toute référence à la dimension sociale et au Socle européen des droits sociaux, ainsi qu’à l’implication des partenaires sociaux dans les plans de relance, a été supprimée.
La CES désapprouve totalement ces décisions et insistera activement pour :
- Renforcer l'implication des partenaires sociaux et le principe de partenariat dans la conception, la gouvernance et la mise en œuvre à la fois du CFP, du plan de relance et des plans nationaux ; faire du respect du dialogue social, de la négociation collective et de la démocratie sur le lieu de travail des conditions obligatoires pour le financement ;
- Faire respecter l'état de droit dans tous les États membres de l'UE, et faire en sorte que ceux qui le bafouent n'aient pas accès au soutien financier de l'UE ;
- Clarifier les mécanismes de gouvernance/frein d'urgence pour éviter que les plans de relance nationaux ne soient retenus par le Conseil comme un moyen de retarder les paiements, et surtout éviter l'imposition éventuelle de conditions fiscales dommageables et de mesures d'austérité qui n'ont fait que rendre la dernière crise plus longue et plus douloureuse ;
- Inverser les réductions du Fonds pour une transition juste et rendre les objectifs de 2050 et 2030 contraignants pour le financement, car l'action climatique est urgente et doit créer des emplois, et gérer une transition juste sur le plan social, en particulier dans les régions fortement dépendantes des industries à combustibles fossiles et à fortes émissions ;
- Utiliser le plan de relance et la FRR en particulier pour stimuler les investissements et créer des emplois de qualité dans des chaînes de valeur industrielles stratégiques pour atteindre les objectifs de l’UE (Green Deal européen, Stratégie numérique).
- Restaurer le financement lié à la santé: si le coronavirus nous a appris quelque chose, c'est sûrement la nécessité d'investir dans les services de santé publique, les soins de santé et les travailleurs de ce secteur ;
- Restaurer le financement du soutien à la solvabilité, qui est crucial pour faire face aux processus de restructuration engagés par les entreprises depuis l'épidémie de COVID-19 ;
- Inverser les réductions dans InvestEU, Horizon Europe, ReactEU et restaurer les programmes liés à l’action extérieure (NDICI, Aide Humanitaire) ;
- Améliorer les ressources propres de l’UE afin d’aider les États membres à rembourser les prêts. En particulier, faire progresser le débat et les décisions au niveau européen sur la taxation des entreprises, des plastiques, des émissions de carbone, de l’économie numérique et des transactions financières, de manière à ce que les revenus provenant de ces mesures de taxation puissent aider à rendre le Fonds de relance durable pour l’UE et les États membres, et pour que les objectifs en matière d’écologie et de transition juste soient atteints de manière à protéger les intérêts des travailleurs ;
- Préserver l’investissement social dans le CFP, renforcer le FSE+, restaurer le modèle social européen et les systèmes de protection sociale, mettre pleinement en œuvre le Socle européen des droits sociaux et l’Agenda 2030 des Nations Unies ;
- Introduire des conditionnalités afin de s’assurer que les entreprises versant des dividendes ou des primes aux dirigeants, faisant des rachats d’actions et ne respectant pas les règles et obligations fiscales, seront exclues de tout financement lié aux plans de relance ;
- S’assurer que les plans de relance nationaux sont conçus pour soutenir une transition juste vers une économie neutre en carbone.
La CES développera une analyse approfondie du plan de relance (NGEU/FRR) et du CFP via un groupe ad hoc dédié mis en place par le Comité Exécutif. Ce groupe participera directement au lobbying et à la fourniture de contributions pour l’amélioration et la mise en œuvre des mesures, mènera des campagnes et des actions spécifiques afin de répondre aux demandes de la CES, et soutiendra les affiliés dans les consultations et les négociations des plans de relance nationaux et sectoriels.
En même temps, la CES pense qu'une réflexion plus large devrait être menée concernant les conséquences, pour l'Union européenne, qui découlent du débat de division qui a eu lieu lors du long sommet du Conseil de mi-juillet 2020, et se répète dans le cadre des négociations entre le Conseil européen, le Parlement européen et la Commission européenne à propos des décisions et des règlements visant à rendre la FRR/NGEU et le CFP opérationnels.
Deux blocs minoritaires entre États membres, pour des raisons très différentes, paralysent la discussion avec des vétos croisés et risquent de rendre les accords pas assez ambitieux et d’imposer des limites importantes et des conséquences inquiétantes pour l'intérêt des travailleurs.
Un bloc a encouragé des réductions, un contrôle budgétaire et de nouvelles mesures d'austérité, l'autre a plaidé en faveur de l’annulation, en tant que conditions de financement, du respect de l'État de droit et des droits de l'homme, y compris des droits des travailleurs et des syndicats. Cela a conduit à saper le potentiel de la stratégie de relance de l’UE en termes de création d'emplois de qualité, de transitions justes et de convergence sociale, mais cela a également mis en danger les valeurs de cohésion et de solidarité sur lesquelles l'UE et son économie sociale de marché sont basées.
Cette situation ne peut être ignorée par le mouvement syndical, car elle constitue une menace importante pour les travailleurs européens et leurs syndicats. De plus, cela peut engendrer d’importants retards dans la mise en œuvre du plan de relance ainsi qu’un potentiel impact tragique sur l’économie et les emplois en Europe.
Pour ces raisons, la CES est convaincue que les réformes de la gouvernance et du processus décisionnel de l'UE, ainsi que la poursuite de l'intégration de la zone euro, sont désormais urgentes pour restaurer l'unité et la cohésion en Europe.
Une action immédiate est nécessaire pour renforcer notre modèle social et notre économie de marché sociale conformément aux valeurs fondatrices de l’UE. Il est grand temps de mettre un terme à l’idéologie néolibérale et aux politiques d’austérité. Au contraire, nous devons concevoir et mettre en œuvre un modèle économique durable sur le plan environnemental et social, basé sur un investissement stratégique, sur la création d’emplois de qualité, sur les transitions justes, sur la convergence vers le haut et la cohésion économiques et sociales, sur le renforcement des services publics et des systèmes de protection sociale.
La situation actuelle des règles de gouvernance économique devrait être l’occasion de repenser et revoir ces dernières, conformément aux principes du Green Deal et du Socle européen des droits sociaux.
Dans ce contexte, la conférence sur l'avenir de l'Europe devient encore plus cruciale et la CES continuera à faire pression pour s'assurer que la participation syndicale est garantie, que les droits de véto sont évités et qu'une UE plus sociale et plus juste est construite, y compris par le biais d'un protocole de progrès social à inclure dans les traités.