Adoptée lors de la réunion du Comité exécutif les 11-12 mars 2014
Le Conseil européen du 21 mars 2014 abordera la politique industrielle, l’énergie et la lutte contre les changements climatiques. Le 22 janvier 2014, la Commission européenne a notamment publié deux communications «Pour une renaissance industrielle en Europe » et « Un cadre d’action en matière de climat et d’énergie pour la période 2020 à 2030 ». La présente déclaration a pour objectif de rappeler aux leaders politiques européens quelques éléments importants de la position de la CES sur ces questions.
La CES salue la présence conjointe à l’ordre du jour du Conseil des questions de politique industrielle, d’énergie et de lutte contre les changements climatiques. Ces trois thématiques sont intimement liées et doivent être traitées de manière coordonnée et cohérente, notamment afin de limiter le risque de "fuite de carbone" pour la période post 2020. L'énergie constitue une dimension essentielle de la politique industrielle et la production manufacturière est la colonne vertébrale des économies fortes et résilientes. Les économies disposant d'une large base industrielle ont d'ailleurs mieux résisté à la crise. L’harmonisation des calendriers constitue un pas important dans la coordination de ces politiques qui sont essentielles à l’établissement d’une économie européenne qui soit à la fois soutenable et socialement juste. La CES souligne toutefois qu’il ne saurait être question d’établir de hiérarchie entre le maintien d’un emploi de qualité en Europe et la lutte contre les changements climatiques. Ces deux défis doivent être affrontés simultanément et avec la même détermination. La multiplication des événements météorologiques extrêmes nous rappelle qu’il est vital de tout mettre en œuvre pour aboutir, lors de la Conférence de Paris de 2015, à un accord international juridiquement contraignant qui soit suffisamment universel et ambitieux.
La CES demande que la « transition juste » fasse partie intégrante du cadre politique que l’UE adoptera pour organiser la transition vers une économie bas-carbone au-delà de 2020. La notion de « transition juste », qui est portée par le mouvement syndical depuis de nombreuses années, tend à intégrer aux politiques climatiques européennes et internationales des exigences en termes d’emploi – tant quantitativement que qualitativement, de formation, de participation des travailleurs, de protection sociale et de respect des droits syndicaux. La CES regrette fortement que cette notion n’ait pas encore été intégrée aux politiques européennes alors qu’elle l’a été dans les accords internationaux que l’UE a signés à Cancun en 2010. L’adoption d’une feuille de route pour une « transition juste » en Europe est une correction indispensable au cadre politique actuel qui néglige dramatiquement les enjeux liés au monde du travail. Concrétiser la « transition juste» sera essentiel pour garantir l'adhésion de tous les travailleurs aux politiques de verdissement de l'économie européenne.
La CES déplore le manque d’éléments concrets dans la Communication de la Commission « Pour une renaissance industrielle européenne » en matière d’emplois, d’emplois des jeunes ou de qualité de l’emploi. La politique industrielle européenne doit placer la question de l’emploi de qualité au faîte de ses objectifs. Or, le texte de la communication ne garantit aucunement que les mesures proposées débouchent sur des créations d’emplois de qualité pour les travailleurs européens.
La Communication consacrée à la renaissance industrielle fait la part belle aux politiques de renforcement du marché intérieur et préconise d’accroître la compétitivité par la dé-régulation (REFIT) et la promotion d’administrations publiques « favorables à la croissance ». Cette conception réductrice de la compétitivité, qui est au cœur des politiques mises en œuvre pour lutter contre la crise, a pour conséquence d’affaiblir les services publics pourtant essentiels et de mettre en cause les règlementations qui sont jugées contraires à la compétitivité des entreprises, notamment dans le domaine de la santé et sécurité au travail. La ré-industrialisation est un objectif fondamental pour l’avenir de l’Europe, mais elle ne peut se faire au détriment des régulations qui protègent les travailleurs et les citoyens. À une compétitivité « low-cost » basée sur la dé-régulation et le dumping social, il faut substituer une compétitivité basée sur la qualité, l’innovation et l’investissement. Le financement de l'innovation, de la recherche et du développement des technologies industrielles durables doit être considérablement augmenté de toute urgence.
La Commission répond pour partie à cette ambition de baser la compétitivité européenne sur la qualité en faisant de la modernisation industrielle un des piliers de sa politique. Elle y insiste en effet sur l’importance de l’innovation et des nouvelles technologies et présente les lignes budgétaires mises à disposition des entreprises, des Etats-Membres et des régions. Ce volontarisme est à souligner positivement. De telles mesures ne porteront cependant leurs fruits qu’à condition qu’elles s’adossent à un plan d’investissement ambitieux et à un cadre réglementaire permettant aux pouvoirs publics de jouer un rôle actif dans le redéploiement industriel, notamment via des politiques d’aides d’Etat permettant effectivement de développer et pérenniser des projets industriels en Europe, et les emplois qui y sont liés.
Concernant les synergies à développer entre le paquet énergie-climat pour 2030 et la politique industrielle, la CES s’inquiète du profond décalage entre d’une part l’ambition – absolument indispensable – de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 80 à 95 % d’ici à 2050 (par rapport aux émissions de 1990) et, d’autre part, la faiblesse des ressources disponibles pour doter l’économie européenne des technologies et infrastructures nécessaires pour concrétiser la transition vers une économie bas carbone. La CES estime extrêmement urgent de financer en Europe des projets pilotes dans les technologies bas carbone sans lesquelles l’industrie européenne sera incapable d’atteindre les objectifs qui lui ont été assignés par la « Feuille de route vers une économie bas carbone en 2050 ».
La CES prend note de la proposition de la Commission de réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’UE de 40% d’ici à 2030. L’absence d’objectifs clairs en termes d’efficacité énergétique constitue la principale faiblesse de la proposition de la Commission européenne pour 2030. Vu la dépendance énergétique de l’UE, qui importe 55% de l’énergie qu’elle consomme, et vu la part importante de l’énergie dans les coûts de production, la compétitivité de l’économie européenne passe par le renforcement de son efficacité énergétique. De surcroît, des objectifs ambitieux dans ce domaine génèrent des investissements créateurs d’emplois faiblement délocalisables dans des secteurs comme le bâtiment ou les transports. La CES estime donc qu’il est regrettable que cette question cruciale n’ait pas été d’emblée intégrée au débat sur les politiques climatiques et énergétiques à l’horizon 2030. L’objectif proposé par la Commission, qui consiste à porter la part des énergies renouvelables à 27% de l’énergie consommée en Europe en 2030, d’une part prive l’Europe d’un incitant essentiel au développement d’une filière industrielle pourvoyeuse d’emplois et, d’autre part, limite le potentiel de production d’une énergie domestique durable en Europe. La CES soutient l'établissement d'objectifs nationaux contraignants mais souhaite que les circonstances nationales soient davantage prises en compte.
Le cadre européen permet de réaliser des économies d’échelle et de mutualiser les ressources et la CES appelle depuis de nombreuses années à une politique énergétique européenne commune. Le débat énergétique ne peut se réduire à une recherche de la compétitivité à moindre coût et les choix énergétiques européens ne peuvent être abandonnés au marché. Les enjeux d’approvisionnement, de dépendance énergétique, de protection de l’environnement et d’accès à l’énergie requièrent une politique basée sur une meilleure régulation du marché, le soutien à l’innovation et le financement du renouvellement des infrastructures de production et de distribution d’énergie. La CES souligne que l'accès à l'énergie est une nécessité vitale pour la stratégie européenne de ré-industrialisation.
La CES continuera à suivre de près les questions de politique industrielle, d’énergie et de climat dans les mois qui viennent et à réclamer une juste transition pour l’UE, ses citoyens et ses travailleurs. La CES rappelle qu’elle a proposé le plan « Une nouvelle voie pour l’Europe »[1] pour l’investissement, une croissance durable et des emplois de qualité qui, encore une fois, est une condition indispensable à la réalisation des objectifs de politique industrielle, de politique énergétique et de lutte contre les changement climatiques.
[1] http://www.etuc.org/fr/documents/une-nouvelle-voie-pour-l%E2%80%99europe-plan-de-la-ces-pour-l%E2%80%99investissement-une-croissance#.UwtUY8rLKfs