Déclaration de la CES sur l’accord global UE-Chine sur les investissements

ETUC Elected Team

Déclaration de la CES adoptée à la réunion du comité exécutif de 9 février 2021

Le 9 février 2021, le Comité exécutif de la CES a examiné l’accord de principe sur l’Accord global sur les investissements (AGI) UE-Chine annoncé le 30 décembre 2020[1], dont les annexes seront publiées ultérieurement. Cette déclaration constitue une première évaluation politique de l’accord. La CES examinera les textes de l’accord plus en détail en temps utile.

Contexte

La CES note que l’accord a été conclu l’avant-dernier jour de la présidence tournante allemande du Conseil de l’UE, avec l’objectif apparent de le signer pendant la présidence française du Conseil au premier semestre 2022. La CES critique la décision de la Commission européenne, apparemment mise sous pression par ces États membres, de parvenir à cet accord comme une erreur politique, en particulier à un moment où de nouvelles violations systématiques et graves des droits de l’homme se produisent, avec de graves préoccupations pour la minorité ethnique ouïghoure dans la région du Xinjiang en Chine et de graves violations des droits de l’homme à Hong Kong avec l’arrestation arbitraire de syndicalistes, de journalistes, d’universitaires et d’autres militants prodémocratie. Ces faits s’ajoutent à une longue et constante augmentation de la répression des droits de l’homme dans le reste de la Chine et au Tibet, y compris l’installation d’un système de surveillance de la population sans précédent. En outre, il convient de prévoir une plus grande cohérence avec la relance de l’agenda transatlantique UE-États-Unis avec la nouvelle administration américaine et le soutien d’un multilatéralisme fondé sur des règles, avec un rôle central pour l’OIT, afin d’éviter une autre assertivité intempestive de l’« autonomie stratégique ouverte » de l’UE.

Dans le même temps, l’UE devrait prendre l’initiative et élaborer une stratégie globale réfléchie et prudente à l’égard de la Chine, imprégnée de valeurs démocratiques et d’obligations en matière de droits de l’homme. Cela est particulièrement important à un moment où la Chine cherche à conclure des accords commerciaux régionaux et bilatéraux avec d’autres nations de la région Asie-Pacifique, notamment le partenariat économique régional global (RCEP)[2], ce qui pourrait compromettre les objectifs des accords de l’UE, y compris le SPG, qui ont une incidence sur le commerce et les investissements.  

L’AGI doit soutenir l’objectif d’« autonomie stratégique ouverte », qui guide l’examen de la politique commerciale de l’UE ainsi que la stratégie de relance de l’UE, afin de renforcer la résilience des chaînes de valeur de l’UE et de réduire leur vulnérabilité. En outre, la CES souligne la nécessité d’examiner les termes de l’AGI de manière cohérente dans le contexte d’importantes initiatives politiques de l’UE, notamment le « Green Deal », la révision de la politique commerciale de l’UE, la nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe, les dernières procédures d’examen des IDE de l’UE, la disposition relative à la diligence raisonnable obligatoire en matière de droits de l’homme et à la conduite responsable des entreprises, et le Livre blanc sur les subventions étrangères, dont une évaluation plus approfondie sera nécessaire pour clarifier dans quelle mesure l’AGI aborde les problèmes d’accès au marché qui ont été préjudiciables à l’industrie de l’UE pendant de nombreuses années (par exemple, les coentreprises obligatoires ou le transfert forcé de technologie). Les dispositions de l’AGI devraient également être examinées dans le contexte des négociations en cours au niveau des Nations unies sur l’instrument international juridiquement contraignant visant à réglementer, dans le droit international des droits de l’homme, les activités des sociétés transnationales et autres entreprises commerciales. Une évaluation approfondie de l’impact de l’AGI sur l’économie et l’emploi de l’UE devrait être réalisée une fois que les textes seront disponibles en détail, notamment en ce qui concerne les investissements entrants dans les pays de l’UE.

La CES souligne également que les dispositions faisant référence à l’accord de Paris sur le climat et à la CCNUCC sont les bienvenues mais que des efforts bien plus importants seront nécessaires pour orienter les investissements vers des activités neutres sur le plan climatique ainsi que pour créer des conditions équitables en matière de tarification du carbone. Étant donné que le déséquilibre actuel dans la réglementation de la tarification du carbone entre l’UE et la Chine crée un risque de concurrence déloyale et de fuite de carbone, la CES demande instamment à l’UE d’accélérer l’introduction d’un mécanisme d’ajustement aux frontières pour le carbone (CBAM) et de discuter de cette question avec la Chine.

L’UE doit agir dans le respect et en cohérence avec les principes du socle européen des droits sociaux (SEDS) et de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Les services publics doivent être davantage protégés par des limites dans les dispositions d’ouverture des marchés de l’AGI pour les secteurs qui peuvent être exposés à une concurrence et une pression accrues avec les services publics existants, comme le secteur de la santé.

Manque de transparence

La CES regrette vivement que les discussions sur l’AGI aient été menées sans transparence et sans consultation préalable et cela tout au long des négociations avec toutes les parties prenantes, y compris les organisations syndicales. La CES demande instamment que les processus de dialogue social, impliquant une contribution significative des participants, soient impliqués dans l’examen de l’AGI et de sa mise en œuvre. Cela devrait inclure des consultations sur la manière de renforcer et de développer la capacité de production au sein de l’UE dans des secteurs, des infrastructures et des technologies d’importance stratégique.

La CES appelle les gouvernements et les parlements de l’UE à entamer un débat démocratique approfondi sur un accord aussi important, qui est plein d’implications politiques, et à lancer une consultation transparente et étendue des partenaires sociaux également au niveau national.

Faibles dispositions relatives au droit du travail

La CES réaffirme que les partenaires commerciaux et d’investissement doivent respecter les conventions fondamentales de l’OIT comme condition préalable à tout accord. Dans le cas de la Chine, les normes fondamentales de l’OIT sont violées : les syndicats indépendants sont interdits, le travail forcé est utilisé et les syndicalistes ainsi que d’autres militants sociaux sont largement réprimés. La CES réitère sa demande que la ratification et la mise en œuvre des normes fondamentales du travail de l’OIT soient une condition préalable aux négociations sur le commerce et les investissements. La CES demande donc à la Commission européenne de ne pas conclure l’accord tant que la Chine n’aura pas ratifié toutes les conventions fondamentales de l’OIT ou ne s’engagera pas à les ratifier et à les mettre en œuvre avec un calendrier contraignant et exécutoire. En cas de non-respect en temps voulu, des conséquences économiques doivent être possibles en dernier recours.   

La CES rejette tout chapitre sur le développement durable qui n’inclurait pas toutes les normes fondamentales du travail de l’OIT et qui fixerait des exigences encore plus faibles en matière de liberté d’association et de négociation collective que celles de l’accord de libre-échange UE-Vietnam. La CES craint également qu’un tel retrait n’encourage les autorités vietnamiennes à retarder la mise en œuvre de leurs engagements dans le cadre de l’ALE en ce qui concerne la légalisation des syndicats indépendants (bien qu’au niveau des entreprises) et n’affaiblisse davantage la position de négociation de l’UE dans la région et dans le reste du monde.

La CES rejette la position constante de la Chine selon laquelle les différences entre les niveaux de développement respectifs des parties devraient être prises en compte lors de la conclusion d’un tel accord : les conventions de l’OIT s’appliquent à toutes les parties de manière égale et les conventions fondamentales restent universellement applicables. La CES appelle les autorités chinoises à agir conformément aux recommandations du Comité de la liberté syndicale de l’OIT, suite aux plaintes de la CSI, notamment son dernier rapport d’octobre 2020[3]. La CES demande également aux autorités chinoises d’agir conformément à la recommandation du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies[4] qui a officiellement demandé à la Chine de modifier la loi sur les syndicats afin de permettre aux travailleurs de former des syndicats indépendants, à la fois au sein et en dehors de la structure de la Fédération nationale des syndicats de Chine (ACFTU) ; d’envisager la reconnaissance légale du droit de grève ; et d’envisager fortement et d’urgence de retirer leur déclaration sur l’article 8, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (qui annule l’objet de l’article).

La CES note que la Commission a attiré l’attention sur les conclusions du groupe d’experts sur l’accord de libre-échange UE-Corée comme validant son approche du règlement des différends en cas de violation des engagements en matière de développement durable. Toutefois, l’absence de conséquences économiques, au cas où les recommandations d’un groupe d’experts ne seraient pas mises en œuvre par les parties, affaiblit considérablement le processus. En outre, le rapport sur la Corée montre que l’existence d’une feuille de route vers la ratification des conventions de l’OIT est essentielle pour démontrer les « efforts continus et soutenus » requis. Il est donc crucial qu’une telle feuille de route soit incluse dans l’AGI.

Revendications de la CES

En ce qui concerne les dispositions de l’AGI en matière de travail, la CES insiste sur les points suivants :

  • Des progrès planifiés, vérifiables et irréversibles doivent être fixés en vue de la ratification des quatre conventions fondamentales de l’OIT non ratifiées par la Chine, comme condition préalable à la ratification de l’AGI : C29 — Travail forcé, 1930 ; C87 — Liberté syndicale et protection du droit syndical, 1948 ; C98 — Droit d’organisation et de négociation collective, 1949 ; et C105 — Convention sur l’abolition du travail forcé, 1957 ;
  • Des mesures concrètes et vérifiables doivent être mises en place avec un suivi attentif de ce qui est fait plutôt que d’accepter ce qui est promis. La vérification doit comporter la visite d’observateurs indépendants en collaboration avec le bureau local de l’OIT ;
  • Le mécanisme de règlement des différends entre États du chapitre « Développement durable » de l’AGI devrait inclure toutes les conséquences possibles dans les cas graves et récurrents et prévoir des recours efficaces ;
  • Dans le cadre des questions relatives au travail forcé, la Chine devrait ratifier la Convention 169 (1989) de l’OIT sur les peuples indigènes et tribaux. Plus largement, la Chine devrait mettre fin aux pratiques de travail forcé par le biais de programmes déguisés de lutte contre la pauvreté, d’aide et de formation professionnelle destinés à la population ouïghoure. Nous nous référons à la soumission de la CSI de 2020 à la Commission d’experts de l’OIT relative à l’application des conventions et recommandations sous C122, C111, C26 que la Chine a ratifiées concernant le programme de transfert de travail imposé à la population ouïghoure ;
  • Les mesures d’inspection du travail devraient être revues et renforcées conformément à la convention C182, ainsi qu’aux conventions sur l’élimination du travail des enfants ;
  • L’interdiction de l’importation en Europe de tous les biens produits par le travail forcé ;
  • Il est inacceptable qu’une partie déroge à l’engagement de faire respecter son droit du travail en invoquant comme excuse des décisions de « bonne foi » concernant l’affectation de ressources avec ses priorités pour l’application de son droit du travail ;
  • Les mécanismes de la société civile de l’AGI devraient inclure des représentants indépendants de l’État, du Parti communiste chinois (PCC) et de l’ACFTU qui dépend du PCC ;
  • Les questions relatives au travail décent, à la santé et à la sécurité au travail et à la protection de la vie privée doivent être abordées ;
  • Du côté de l’UE, les réclamations présentées par des organisations représentatives, notamment des syndicats, devraient être traitées par le responsable de l’application des règles commerciales par le biais de mesures d’exécution appropriées et efficaces sans délai, et d’un suivi transparent avec les plaignants ;
  • Les représentants indépendants des partenaires sociaux et de la société civile devraient avoir accès au « groupe de travail spécifique » annoncé sur la mise en œuvre qui doit être établi.

Responsabilité sociale des entreprises

En ce qui concerne la responsabilité sociale des entreprises (RSE), la CES note la promotion de pratiques commerciales responsables dans l’accord, notamment en encourageant l’adoption volontaire de lignes directrices et de principes tels que le Pacte mondial des Nations unies, les Principes directeurs des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme, la Déclaration de principes tripartite de l’OIT sur les entreprises multinationales et la politique sociale, et les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. Toutefois, ces lignes directrices et principes incluent le respect des conventions de l’OIT sur la liberté d’association et sur la négociation collective qui ne sont pas volontaires et que, en tout état de cause, la RSE ne peut et ne doit pas remplacer la négociation collective entre partenaires sociaux indépendants. De même, la diligence raisonnable des entreprises ne peut et ne doit pas remplacer la responsabilité des pouvoirs publics de faire respecter les droits internationaux de l’homme et du travail par les entreprises. Il est toutefois très peu probable que les entreprises européennes soient autorisées à respecter les normes universelles en matière de droits de l’homme si cela constitue une violation du droit national. En d’autres termes, étant donné les lois et les pratiques en Chine, les normes volontaires ont de sévères limites et ne peuvent en aucun cas être considérées comme des remplacements à la ratification et à la mise en œuvre des conventions de l’OIT, notamment sur la liberté d’association et la négociation collective. La libre négociation collective facilitée par l’État, mais sans interférence de sa part, est la meilleure garantie des droits des travailleurs et de la résolution pacifique des conflits.

La CES insiste pour que les questions soient soumises à la discussion dans les structures du dialogue social à tous les niveaux. Les entreprises devraient s’associer pour soutenir la ratification, notamment des conventions 87, 98 et 29, ne serait-ce que pour pouvoir remplir leurs obligations telles que celles découlant des principes directeurs et des lignes directrices de l’OCDE, ainsi que de la législation nationale (par exemple la France) et, à terme, européenne en matière de diligence raisonnable.

Mobilité des travailleurs

En ce qui concerne les dispositions relatives à l’entrée et au séjour temporaire de personnes physiques à des fins professionnelles (Mode 4 des services), la CES est fortement opposée aux dispositions prévoyant que les parties ne doivent pas fixer de limitations sous forme de quotas numériques ou d’examens des besoins économiques sur le nombre total de personnes physiques qui, dans un secteur spécifique, sont autorisées à entrer en tant que visiteurs professionnels à des fins d’établissement ou qu’un investisseur peut employer en tant que personnes transférées à l’intérieur d’une société. La CES ne voit aucune place pour des engagements envers une partie qui ignore les droits fondamentaux du travail. Elle souligne que tous les travailleurs envoyés et travaillant dans l’UE doivent être protégés par tous les droits du travail applicables, consacrés au niveau européen et national, et bénéficier de toutes les normes sociales et du travail sur le lieu de travail.

En outre, la CES s’inquiète des possibilités offertes par ces dispositions en matière d’espionnage industriel. Elle insiste pour qu’un contrôle en consultation avec les partenaires sociaux soit effectué, y compris au niveau national, sur un nombre déterminé de personnes impliquées et sur leurs qualifications, notamment en ce qui concerne les « spécialistes ». Il convient d’inclure des dispositions spécifiques garantissant et appliquant effectivement les dispositions de la négociation collective et les droits des personnes transférées sur le lieu de travail, y compris des salaires décents, la sécurité sociale, le droit d’organisation et de grève et le droit du syndicat d’accéder au lieu de travail.


[1] https://trade.ec.europa.eu/doclib/press/index.cfm?id=2237

[2] Le RCEP est un accord de libre-échange entre les nations de l’Asie-Pacifique : Australie, Brunei, Cambodge, Chine, Indonésie, Japon, Laos, Malaisie, Myanmar, Nouvelle-Zélande, Philippines, Singapour, Corée du Sud, Thaïlande et Vietnam, signé le 15 novembre 2020.

[3] https://www.ilo.org/dyn/normlex/en/f?p=NORMLEXPUB:50002:0::NO::P50002_COMPLAINT_TEXT_ID:4059166#C

[4] Voir paragraphe 23 p 7 https://www.refworld.org/publisher,CESCR,,CHN,53c77e524,0.html