Directive de la CES sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la protection des personnes signalant des infractions au droit de l’Union — Dénonciation
Adopté par la réunion du comité exécutif le 25-26 juin Sofia
Introduction
Les syndicats réclament depuis longtemps une protection forte à l’échelle de l’UE pour ceux qui dénoncent des actes répréhensibles. Les travailleurs des secteurs public et privé doivent savoir que s’ils font part de leurs inquiétudes sur le lieu de travail ou à l’extérieur, ils seront protégés contre des représailles. Les scandales récents montrent que les dénonciateurs peuvent jouer un rôle important dans la découverte d’activités illégales. Mais les travailleurs ont souvent peur de s’exprimer parce qu’ils craignent d’être rétrogradés, victimisés, licenciés, mis sur liste noire, poursuivis, condamnés à des amendes et même emprisonnés. Souvent, à la suite d’une catastrophe, les travailleurs signalent qu’ils ont fait part de leurs inquiétudes, mais qu’ils ont été ignorés ou que celles-ci ont été dissimulées.
Nécessité urgente d’une protection à l’échelle de l’UE pour ceux qui dénoncent les abus
Le 17 avril 2018, la Commission européenne a adopté un projet de proposition de directive visant à protéger les travailleurs lorsqu’ils sortent de l’ombre et dénoncent des actes répréhensibles. La Commission européenne déclare que « la proposition garantira un niveau élevé de protection pour les dénonciateurs qui signalent des infractions à la législation de l’UE en établissant de nouvelles normes à l’échelle de l’UE. La nouvelle loi établira des voies de communication sûres tant au sein d’une organisation qu’à l’extérieur… » Reconnaissant que la protection des dénonciateurs est fragmentée dans l’UE et inégale d’un domaine politique à l’autre, la Commission a souligné que seuls dix pays de l’UE (France, Hongrie, Irlande, Italie, Lituanie, Malte, Pays-Bas, Slovaquie, Suède et Royaume-Uni) disposent d’une législation complète protégeant les dénonciateurs. Dans les autres pays de l’UE, la protection accordée est partielle : elle ne couvre que les fonctionnaires ou des secteurs spécifiques (par exemple, les services financiers) ou des types spécifiques d’actes répréhensibles (par exemple, la corruption). La Commission a souligné le besoin urgent d’une protection au niveau de l’UE, car « une protection insuffisante dans un pays n’a pas seulement un impact négatif sur le fonctionnement des politiques de l’UE dans ce pays, mais peut également se répandre dans d’autres pays et dans l’UE dans son ensemble ».
Difficultés significatives avec la proposition de directive
Pour la CES, la publication de la directive donne lieu à un certain nombre de décisions difficiles. D’une part, les syndicats réclament une protection pour ceux qui dénoncent les abus, mais il y a également plusieurs sujets de préoccupation qui ont des implications pour notre soutien à la directive :
- La Commission n’a pas soumis la proposition de directive aux partenaires sociaux pour consultation conformément à l’article 154 du TFUE.
- La directive proposée prévoit moins de protection pour les droits, la sécurité, la santé et le bien-être des travailleurs que pour les droits, la sécurité, la santé et le bien-être des animaux. Elle crée un système de droit à deux niveaux dans lequel le droit du travail de l’UE est d’un ordre inférieur.
- La directive proposée crée une procédure obligatoire de dénonciation sur le lieu de travail qui ne garantit pas le droit d’être représenté par le syndicat ni que la dénonciation soit volontaire. Les procédures obligatoires pour les rapports internes rendent les travailleurs moins susceptibles de se manifester. Il est très préoccupant de constater que les procédures ne donnent pas au travailleur le droit de se rencontrer, de discuter, d’obtenir des conseils, d’être accompagné ou représenté par son syndicat à n’importe quel stade. Ainsi, la directive proposée prive le travailleur de la protection la plus élémentaire et la plus évidente. Pire encore, il n’y a pas de clause de non-régression pour protéger les procédures existantes sur le lieu de travail qui incluent la représentation syndicale.
Il existe d’autres problèmes importants et graves liés à la manière dont la directive est rédigée et ceux-ci influencent également l’analyse des propositions par les syndicats. Par exemple, la directive proposée ne s’applique qu’au droit communautaire, ce qui rendra très difficile pour les travailleurs d’agir dans la pratique, car il sera parfois impossible de séparer le droit de l’UE du droit des États membres.
Cette position met l’accent sur les trois préoccupations majeures qui doivent être résolues pour obtenir le soutien des syndicats ou pour que la directive puisse aller de l’avant.
S’attaquer à la procédure imparfaite utilisée par la Commission
La CES ne peut ignorer le fait que la Commission n’a pas renvoyé cette législation aux partenaires sociaux pour consultation. Il est clair que la proposition de directive couvre un certain nombre de questions visées à l’article 153 du TFUE, à savoir la prévention du licenciement des travailleurs et les conditions de travail. La CES a écrit au vice-président Timmermans pour demander pourquoi la directive n’a pas été renvoyée aux partenaires sociaux conformément au rôle qui leur a été attribué en vertu de l’article 154 du TFUE, mais il ne nous a pas répondu et nous ignorons les raisons pour lesquelles la Commission ne nous a pas transmis la proposition.
L’absence de réponse est inacceptable et constitue un gaspillage du temps disponible pour trouver une solution.
La CES rejette cet argument bidon qui semble se répandre selon lequel l’article 154 ne s’applique que lorsque l’article 153 constitue la base juridique d’une directive. Cela n’est pas le cas. L’article 154 stipule clairement que « la Commission, avant de présenter des propositions dans le domaine de la politique sociale, consulte les partenaires sociaux sur l’orientation possible d’une action de l’Union. » Il convient en outre de souligner que la directive proposée traite de questions explicitement mentionnées à l’article 153, par exemple la « protection des travailleurs », les « conditions de travail » et la « résiliation du contrat de travail ». De même, il convient de mentionner ici que l’exclusion de l’article 153 du TFUE en tant que base juridique est contraire à l’article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne parce que rien ne justifie un traitement différent par rapport aux autres bases juridiques mentionnées dans la proposition de la Commission.
Action en justice pour empêcher l’avancement de la législation ?
Une voie d’action légale est à la disposition de la CES, c’est-à-dire qu’il est possible d’empêcher la poursuite de la législation en raison de l’absence de consultation avec les partenaires sociaux. Il y a de solides arguments en faveur du lancement de cette procédure par la CES : non seulement le traitement problématique des droits des travailleurs dans la directive, mais plus généralement la manière dont certaines parties de la Commission européenne tentent de plus en plus de saper le rôle des partenaires sociaux dans le Traité de l’UE.
Insister auprès de la Commission pour qu’elle lance une consultation formelle au titre de l’article 154 du TFUE
La CES critique fortement la Commission qui n’a pas rempli ses obligations de lancer une consultation formelle au titre de l’article 154 du TFUE avec les partenaires sociaux. Toutefois, la CES ne propose pas de lancer une injonction légale pour empêcher la poursuite de la législation. La CES profitera de l’occasion pour soulever toutes les déficiences, les imprécisions juridiques et les lacunes du texte et de le faire modifier pour qu’il puisse être soutenu par les syndicats. Nous insistons sur le fait que ce n’est pas un précédent, ignorer l’article 154 du TFUE ne peut devenir une norme.
Amendements nécessaires pour garantir le soutien des syndicats à la proposition de directive
1. Faire de l’article 153 la base juridique de la directive et ajouter les droits des travailleurs au champ d’application matériel de la directive
Le champ d’application matériel de la directive, défini à l’article 1er, constitue un sujet de préoccupation majeur. La directive protège les personnes travaillant dans les secteurs privé et public lorsqu’elles signalent des infractions au droit communautaire concernant (i) les marchés publics ; (ii) les services financiers, (iii) le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ; (iv) la sécurité des produits ; (v) la sécurité des transports ; (vi) la protection de l’environnement ; (vii) la sûreté nucléaire ; viii) la sécurité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux, ix) la santé et le bien-être des animaux, x) la santé publique, xii) la protection des consommateurs, xii) la protection de la vie privée, xiii) la protection des données et la sécurité des réseaux et des systèmes d’information, xiv) les infractions aux règles de concurrence de l’UE, xv) les violations et abus des règles fiscales applicables aux sociétés et xvi) les atteintes aux intérêts financiers de l’UE.
Le choix fait par la Commission européenne d’opter pour 16 bases juridiques différentes couvrant de nombreux domaines du droit communautaire est sans précédent et inexplicable, mais n’inclut pas l’article 153, excluant ainsi tous les droits des travailleurs et faisant de l’objectif de la directive l’application de la loi plutôt que la protection des travailleurs.
Refuser de fournir une protection aux travailleurs pour dénoncer les manquements par les employeurs et autres parties en matière de protection de l’emploi, du bien-être, de la santé, de la sécurité, de l’égalité et des droits de l’homme des autres travailleurs est inacceptable. Cela est d’autant plus répréhensible que la directive prévoit une protection afin que les mêmes préoccupations puissent être soulevées en matière de droits, de santé et de bien-être des animaux. L’exclusion est inacceptable et contraire à l’article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, car rien ne justifie un traitement différent. En outre, le problème ne peut pas être résolu au niveau des États membres, car la liste figurant à l’article 1er de la directive est une « liste fermée » - « les infractions relevant du champ d’application des actes de l’Union énumérés à l’annexe (partie I et partie II) en ce qui concerne les domaines suivants » (article 1er, point a)). Cela signifie que seuls les points énoncés dans la Directive peuvent être dénoncés. Cette liste doit être ouverte afin de permettre l’ajout de points supplémentaires par les États membres, la disposition doit être formulée en termes d’« y compris, mais pas uniquement, les domaines suivants ».
En omettant l’emploi, l’égalité et les droits du travail dans l’UE, la Commission a créé un système de droit à deux niveaux avec l’idée que le droit du travail est une autre catégorie — moins protégée — de droit dans l’UE. Ce concept est dangereux et n’a pas sa place dans l’UE recadrée par le socle européen des droits sociaux et dans lequel la Charte des droits fondamentaux de l’UE doit recevoir la même valeur que les Traités.
Les syndicats et les ONG réclament une directive horizontale et s’opposent à une approche sectorielle. Afin d’assurer une telle approche horizontale, les syndicats ont réclamé que la base juridique soit unifiée en vertu de l’article 153 du TFUE. Compte tenu de l’utilisation sans précédent de 16 bases juridiques pour une directive, la CES demande que le domaine social soit également inclus dans le champ d’application juridique. À cet égard, nous demandons également que la directive soit modifiée pour garantir que la dénonciation ne soit pas obligatoire (sauf dans certains domaines limités établis). L’objectif de la directive est la protection du travailleur et non l’application de la loi.
2. Modifier la procédure obligatoire de dénonciation sur le lieu de travail pour garantir aux travailleurs le droit d’être représentés par le syndicat et protéger les régimes existants plus favorables
La directive prévoit au chapitre II (articles 4 et 5) une obligation pour les organisations de plus de 50 salariés ou dont le chiffre d’affaires dépasse les 10 millions d’euros et certaines organisations du secteur public « d’établir des canaux internes et des procédures de rapport et de suivi des rapports ». Il y a deux difficultés à cela, d’abord parce que la Fédération européenne des journalistes a souligné que cela rendra les gens moins susceptibles de se manifester. Il doit être beaucoup plus facile pour le dénonciateur de se tourner directement vers les médias et les sources des journalistes doivent être protégées.
Un autre problème est que la procédure interne ne donne pas au travailleur le droit de se rencontrer, de discuter, d’obtenir des conseils, d’être accompagné ou même d’être représenté à n’importe quel stade par son syndicat. Ainsi, la directive proposée prive le travailleur de la protection la plus élémentaire et la plus évidente. Compte tenu des difficultés auxquelles seront confrontés les travailleurs pour déterminer s’ils sont couverts par les protections, il est contre-productif de ne pas leur accorder ce droit fondamental. Cette absence est d’autant plus inquiétante que la directive ne prévoit pas de clause de non-régression adéquate pour protéger les procédures existantes sur le lieu de travail qui prévoient la représentation syndicale.
La directive prévoit en vain que les États membres « consultent les partenaires sociaux, le cas échéant » lors de l’établissement des canaux internes. Il faut éviter que les employeurs puissent décider unilatéralement des canaux internes de l’entreprise. Le développement des canaux d’information doit se faire obligatoirement en consultation et par la négociation avec les représentants des travailleurs et/ou les syndicats, et le droit d’être représenté doit être garanti.
La procédure de rapport interne doit être modifiée pour interdire spécifiquement les clauses de bâillonnement dans les contrats de travail et prévoir un droit clair et certain pour le travailleur ou le groupe de travailleurs de discuter avec leur syndicat à un stade précoce, c’est-à-dire en envisageant de faire une divulgation et en discutant en outre avec un syndicat pour savoir si le fait de faire ou non un rapport ne devrait pas être considéré comme une violation de la confidentialité et même si une décision est prise de ne pas faire un rapport, les travailleurs devraient pouvoir bénéficier de la protection prévue par la directive. Le droit d’être accompagné et représenté par le syndicat à toutes les étapes de la procédure interne est essentiel.
3. Prévoir une clause de traitement/non-régression plus favorable (Article 19)
L’article 19 ne constitue pas une protection adéquate pour les régimes existants de protection des dénonciateurs. Il ne garantira pas que les travailleurs continueront à bénéficier de la législation nationale plus protectrice en place aujourd’hui. La façon dont il est rédigé peut inciter la CJUE à faire de cette disposition une règle maximale, comme c’est le cas dans la jurisprudence Laval. En outre, cet article est limité aux « droits des personnes déclarantes », ce qui pourrait ne couvrir que les dénonciateurs relevant du champ d’application de la présente directive à l’article 1er.
Une meilleure clause de non-régression est nécessaire pour s’assurer que les normes juridiques existantes ne soient pas abaissées et que les procédures internes existantes qui incluent les syndicats soient protégées et améliorées plutôt qu’aggravées.
D’autres amendements sont nécessaires pour résoudre les problèmes suivants :
Le droit communautaire et le droit des États membres ne sont pas faciles à distinguer.
La directive proposée ne s’applique qu’au droit communautaire, ce qui rendra très difficile, voire impossible, pour les travailleurs d’opérer dans la pratique, car il ne sera pas facile ou même impossible, dans certains cas, de séparer le droit de l’UE du droit des États membres. La directive tente de dissiper cette incertitude en prévoyant, à l’article 13, que « le déclarant bénéficie de la protection prévue par la présente directive, à condition qu’il ait des motifs raisonnables de croire que les informations communiquées étaient vraies au moment de la notification et que ces informations entrent dans le champ d’application de la présente directive ». La façon dont cela se déroulera dans la pratique n’est pas claire, cela dépendra en grande partie du fait que le tribunal croira ou non le témoignage du travailleur et de la marge de manœuvre laissée par l’interprétation. Il serait préférable de garantir que le travailleur soit couvert lorsqu’il soulève des préoccupations concernant des questions relevant du droit national mettant en œuvre le droit communautaire.
Améliorations nécessaires pour renverser la charge de la preuve (Article 15 [5])
Le renversement de la charge de la preuve n’est pas suffisant. Le déclarant doit fournir des motifs raisonnables de croire que le préjudice a été causé par des représailles suite à son rapport ou divulgation, alors qu’il appartient à la personne qui a pris la mesure de représailles de prouver que le préjudice n’est pas une conséquence du rapport, mais qu’il est fondé sur des motifs dûment justifiés. Au lieu de cela, la proposition ne devrait imposer la charge de la preuve qu’à la personne qui a pris la mesure de représailles.