Proposition de la CES pour un SURE 2.0
Résolution adoptée lors de la réunion du Comité exécutif des 27 et 28 octobre 2022
EN BREF
La CES propose de refinancer et de renforcer l’instrument SURE actuel de la manière suivante :
- en y incluant des mesures de transition juste et des mesures anti-pauvreté et en abordant les conséquences économiques et sociales de la guerre en Ukraine ;
- en plafonnant sa capacité financière totale à 300 milliards d’euros ;
- en s’assurant que son fonctionnement privilégie les progrès au titre du SEDS et des grands objectifs de Porto tout en soutenant la mise en œuvre des ODD de l’agenda 2030 des Nations unies ; et
en faisant en sorte qu’il responsabilise les partenaires sociaux à travers une phase de consultation obligatoire avant de solliciter des prêts auprès de la Commission européenne.
UN SCÉNARIO LARGEMENT ACCEPTÉ
Nous traversons une nouvelle crise économique qui menace l’unité du tissu socioéconomique de l’UE. Le conflit en Ukraine aggrave les difficultés causées par des facteurs externes échappant au contrôle de l’UE ou de ses États membres. Aux yeux de la CES, les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement et une inflation en hausse, déjà visibles dans la forte augmentation des prix de l’énergie et des produits alimentaires, mènent à penser que l’impact économique et social du conflit pourrait être bien plus profond qu’attendu. La perte de pouvoir d’achat et la précarité énergétique en particulier deviennent une importante urgence sociale (spécialement dans les ménages à bas revenu) qui doit être prioritairement abordée.
La guerre fragmente le système économique de l’UE : les prévisions économiques d’été de la Commission européenne témoignent d’une très faible croissance économique, de risques élevés de stagflation et de pertes d’heures de travail. La participation des groupes vulnérables au marché du travail a diminué et les privations matérielles ont augmenté au sein des ménages, en particulier ceux qui sont exposés à d’importantes fluctuations des prix de l’énergie.
Une importante chute de confiance dans l’avenir des entreprises et des ménages laisse anticiper une dégradation des perspectives économiques. L’UE risque une récession économique à moins que : les investissements continuent d’être financés, la création d’emplois augmente et le pouvoir d’achat des ménages soit protégé. Tandis qu’une facilité pour la reprise et la résilience (FRR) renforcée continuera à financer les investissements pour les transitions verte et numérique, toutes les ressources de l’instrument SURE ont déjà été engagées pour préserver les emplois et les revenus ce qui fait que de nouvelles demandes des États membres ne peuvent être satisfaites.
Pourtant, la rareté des produits de base, les prix élevés de l’énergie et les conditions de crédit plus strictes érodent les marges pour de nouveaux investissements sans parler des mesures accompagnant les transitions de la main-d’œuvre. Sans mesures de transition juste, il y a risque de voir se développer une situation paradoxale dans laquelle la contraction du marché du travail coïncide avec un chômage persistant et en augmentation au sein des groupes vulnérables.
Des risques sociaux élevés soumettent déjà les budgets nationaux à une très forte pression, déstabilisant la zone euro et l’économie de l’UE dans son ensemble. L’observatoire de la CES confirme un pic des dépenses publiques en faveur de mesures destinées à atténuer l’impact de l’explosion des prix de l’énergie et des produits alimentaires. Toutefois, d’importantes disparités existent dans les capacités de dépenses des États membres et l’élaboration effective de telles mesures.
Afin d’atténuer les risques sociaux, la mise en œuvre de la FRR, actualisée par le plan REPowerEU, doit s’accompagner de mesures tangibles et adaptées pour une transition juste. Bien que les risques liés à l’emploi ne soient pas nouveaux, des zones de risque sont maintenant identifiées dans les coûts de logement et des transports – en particulier ceux connectant les zones urbaines et rurales, ainsi que dans les coûts des soins de santé et de protection sociale. Nous avons des raisons de croire que la fracture traversant la société et les régions de l’UE se creusera encore, et cela en raison du cumul des problèmes liés à l’emploi, à la transition juste et à la précarité énergétique.
INSTRUMENTS DE POLITIQUE
L’UE et ses États membres sont confrontés à de sérieuses difficultés réduisant leur potentiel pour atteindre les objectifs sociaux qui ont déjà convergés pour répondre à la nécessité d’atténuer rapidement les conséquences néfastes de la guerre compte tenu de la gravité de la situation économique et sociale. C’est la raison pour laquelle la CES réclame des mesures urgentes, y compris le refinancement et l’élargissement de la couverture de l’instrument SURE pour renforcer la résilience économique et sociale de l’ensemble de l’UE.
Le Socle européen des droits sociaux (SEDS) devrait contribuer à l’élaboration de la réponse politique aux défis identifiés plus haut. Il est bon de rappeler que le principe 20 [du socle] inclut l’énergie parmi les services essentiels auxquels chacun doit pouvoir accéder. Les progrès dans la réalisation des grands objectifs adoptés à Porto (concernant l’emploi, l’éducation et la formation et la lutte contre la pauvreté) serviront à évaluer l’impact de la réponse politique mise en place. L’agenda 2030 des Nations unies sert de guide aux décideurs politiques, particulièrement lorsqu’on adopte une approche axée sur l’ODD8.
Le programme REPowerEU indique que, durant la transition, le découplage rapide par rapport aux importations russes d’énergie peut entraîner des prix de
l’énergie plus élevés et plus volatils. REPowerEU précise également que le cadre juridique existant de l’UE autorise déjà les États membres à demander des mesures de solidarité aux pays voisins en cas de crise extrême. Les mesures de solidarité sont censées être des mesures de dernier recours dans le cas d’une grave pénurie de gaz afin de garantir l’approvisionnement des ménages, des systèmes de chauffage urbain et des infrastructures sociales de base dans les pays affectés. Il semble dès lors justifié d’allouer des ressources supplémentaires pour les instruments de l’UE destinés à financer les mesures de transition juste qui soutiennent l’emploi et la lutte contre la pauvreté.
Le paquet de printemps du Semestre européen 2022, en ce compris la mise en œuvre de la FRR, soulève des inquiétudes à propos du cycle économique et affirme qu’une politique budgétaire est nécessaire pour atténuer l’impact de l’augmentation des prix de l’énergie, particulièrement pour les ménages vulnérables, tout en gardant à l’esprit l’impact potentiel de cette mesure sur l’inflation. En outre, les lignes directrices pour l’emploi appellent un soutien aux processus de restructuration en plus de la protection de l’emploi, ce qui est la logique d’une transition juste.
Les plans nationaux, tels que les plans nationaux pour la reprise et la résilience et les plans nationaux pour l’énergie el le climat, identifient les mesures de transition juste et les réponses aux perturbations du marché du travail afin de protéger les ménages contre la précarité énergétique.
Il est temps de démontrer que la réponse de l’UE est capable de neutraliser les conséquences sociales de la guerre et de différencier tous les facteurs externes menaçant la stabilité économique de l’UE. Les mesures évoquées plus haut abordent nombre de problèmes existants et futurs. Elles ne peuvent cependant pas garantir une réponse suffisante et homogène aux urgences sociales qui devraient encore s’aggraver vers la fin de cette année. Afin de mettre en place une réponse politique saine à ces défis et de soutenir les États membres les plus dans le besoin, un renforcement de l‘instrument SURE devrait être envisagé. Celui-ci devrait avoir un champ d’application élargi couvrant non seulement la protection de l’emploi mais aussi les mesures pour une juste transition et la lutte contre la précarité énergétique.
VERS UN SURE 2.0
Eu égard aux urgences et difficultés décrites ci-dessus, la CES propose de refinancer et de renforcer l’instrument SURE existant selon les lignes tracées dans ce document. Tous les aspects du règlement SURE actuel qui ne sont pas abordés ici devraient rester inchangés.
L’article 122 du TFUE précise sous quelles conditions une action peut être entreprise. La CES plaide pour des décisions sur les mesures appropriées pour faire face à une urgence économique entraînant de graves difficultés dans l'approvisionnement en certains produits, notamment dans le domaine de l'énergie. Les circonstances exceptionnelles échappant au contrôle des États membres telles que décrites plus haut suggèrent qu’une aide financière aux États membres devrait être activée pour donner une marge matérielle au véritable esprit de solidarité européen observé lors de la pandémie et consacré dans la loi fondamentale de l’UE. Cette aide financière telle que prévue dans les traités actuels est nécessaire pour assurer la stabilité économique et monétaire de l’UE. Elle contribuera à la convergence économique et préservera la cohésion alors que les conséquences économiques de la guerre en Ukraine mettent en danger la cohésion sociale de l’UE et l’unité de son économie.
Confirmant l’article 122 du TFUE comme étant sa base juridique, SURE 2.0 devrait poursuivre le double objectif de réaliser la stabilité financière et de garantir la justice sociale. La réalité montre que les États membres sont différemment exposés, d’où un appel à la solidarité européenne. Certains États membres ont des capacités de réponse limitées, ce qui mène à des écarts injustifiés entre travailleurs et ménages européens. La CES estime que le système des garanties données par les États membres soutenant l’émission d’euro-obligations, comme c’est actuellement le cas de SURE, devraient être confirmées et adaptées aux objectifs élargis et à l’ampleur des nouvelles circonstances. Les ressources non dépensées au titre de la FRR, qui s’élèvent à plus de 200 milliards d’euros de prêts non réclamés, pourraient également être réaffectées au financement du mécanisme SURE.
Alors que SURE avait pour objectif de financer les régimes de chômage partiel et autres mesures similaires, SURE 2.0 devrait évoluer en un instrument financier pour stabiliser les dépenses publiques et protéger l’emploi et la création d’emplois, soutenir les processus de transition juste et éradiquer la pauvreté. La taille de SURE 2.0 devrait être proportionnée à l’impact de la guerre sur l’économie de l’UE. Selon la CES, SURE 2.0 devrait être muni d’une capacité de prêt de 300 milliards d’euros suivant le même régime financier que celui adopté pour le SURE initial. Ce montant est calculé comme étant la capacité permettant à un SURE renforcé de faire face à l’accélération des transitions du marché du travail et des transitions sociales et de compenser l’écart des dépenses publiques dû au renforcement des positions budgétaires motivé par les difficultés économiques.
L’instrument SURE 2.0 devrait être mieux aligné avec la dimension de durabilité et la dimension sociale des objectifs européens tels que définis dans le plan d’action du SEDS, y compris les grands objectifs en matière d’emploi, d’éducation et de formation et de pauvreté adoptés à Porto. Ceci est encore plus justifié si l’UE parvient à capter des ressources des marchés financiers en émettant des obligations sociales.
A ce propos, la Commission européenne devrait publier des lignes directrices à destination des États membres pour qu’ils fournissent tous les éléments nécessaires à l’évaluation des mesures pour lesquelles une aide financière est sollicitée. Les déclarations nationales au titre de l’instrument SURE 2.0 devraient décrire la manière dont ces mesures contribueront à la mise en œuvre du SEDS et des grands objectifs de Porto. Enfin, il faudrait que les États membres précisent comment les mesures au titre de SURE sont alignées sur l’agenda 2030 des Nations unies.
La dimension de solidarité de l’instrument SURE 2.0 devrait tenir compte du fait que certains pays, notamment en Europe centrale et orientale, sont plus exposés aux soubresauts économiques et ont une capacité limitée pour élaborer une réponse politique appropriée. Les ménages à bas revenu sont particulièrement affectés par la précarité énergétique et la hausse des prix alimentaires et tous les travailleurs, indépendamment de leur statut, devraient être soutenus en privilégiant ceux qui sont dans une situation de vulnérabilité.
FACTEURS DE SUCCÈS DE SURE 2.0
Une consultation structurée avec les partenaires sociaux : Les prêts au titre de SURE 2.0 devaient être accessibles uniquement après consultation avec les partenaires sociaux nationaux. Les demandes nationales pour accéder aux prêts dans le cadre de SURE 2.0 devraient inclure un paragraphe faisant rapport de la consultation avec les partenaires sociaux.
Un dialogue entre partenaires sociaux et gouvernements peut assurer que les flux financiers activés au titre de SURE 2.0 sont alignés sur des critères de durabilité et sociaux, singulièrement en lien avec le SEDS, et que les mesures financées par l’instrument SURE 2.0 contribuent à la réalisation des grands objectifs de Porto.
Les partenaires sociaux devraient également être consultés pour préserver l’intégrité de l’instrument et assurer que sa mise en œuvre soit pleinement conforme à l’État de droit.
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ANNEXE
Le mécanisme financier de l’instrument SURE actuel reflète une solidarité tangible entre États membres qui devrait être maintenue et possiblement adaptée aux nouvelles circonstances. Ainsi, certaines options innovantes peuvent encore être évaluées pour augmenter les garanties liées à l’émission d’obligations sociales européennes finançant SURE 2.0, à savoir :
- Renouveler les garanties offertes par les États membres en reproduisant l’architecture financière actuelle de l’instrument SURE et en souscrivant de nouvelles garanties suivant la même clé que dans le règlement SURE actuel.
- Réaffecter tout ou partie des 225 milliards d’euros disponibles dans la FRR et provenant de prêts non réclamés.
- Mobiliser une partie du cadre financier pluriannuel (CFP) pour garantir les euro-obligations.
- Allouer à l’instrument SURE (sous forme de garantie) des recettes fiscales nouvelles et supplémentaires en taxant les surprofits à travers une action coordonnée des États membres.
- Mobiliser les ressources disponibles du mécanisme européen de stabilité (jamais utilisé) et les transférer vers SURE en intégrant la part du fonds InvestEU dans le projet social phare de l’UE.
- Enfin, un mécanisme pourrait être introduit pour augmenter les garanties aux États membres qui utilisent vraiment l’instrument SURE pour éviter les comportements « moralement hasardeux » de telle sorte que les pays qui n’utilisent pas SURE 2.0 seront moins exposés du fait de ces garanties.