Les règles de l'UE en matière de marchés publics – Position de la CES

Bruxelles, 06-07/03/2012

En décembre 2011, la Commission a adopté les règles révisées de l’UE en matière de marchés publics comprenant une directive générale sur les marchés publics, une directive spécifique s’appliquant uniquement aux services de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux, ainsi qu’une directive sur l’attribution de contrats de concession.

La CES regrette que l’objectif de mieux intégrer les considérations sociales et environnementales dans les marchés publics n’ait pas été atteint. La Commission a favorisé une approche volontaire selon laquelle il serait optionnel pour les pouvoirs publics de tenir compte des considérations sociales et environnementales. La Commission n’a pas non plus réussi à résoudre l’incompatibilité entre le droit européen et la Convention 94 de l’OIT, qui est une conséquence de l’affaire Rüffert. Les règles de marchés publics devraient soutenir la promotion et la mise en œuvre de la Convention. Elles doivent également assurer le respect total des législations du travail nationales et des conventions collectives applicables. La CES appelle les États membres qui ne l’ont pas encore fait de ratifier la Convention dès que possible. Afin d’éviter des pratiques abusives quant aux conditions de travail, il faut introduire un système de responsabilité solidaire qui stipule clairement que toute la chaîne de sous-traitance est conjointement responsable concernant les conditions de salaire et de travail, la sécurité sociale, les droits fondamentaux, la santé et la sécurité, ainsi que la formation.

Les propositions de la Commission ne comprennent aucune garantie pour maintenir ou améliorer la qualité des services. La CES ne peut pas accepter que l’attribution de contrats publics continuent de se baser sur le critère du prix le plus bas. L’attribution de contrats sur la base du critère « le plus économiquement avantageux » offre des garanties suffisantes pour qu’une soumission soit évaluée en fonction de ses avantages économiques et sociaux.

La CES estime qu’il est nécessaire que les autorités locales jouissent d’une large faculté d’appréciation concernant l’organisation et la prestation de services publics. Ils doivent pouvoir fournir des services publics directement à leurs citoyens. Une large interprétation des arrangements internes est dès lors importante.

La CES accueille favorablement la reconnaissance que les services publics ne peuvent pas être traités de la même façon que d’autres services publics et soient donc soumis aux principes de transparence et de non-discrimination. Toutefois, le respect du droit du travail et des conventions collectives doit également s’appliquer au régime des marchés publics pour les services sociaux. En outre, la sécurité sociale et les services syndicaux doivent être exclus car ils ne sont pas des services au sens du droit communautaire.

La CES ne pense pas qu’une directive spécifique sur les concessions soit nécessaire. Contrairement aux objectifs exposés, elle augmente l’incertitude juridique pour les pouvoirs publics. Le champ d’application est vague et la relation avec la directive générale sur les marchés publics n’est pas claire. Cela pose de sérieuses préoccupations quant à la capacité des pouvoirs publics à organiser des secteurs clés de manière sociale et durable.

Enfin, la CES réitère sa demande en faveur d’un moratoire sur la libéralisation en l’absence d’évaluation complète et globale de l’impact des mesures communautaires prises à ce jour.?

Annexe :

Mémorandum explicatif

Contexte

En janvier 2011, la Commission a publié un Livre vert sur la modernisation de la politique en matière de marchés publics. La réponse de la CES a mis l’accent sur la responsabilité des pouvoirs publics à utiliser l’argent public afin de promouvoir le développement économique et social, l’emploi de bonne qualité et les services, produits et œuvres de qualité . À la suite de l’affaire Rüffert, il subsiste une grande incertitude quant au fait de savoir dans quelle mesure les parties contractantes peuvent convenir d’un principe de totale égalité entre tous les travailleurs du même territoire. Il est dès lors difficile de respecter la Convention 94 de l’OIT dans les États membres qui l’ont ratifiée, ce qui laisse la porte ouverte au dumping social dans toute l’UE. La CES a également souligné que les marchés publics sont un choix et pas une obligation et, en particulier, que les pouvoirs publics doivent jouir d’une large faculté d’appréciation concernant l’organisation et la prestation de services publics.

À la suite du Livre vert, la Commission a publié en décembre 2011 un ensemble de mesures pour la révision des règles de l’UE applicables aux marchés publics. Cet arsenal de mesures est composé d’une proposition de directive générale remplaçant la directive 2004/18/CE sur les marchés publics , une directive en matière de passation des marchés par des entités opérant dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux (« la directive sur les services publics ») remplaçant la directive 2004/17/CE , et une directive sur l’attribution de contrats de concession .

Bien que chacune de ces propositions contienne des spécificités liées à leurs champs d’application respectifs, elles poursuivent deux objectifs : augmenter l’efficacité des dépenses publiques et permettre une meilleure utilisation des marchés publics en faveur d’objectifs sociétaux communs. La CES salue en particulier le second objectif étant donné que l’approche qui prévaut actuellement est presque exclusivement basée sur des considérations économiques. Néanmoins, le contenu des propositions ne répond pas aux objectifs sociaux et des améliorations importantes sont nécessaires pour garantir le respect du droit du travail et assurer des services publics de qualité.

Bien que la CES soutienne les principes de transparence et de non-discrimination, nous ne sommes pas convaincus de la nécessité d’une directive spécifique sur les concessions, qui couvre le droit d’exploiter des œuvres ou des services. Contrairement aux objectifs exposés, elle augmente l’incertitude juridique pour les pouvoirs publics. Le champ d’application de la directive proposée n’est pas clair et la relation avec la directive générale sur les marchés publics n’est pas expliquée. En outre, la CES craint que la directive interfère avec le droit des pouvoirs publics d’organiser les services publics de la manière dont ils l’entendent.
Respect des salaires décents et des conditions de travail

Il est essentiel que toutes les parties à une procédure de passation de marchés publics soient liées par le droit national du travail et les conventions collectives applicables localement. Cependant, les directives proposées contiennent de très maigres dispositions sur les aspects sociaux et, par conséquent, elles ne constituent pas une protection suffisante contre la concurrence déloyale sur les conditions de travail. En outre, dans de nombreux États membres, les conventions collectives nationales et sectorielles sont actuellement attaquées par les récentes réformes du marché du travail établissant la préséance des accords d’entreprise sur les accords nationaux/sectoriels. Ce facteur supplémentaire fait peser sur les travailleurs la menace de voir leur salaire et leurs conditions de travail ébranlés par une concurrence sur les prix les plus bas dans les marchés publics.

Dans les propositions de la Commission, la possibilité d’intégrer les considérations sociales et environnementales dans les processus d’appel d’offres reste entièrement optionnelle pour les parties contractantes. La CES rejette cette approche « volontaire » et incite vivement les institutions de l’UE à introduire des obligations juridiquement contraignantes. Les conditions d’exécution du contrat doivent inclure le respect de toutes les conditions d’emploi sur le lieu où le travail est effectué. Lorsque le prix ou le coût perçu par le soumissionnaire semble être anormalement bas, le soumissionnaire potentiel doit apporter la preuve qu’il respecte ces conditions. Dans le cadre de l’exécution du contrat, toute violation des conditions de travail doit automatiquement conduire à l’exclusion du contractant.

Concernant le niveau de protection, la Commission estime que seul le droit européen et les principales conventions de l’OIT doivent être pris en compte. Les considérants indiquent même que seules les considérations liées à la « santé, et l’intégration sociale des personnes défavorisées ou de membres de groupes vulnérables » sont admissibles et que ces considérations devraient rester dans les limites de la directive sur le détachement des travailleurs .

Une telle approche minimaliste laisse la porte ouverte au dumping social. Le droit du travail européen, et en particulier la directive sur le détachement des travailleurs, n’harmonise pas les droits du travail dans les États membres mais fixe simplement des normes minimales destinées à assurer la coordination entre les divers systèmes nationaux. En tant que tel, le droit européen ne peut prévenir la concurrence déloyale sur les conditions de travail. Pour la CES, le principe de l’égalité de traitement sur le lieu de travail est essentiel. Les institutions européennes devraient garantir que le cadre de l’UE sur les marchés publics respecte toutes les conditions d’emploi sur le lieu où le travail est effectué. Les conditions applicables doivent être comprises comme l’ensemble du droit national du travail ainsi que les conventions collectives. Il s’agit là d’un préalable destiné à garantir la compatibilité entre le droit de l’UE et la Convention 94 de l’OIT. Elle stipule que les conditions en vigueur dans le cadre de contrats de marchés publics ne doivent pas être moins favorables que celles qui sont établies pour le même travail dans le même domaine par une convention collective ou un instrument similaire. 10 États membres de l’UE ont ratifié la Convention. L’UE est tenue de s’assurer que tous les États membres peuvent continuer à adhérer à la Convention, d’encourager sa ratification et sa mise en œuvre, et de résoudre les ambigüités de la législation communautaire qui pourraient constituer un obstacle .

Néanmoins, ces conditions peuvent facilement être contournées en cas de chaînes de sous-traitance complexes et non surveillées. Afin d’encourager la transparence, les autorités contractantes doivent donc demander aux soumissionnaires d’indiquer dans leur soumission toute sous-traitance proposée (dans la proposition de la Commission, cela est uniquement optionnel). En outre, un système de responsabilité solidaire doit clairement stipuler que toute la chaîne de sous-traitance est conjointement responsable concernant les conditions de salaire et de travail, la protection sociale/sécurité, les droits fondamentaux, la santé et la sécurité, ainsi que la formation.

Il convient aussi de noter que les propositions offrent souvent aux parties contractantes la possibilité de demander des labels sociaux, afin de certifier les caractéristiques environnementales, sociales ou autres. La CES estime que ces labels peuvent donner des informations utiles concernant le comportement durable des contractants (par exemple, la promotion des stages et les investissements dans la formation, etc.). Cependant, en tant que tels, les labels ne peuvent pas offrir de garanties suffisantes concernant le respect des conditions de travail et des exigences environnementales. En outre, les propositions n’accordent pas assez d’attention aux normes applicables qui peuvent être spécifiées dans les appels d’offre, telles que les normes de qualité qui, dans certains cas, ont prouvé leur impact positif en termes de salaires, conditions de travail et charge de travail, en particulier lorsqu’elles sont incluses dans des conventions collectives.

Services de qualité

La CES a toujours critiqué le fait que les règles de l’UE applicables aux marchés publics dépendent essentiellement de considérations économiques, quelles que soient les conséquences pour la qualité des services. En particulier, le fait de juger les appels d’offres selon le critère du coût le moins cher ne peut garantir la qualité et la durabilité. L’attribution de contrats sur cette base aboutit souvent à des fraudes, des violations des règlements et des services de mauvaise qualité. La CES incite donc vivement les institutions de l’UE à abolir le critère d’attribution du « coût le plus bas ». L’attribution de contrats sur la base du critère « le plus économiquement avantageux » (LPEA) offre des garanties suffisantes pour qu’une soumission soit évaluée en fonction de ses avantages économiques et sociaux.

En outre, les règles actuelles de l’UE applicables aux marchés publics ignorent la contribution positive que les travailleurs peuvent apporter à la procédure de passation de marchés. La CES demande que le législateur européen clarifie, dans les directives proposées, que l’attribution de contrats par les pouvoirs publics ne constitue pas un transfert au sens de la directive . La jurisprudence de la CJE devrait être codifiée dans les directives afin que les pouvoirs publics aient une meilleure compréhension des règles en vigueur.

La directive sur le transfert d’entreprises implique une véritable procédure d’information et de consultation concernant le « transfert » proposé. Les représentants des travailleurs doivent donc être informés et consultés concernant l’impact potentiel d’un futur processus d’appel d’offres. Ce dialogue devrait avoir lieu avec les employeurs existants et potentiels. À cet égard, les propositions de la Commission visant à introduire de nouvelles techniques de passation des marchés sont intéressantes. Les entités contractantes pourraient à présent avoir recours à une procédure en deux phases, afin que le dialogue/les négociations avec des soumissionnaires pré-identifiés puissent avoir lieu avant l’attribution du contrat. Les représentants des travailleurs doivent pouvoir jouer un rôle actif dans cet échange.

La directive sur le transfert d’entreprises interdit également toute modification des conditions de travail existantes, y compris les licenciements, qui sont directement liées au transfert. Il est extrêmement important que cette obligation soit mise en œuvre dans le contexte des marchés publics. Les appels d’offres successifs sont une source de grande incertitude pour la main-d’œuvre et, par voie de conséquence directe, ils portent préjudice à la continuité d’un service.

Les propositions de la Commission contiennent de nouvelles dispositions concernant les coûts du « cycle de vie ». Cela devrait permettre aux entités contractantes de tenir compte de toutes les étapes de l’existence d’un travail ou d’un service, depuis l’acquisition des matières premières jusqu’à l’élimination, l’évacuation et la finalisation. Les coûts à prendre en compte n’ont pas trait exclusivement aux dépenses monétaires mais aussi aux coûts environnementaux (les émissions de gaz à effet de serre et le changement climatique). L’introduction du calcul des coûts du cycle de vie constitue un écart supplémentaire par rapport à une approche purement économique, mais la dimension sociale doit être examinée de manière plus détaillée. Le travail précaire, les longues heures de travail, les mauvaises conditions de santé et de sécurité, le manque d’investissements dans les compétences, etc. ont aussi des coûts externes qui doivent être pris en compte.

Le rôle des autorités locales

Le traité de Lisbonne considère les services publics comme un instrument indispensable de cohésion sociale et régionale. Le protocole sur les services d’intérêt général met en particulier l’accent sur le rôle essentiel et la grande latitude des autorités nationales, régionales et locales dans la prestation, la mise en œuvre et l’organisation de services d’intérêt général, de la manière aussi proche que possible des besoins des utilisateurs et ce, afin d’assurer que les pouvoirs publics puissent exercer leurs responsabilités en garantissant les droits fondamentaux des citoyens. Les nouvelles règles de l’UE en matière de marchés publics doivent respecter ces principes.

Les deux directives proposées sur les marchés publics n’incluent pas les arrangements internes. Cet aspect est important car les pouvoirs publics devraient être à même de fournir des services publics directement à leurs citoyens. La CES appelle à une interprétation très large de la notion du terme « interne », afin de couvrir clairement la coopération public-public et la coopération avec des partenaires sans but lucratif qui respectent les critères d’intérêt général.

Les propositions de la Commission excluent également les services sociaux du cadre général et les soumettent à un régime plus léger, imposant uniquement le respect des principes de base de la transparence et de l’égalité de traitement. Les propositions énumèrent « les services de la santé et les services sociaux, les services administratifs, les services pédagogiques, les services de santé et les services culturels, les services de sécurité sociale obligatoires, les services de prestations, d’autres services communautaires, sociaux et personnels, les services fournis par les syndicats et les services religieux » ainsi que les services sociaux et d’autres services spécifiques qui bénéficieraient de ce régime plus léger.
La reconnaissance du fait que les services sociaux ne peuvent être intégrés dans les services économiques ordinaires est accueillie favorablement. Cependant, les directives proposées intègrent dans les règles applicables aux marchés publics des services qui, bien que plus légers, n’ont rien à voir avec le marché intérieur. Les références aux services de sécurité sociale et aux services syndicaux doivent être supprimées.

La CES reconnaît que les pouvoirs publics devraient avoir autant de marge de manœuvre que possible pour organiser les services sociaux. Cela ne signifie cependant pas que les aspects sociaux devraient être ignorés. Il est, par conséquent, extrêmement important de garantir que le respect des conditions de travail et la qualité des services s’appliquent aussi aux services sociaux.

Dans l’ensemble, la notion même de services sociaux est une question très controversée. Les concepts varient grandement non seulement en fonction des traditions nationales mais aussi dans plusieurs domaines politiques communautaires (ex : directive sur les services et règles en matière d’aide d’état). La CES renouvelle son appel en faveur d’instruments communautaires spécifiques sur les services sociaux.

La directive proposée sur l’attribution des contrats de concession est très problématique concernant le principe de subsidiarité et la discrétion nécessaire à laisser aux pouvoirs publics. La CES ne conteste pas les règles du traité concernant la transparence et la non-discrimination. Cependant, la directive impose des obligations plus strictes que les exigences de la jurisprudence de la CJE et pose en tant que telle de sérieuses préoccupations quant à la capacité future des pouvoirs publics à organiser des secteurs clés de manière sociale et durable.

En outre, la CES est préoccupée par le vague champ d’application de la directive ainsi que par ses seuils peu élevés. Elle peut être considérée comme un encouragement à libéraliser des secteurs clés qui ne sont pas toujours ouverts à la concurrence (par exemple l’eau, les services portuaires et les services sociaux). L’ouverture de ces secteurs à la libre concurrence menacerait les normes sociales et écologiques sans contribuer nécessairement à la qualité de ces services. La CES réitère sa demande en faveur d’un moratoire sur la libéralisation en l’absence d’évaluation complète et globale de l’impact des mesures communautaires prises à ce jour.