Brussels 27 March 2017
- comité exécutif
- CSIR
- comité du protection sociale
- comité mobilité, migration et inclusion
Position de la CES concernant la proposition de la CE pour la révision du Règlement 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale
Adoptée au Comité exécutif des 14 et 15 mars 2017
INTRODUCTION
Depuis 1958 (Règlements 3 et 4/1958)[1] les objectifs de la coordination des systèmes de sécurité sociale, inscrite dans les traités, sont des objectifs politiques et sociaux. En substance, la coordination permet aux travailleurs et à leurs familles de se déplacer dans l'Union européenne tout en garantissant leurs droits. Elle ne doit pas réduire leurs droits. En outre, un principe de base et fondamental est que ces droits sont liés à l'emploi.
La proposition fait partie du train de mesures sur la mobilité des travailleurs, publié en 2016 par la Commission européenne. La CES aurait préféré une consultation appropriée mais a toutefois contribué dans une certaine mesure à la consultation informelle sur la mobilité des travailleurs.
La CES défend une mobilité librement choisie et équitable pour tous. Lorsqu'elle est libre et équitable, la mobilité constitue une grande opportunité de développement personnel, économique et social des citoyens et travailleurs de l'UE.
Les citoyens de l'UE désireux de s’établir dans un autre État membre, en particulier pour travailler, font toujours face à plusieurs obstacles, malgré le cadre juridique européen applicable à la libre circulation des travailleurs. Les travailleurs mobiles sont souvent confrontés à la discrimination ou traités de façon inéquitable dans des domaines tels que la sécurité sociale, les conditions de travail et le salaire, l'accès au bien-être et à l'éducation, la fiscalité, etc. Les travailleurs frontaliers rencontrent une discrimination particulière car leur statut n'est pas réellement protégé, reconnu ou même défini.
Le cadre juridique concernant les travailleurs mobiles est très complexe. Malgré leur volume, les législations et règlements européens sont relativement modestes dans leurs intentions. Les lois et réglementations nationales, souvent très divergentes, des États membres restent largement applicables. Au niveau européen, le seul objectif est d'établir un certain nombre de principes fondamentaux et de coordonner les différents cadres législatifs dans des domaines spécifiques. Il n'y a pas d'intention d'harmoniser et/ou de normaliser la législation nationale.
Ces dernières années, nous avons assisté à une intensification de la propagande à l'encontre des citoyens et travailleurs mobiles de l'UE et concernant de prétendus abus des législations européenne et nationale concernant des avantages sociaux liés au droit à la libre circulation. Ceci a incité certains États membres et/ou administrations publiques locales à limiter l'accès des citoyens/travailleurs de l'UE aux prestations sociales, à les expulser du territoire du pays hôte, à les persécuter ou à les discriminer sur la base de leur nationalité ou de leur résidence (lorsque ce n’est pas le pays d’emploi).
Les conséquences en sont particulièrement sérieuses dans le cas des travailleurs qui ont perdu leur emploi et ne peuvent prétendre aux prestations sociales et de chômage pour lesquelles ils/elles (et/ou leurs employeurs) ont cotisé à la sécurité sociale. Pour la CES il s’agit du principe fondamental de la coordination des systèmes de sécurité sociale.
De tels traitements de citoyens de l’UE sont contraires à la législation européenne et aux dispositions du TFUE. Par ailleurs, il n'existe que peu de preuves statistiques de ces abus dans l'un ou l'autre État membre. Lorsqu'elles existent, elles ne concernent que des groupes spécifiques ou des individus et sont dues, dans la plupart des cas, à des faiblesses de la législation nationale. Tout au contraire, les travailleurs migrants contribuent davantage qu’ils ne perçoivent https://openborders.info/welfare-magnet-hypothesis/ http://www.oecd.org/fr/migrations/perspectives-des-migrations-internationales-19991258.htm[2]
En outre, des abus sont perpétrés du côté des employeurs, en particulier dans le cadre du détachement de travailleurs, par le recours à la concurrence déloyale relative aux cotisations sociales.
L'objectif de la Commission européenne est de poursuivre la modernisation de la législation de l'UE en matière de coordination de la sécurité sociale et donc d’atteindre un système modernisé de coordination de la sécurité sociale qui réponde à la réalité sociale et économique dans les États membres.
La proposition met l'accent sur quatre domaines de coordination :
- l'accès des citoyens économiquement non actifs aux prestations sociales ;
- les prestations pour des soins de longue durée;
- les prestations de chômage ;
- les prestations familiales.
La proposition entend également clarifier les règles de conflit sur la législation applicable et la relation entre les règlements et la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.
La proposition inclut, en outre, un certain nombre d'amendements techniques et de mises à jour techniques périodiques visant à refléter les développements des législations nationales qui affectent l'application des règles de l'UE. Ci-après, nous explicitons ces propositions ainsi que la position et les revendications de la CES à cet égard.
POSITION ET REVENDICATIONS DE LA CES
La CES considère que les travailleurs et leurs familles ne doivent pas être désavantagés par le fait de travailler dans un autre État membre. Si l'essentiel du débat politique semble se focaliser sur les fraudes et abus potentiels, les travailleurs qui paient leur dû doivent pouvoir jouir de leurs droits. Une attention particulière doit être accordée à l’application du Règlement 492/2011 portant sur l’égalité de traitement des travailleurs mobiles.
Comme stipulé par la CEJ : « Les articles 46(2) et 47(1) du Règlement 1408/71 doivent être interprétés à la lumière de l’objectif établi à l’Article 48 du TFUE qui implique, en particulier, que les travailleurs migrants ne doivent pas subir une réduction de leurs prestations de sécurité sociale parce qu’ils se sont prévalus de leur droit à la libre circulation ».
Le droit des citoyens européens et leur famille à circuler et s'établir librement dans n'importe quel pays de l'UE constitue l'une des quatre libertés fondamentales consacrées par les Traités de l'Union (libre circulation des personnes, des capitaux, des biens et des services). La libre circulation des personnes est la première mais la seule qui rencontre des obstacles et n’est pas complètement respectée. Il n'y a pas de liberté de circulation des personnes sans la protection des droits à la sécurité sociale des Européens mobiles et de leurs familles.
Nous reconnaissons les efforts de la Commission visant à clarifier les règles de coordination de la sécurité sociale mais ne soutenons pas la nouvelle approche fondée sur “une répartition juste et équitable de la charge financière entre les États membres”, sachant que, comme le confirme l'exposé des motifs, les coûts dont il est question sont très faibles et, dans la plupart des cas, couverts par le pays d’origine.
Certaines propositions sont positives mais des inquiétudes demeurent concernant les détails. La proposition n'apporte pas de réponse exhaustive aux nombreux problèmes que rencontrent tout particulièrement 1,3 million de travailleurs européens dans les régions frontalières, qui travaillent dans un pays et vivent dans un autre.
Plus de 11,3 millions de personnes en âge de travailler vivent dans un pays différent de celui dont elles ont la nationalité.
1. ACCÉS DES CITOYENS EUROPÉENS MOBILES ÉCONOMIQUEMENT NON ACTIFS A DES PRESTATIONS SOCIALES
Au cours des dernières années, nous avons connu des milliers de cas de travailleurs mobiles européens qui ont été expulsés après avoir perdu leur emploi. Souvent, cette perte d'emploi impliquait également celle de leur droit aux prestations sociales. La CES a dénoncé et continuera à dénoncer cette situation lors des réunions du Comité Consultatif pour la Libre Circulation des Travailleurs.
Nous demandons d’établir une cohérence entre la directive 2004/38 (droits de résidence) et le règlement 883/2004 (droits de sécurité sociale).
Par conséquent, la CES s'oppose à la proposition de la Commission visant à clarifier que les États membres peuvent décider de ne pas accorder de prestations sociales aux citoyens mobiles qui sont économiquement non actifs – c'est-à-dire ceux qui ne travaillent pas et ne sont pas activement à la recherche d'un emploi, et n'ont pas le droit légal de résider sur leur territoire. Les citoyens économiquement non actifs n'ont un droit légal de résidence que lorsqu'ils ont des moyens de subsistance et une couverture de santé complète.
La distinction entre les citoyens européens mobiles économiquement non actifs et les chômeurs doit être clarifiée afin d’éviter les abus.
- COORDINATION DES PRESTATIONS POUR DES SOINS DE LONGUE DURÉE
La CES appuie la proposition d’inclure les prestations pour des soins de longue durée dans les systèmes de sécurité sociale et d’introduire un chapitre séparé sur la coordination de ces prestations, aligné sur les dispositions existantes en matière de prestations de maladie, et donc applicable tant aux personnes âgées qu'aux personnes handicapées.
Néanmoins, nous demandons que les partenaires sociaux soient dûment et pleinement impliqués dans l'élaboration de la liste détaillée des prestations de longue durée. Il est essentiel de déterminer ce qui sera remboursé (soins infirmiers, accompagnement, aide à domicile) dans tous les États membres.
- COORDINATION DES PRESTATIONS DE CHÔMAGE
En premier lieu, nous tenons à souligner que l'actuel règlement 883/2004 ne stipule aucune période minimale d’admissibilité. Ceci serait contraire à la coordination des systèmes de sécurité sociale et au principe d'assurance.
Le principe de base et fondamental de la coordination des systèmes de sécurité sociale est la totalisation des périodes d'assurance.
Le problème actuel ne vient pas du fait que certains États Membres ont changé les règles relatives aux allocations de chômage – ce qui pourrait être compréhensible – mais du fait qu'ils ont modifié unilatéralement les règles de totalisation, sans tenir compte des limites imposées par le règlement 883/2004.
(une personne qui a travaillé cinq ans en Allemagne et cinq ans en France a les mêmes droits que quelqu'un qui a travaillé 10 ans en France ou en Allemagne).
Les propositions couvrent trois aspects.
Concernant la totalisation des allocations de chômage, la CES s'oppose à la proposition de conditionner le droit de totaliser les périodes d'assurance écoulées à une période minimale de trois mois d'assurance dans l'État membre de la dernière activité. La proposition est contraire au principe d’assimilation des faits. (Définition : Assimilation des faits. Les Etats Membres doivent tenir compte des faits et événements ayant lieu dans un autre Etat Membre comme s’ils avaient eu lieu sur leur propre territoire. Par exemple, si dans votre propre Etat Membre un accident vous donne droit à une prestation d’incapacité, cette prestation doit aussi être versée si vous avez un accident dans un autre Etat Membre).
Concernant l'exportation des prestations de chômage, nous appuyons pleinement la proposition d'étendre la période minimale pour une exportation des prestations de chômage de trois à six mois tout en offrant la possibilité d'exporter les prestations jusqu’au terme du droit à celle-ci. Toutefois, y compris dans le cadre du Règlement actuel, reste la question du travail mobile qui perd son emploi dans les trois mois et est traité comme un « chômeur mobile ».
En ce qui concerne la coordination des prestations de chômage pour les travailleurs frontaliers et autres transfrontaliers, nous soutenons pleinement la proposition visant à rendre l'État membre d'emploi le plus récent responsable pour le paiement des prestations de chômage afin de surmonter les obstacles liés à la résidence du travailleur. Toutefois, nous nous opposons à la proposition d'introduire l'obligation d'avoir travaillé dans cet État membre pour une période minimale .
- PRESTATIONS FAMILIALES
La CES soutient la proposition de mieux coordonner les allocations d’éducation d’enfants destinées à compenser la perte de revenu pour les parents durant les périodes d'éducation des enfants en modifiant les dispositions actuelles de telle sorte que les allocations d’éducation soient considérées comme un droit personnel et individuel, et d’ouvrir la possibilité à l’Etat membre compétent à titre subsidiaire de choisir de verser la prestation dans son intégralité.
En outre, nous proposons d'assurer la cohérence avec la directive 2010/18 relative au congé parental, qui pourrait être revue prochainement par la Commission Européenne. A ce sujet, les revendications de la CES sont les suivantes:
- Garantir un revenu ou salaire de remplacement adéquat pour le congé parental, de préférence payé intégralement. Actuellement, le congé parental payé moyen correspond à 50 pour cent du dernier salaire.
- Envisager l'allongement de la durée du droit individuel au congé parental, des 4 mois actuels (16 semaines) à 6 mois (24 semaines), étant donné que cette durée est inférieure à 24 semaines dans un seul des États membres.
- Envisager l'allongement de l'actuelle période non transférable du congé. Cette mesure constituerait un incitant supplémentaire pour la prise d'un congé parental par les hommes.
- Envisager l'augmentation de l'âge de l'enfant au-delà de l'actuelle limite de 8 ans, étant donné que plusieurs États membres accordent déjà le congé pour un âge supérieur.
- Augmenter la flexibilité de la prise de congé parental, en particulier sous la forme d'un temps partiel à prendre selon les différentes étapes du développement de l'enfant.
- DÉTACHEMENT DE TRAVAILLEURS
La CES souhaite augmenter et améliorer la coordination entre les règles de sécurité sociale et le détachement. Le contournement des règles de sécurité sociale constitue, en effet, une motivation importante pour les entreprises à recourir à l'usage abusif du détachement. La directive 2014/67 relative à l'exécution de la directive 96/71 a introduit un certain nombre d'éléments afin de tenter de réduire l'utilisation du détachement aux cas évidents de prestation transnationale de services. Ces efforts devraient se refléter dans le régime de sécurité sociale.
La CES soutient la proposition visant à clarifier les règles de conflit sur la législation applicable et la relation entre les règlements et la directive 96/71. Nous soutenons également la proposition de renforcer les règles administratives sur la coordination de la sécurité sociale dans les domaines de l'échange d'informations et la vérification du statut social de ces travailleurs afin de prévenir les pratiques déloyales et abus potentiels.
À cette fin, comme nous le mentionnions dans notre première contribution au débat (septembre 2015), nous réitérons que nous recommandons l'amendement des articles 11 à 16 du règlement 883/2004 et de l'article 14 du règlement 987/2009 pour les compléter d'une vision permettant de mieux lutter contre l'utilisation frauduleuse et abusive du détachement par des employeurs peu scrupuleux.
Les amendements doivent permettre :
- l'amélioration de la notion d'établissement afin de mieux lutter contre les sociétés boîtes aux lettres (art. 14.2 du règlement 987/2009, point 1 de la décision de la commission administrative A2).
- le renforcement de la condition d'une période d'emploi stable dans le pays d'origine. Dans la lignée de la directive d'exécution, les régimes de sécurité sociale devraient également prévoir que le travailleur reprenne le travail dans l'État membre d'origine (art. 14.7 du règlement 987/2009, point 1 de la décision de la commission administrative A2).
Par conséquent, ni la directive 96/71, ni l'article 12 du règlement 883/2004 ne permettrait aux entreprises telles que les agences d'intérim d'engager des travailleurs pour les détacher immédiatement dans un autre État membre.
Introduire de nouvelles règles sur le faux travail indépendant. Les règles de coordination de la sécurité sociale pourraient contribuer à la lutte contre le faux travail indépendant en décrivant de façon plus précise la notion de travail indépendant. À cet égard, la jurisprudence de la CJE et les recommandations 2006 de l'OIT sur la relation de travail peuvent constituer des sources d'inspiration utiles. Il convient de prendre les précautions nécessaires afin que le faux travailleur indépendant ne soit pas lui-même pénalisé pour une situation qu'il n'est, souvent, pas en mesure d'influencer. La proposition n'est pas suffisamment ambitieuse pour lutter contre le faux travail indépendant. Elle aligne deux notions mais ne fournit pas de directives permettant de distinguer la relation d'emploi et le faux travail indépendant.
Introduire des obligations contraignantes pour les États membres afin d'assurer une meilleure exécution. Dans nombre d'États membres, le manque d'inspections constitue un problème clé. Une attention particulière devrait être accordée aux déclarations A1 frauduleuses et il faudrait vérifier que les contributions sont réellement payées dans le pays qui délivre le formulaire A1.
Le pays d’emploi devrait être en droit de certifier que le formulaire A1 est conforme et, si nécessaire, de le refuser en l’absence de réaction ou de déclaration de contenu de la part de l’autorité qui l’a délivré, endéans les trois mois qui suivent la première plainte.
Enfin, la période limite de 24 mois est trop longue et doit être modifiée dans un souci de cohérence avec la directive révisée sur le détachement de travailleurs. Si la durée moyenne de détachement est de 3 à 5 mois, alors une limite de 24 mois ne fait que créer davantage d'opportunités pour les employeurs dans les pays d’accueil, de jouer sur plusieurs niveaux de cotisations sociales. En outre, dans le cadre de la révision de la Directive 96/71, la CES demande qu’après six mois, les règles de sécurité sociale du pays d’emploi soient d’application.
[1] http://ec.europa.eu/social/main.jsp?catId=867&langId=fr
[2] https://openborders.info/welfare-magnet-hypothesis/