Position de la CES sur la Directive 2004/25/CE relative aux offres publiques d'acquisition

Bruxelles, 05-06/12/2012

La Directive 2004/25/CE sur les offres publiques d’acquisition est actuellement en cours de révision. On entend par offre publique d’acquisition une offre publique adressée aux détenteurs d’une entreprise pour acquérir en tout ou en partie les titres qu’ils détiennent en vue de prendre le contrôle de l’entreprise. La CES conteste la philosophie qui sous-tend la Directive, selon laquelle les offres d’acquisition permettraient les restructurations nécessaires et amélioreraient l’efficacité de l’économie européenne et doivent donc être encouragées.

La CES ne soutient pas la poursuite de la libéralisation du cadre juridique actuel, en particulier en ce qui concerne les tentatives de prise de contrôle hostile. Il est donc essentiel que des mécanismes défensifs adéquats restent en place. Quant à la règle de neutralité de l’organe d’administration ou de direction, il faudrait clarifier le fait que l’organe d’administration ou de direction de l’offrant doit agir dans l’intérêt à long terme de l’entreprise et de ses parties prenantes.{{

}}En outre, il est urgent de procéder à une refonte complète des dispositions sur les droits des travailleurs, en vue de rendre la Directive conforme au reste de l’acquis communautaire. La CES demande notamment :

de faire clairement référence à la Directive 2001/23/CE concernant le maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises ;

de prendre des sanctions effectives. En cas de violations sérieuses des droits des salariés, les effets juridiques de l’offre publique d’acquisition doivent être suspendus tant que toutes les obligations n’ont pas été correctement satisfaites ;

d’accorder des droits de consultation à l’offrant comme à la société visée en vue d’arriver à un accord avant que toute décision puisse être finalisée ;

de veiller à ce que la Directive accorde aux représentants des salariés le droit à l’expertise. Le coût afférent devrait être pris en charge par la direction et seuls les représentants des salariés devraient pouvoir choisir les experts les plus appropriés.

{{?

Contexte
}}
On entend par offre publique d’acquisition une offre publique adressée aux détenteurs d’une entreprise pour acquérir en tout ou en partie les titres qu’ils détiennent en vue de prendre le contrôle de l’entreprise. En juin 2012, la Commission a publié un rapport sur l’application de la Directive 2004/25/CE relative aux offres publiques d’acquisition, en faisant un certain nombre de recommandations sur les points qui seraient à réviser. Ce rapport repose sur les conclusions d’une étude à laquelle la CES a contribué en octobre 2011[[http://ec.europa.eu/internal_market/company/takeoverbids/index_fr.htm ]]. Les Etats membres, le Parlement européen, le Comité Economique et Social et les autres parties intéressées sont maintenant invités à soumettre leur point de vue. En conséquence, le Parlement européen est sur le point d’entamer des discussions à cet égard dans le cadre d’un rapport d’initiative.

Dans ce contexte, la CES veut contribuer positivement au débat en apportant des propositions concrètes de révision. En dépit de l’impact considérable qu’ont les offres publiques d’acquisition sur les conditions de travail dans toute l’Europe, la Directive contient des dispositions très insuffisantes en matière de droits des travailleurs. Il est manifestement nécessaire de réviser la Directive afin de transformer le modèle actuel de valeur actionnariale en une approche plus large englobant toutes les parties prenantes. Ceci veut dire notamment que les dispositions relatives aux droits des travailleurs ont besoin d’être considérablement renforcées.

{{Impact des offres publiques d’acquisition sur les différentes parties prenantes et sur l’économie de l’Union européenne
}}
Dans l’ensemble, les offres publiques d’acquisition doivent être considérées d’un œil critique en ce qui concerne leur impact sur les différentes parties prenantes et sur l’économie. Les principaux bénéficiaires des offres publiques d’acquisition paraissent être les actionnaires de la société faisant l’objet d’une tentative de prise de contrôle (que l’on appelle la “société visée”) et les hauts dirigeants de la société acquérante (que l’on appelle “l’offrant”). Généralement, le cours des actions de la société faisant l’objet d’une offre publique d’acquisition augmentent de 20 à 30% à court terme. Les hauts dirigeants de la société acquérante bénéficient eux aussi d’avantages substantiels, car la rémunération est déterminée dans une large mesure par la taille de la société administrée et on peut donc s’attendre à une hausse de cette rémunération après la clôture de l’opération. Les hauts dirigeants de la société visée peuvent également bénéficier considérablement de l’opération, au point d’avoir des “parachutes dorés” ou leurs propres actions ou options au sein de leur société.

Toutefois, ces avantages ne semblent pas être partagés par les salariés ni par l’ensemble de la société. Les offres publiques d’acquisition impliquent fréquemment des reculs considérables au niveau du nombre d’emplois et des conditions de travail. L’un des motifs essentiels d’un grand nombre de ces offres est en effet la réduction des coûts au moyen de la réduction de l’emploi et des avantages (tels que les salaires et les prestations de retraite), de l’augmentation de l’intensité du travail et du redéploiement de la production vers des sites “moins coûteux”. Les recherches au sujet de l’impact des offres publiques d’acquisition sur l’emploi montrent également qu’en moyenne, l’emploi baisse dans les deux à trois ans qui suivent la prise de contrôle.

Bien qu’il n’y ait pas encore d’étude systématique en la matière, les forts taux d’endettement servant à financer de nombreuses offres publiques d’acquisition, par exemple lors des offres d’acquisition relatives à des capitaux privés très importants (que l’on appelle les “méga-rachats”), devraient également être mentionnés car c’est une cause de préoccupation. La pression financière qui pèse sur les entreprises fortement endettées pour s’acquitter du paiement des intérêts dans des conditions de crise pourrait conduire à des réductions d’emplois et d’investissements plus importantes (notamment en matière de recherche et développement) par rapport aux entreprises dont le taux d’endettement est moins élevé. Bon nombre de ces entreprises rencontrent aussi des difficultés considérables pour refinancer leurs dettes à court terme.

Un dernier élément, c’est le fait que de nombreuses sociétés rachetées sont des entreprises plus performantes, à la croissance plus rapide. Sur le plan de la théorie économique, l’idée que les offres publiques d’acquisition (et en particulier les tentatives de prise de contrôle hostile) sont avant tout un correctif permettant de remplacer les dirigeants de sociétés peu performantes ne semble donc pas exacte.

L’hypothèse fondamentale qui sous-tend la Directive sur les offres publiques d’acquisition, à savoir le fait que ces offres sont globalement dans l’intérêt de l’économie européenne et doivent donc être encouragées, se heurte par conséquent à la réalité. De nombreuses offres publiques d’acquisition semblent plutôt motivées par le désir de “construire un empire”, c’est-à-dire par l’intérêt qu’ont les hauts dirigeants à accroître la taille de la société qu’ils administrent. La tendance à avoir des vagues d’offres publiques d’acquisition au sommet des cycles d’activité économique (lorsque les liquidités des entreprises sont élevées et les conditions de crédit bancaire généreuses) suggère aussi que les offres publiques d’acquisition sont déterminées dans une large mesure par des facteurs financiers et non par des facteurs opérationnels.
{{
}}Dans son rapport de révision, la Commission considère que la Directive fonctionne de façon satisfaisante. Néanmoins, certaines “clarifications” sont envisagées en ce qui concerne le concept des “personnes agissant de concert”[[L’article 2 (1) (d) de la Directive définit le fait d’agir de concert comme étant la coopération avec l’offrant ou avec la société visée sur la base d’un accord formel ou tacite dont le but est d’obtenir le contrôle de la société visée ou de faire échouer l’offre. ]], les dérogations nationales à la règle sur l’obligation de faire offre[[L’article 5 stipule que si une entité acquiert un certain contrôle au sein d’une entreprise, elle est obligée de lancer une offre publique d’acquisition d’ensemble au sujet de tous les titres restants assortis de droits de vote, et ce à un prix équitable. ]], la neutralité de l’organe d’administration ou de direction de la société et les règles de neutralisation des restrictions[[La règle de neutralité de l’organe d’administration ou de direction prévoit que pendant la période de validité de l’offre, l’organe d’administration ou de direction de la société visée obtienne l’autorisation préalable des actionnaires avant de faire échouer l’offre (Article 9). La règle de neutralisation des restrictions concerne la neutralisation des défenses dans la période précédant l’offre, notamment la cession de titres ou les restrictions au droit de vote pendant la période de validité de l’offre (Article 11). ]].

La CES ne soutient pas la poursuite de la libéralisation du cadre juridique actuel, en particulier en ce qui concerne les tentatives de prise de contrôle hostile. Il est donc essentiel que des mécanismes défensifs adéquats restent en place. Quant à la règle de neutralité de l’organe d’administration ou de direction, il faudrait clarifier le fait que l’organe d’administration ou de direction de l’offrant doit agir dans l’intérêt à long terme de l’entreprise et de ses parties prenantes.{{
}}

{{

Protection insuffisante des droits des salariés
}}
La Commission reconnaît dans son rapport que les représentants des salariés ne sont pas satisfaits par la manière dont la Directive sur les offres publiques d’acquisition protège les droits des salariés et elle indique qu’elle poursuivra son dialogue en vue d’explorer les améliorations possibles. La CES se réjouit vivement de l’élargissement des discussions visant à inclure les droits des travailleurs et souligne que des modifications superficielles ne suffiront pas. Il est urgent de procéder à une refonte complète des dispositions sur les droits des travailleurs, en vue de rendre la Directive conforme au reste de l’acquis communautaire.

La CES demande notamment :

Une référence claire à la Directive 2001/23/CE sur le maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises :

La Directive 2001/23/CE est l’une des pierres angulaires de la législation européenne du travail. Selon cet instrument, un transfert d’entreprises ne constitue pas en soi un motif valable de licenciement. Ceci veut que si les licenciements ne sont pas motivés par des raisons économiques, techniques ou organisationnelles sans liens avec le transfert, les droits et les obligations découlant de la relation d’emploi doivent être maintenus après le transfert. L’information et la consultation au sujet du projet de transfert doivent également être effectuées au préalable.

A l’heure actuelle, les travailleurs concernés par un transfert dans lequel la personnalité juridique de l’entreprise n’est pas modifiée (ce qui est le cas d’une cession de titres) ne bénéficient pas de la protection accordée par la Directive 2001/23/CE. La CES a demandé à maintes reprises l’application uniforme de cette Directive à tous les travailleurs de l’Union européenne. Il est absurde que les travailleurs placés dans une situation similaire soient traités différemment selon que leur entreprise est cotée ou non en bourse.

Des droits de consultation

La “voix” des travailleurs lors d’une offre publique d’acquisition est extrêmement faible. A l’heure actuelle, les représentants des salariés peuvent exprimer leur avis et cet avis est censé être communiqué par la direction aux actionnaires de la société visée. Or, seuls les actionnaires de la “société visée” ont le droit de décider d’accepter ou non l’offre de rachat. Ces actionnaires ne partagent généralement pas les intérêts des salariés en ce qui concerne la durabilité à long terme de l’entreprise. Ils ont plutôt une forte incitation à “encaisser” la prime dans le cadre de l’offre d’acquisition et à “sortir” de la société en vendant leurs parts.

Il faut introduire dans la Directive sur les offres publiques d’acquisition un droit de consultation spécifique. La “consultation” doit être entendue comme étant l’établissement d’un dialogue significatif entre les représentants des salariés d’une part et l’offrant et la société visée d’autre part, en vue d’arriver à un accord sur les mesures proposées. Il est très important que ce dialogue ait lieu avant que toute décision ne soit finalisée et il est également très important que la direction existante de l’entreprise et la société acquérante y participent.

Des sanctions effectives

A l’heure actuelle, la Directive sur les offres publiques d’acquisition compte simplement sur les Etats membres pour déterminer des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives en cas d’infraction à la Directive. Cette disposition est clairement insuffisante et n’a pas réussi à garantir une mise en œuvre correcte.

La Directive contient des obligations d’information des représentants des salariés au sujet de certains aspects de l’offre, en particulier en ce qui concerne les répercussions sur l’emploi. Bien que les offrants soient obligés par la Directive de fournir des informations sur leurs “intentions quant à la poursuite de l’activité de la société visée”, y compris à l’égard du maintien de l’emploi et des conditions d’emploi, il est fréquent que ces déclarations d’intention ne soient pas respectées en pratique et il n’existe aucune sanction effective en cas de non respect.

La Directive prévoit aussi que les règles en matière d’information et de consultation contenues dans d’autres instruments de l’Union européenne tels que la Directive sur les comités d’entreprise européens doivent être appliquées. Mais il est fréquent que ces obligations ne soient pas satisfaites en pratique.
{{
}}La CES considère que le seul moyen de garantir le respect des obligations contenues dans la Directive est de stipuler que les effets juridiques de la prise de contrôle soient suspendus tant que toutes les obligations n’ont pas été correctement satisfaites. Ceci devrait notamment être le cas des cas de sérieuses violations du droit des salariés en matière d’information et de consultation.
{{
}}Le droit à l’expertise

Afin de pouvoir fournir une contribution valable et bien informée, les représentants des salariés ont souvent besoin d’avoir recours à des experts en raison de la complexité des questions entourant les offres publiques d’acquisition. Ces experts peuvent être des spécialistes – avocats, économistes, etc. – en fonction du sujet concerné. Ils peuvent également jouer un rôle de suivi et de soutien. A cet égard, les experts peuvent être des représentants syndicaux.

La Directive sur les offres publiques d’acquisition devrait accorder aux représentants des salariés le droit à l’expertise. Le coût afférent devrait être pris en charge par la direction et seuls les représentants des salariés devraient pouvoir choisir les experts les plus appropriés.