Position de la CES sur la revision de la directive concernant les activités et la surveillance des institutions de retraite professionnelle (IORP 2)

Adoptée lors de la Réunion du Comité exécutif des 2-3 décembre 2014

 

Observations générales

 

La CES se félicite vivement de l'approche qui caractérise les modifications proposées à la directive IORP, ainsi que des objectifs qui leur sont assignés. La transparence, une meilleure gouvernance et, en définitive, des retraites plus sûres, constituent assurément des aspects positifs.

 

La CES et ses organisations affiliées représentent les intérêts des travailleurs, y compris en ce qui concerne leurs droits à la retraite professionnelle. La CES est par conséquent favorable à un cadre réglementaire capable de préserver les promesses de pension futures et de garantir la meilleure gestion possible des actifs des travailleurs en matière de pension de retraite. Un équilibre est nécessaire entre le risque et le rendement, d'une part, et, de l'autre, entre le risque et le coût, l'objectif global restant de faire en sorte que les régimes de retraite professionnelle obtiennent des performances solides. Les règles doivent servir l'objectif de garantie d'un revenu décent pendant la retraite.

 

Toutefois, le point de départ de la proposition ne va pas de soi. Il est affirmé, dans les considérants de la proposition IORP 2, que des mesures sont nécessaires en vue de développer l'épargne-retraite privée, étant donné que les systèmes de sécurité sociale subissent une pression sans cesse croissante et que les citoyens devront de plus en plus compter, à l'avenir, sur les retraites professionnelles en tant que complément. Ce point est présenté comme un fait. Du point de vue de la CES, la pression croissante exercée sur les systèmes de sécurité sociale ne résulte pas d'une loi naturelle, mais découle de décisions politiques consistant à opérer des coupes dans les dépenses publiques, à élargir les exemptions aux obligations patronales de financement des systèmes de sécurité sociale via les contributions sociales, de décisions sur la fiscalité et l'incapacité à adapter les régimes publics aux besoins des personnes. La CES réitère son message selon lequel les pensions du premier pilier devraient être renforcées afin d'être en mesure de fournir des revenus de retraite adéquats et de permettre aux personnes âgées de bénéficier d'un niveau de vie décent et d'être économiquement indépendantes. En outre, les régimes de retraite professionnels basés sur des conventions collectives doivent être promus de préférence à d'autres types d'épargne-retraite complémentaire, afin de compléter les régimes publics de retraite par répartition.

 

En outre, la CES est préoccupée par l'accent mis sur la création d'un marché intérieur pour les IRP (institutions de retraite professionnelle) et pour leurs services. Cela ne devrait pas constituer un but en soi.

 

Les considérants de la proposition décrivent un véritable marché intérieur des régimes de retraite professionnelle comme étant crucial pour la croissance économique, la création d'emplois, ainsi que pour relever le défi d'une société européenne vieillissante. La CES estime que ces déclarations sont exagérées. Aucun élément de la proposition ne mène à cette conclusion.




La CES considère que le but de toute réforme des retraites devrait être d'améliorer les revenus des travailleurs à la retraite.

           

Nous restons préoccupés par l'absence d'efforts sérieux visant à quantifier les avantages potentiels de la directive IORP 2. Il est inacceptable de créer, sans aucune décision politique fondée sur des éléments concrets, un aussi large ensemble d'exigences nouvelles, notamment en raison du coût potentiel pour les régimes de retraite, et, en définitive, pour les affiliés à ces régimes.

 

Les IRP ne vendent normalement pas leurs services sur un marché ouvert. La mise en place de régimes de retraite professionnelle est souvent le résultat de négociations menées entre les syndicats et les employeurs dans le cadre du système de  rémunération des travailleurs. Ainsi, les IRP existent et fonctionnent dans le contexte du droit social et du droit du travail, et ne sont pas uniquement encadrées par la réglementation financière.

 

Commentaires spécifiques:

 

La réglementation prudentielle, destinée à garantir les pensions futures et le fonctionnement du marché financier dans son ensemble, est normalement justifiée et la CES peut soutenir ce principe, qui vise à obtenir un taux de remplacement adéquat, tout en offrant une protection contre l'inflation. Toutefois, la réglementation spécifique aux IRP doit être raisonnable si l'on veut qu'elle serve ses propres objectifs.

 

Options de placement: la proposition prévoit que les IRP investissent dans des actifs qui ne sont pas négociés sur des marchés réglementés, et ce en évoquant la diversification des risques d'investissement et la réalisation d'objectifs de rendement conformes aux objectifs de placement à long terme. La CES rappelle aux décideurs la nécessité de se montrer prudents à cet égard, en raison des risques que de tels investissements font courir aux personnes affiliées à ces régimes.

 

Relevés de droits à retraite: les informations transmises aux affiliés et aux  bénéficiaires sont importantes. La normalisation des informations requises peut être positive et aider à comparer les différents régimes de retraite et organismes prestataires de retraites. Les informations doivent être compréhensibles aux yeux du destinataire général. Les descriptifs des droits à pension acquis doivent être communiqués sous une forme pratique pour l'utilisateur. La CES propose d'abandonner les simulations basées sur les informations obligatoires fournies dans un relevé de droits à la retraite. Les vagues prévisions des bénéfices futurs ne sont pas utiles en matière de retraite professionnelle. Les pensions relevant du premier pilier pourraient être considérées différemment. Souvent, les gens restent couverts par le même régime de retraite national pendant toute la durée de leur carrière, alors que les régimes de retraite professionnelle sont plus souvent liés à un employeur spécifique. Seule la moitié des travailleurs européens est couverte par un régime de retraite professionnelle. Par conséquent, il ne va pas naturellement de soi que quelqu'un qui change d'emploi reste couvert par le même régime de retraite professionnelle, ou même par quelque régime de retraite professionnelle que ce soit. Une déclaration des droits accumulés jusqu'à une certaine date est certes utile, mais les prédictions se basant sur les résultats futurs sont même susceptibles de se révéler trompeuses.

 

La CES rappelle en outre que les informations doivent être fournies non seulement sous forme électronique, mais aussi sous version papier. Les informations communiquées par l'intermédiaire de médias électroniques peuvent se révéler utiles, mais seulement en complément des courriers imprimés et des relevés de prestations.

 

Gouvernance: la CES exige que les personnes qui ont la responsabilité de gérer les pensions futures d'autrui soient fiables. Néanmoins, les exigences professionnelles et en termes de qualification ne doivent pas conduire à l'exclusion des représentants des partenaires sociaux au sein de la structure de gestion. Les exigences d'honorabilité et de compétence de la gestion (article 23) doivent être appliquées au Conseil d'administration dans son ensemble, c'est-à-dire de manière collective en ce qui concerne les conseils de direction, et non pas appliquées aux membres à titre individuel. Il est important que des compétences appropriées et suffisantes permettent de sauvegarder une gestion efficace des actifs de retraite, mais il ne faut pas mettre en place de règles visant à exclure les employés bénévoles ou autres représentants des partenaires sociaux mandatés pour siéger au conseil d'administration. Les régimes de retraite du deuxième pilier constituent généralement aussi des contrats sociaux, ce qui fait qu'il ne convient pas de leur appliquer les mêmes règles qu'aux institutions financières. Les partenaires sociaux jouent un rôle capital dans leur création et leur gestion. Ces mandataires bénévoles, ainsi que les représentants syndicaux au sein des organes directeurs de fonds de pension, jouent un rôle majeur et crucial dans le fonctionnement des régimes de retraite. En vertu de la loi, les administrateurs doivent agir dans le meilleur intérêt des bénéficiaires, à savoir des affiliés au régime de retraite. Les mandataires bénévoles et les représentants syndicaux sont essentiels au maintien de la confiance des affiliés dans leurs régimes de retraite et de l'interaction des affiliés avec ces mêmes régimes de retraite. [1]

 

En ce qui concerne la gestion des risques (articles 25 et 26), nous sommes d'avis que les IRP devraient veiller à ce que des procédures appropriées permettent à leurs employés de signaler en interne les infractions (potentielles ou réelles). Ce dispositif devrait inclure les personnes employées à durée déterminée ou bénéficiant d'un contrat temporaire, ainsi que les personnes employées hors du cadre de la relation d'emploi traditionnelle (tels que les consultants ou les stagiaires). Dans certains pays, il existe déjà des procédures bien établies, qui permettent aux représentants syndicaux élus de faire office d'intermédiaires dans le cadre du signalement interne. Si de telles procédures sont en place au niveau national, elles devraient être autorisées à se poursuivre. L'anonymat des employés signalant des infractions potentielles ou réelles doit être protégé tout au long du processus.

 

En ce qui concerne les pratiques en matière de rémunération (considérant 37 et article 24), nous tenons à souligner que les dispositions relatives à la rémunération ne devraient pas affecter les éventuels droits des partenaires sociaux s'agissant de conclure et d'appliquer des conventions collectives conformément au droit et aux habitudes nationaux. Les partenaires sociaux peuvent, et doivent, être autorisés à assumer la responsabilité de principes de rémunération sains et durables. Il est essentiel de disposer de politiques et de pratiques de rémunération compatibles avec une gestion des risques et une gouvernance d'entreprise saines et efficaces, et favorisant celles-ci. La rémunération constitue, de manière générale, une question au sujet de laquelle c'est aux partenaires sociaux qu'il revient de se prononcer, puisqu'aux termes de l'article 153.5 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), la rémunération ne relève pas de la compétence de l'UE.

 

La prestation transfrontalière de services IRP n'est pas indispensable. Bien sûr, les activités transfrontalières d'une IRP devraient être autorisées si les employeurs et les syndicats estiment que cette façon d'organiser un régime de retraite est pertinente. La majorité des employeurs sont de petite taille et n'opèrent pas par-delà les frontières avec des employés de différents pays. Les contrats de travail, qui peuvent comprendre l'affiliation à un régime de retraite professionnelle, dépendent d'un contexte national. L'écrasante majorité des travailleurs restent dans leur pays d'origine. La fiscalité demeure nationale et le lien avec le contrat de travail est solide. Par conséquent, la CES ne voit pas la nécessité de tenter de promouvoir la prestation de services d'IRP transfrontaliers.

 

Remarque de conclusion

 

Les retraites professionnelles et les IRP existent dans le contexte du droit social et du droit du travail. Elles présentent un lien étroit avec les contrats de travail, et se fondent fréquemment sur des conventions collectives. Elles sont complémentaires aux régimes nationaux de sécurité sociale et de retraite, et ne peuvent donc pas être considérées séparément. En outre, la fiscalité a des incidences importantes sur l'existence et les résultats des régimes de retraite professionnels. De nombreux domaines politiques d'action sont liés aux retraites professionnelles. Les décisions relatives à ces dernières sont souvent nationales, et ne sont donc pas faciles à coordonner au niveau européen.

 

En outre, la CES souligne le besoin de mettre en œuvre une coordination entre les Etats membres en matière de fiscalité afin d'éviter la perte de ressources financières essentielles pour faire face au défi d'une société européenne vieillissante.

           

La CES et ses organisations affiliées resteront activement impliquées dans la suite du débat portant sur la proposition IORP 2, ainsi que sur d'autres questions concernant les retraites professionnelles en Europe. Les commentaires ci-dessus sont le fruit de discussions menées jusqu'à ce jour par la CES, et seront complétés et développés à mesure que le débat se poursuivra.

 

 

 

 


[1] La légère différence entre les textes français et anglais découle de l'absence dans la culture française des pensions de la notion de «fiduciaire» qui provient de la 'loi commune' ou 'common law' dans le droit anglo-saxon.