Position de la CES sur l'assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés (ACCIS)

 Adopté à la Réunion du Comité Exécutif du 14 et 15 décembre 2016

Résumé

La CES salue l'initiative de la Commission Européenne de relancer la proposition d’Assiette Commune Consolidée pour l'Impôt des Sociétés (ACCIS). Une convergence accrue des assiettes fiscales au sein de l'Union Européenne est nécessaire pour construire des politiques économiques plus coordonnées et lutter contre l'évasion fiscale. Toutefois, étant donné que l'évasion fiscale utilise à la fois les différences d'assiette fiscale et de taux d'imposition, la CES réitère son appel à l'établissement d'un taux minimum d'imposition des sociétés de 25% en Europe, afin de garantir que les entreprises paient leur juste part d'impôt là où elles génèrent leurs profits. La CES considère néanmoins que le seuil proposé pour entrer obligatoirement dans le schéma de l'ACCIS est trop élevé et devrait être fixé conformément aux directives comptables.

Introduction

En mars 2011, la Commission a proposé une directive relative à une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS). La proposition, qui est encore en attente au Conseil, vise à fournir aux entreprises un cadre unique de règlements fiscaux pour les sociétés ayant une activité sur le marché intérieur. Un tel cadre vise à simplifier le cadre fiscal de l'UE pour les sociétés et à réduire les possibilités pour les entreprises multinationales de se soustraire à l’impôt sur les sociétés. Il est estimé que l’ACCIS pourrait permettre aux entreprises de l’Union d’économiser 0,7 milliard d’euros par an en coûts de mise en conformité et réduirait les coûts de l'expansion transfrontalière d’environ 62%.

Une entreprise devrait se conformer à un seul système communautaire pour le calcul de son revenu imposable, plutôt que des règles différentes dans chaque État membre dans lequel elle opère. Ces bénéfices seraient ensuite répartis entre les pays en fonction du niveau estimé de l'activité économique réelle dans ce pays (calculé sur la base du ratio pondéré des ventes, de la masse salariale, du nombre d'employés et des actifs dans chaque pays). Les États membres seraient alors libres de choisir le taux d'imposition à appliquer aux bénéfices répartis. À cet égard, le cadre de l'ACCIS ne vise pas à une convergence des taux d'imposition au sein de l'Union Européenne.

Les discussions au sein du Conseil depuis 2011 ont révélé qu'il serait peu probable que la proposition de l'ACCIS, décrite comme étant un projet « très ambitieux », soit adoptée sans une approche graduelle.

Les nouvelles propositions de la Commission Européenne ont été présentées en octobre 2016. Elles visent non seulement à aider les entreprises mais aussi à lutter contre l'évasion fiscale. Elles contiennent donc des dispositions visant à refléter les mesures de la directive anti-évasion fiscale (ATAD), adoptée en juillet 2016.

Le cadre est donc divisé en deux parties : une directive traitant de l’Assiette Commune pour l'Impôt des Sociétés (ACIS, étape 1) ; Et l'autre avec l’Assiette Commune Consolidée pour l'Impôt des Sociétés (ACCIS, étape 2). Il est important de noter que l'ACCIS ne s'appliquerait qu'aux entités des sociétés multinationales résidant dans les États membres de l'UE et non à toutes les sociétés du groupe.

Le manque à gagner en jeu

En moyenne, on estime que l'impôt perdu en raison de l'existence d'économies parallèles en Europe représente l’équivalent de 105,8% des dépenses totales de santé dans les pays de l'UE. Considérée comme un élément de coût, la taxe perdue en raison de l'existence d'économies parallèles représente un coût moyen non pondéré de 17,6% du total des dépenses publiques dans les États membres de l'UE. Dans un certain nombre de pays, les pertes fiscales résultant de l'économie parallèle pourraient représenter plus de 20% des dépenses totales du gouvernement et, en proportion des recettes publiques, la somme perdue dans certains cas dépasse 30% du revenu total. En d'autres termes, ce manque à gagner représente 139,3% du déficit annuel de l'UE.1

Questions comptables et évitement fiscal

Dans le cadre de ce nouveau régime de ACIS / ACCIS, les sociétés multinationales dont le chiffre d'affaires consolidé dépasse 750 millions d'euros au cours de l'exercice précédant l'exercice concerné devront obligatoirement déclarer leur chiffre d'affaires conformément aux critères de l’ACIS. Cette déclaration fiscale permettrait d'ajuster les bénéfices européens déclarés par la multinationale aux fins comptables conformément à une série communément acceptée de recettes non imposables et de dépenses non admissibles. Ensuite, lorsque l’ACCIS sera introduite, le montant de l’ACIS ainsi calculé fera l'objet d'une répartition entre les États Membres en fonction de l'emplacement des ventes, des employés et de la base de capital des multinationales.

Toutefois, l'assiette fiscale de l'ACCIS n'est pas fondée sur l'ajustement fiscal des états financiers consolidés des sociétés multinationales auxquelles s'appliquent les règles fiscales et desquels les transactions hors UE seront éliminées. Elle exigera plutôt que les comptes de chacune des entités distinctes qui constituent le groupe, qui sont elles-mêmes résidentes ou ont des établissements stables dans l'UE, soient ajustés conformément aux règles établies dans la nouvelle ACIS et agrègent ensuite leurs résultats pour créer la base d'imposition de l'ACCIS.

Pour que l'assiette fiscale – sur laquelle elle est établie – soit significative, il doit y avoir une base comptable cohérente utilisée au sein du groupe en question. Cette hypothèse est essentielle si l'égalité de traitement en matière fiscale doit être assurée et pour que l'arbitrage fiscal ne soit pas remplacé par un arbitrage comptable. Malheureusement, l'UE ne dispose pas de cette base comptable cohérente et il n’y a pas d’obligation pour un groupe d'utiliser les normes IFRS (International Financial Reporting Standards) dans toutes les filiales. Les autres Principes Comptables Généralement Reconnus (PCGR) disponibles dans l'UE offrent des différences substantielles dans la comptabilisation et l'évaluation des revenus et des dépenses critiques. Il en résulte qu'il peut y avoir double imposition ou non de certaines transactions en fonction des divers PCGR qu'un groupe peut utiliser dans le calcul de sa base d'imposition de l'ACCIS, même s'il applique l’ACIS de façon cohérente.2

Si des PCGR différents permettent des traitements comptables différents dans l'UE et si les IFRS permettent des concepts différents de maintien du capital et des bases de constatation du revenu variables, il faut également remettre en question sa pertinence pour la fiscalité. Cela pourrait aussi conduire à un flou juridique.

À cet égard, la possibilité d'une évasion fiscale par arbitrage comptable continuera d'exister, tant dans le cadre de l’ACIS que dans celui de l’ACCIS, et la prévention de l'évasion fiscale dépendra beaucoup de l'existence et de l'utilisation d'un règlement général anti-évitement. Sans cela, les multinationales pourraient, par exemple, modifier leur comportement et l'emplacement des actifs et des employés (ainsi que les conditions sur lesquelles ils sont acquis ou engagés) pour fausser la fonction de distribution des bénéfices afin de minimiser les impôts.

Sur la base de ces exemples, il apparaît clairement que même si l’ACIS et l’ACCIS prévoient des règlements fiscaux assez complets, ils ne semblent pas suffisamment cohérents et suffisamment sophistiqués pour empêcher l'abus fiscal ou pour fournir des motifs suffisants pour une interprétation unanime par les tribunaux. Il serait donc fait référence aux interprétations nationales, ce qui créerait une incertitude juridique.

Avantages et limites

Les règles existantes rendent difficile ou impossible de compenser les gains et les pertes dans différents pays, ce qui constitue un problème important pour les entreprises multinationales. Afin de compenser la perte des avantages liés à la consolidation transfrontalière au cours de la première étape, la proposition d’ACIS prévoit un allégement temporaire des pertes avec recapture. Cela signifie que les pertes subies par une filiale ou un établissement stable d'un groupe dans un autre État membre peuvent être déduites par la société mère, mais seront reprises lorsque des bénéfices ultérieurs sont réalisés ou, à défaut, après cinq ans.

Lorsque le processus de l’ACIS sera achevé, ce qui devrait arriver à la fin de l'année 2018, il est prévu que l'ACCIS, avec l'aspect de consolidation, soit mise en œuvre. Ce n'est qu'à ce moment que l'utilisation des prix de transfert erronés sur les achats intra-groupe au sein de l'UE sera éliminée. Cela signifie que même si l'évasion fiscale par le biais de l'arbitrage via les codes comptables sera toujours possible, le transfert de bénéfices par les prix de transfert erronés ne sera pas éliminé tant que la phase de consolidation ne sera pas mise en œuvre.

La principale faiblesse de la proposition est que les comptes consolidés devant être déposés ne doivent comprendre que les membres du groupe de sociétés résidant dans les Etats participants. Cela prive l'ACCIS d'un avantage clé de l'approche unitaire, puisqu'elle permet aux sociétés multinationales d'exclure les entités intermédiaires qu'elles utilisent pour l'évitement fiscal, y compris celles situées dans les paradis fiscaux. Ce problème continuerait d'être abordé avec la gamme habituelle de mesures anti-évitement, y compris les règles sur les prix de transfert, sur les sociétés étrangères contrôlées et le principe général d'anti-évitement. L'ACCIS couvre ces éléments.

De plus, dans la proposition de l’ACIS, la Commission reconnaît que les règles fiscales actuelles incitent les sociétés multinationales à utiliser des prêts plutôt que des capitaux propres pour financer leurs activités. Cependant, au lieu de limiter les déductions fiscales pour les paiements d'intérêts, la Commission a maintenant proposé un nouveau mécanisme appelé « Allocation pour la croissance et l'investissement » qui calcule un montant de déductions fiscales pour les sociétés financées en actions. Il s'agit d'une nouvelle incitation fiscale qui, en réalité, offrira aux entreprises des déductions fiscales pour des dépenses qu'elles n'ont pas effectuées. Il peut y avoir des possibilités d'abus d'impôt dans ce mécanisme.

En outre, la Commission a proposé une alternative aux patent boxes.3 La proposition permettrait non seulement aux sociétés multinationales de déduire toutes les dépenses liées à la recherche et au développement, mais donnerait aux sociétés d’importantes déductions fiscales supplémentaires, en fonction du montant qu'elles consacrent à la recherche et au développement. Pour les dépenses jusqu'à 20 millions d'euros, la Commission propose d'accorder aux sociétés une déduction fiscale supplémentaire de 50% du montant dépensé. Il s'agit d'une nouvelle incitation fiscale qui permettra aux multinationales de déduire de leur assiette fiscale de gros bénéfices. Encore une fois, il peut y avoir des occasions d'abus d'impôts dans ce mécanisme, notamment par la surestimation des coûts de R & D.

Il est important que les Etats Membres veillent à ce que leurs administrations fiscales disposent de ressources suffisantes pour exercer leurs fonctions.

Les revendications de la CES

  • La CES se félicite de l'aspect obligatoire de l’ACIS et de l'ACCIS, mais estime que le seuil de 750 millions d'euros est trop élevé. Nous demandons donc que le seuil soit fixé au maximum à 40 millions d'euros, conformément aux directives comptables.
  •       Comme indiqué dans la réponse de la CES à la consultation sur la relance de l’Assiette Commune Consolidée pour l'Impôt des Sociétés, l'approche en deux étapes aboutira inévitablement à de nouvelles failles juridiques et échappatoires fiscales. La CES demande instamment la mise en œuvre rapide de l'aspect consolidé du Mécanisme (ACCIS), dès janvier 2019.
  •      CES exige une transparence mondiale et une publication détaillée des rapports annuels pays par pays afin que toutes les entreprises éligibles rendent le cadre de l'ACCIS et les rapports pays par pays cohérents aux fins de l'impôt.
  •      La CES demande que toutes les entités membres d'une société soient intégrées dans l'assiette commune consolidée des sociétés et non pas seulement celles implantées au sein de l'Union Européenne.
  •      La CES réclame une convergence des règles comptables si l'ACCIS doit constituer une valeur ajoutée.
  •           Pour que l'ACCIS soit efficace, la CES estime qu'il est important d'introduire un taux d'imposition minimum de 25%.

 

1  Richard Murphy (2012), “Closing the European Tax Gap”, Tax research LLP.

2 “Une ACCIS n'a guère de sens sans la normalisation, qu'elle soit basée sur un ensemble externe de conventions telles que les IFRS, ou un ensemble interne de dispositions fiscales. Ainsi, alors que les PCGR des Etats Membres doivent inévitablement être le point de départ, la normalisation doit être le point final.” Judith Freedman & Graeme Macdonald (2008), “The tax base for CCCTB: the role of principles” Oxford University Centre for Business Taxation, WP 08/07. Voir également, Commission européenne, Groupe de travail sur l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (GT ACCIS), ACCIS/WP057\doc\fr, 26 Juillet 2007.

3  Il s'agit d'un régime spécial destiné à encourager les sociétés à créer une entité dans certains États membres, leur permettant ainsi d'appliquer un taux préférentiel de l'impôt sur les sociétés aux bénéfices qui peuvent être attribués aux brevets.