Réponse de la CES à la proposition de la Commission de l’UE visant à renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre hommes et femmes pour un même travail ou un travail de même valeur par la transparence des rémunérations et les mécanismes d’exécution
Résolution de la CES adoptée à la réunion du Comité exécutif le 22 mars 2021
Introduction
Bien qu’il existe depuis 45 ans une législation européenne sur l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes, l’écart de rémunération entre les sexes dans l’Union européenne reste inacceptable, puisqu’il dépasse 14%. Au rythme de progression actuellement très lent, l’égalité salariale ne sera pas atteinte dans toute l’Union européenne avant le siècle prochain (2104) et ne le sera jamais dans certains États membres.
Il est d’autant plus urgent d’agir que l’impact de l’épidémie de coronavirus menace de saper les progrès réalisés en matière d’égalité entre les sexes. Le COVID ne peut pas nous laisser en héritage une moindre égalité salariale, d’autant plus que la majorité des travailleurs essentiels et de première ligne sont des femmes. Il n’est pas acceptable, si tant est qu’il l’ait jamais été, de qualifier ces travailleurs de peu qualifiés. Ils ont prouvé à quel point ils sont essentiels pour l’entreprise, l’organisation, la société et l’économie. Sur les 49 millions de travailleurs du secteur des soins dans l’UE, environ 76% sont des femmes; les femmes représentent 82% des caissiers dans le commerce de détail et 95% des travailleurs dans le secteur du nettoyage et de l’aide à domicile. Le rôle essentiel joué par ces travailleurs pendant la pandémie de COVID appelle à une réévaluation systématique de leur rémunération, afin que leur véritable contribution soit correctement appréciée et payée.
La transparence des rémunérations comme condition préalable à la justice salariale
La CES, dans sa résolution sur la transparence salariale entre hommes et femmes adoptée le 22 octobre 2019, a appelé à une plus grande transparence salariale comme moyen d’aider les syndicats à négocier des mesures permettant de combler les écarts de rémunération entre hommes et femmes. Le fait que la Commission européenne ait enfin publié, le 4 mars 2021, une proposition de directive sur la transparence salariale entre hommes et femmes constitue donc un progrès.
Deux pas en avant, un pas en arrière
La directive contient de bons principes et de bonnes intentions que nous pouvons saluer. La directive donnera à chaque travailleur, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, le droit d’obtenir certaines informations sur son salaire et sur le salaire dans l’organisation pour laquelle il travaille, et les employeurs sont tenus de publier des rapports annuels sur l’écart de rémunération entre les sexes et de prendre des mesures pour le réduire. La directive contribuera certainement à réduire le secret sur les rémunérations et à dénoncer les inégalités salariales. Toutefois, bien qu’elle contienne ces bons principes, la directive n’en fait pas assez pour changer la donne comme elle le devrait. Au lieu de cela, la proposition de directive met un certain nombre d’obstacles sur la voie des travailleuses qui souhaitent obtenir l’égalité salariale qu’elles méritent et à laquelle elles ont droit. La CES mènera une campagne vigoureuse pour obtenir des modifications visant à combler ces lacunes.
Priorité clé 1: Garantir que les syndicats puissent être impliqués dans l’évaluation des emplois et garantir le droit des syndicats à négocier pour combler les écarts de rémunération.
La proposition de directive adopte une approche très préjudiciable en accordant les droits à l’information, à la consultation et à la défense des intérêts aux «représentants des travailleurs» au lieu des syndicats. Cela ouvrirait la porte à de faux syndicats créés par les employeurs , voire à des «représentants des travailleurs» choisis par les employeurs, puisque le considérant de la directive (p. 13) stipule que «si l’organisation ne compte pas de représentants officiels des travailleurs, l’employeur devrait désigner un ou plusieurs travailleurs à cet effet». Il s’agit d’une attaque contre les droits syndicaux, à laquelle les travailleurs et leurs syndicats opposeront une forte résistance dans toute l’Europe.
La CES demande que la directive soit modifiée afin de veiller:
- au droit pour les syndicats de représenter les travailleurs et de négocier collectivement les salaires et d’autres mesures visant à combler l’écart de rémunération entre hommes et femmes (nouvel article au chapitre II);
- à ce que la définition des représentants des travailleurs garantisse qu’en aucun cas, les syndicats et leurs prérogatives ne peuvent être remplacés par des représentants des travailleurs non syndiqués ou par des organismes pour l’égalité de traitement ou d’autres acteurs (nouvelle définition dans l’article 3 Définitions).
Laisser les travailleuses lutter seules contre l’écart de rémunération qui subsiste entre les hommes et les femmes est un moyen de ralentir les progrès vers l’égalité salariale, et non de les accélérer. Les travailleuses ont besoin de la défense de leur syndicat pour négocier l’égalité salariale. C’est pourquoi la CES demande également l’obligation pour les employeurs de convenir avec le syndicat des critères d’évaluation des emplois (article 4 Même travail et travail de même valeur). Ceci est essentiel pour garantir la possibilité de contester tout parti pris dissimulé dans les critères utilisés par l’employeur pour justifier la rémunération des différentes catégories de travailleurs dans l’organisation. On ne peut pas laisser aux seuls employeurs le soin de la déterminer.
L’inclusion d’un «comparateur hypothétique» est bienvenue. Il devrait être développé pour garantir qu’une comparaison soit possible entre le salaire des emplois principalement occupés par des femmes, par exemple les soins, le nettoyage et le travail en magasin, et le salaire d’emplois différents dans d’autres secteurs principalement occupés par des hommes et qui exigent les mêmes compétences, qualifications, responsabilités et risques. Cet aspect sera déterminant pour le succès de l’initiative. La directive le reconnaît – tout comme la législation européenne existante – mais elle propose de permettre aux employeurs de décider quels emplois peuvent être comparés les uns aux autres aux fins de l’égalité salariale, sans donner aux syndicats la possibilité de participer à l’évaluation des emplois ou de contester les hypothèses qui sous-tendent la valeur accordée et les différents niveaux de rémunération accordés aux différents emplois. Il est naïf de penser que le fait de laisser ces décisions uniquement entre les mains de l’employeur entraînera le type de changement nécessaire.
La CES demande que la directive soit modifiée afin de veiller:
- à ce que les syndicats soient assurés d’être impliqués dans l’évaluation des critères permettant d’établir l’égalité salariale pour un travail de valeur égale (Article 4 Même travail et travail de même valeur);
- à ce que les syndicats de travailleurs reçoivent des informations sur la manière dont les rémunérations pour chaque catégorie ont été déterminées (Article 7 Droit à l’information);
- à ce que les comparaisons aux fins de l’égalité salariale pour un travail de même valeur puissent également être effectuées entre les secteurs (Article 4 Même travail et travail et travail de même valeur);
- à ce que l’employeur doive associer les syndicats de ses travailleurs à la détermination de la méthode de mesure de l’écart de rémunération (Article 8 Rapport sur l’écart de rémunération entre les travailleurs féminins et masculins);
- à l’introduction d’une obligation pour l’employeur de négocier un plan visant à combler l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes (Article 12 Défense des droits et Article 27 Négociation et actions collectives).
Priorité clé 2: Toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, devraient établir des rapports et des évaluations conjointes.
La proposition de directive limite l’obligation de faire rapport sur les écarts de rémunération, de procéder à des évaluations salariales et de prendre des mesures pour combler les écarts de rémunération aux organisations comptant plus de 250 travailleurs (Article 8 Communication de données relatives à l’écart de rémunération entre travailleurs féminins et travailleurs masculins et Article 9 Évaluation conjointe des rémunérations). Cela signifie qu’environ 67% de l’ensemble des salariés de l’UE seront exclus. Cette limitation nuit considérablement à la valeur de la directive pour la majorité des femmes qui travaillent dans l’UE. En outre, il s’agit d’une limitation inutile. Par exemple, l’analyse d’impact réalisée par la Commission pour la directive montre que le coût de la fourniture du rapport sur les écarts de rémunération est estimé à «un coût moyen compris entre 315 et 500 euros par employeur» (p. 56). Ce seuil est également très inférieur aux seuils des dispositions en matière de transparence dans certains États membres, par exemple en Belgique et au Portugal, où les dispositions s’appliqueront aux entreprises de 50 salariés et plus à partir de 2022. En outre, le traité de l’UE ne fait pas de distinction entre le droit à l’égalité salariale en fonction de la taille de l’employeur.
La CES demande que la directive soit modifiée afin de veiller:
- à ce que toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, doivent faire des rapports et des audits. Il est possible de prévoir des rapports moins fréquents, par exemple tous les deux ans pour les entreprises de plus de 50 salariés et tous les trois ans pour les entreprises de moins de 10 salariés.
Priorité clé 3: Supprimer les restrictions sur la transparence salariale.
La proposition de directive accorde aux travailleurs individuels le droit de discuter de leur rémunération, mais uniquement dans des circonstances très limitées (Article 7, paragraphe 5 Droit à l’information). Cela nuit à la réalisation de l’objectif de transparence salariale, à savoir connaître les différences de rémunération, car les travailleurs craindront que le fait de discuter de leur rémunération ne tombe en dehors de l’espace légal de divulgation. L’article 7, paragraphe 6, pourrait permettre aux employeurs d’empêcher les travailleurs de partager les informations obtenues auprès des syndicats.
L’article 8 impose aux employeurs de faire rapport sur les différents écarts de rémunération au sein de l’organisation, mais pas sur la rémunération réelle. Cela ne garantit pas une transparence suffisante, d’autant plus que les employeurs sont en mesure de décider des catégories dans lesquelles ils répartiront la main-d’œuvre et de déterminer comment les écarts de rémunération doivent être calculés dans chaque catégorie. La directive devrait être modifiée afin de veiller à ce que l’employeur doive fournir des informations sur les niveaux de rémunération réels, ventilés par sexe, pour chaque catégorie de travailleurs et pour l’organisation dans son ensemble. Ces informations devraient être fournies sur une base annuelle (actuellement non spécifiée dans la directive).
D’autres préoccupations se posent quant à l’application des règles de protection des données (Article 10 Protection des données) aux restrictions relatives aux informations contenues dans l’audit salarial. Il est vrai que la protection des données est souvent invoquée à tort par les employeurs comme une restriction à la transparence salariale. Il semblerait que la directive vise à confirmer cette approche incorrecte. Il s’agit d’un grand pas en arrière, la directive devrait confirmer la non-application du RGPD aux réalisations des droits fondamentaux et des intérêts légitimes des travailleurs garantis par cette directive.
La CES demande que la directive soit modifiée afin de veiller:
- à ce que les travailleurs puissent discuter et divulguer leur salaire à leurs collègues (Article 7 Droit à l’information), et qu’ils ne puissent être empêchés de divulguer à leur syndicat les informations sur les niveaux de rémunération obtenues de leur employeur (suppression/modification de l’article 7, paragraphe 6);
- à ce que l’employeur fournisse, sur une base annuelle, des informations sur les niveaux de rémunération moyens, ventilés par sexe, pour les différentes catégories de travailleurs et l’organisation dans son ensemble (ajout à l’article 8);
- à ce que les règles du RGPD ne puissent constituer un obstacle à la transparence des rémunérations ou aux demandes d’égalité salariale (Article 10 Protection des données). En outre, il serait utile, pour éviter tout doute, qu’il n’y ait aucune restriction au droit des travailleurs de discuter de leur rémunération avec leur syndicat (Article 10 Protection des données et Article 13 Procédures au nom ou en soutien des travailleurs).
Priorité clé 4: Renforcer les dispositions d’exécution.
La directive prévoit des cas regroupés de plusieurs travailleurs (Article 13 Procédures au nom ou en soutien des travailleurs), mais pas de recours collectifs. Pour les cas d’égalité de rémunération pour un travail de même valeur, les actions collectives sont plus appropriées, car elles touchent tous les travailleurs du groupe, de la catégorie ou du secteur.
La directive prévoit également que les États membres peuvent utiliser leurs marchés publics et leurs concessions (Article 21 Égalité de rémunération dans le cadre des marchés publics et des concessions) pour interdire les entreprises qui présentent un écart de rémunération entre les hommes et les femmes de plus de 5%, mais cette possibilité est limitée aux employeurs de plus de 250 salariés et présentant un écart de 5% pour la même catégorie de travailleurs. Cela limite fortement l’efficacité de cette disposition.
La directive prévoit un rôle pour les organismes pour l’égalité de traitement (Article 25 Organismes pour l’égalité de traitement) qui peut être inapproprié lorsque les organismes pour l’égalité de traitement ne sont pas tripartites. Il est essentiel que les organismes pour l’égalité de traitement et l’«organisme de suivi» impliquent les syndicats (Article 26 Suivi et sensibilisation).
La CES demande que la directive soit modifiée afin de veiller:
- à la possibilité pour les travailleurs et les syndicats d’entreprendre des actions collectives;
- à ce que les États membres limitent l’accès aux marchés publics et aux concession aux entreprises, quelle que soit leur taille, qui présentent un écart de rémunération entre les hommes et les femmes de plus de 5% dans l’organisation et qui refusent de négocier avec les syndicats pour combler cet écart de rémunération;
- à ce que les organismes pour l’égalité de traitement et les organismes de suivi incluent, consultent et impliquent les partenaires sociaux dans des structures tripartites.
Prochaines étapes
La CES continuera à œuvrer pour sécuriser le cadre juridique et de négociation collective afin de soutenir la réalisation de l’égalité salariale entre hommes et femmes.
La CES élaborera des amendements et une stratégie de lobbying pour y parvenir, y compris des notes d’information, des webinaires thématiques, des réunions avec les affiliés auprès des députés européens, des représentants permanents, des Ministres et des alliés.
La CES élaborera des outils et des projets pour aider les syndicats à négocier l’égalité salariale.
Un groupe de travail sera mis en place, composé d’un membre (au moins) de chaque affilié. Le groupe de travail se réunira un lundi sur deux, en anglais et en ligne. Son mandat est de coordonner les actions de lobbying et de campagne des affiliés de la CES au fur et à mesure de l’avancement de la directive.
Une action majeure est prévue pour mai 2021, visant à contrecarrer les dispositions dangereuses sur les représentants des travailleurs et à garantir dans la directive le rôle crucial des syndicats et de la négociation collective comme principale voie vers l’égalité salariale entre les hommes et les femmes.
La CES tiendra le Comité exécutif de la CES informé des évolutions avec le Comité des femmes impliqué dans les progrès en cours.