Résolution adoptée par le Comité exécutif du 2-3 décembre 2014
Le nouveau Président de la Commission européenne (CE) a reconnu un déficit d’équité sociale dans les politiques européennes et promis une nouvelle approche pour restaurer la confiance des citoyens. La santé et la sécurité des travailleurs est un des domaines dans lesquels une action est essentielle et urgente. La Commission précédente a dévalorisé la santé et la sécurité sous prétexte d’une réduction des charges administratives et a soumis les directives relatives à la santé et à la sécurité au travail (SST) à l’exercice REFIT. Les résultats de cet exercice ne seront pas connus avant fin 2016 alors que les données montrent pourtant que les conditions de travail se dégradent en Europe et que des travailleurs en meurent.
Le Parlement européen (EP), la Confédération européenne des syndicats (CES) -dans les résolutions adoptées en 2011 et 2013 par le Comité exécutif- et le Comité consultatif tripartite de la Commission européenne pour la sécurité et la santé sur le lieu de travail (CCSS) ont demandé à la Commission de définir une stratégie qui fixe davantage d’objectifs mesurables, des calendriers contraignants et une évaluation périodique. Ils ont également réclamé l’amélioration et le renforcement des services d’inspection du travail et des mesures concrètes pour endiguer l’augmentation des risques psychosociaux sur le lieu de travail. Le cadre 2014-2020 en matière de santé et de sécurité de juin 2014 ignore les recommandations du Parlement, les demandes de la CES et l’avis du CCSS qui, tous, appelaient à une solide stratégie SST pour l’Europe.
La CES reconnaît que davantage d’efforts en faveur de la SST sont nécessaires. Elle estime toutefois que le cadre stratégique 2014-2020 de la CE n’a pas pour objectif une meilleure protection des travailleurs contre les accidents au travail et les maladies professionnelles mais vise plutôt à démanteler la législation européenne pour tenter de résoudre la crise économique sans proposer aucune action concrète. La CES exprime de vives inquiétudes face à la dégradation des conditions de travail et des inégalités croissantes entre et à l'intérieur des États membres dans ce domaine.
A ce jour, la politique de la Commission a été d’éviter de faire une quelconque proposition législative dans le domaine de la sécurité et de la santé jusqu’à ce que l’évaluation de l’arsenal législatif complet de l’UE à ce sujet ait été finalisée dans le cadre de l’exercice REFIT. Plusieurs propositions législatives, y compris celles soutenues tant par les employeurs que par les travailleurs (par ex. l’accord «coiffure», les propositions sur les substances cancérigènes et mutagènes, les accords européens sur la navigation intérieure, etc.), ont de ce fait été bloquées.
Dès lors, il appartient maintenant à la nouvelle Commission de développer une stratégie appropriée pour entreprendre une véritable action visant à protéger la vie et la santé des travailleurs en Europe. Une telle action doit toutefois être conçue au travers d’un dialogue tripartite avec la nouvelle Commission européenne et encourager la collaboration entre employeurs et travailleurs au sein des PME, soutenir le rôle et le développement des connaissances de l'inspection du travail et des représentants sécurité des travailleurs ainsi que répondre aux questions urgentes suivantes.
Définir, en collaboration avec les partenaires sociaux, des lignes directrices claires permettant aux États membres de développer leur stratégie SST nationale pouvant être contrôlée et exécutée par l'inspection du travail contribuera clairement à mettre en place et à consolider rapidement les règles de santé et de sécurité en Europe comme le prévoit le cadre stratégique de la CE ainsi qu'à éviter le dumping social dans l'UE. Néanmoins, il ne faut pas que cela remplace l’action législative dans les domaines où la législation européenne présente une forte valeur ajoutée.
C’est particulièrement le cas dans des domaines qui soulèvent de sérieuses inquiétudes : les troubles musculo-squelettiques, la prévention des cancers à caractère professionnel, la protection de la santé reproductive contre les substances toxiques, les risques chimiques, y compris les nouveaux matériaux et les perturbateurs chimiques du système hormonal, ainsi que les questions de genre se présentant du fait des différents risques d'exposition, des stratégies de prévention et du diagnostic et de la reconnaissance des maladies professionnelles.
La CES rappelle les dispositions de l’article 153 du Traité de Lisbonne : afin de parvenir à une harmonisation des conditions de travail, l’instrument de base de l’action de l’UE est l’adoption de directives comprenant des dispositions qui renforcent les normes européennes, ce qui aura un impact positif sur la durabilité du travail.
Une attention particulière et une action politique concrète devraient être consacrées au travail précaire tant des hommes que des femmes car il augmente les facteurs de risques psychosociaux qui sont la cause d’effets néfastes importants pour la santé humaine y compris des risques élevés de maladies cardiovasculaires et de mortalité précoce. La dimension de genre doit être prise en compte dans l'évaluation des risques. A cet égard, les connaissances et les actions menées par les représentants sécurité des travailleurs sont essentielles pour améliorer les conditions de travail et leur rôle doit être mieux soutenu.
Il faut que la CE s’attaque à l’important problème des risques psychosociaux qui concerne tous les travailleurs : hommes et femmes. Les suites potentielles des charges psychosociales (pression, isolement et perte de soutien social, nouvelles technologies de communication, flexibilité du temps de travail, délais impossibles, restructurations, etc.) incluent maladies cardiovasculaires, troubles musculo-squelettiques, affections dermatologiques, suicides, problèmes relationnels avec les collègues, la famille et le réseau social ainsi qu’un risque accru de violence avec des conséquences pour la santé tant physique que mentale. A moyen terme, les entreprises sont confrontées à des absences dues aux maladies de longue durée et à une perte de chiffre d’affaires et de productivité.
Toutes ces questions n’ont pas été prises en compte par la Commission européenne précédente qui a totalement négligé d’inclure des principes démocratiques dans la rédaction de la politique de santé et de sécurité au travail en Europe, enfreignant ainsi les traités européens fondamentaux.
La CES demande à la nouvelle Commission de présenter une stratégie forte en matière de santé et de sécurité au travail pour l’Europe. Les données révèlent que les conditions de travail se dégradent en Europe et que des travailleurs en meurent tous les jours. Face à cela, il faut mettre fin aux discussions stériles et sans fin sur l’allègement des charges administratives par une réduction de la législation sur la santé et la sécurité. « Réaménager » la législation veut dire définir les meilleures règles possibles pour lutter contre les risques nouveaux et émergents et protéger la santé des travailleurs. Cela veut dire reformuler et adapter la législation existante pour l’inscrire dans un cadre moderne et actuel. Dès lors, il faut d’urgence engager les quatre actions concrètes suivantes en Europe :
· La CES appelle la Commission à lancer immédiatement une initiative ambitieuse visant à définir des limites européennes contraignantes d’exposition pour un nombre élargi de substances toxiques. Actuellement, des valeurs limites contraignantes d’exposition n’ont été établies au niveau européen que pour trois substances cancérigènes alors que les travailleurs sont exposés à plusieurs centaines d’agents cancérigènes et mutagènes. Les femmes en particulier sont souvent exposées à un cocktail de substances, tant au travail qu'à domicile, qui peut augmenter les risques, y compris en ce qui concerne la santé de leurs enfants.
Alors qu’il faudrait que ce soit une priorité pour l’UE, le nouveau cadre ne mentionne pas la nécessité d’améliorer la législation existante sur la prévention de l’exposition des travailleurs à de telles substances. Cette lacune dans la législation européenne souligne bien la nécessité de modifier les lentes procédures de fixation des normes et de les adapter à la réalité. En Europe, plus de 30 millions de travailleurs sont exposés à des agents cancérigènes et mutagènes au-delà des niveaux considérés comme étant acceptables et plus de 100.000 personnes meurent chaque année de maladies liées au travail.
La proposition faite par plusieurs États membres d’établir 50 valeurs limites contraignantes pour des substances cancérigènes utilisées sur les lieux de travail dans l’Union européenne est fermement soutenue par la CES. Si cette liste était basée sur les meilleures normes légales existant pour chaque substance dans les États membres, cela permettrait d’agir plus rapidement et de supprimer la concurrence entre pays due à l’utilisation de normes moins exigeantes de sécurité des travailleurs.
· De plus, la CES exige que les substances reprotoxiques soient immédiatement reprises dans le champ d’application de la directive sur les agents cancérigènes et mutagènes du fait de la gravité et de l'irréversibilité de leurs effets sur la santé des travailleurs (les femmes enceintes en particulier) qu'entraîne une exposition à ces substances. D’ailleurs, alors que la Commission veut bannir la surréglementation (c.-à-d. les dispositions du droit national qui vont au-delà de celles de la législation de l’UE), plusieurs États membres ont décidé d’inclure le domaine des substances reprotoxiques dans leur législation nationale concernant les agents cancérigènes et mutagènes.
· Les trois directives existantes sur les troubles musculo-squelettiques (vibrations, manutention manuelle et équipements à écran de visualisation) sont dépassées à bien des égards et doivent donc être changées en faveur d’une législation moderne et efficace. Le processus de formulation d’une nouvelle directive globale sur les troubles musculo-squelettiques doit d’abord faire l’objet d’une initiative de la Commission européenne.
· Les énormes problèmes de risques psychosociaux liés à la dégradation des conditions de travail et de la santé et de la sécurité au travail en Europe ne peuvent être ignorés plus longtemps. Ces problèmes ne peuvent être résolus uniquement par des instruments non législatifs. Des mesures législatives urgentes sont nécessaires pour combattre un risque qui a atteint des proportions épidémiques.
Le Comité exécutif demande à l’Institut syndical européen (ETUI) d’établir, en collaboration avec les affiliés et le CCSS, une liste de 50 valeurs limites contraignantes d'exposition professionnelle (VLCEP) pour les substances cancérigènes concernées.
Le Comité exécutif accepte d’organiser, en collaboration avec la Confédération syndicale internationale (CSI) des activités pour la Journée commémorative des travailleurs du 28 avril 2015 afin de souligner nos exigences. Les affiliés de la CES seront étroitement associés à ces activités et au lobbying de leurs gouvernements.