Résolution de la CES sur la stratégie pour le marché unique - un progrès social manquant !
Adoptée lors de la réunion du Comité exécutif du 18ejuin 2025
Le maintien du statu quo n'est tout simplement pas à la hauteur de l'ambition d'être "bien plus qu'un marché".[i] Une vision fondée sur la simplification pour les entreprises et la déréglementation pour le profit ne fera pas la différence pour des emplois de qualité et ne gagnera pas le soutien des millions de travailleurs qui font fonctionner le marché intérieur de l'UE chaque jour.[ii] Considérer les règles nationales et les normes de protection comme des obstacles potentiels à la compétitivité et à l'intégration économique, c'est faire passer le marché avant les travailleurs et une planète en bonne santé.
Alors que la nouvelle stratégie pour le marché unique de la Commission européenne aborde un large éventail de domaines politiques, cette résolution de la CES vise à faire une évaluation plus générale mais critique des priorités de la Commission Von der Leyen II en matière de marché intérieur. Cette résolution présente des demandes de principe pour un marché unique qui respecte et promeut les droits des travailleurs, les droits sociaux et les droits syndicaux. Les demandes existantes de la CES sur des sujets spécifiques font l'objet de références croisées dans les notes de fin d'ouvrage de l'annexe.
La CES rappelle que le marché unique n'est pas une fin en soi. Comme le stipule l'article 3 du TUE, le marché intérieur de l'UE " œuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement ". En d'autres termes, le marché unique doit servir l'intérêt général comme un moyen de parvenir à une fin - l'amélioration constante des conditions de vie et de travail en Europe.[iii]
Pour ces raisons, la CES déplore l'approche adoptée par la Commission dans sa stratégie pour le marché unique lancée le 21 mai 2025. La Commission met en avant un discours agressif sur les "obstacles", les "barrières", les "charges", les "divergences", les "coûts", la "paperasserie" et le "placage d'or", en mettant l'accent sur les "dix terribles" domaines auxquels il faut s'attaquer pour stimuler les entreprises et la compétitivité. Dans le même ordre d'idées, les cinq premiers badges des propositions omnibus sur des questions telles que la durabilité et les petites entreprises de taille moyenne ont démontré que l'agenda de simplification de la Commission est une déréglementation déguisée. Le manque de transparence, d'évaluation et de consultation ne doit pas non plus être utilisé pour contourner les processus et les institutions démocratiques par des procédures rapides ou urgentes. Les prérogatives et l'implication des partenaires sociaux doivent être respectées à tout moment. De même, les clauses de non-régression et les dispositions plus favorables ne peuvent être compromises.
Cette nouvelle stratégie de la Commission ne tient absolument pas compte du fait que la nécessité de construire un marché unique va de pair avec l'objectif fondamental du traité de l'UE qu'est le progrès social. Au lieu de cela, l'ambition semble surtout liée à la libéralisation du marché et aux intérêts commerciaux. Les tests de compétitivité, l'accent mis sur les PME et les tests de résistance ne font que renforcer ce déséquilibre. La stratégie se préoccupe des marchandises dangereuses et des pratiques commerciales déloyales des pays tiers à l'encontre des entreprises européennes , mais ne met pas autant l'accent sur les services dangereux et les conditions déloyales pour les travailleurs. Les règles adoptées démocratiquement sont essentielles pour garantir la qualité des biens et des services ainsi que les conditions dans lesquelles ils sont produits et fournis. La libéralisation des services, des normes[iv] ou des qualifications[v] , par exemple, ne peut y porter atteinte.
Il est évident qu'aujourd'hui encore, d'importantes impunités subsistent dans le marché intérieur, avec des violations persistantes des droits des travailleurs, des fraudes et des abus. L'intégration des marchés, caractérisée par des problèmes d'application transfrontalière et des attaques constantes contre les mesures nationales mises en place pour prévenir les abus, constitue un terrain fertile pour les arrangements artificiels, les modèles d'entreprise frauduleux, les systèmes de contournement et les chaînes de sous-traitance excessivement longues. Les initiatives de la Commission telles que les procédures d'infraction renforcées, les Singel Market Sherpas, les SME Envoys, les clauses PME et les outils d'auto-identification ne contribueront en rien à combler ces lacunes. Elles risquent plutôt d'imposer des normes maximales plutôt que minimales ou de créer de nouvelles lacunes en matière de législation et de mise en œuvre, empêchant ainsi les États membres de prendre les mesures nécessaires pour garantir efficacement le respect de la législation sur le terrain. La numérisation[vi] et les instruments du marché intérieur tels que l'IMI devraient être utilisés pour renforcer la coopération transfrontalière et l'application de la législation, et non servir d'excuse pour réduire les exigences en matière de rapports et les ressources disponibles pour la surveillance et les contrôles.
Les services publics et les administrations sont une condition préalable au marché unique et jouent un rôle clé dans la construction d'une croissance durable et d'une société juste et inclusive, avec plus d'égalité, de cohésion régionale et de convergence sociale vers le haut. L'UE et son marché intérieur ne peuvent fonctionner sans des administrations publiques, des systèmes judiciaires, des organismes de réglementation et de contrôle qualifiés et dotés d'un personnel adéquat, notamment en ce qui concerne l'inspection du travail, la santé et la protection de l'environnement, la technologie numérique et la fiscalité. Comme l'a démontré la conférence COVID-19, tous ces éléments sont indispensables pour garantir la résilience et la préparation aux urgences climatiques, sanitaires et autres. Les services publics fondés sur l'universalité, l'accessibilité et le caractère abordable répondent à des questions que les marchés ignorent volontairement et doivent être exclus du champ d'application du marché unique. Compte tenu des preuves accablantes des limites et des inconvénients des concessions et des partenariats public-privé, la promotion de l'entreprise publique doit être reconnue comme une alternative valable et durable à la marchandisation. Aucun nouveau secteur ne doit être ouvert à la libéralisation, aucun droit de l'homme ne doit devenir une marchandise.
Il est clair que le marché unique n'a pas profité à tout le monde et qu'une corrélation positive entre les libertés du marché et l'intégration européenne ne peut être considérée comme acquise. L'Europe d'aujourd'hui se caractérise par des inégalités croissantes entre les pays, les régions et les personnes.[vii] S'attaquer à ce que la Commission considère comme une fragmentation réglementaire risque d'aggraver encore cette fragmentation sociétale, en particulier lorsqu'elle s'accompagne d'effets négatifs sur les normes sociales et environnementales. Cela suppose également que l'accès aux financements et aux investissements publics soit assorti de conditions sociales strictes.[viii] Le fait de coupler le financement de l'UE avec les réformes du marché unique soulève toutefois de sérieuses inquiétudes.
La stratégie du marché unique manque d'une approche à plus long terme, holistique et critique, garantissant que les libertés économiques ne peuvent pas être utilisées de manière abusive pour saper et contourner les droits sociaux et les droits du travail. Le travail n'est pas une marchandise et le marché intérieur ne peut donc pas soumettre les droits des travailleurs et leurs conditions à la même logique que les autres facteurs de production. La valeur du travail est sacrée et doit être protégée par des normes sociales élevées afin d'éviter un nivellement par le bas. La concurrence loyale doit être fondée sur la qualité, les compétences, la productivité et l'innovation, et non sur les mauvaises conditions de travail et les bas salaires.
Alors que la CES salue l'engagement de la Commission à présenter un paquet de mesures pour une mobilité équitable des travailleurs en 2026, comprenant des mesures telles qu'une révision du mandat de l'Autorité européenne du travail[ix] et un Passeport européen de sécurité sociale, le discours autour des " procédures lourdes pour les détachements temporaires " reste inacceptable. Des expériences négatives telles que la task-force sur l'application du marché unique et la récente proposition de déclaration électronique sur le détachement[x] ne font que renforcer ces préoccupations concernant les tentatives de réduire les exigences imposées aux entreprises au détriment de la protection des travailleurs. À cet égard, la CES rappelle également sa demande d'un cadre juridique européen général sur la sous-traitance et les intermédiaires.[xi]
D'autres initiatives relatives au marché intérieur peuvent également être trouvées dans la stratégie, y compris par exemple des mesures visant à faciliter la fourniture transfrontalière de services liés à l'industrie, à réduire les obstacles à l'accès au marché de la construction et aux services d'installation, à promouvoir les services autorisés paneuropéens et la fourniture de services transfrontaliers, ou même des plans visant à envisager une loi sur la prévention des obstacles au marché unique. La CES rappelle qu'en aucun cas le principe du pays de destination, l'égalité de rémunération pour un travail égal au même endroit et la nécessité d'un contrôle et d'une mise en œuvre efficaces ne peuvent être remis en cause par une telle initiative.
De même, les annonces de la Commission telles qu'un 28e régime d'entreprise[xii] et une stratégie de démarrage et de mise à l'échelle[xiii] soulèvent des préoccupations sérieuses et spécifiques quant à leur compatibilité et au respect des lois nationales sur le travail et des systèmes de relations industrielles. La CES rejettera toute initiative autre qu'un engagement clair de la Commission accompagné de garanties solides assurant qu'aucune initiative de ce type n'a d'impact sur le droit du travail, les droits et les normes en matière d'emploi ou leur application, y compris le droit de grève et la négociation collective.
La CES se mobilise donc pour éviter que la stratégie du marché unique ne conduise à une spirale négative pour les droits des travailleurs, voire à la création de nouvelles règles exemptant les entreprises du respect des droits du travail. La CES restera vigilante à toute initiative découlant de la Stratégie, et contestera toute proposition qu'elle jugera contraire aux objectifs sociaux énoncés dans les Traités.
Annexe
Aperçu des positions et résolutions pertinentes de la CES
Etant donné le vaste éventail de domaines politiques couverts par la stratégie du marché unique de la Commission européenne, cette liste donne un aperçu des positions, résolutions, déclarations et autres documents politiques existants de la CES, tels que référencés dans les notes de fin de cette résolution.
[i] Réponse de la CES au rapport Letta "Bien plus qu'un marché" ; Réponse de la CES au rapport de Mario Draghi "L'avenir de la compétitivité européenne".
[ii] Demandes de la CES pour la création d'emplois de qualité dans tous les secteurs et dans toutes les régions ;
[iii] Position de la CES sur l'Agenda pour une meilleure réglementation - pour les personnes et la planète, pas pour le profit
[iv] Résolution de la CES sur les syndicats et le monde de la normalisation
[v] Communiqué de presse de la CES "Le droit à la formation manque à l'Union des compétences" ; Points de vue de la CES sur l'approche "Skills first" (les compétences d'abord)
[vi] Résolution de la CES sur l'intelligence artificielle pour les travailleurs, pas seulement pour le profit : Garantir des emplois de qualité à l'ère numérique ; Résolution de la CES demandant une directive européenne sur les systèmes algorithmiques au travail
[vii] Résolution de la CES sur les pénuries sur le marché du travail : Un appel pour des emplois de qualité pour la cohésion et l'inclusion ; Résolution de la CES pour un bien-être public et une protection sociale solides lors de la transition vers l'UE
[viii] Résolution de la CES sur une politique industrielle européenne pour des emplois de qualité ; Résolution de la CES pour une facilité d'investissement financée par l'UE pour des emplois de qualité et des transitions justes ; Résolution de la CES pour une politique de concurrence plus durable et plus inclusive
[ix] Position de la CES sur la révision du mandat de l' européenne travail
[x] Position de la CES sur la déclaration électronique sur le détachement
[xi] Résolution de la CES sur la mobilité et la migration équitables des travailleurs
[xii] Réponse de la CES au projet de la Commission pour un 28ème régime d'entreprise pour les entreprises innovantes - Défendre les travailleurs et le droit du travail
[xiii] Communiqué de presse de la CES "Le succès des startups ne peut pas être basé sur des coupes dans les droits des travailleurs".