Bruxelles, 19-20/10/2011
Introduction
En mars 2011, la Commission a publié le livre blanc intitulé “Feuille de route pour un espace européen unique des transports - Vers un système de transport compétitif et économe en ressources” visant à relever les défis auxquels est confronté le secteur des transports. Bien que la CES partage la crainte de la Commission, à savoir que le système de transport actuel ne soit pas durable, la stratégie présentée par la Commission n’apporte pas de solutions satisfaisantes aux différents défis. La dimension de service public fait complètement défaut dans le livre blanc.
En outre, en fixant à 2050 l’échéance pour aboutir à un secteur des transports plus durable, la Commission renonce à son obligation d’agir, bien que des alternatives technologiques et des mesures à court terme existent, qui auraient un impact significatif sur la nécessité urgente de réduire la part des transports dans les émissions de gaz à effet de serre. La Commission encourage une croissance continue des transports au sein de cadres politiques “dépendant le plus possible de mécanismes basés sur le marché” plutôt que d’assumer la responsabilité de réguler les tendances et les habitudes et d’utiliser les ressources financières supplémentaires en faveur d’une infrastructure durable, indispensable sur le plan de l’environnement.
La dimension de service public des transports
La mobilité est importante pour la qualité de vie des travailleurs et des citoyens et pour le fonctionnement du marché intérieur en général. Les services de transport devraient permettre le développement harmonieux du territoire d’un Etat membre, y compris de ses zones les plus reculées, et exprimer la solidarité entre tous ses habitants, quelque soit leur lieu de résidence. Par conséquent, les transports ne peuvent être traités comme un service économique ordinaire. Cet aspect est clairement exposé dans les traités européens. L’article 14 TFUE reconnaît explicitement la place occupée par les services d’intérêt économique général dans les “valeurs partagées de l’Union” ainsi que “leur rôle dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale”. En vertu de l’article 36 de la Charte des droits fondamentaux, qui est juridiquement contraignante, “l’Union reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément aux traités, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’Union”.
La création d’un Espace unique européen des transports, comme envisagé actuellement par la Commission, soulève un certain nombre de préoccupations importantes. Premièrement, la Commission aspire à créer “un vrai marché intérieur pour les services ferroviaires” en ouvrant à la concurrence le marché national des voyageurs ferroviaires, ce qui inclurait l’octroi obligatoire de contrats de service public par voie d’appel d’offres. Les règles actuelles sur les achats publics ne permettent pas de tenir compte suffisamment des critères sociaux et environnementaux dans la procédure d’appel d’offres et elles devraient être révisées avant le lancement d’autres appels d’offres.
La Commission suit simplement l’approche idéologique et ignore le Protocole 26 du traité de Lisbonne, qui souligne le rôle des pouvoirs locaux, régionaux et nationaux dans la prestation de SIG. La CES appelle la Commission à reconnaître le rôle essentiel des pouvoirs locaux et régionaux dans l’organisation de leurs transports publics de voyageurs. L’UE a libéralisé le secteur des transports depuis deux décennies mais aucune évaluation sérieuse n’a été effectuée. Afin de tirer les leçons de ses erreurs, l’UE doit analyser les conséquences non seulement en termes de marché intérieur mais aussi mesurer les effets sur la solidarité, la cohésion et la subsidiarité.
Deuxièmement, le livre blanc ne tient pas compte d’un aspect essentiel pour la durabilité du SIEG: la compensation financière pour l’obligation de service public. La Commission a en fait l’intention “d’éliminer les distorsions fiscales et les subventions injustifiées” car “la concurrence non faussée fait faire partie des efforts entrepris pour aligner les choix du marché avec les besoins de durabilité (et pour tenir compte du coût économique de la «non durabilité»)”. Sans compensation financière, le prestataire de service ne serait pas incité à remplir des tâches qui sont moins rentables économiquement mais remplissent un rôle essentiel en termes de cohésion sociale et territoriale. En d’autres termes, la libre concurrence dans le secteur des transports signifie que les prestataires sélectionneraient les parties les plus rentables du service. Le principe fondamental d’accessibilité pour tous les utilisateurs ne devrait pas être négligé.
Troisièmement, la CES ne peut accepter que les coûts du transport soient reflétés dans son prix “de manière non faussée”. L’idée que les usagers des transports publics devraient payer le coût intégral du service va à nouveau à l’encontre du concept même de service public mais s’oppose aussi aux efforts de promouvoir les transports collectifs en tant qu’alternative aux transports privés. De plus, cela signifie que certaines régions et services seraient défavorisés, en particulier dans les zones moins peuplées. Le principe d’universalité, qui est un principe fondateur d’une obligation de service public, serait ainsi écarté.
Emplois et conditions de travail de qualité
En contrepartie à la libéralisation des transports, la Commission affirme que “l’ouverture du marché doit aller de pair avec des emplois et des conditions de travail de qualité”. Le livre blanc offre cependant peu de solutions dans ce domaine. Il semble que la Commission adopte une approche de marché intérieur traditionnelle, où l’intervention dans le domaine social n’est pas motivée par la nécessité de promouvoir le progrès social mais de créer une convergence suffisante pour éliminer les barrières au marché intérieur.
Le livre blanc encourage les “partenaires sociaux en vue d'un accord sur un code social pour les travailleurs mobiles du secteur du transport routier, en s'attaquant aussi au problème des emplois non salariés déguisés”. Tandis que la CES encourage les initiatives concrètes visant à faire face à la question difficile du faux travail indépendant, les propositions exposées dans le livre blanc sont très vagues. Il semble que la Commission envisage actuellement un dialogue social sectoriel afin d’assurer un ensemble harmonisé de normes sociales, de normes de sécurité et de concurrence dans le transport routier, uniformément applicables dans les Etats membres.
La CES aimerait insister sur le fait que la Commission ne doit pas abandonner sa responsabilité clé en matière de normes sociales, de sécurité et de compétition. La Commission a besoin de prendre des mesures pour améliorer l’application du cadre juridique sectoriel, ainsi que pour le consolider de façon à répondre aux défis.
Les organisations sectorielles appropriées devront examiner l’opportunité d’organiser des négociations, mais il est déjà clair que cette solution ne peut répondre à elle seule aux défis actuels. L’UE n’a aucune compétence pour harmoniser pleinement les normes du droit du travail. Elle ne peut qu’introduire des normes minimales – un “seuil de droits” en-dessous duquel les Etats membres ne peuvent pas aller mais qu’ils améliorent souvent. En outre, le législateur de l’UE est tenu de respecter la diversité des systèmes nationaux de relations industrielles.
En d’autres termes, un code social européen ne peut signifier que la dimension nationale du droit du travail devrait être contournée. Le rôle des législateurs nationaux et des partenaires sociaux demeure essentiel. Un aspect très problématique concernant le cabotage est l’absence de mise en œuvre du droit national du travail et de normes convenues collectivement. Il faudrait déployer davantage d’efforts en vue de renforcer les mesures de contrôle nationales et transfrontalières, et non en vue de les éradiquer. En outre, la Commission doit s’assurer que les États membres appliquent la directive sur les travailleurs détachés et qu’elle soit mise en œuvre et contrôlée conjointement au cabotage, et qu’ils fassent en sorte que les opérateurs respectent leurs obligations fiscales dans ces pays accueillant des activités de cabotage.
De plus, la Commission propose d’établir dans le secteur de l’aviation un “service minimum européen (...) et d’encourager les partenaires sociaux européens à discuter de la manière de prévenir les conflits et les interruptions du service minimum dans l'ensemble de la chaine de valeur du transport aérien”. La CES s’opposera fermement à toute interférence aux droits fondamentaux à la négociation collective et à l’action collective. L’article 153.5 TFUE expose clairement que l’UE n’a aucune compétence concernant le droit de grève.
Conclusions
La création d’un marché intérieur des transports requiert une stratégie qui tient compte non seulement des défis économiques et environnementaux mais aussi sociaux. La Commission devrait imposer à tous les opérateurs du marché européen des transports des règles basées sur la sécurité, la qualité, l’accessibilité et le respect de l’environnement et des conditions de travail. Pour cela, il est nécessaire de s’éloigner de l’approche idéologique actuelle, selon laquelle la libération du secteur des transports est un principe clé, tandis que l’expérience montre déjà qu’une approche allant dans le sens du libre marché ne contribue pas automatiquement au bon fonctionnement des services publics (par exemple, l’impact des mesures de libéralisation dans le secteur de l’énergie).
La CES incite par conséquent vivement la Commission à adopter une approche radicalement nouvelle, tenant compte de la dimension d’intérêt général du secteur des transports, et à considérer les normes du travail non pas comme une barrière à une libéralisation supplémentaire mais comme une composante essentielle de la qualité et de la durabilité du secteur. Les marchés libres ne génèrent pas à eux seuls d’incitants suffisants pour assurer le respect des obligations de service public.
La CES soutient la proposition de l’ETF concernant la création d’un observatoire social et environnemental chargé d’évaluer les effets de la libéralisation dans le secteur des transports jusqu’à ce jour. L’observatoire devrait analyser les politiques et les mesures liées au transport et formuler des recommandations le cas échéant. Les évaluations et études qui existent déjà devraient être diffusées à grande échelle. Le système européen des transports ne sera durable que si le pilier social est renforcé. Cela devrait inclure l’obligation de mettre en place une évaluation d’impact sociale avant que toute décision soit prise dans ce domaine.
La CES demande un moratoire sur la libéralisation dans le secteur des transports jusqu’au moment où une évaluation adéquate des libéralisations antérieures aura été réalisée, notamment par l’observatoire proposé.
La CES demande également que le cadre actuel des achats publics soit révisé afin de prévoir des clauses sociales avant toute extension supplémentaire des procédures d’appel d’offres.
Résolution de la CES pour téléchargement
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