Travail saisonnier et transfert intra-entreprise

Bruxelles, 13-14/10/2010

En juillet de cette année, la Commission européenne a présenté deux propositions législatives concernant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants d’un pays tiers, dans le cadre d’un transfert intra-entreprise (TIE) et en vue d’un travail saisonnier.

Ces deux propositions doivent être replacées dans leur contexte, à savoir un ensemble de cinq directives sur l’immigration de la main-d’œuvre que la Commission avait présentées en décembre 2005 (Programme d’action relatif à l’immigration légale[[COM (2005)669]]). Le fondement de ces directives telles qu’elles sont proposées se trouve dans la politique d’immigration européenne et non dans le domaine social.

D’abord, une directive cadre concernant un permis de séjour et de travail unique pour les ressortissants d’un pays tiers (actuellement dans le processus législatif), et la ‘carte bleue européenne’, les deux textes excluant le travail saisonnier et le TIE.

La proposition de directive sur le TIE vise à simplifier les mesures régissant l’entrée, le séjour, l’emploi et la mobilité des travailleurs ressortissants d’un pays tiers, ainsi que des membres de leur famille, lorsque ces travailleurs sont transférés, au sein d’une entreprise, d’un pays tiers vers l’UE.

La proposition de directive sur le travail saisonnier fixe les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants d’un pays tiers dans le cadre d’un emploi de travailleur saisonnier et définit les droits de ces travailleurs.

Les deux propositions sont susceptibles d’avoir un impact énorme sur les marchés de l’emploi et les relations industrielles dans l’UE et les EM. Pour la CES, il est essentiel que toute initiative prise dans le domaine de l’immigration soit cohérente avec les domaines politiques plus larges de l’emploi et du développement, et avec la nécessité de garantir une intégration sociale et une durabilité élevées, aussi bien dans les pays d’origine que dans les pays d’accueil.

Les travailleurs des pays tiers sont extrêmement vulnérables à l’exploitation ; il faut veiller à ce que le fait que des entreprises puissent tirer parti du marché unique ne se fasse pas au détriment de ces travailleurs, des travailleurs locaux et des travailleurs migrants au sein de l’UE. Un nivellement par le bas sur le plan des salaires, des conditions de travail, de l’emploi et de la sécurité sociale, en important de la main-d’œuvre bon marché dans l’UE et en mettant sous pression la main-d’œuvre locale et les systèmes de relations industrielles, est inacceptable, et seules des propositions législatives garantissant le contraire peuvent bénéficier du soutien de la CES.

La CES a toujours insisté sur le fait qu’il faut éviter une politique d’immigration à deux vitesses, avec un éventail de droits différents pour les divers groupes de travailleurs. Il est incompréhensible que l’on n’ait pas traité de la question du TIE dans le cadre de l’initiative de la ‘carte bleue européenne’ et que les travailleurs qui font l’objet d’un transfert intra-entreprise soient exclus de la directive cadre.

La CES doute qu’il soit politiquement sage de présenter ces deux propositions dans la période actuelle, marquée par la crise et par un ressentiment xénophobe que l’on observe de plus en plus dans les EM. Il est nécessaire de disposer d’un cadre légal renforcé de protection sociale et de protection de l’emploi des travailleurs saisonniers en général. Ce cadre veillera à ce que des normes de travail et des normes sociales minimales s’appliquent au travail saisonnier dans l’UE, garantira l’égalité de traitement entre les travailleurs saisonniers locaux et migrants et encouragera une convergence ascendante des conditions de vie et de travail de tous les travailleurs saisonniers. En ce qui concerne les travailleurs faisant l’objet d’un transfert intra-entreprise, la CES émet des doutes quant à la nécessité d’un instrument particulier.

La CES ne voit aucun argument convaincant pouvant justifier la nécessité des deux directives proposées. Ces thèmes sont principalement traités par les lois nationales et les accords bilatéraux. La législation européenne n’apporte une valeur ajoutée que si elle garantit des normes élevées en termes de conditions de travail.

Il faut veiller à ce que ces directives n’aident pas les entreprises à recruter de la main-d’œuvre bon marché aux dépens de la main-d’œuvre nationale et du pays tiers. La principale garantie contre la manipulation et les abus réside dans une égalité de traitement et dans la protection des travailleurs, d’une part, et dans des conditions identiques pour les entreprises, d’autre part. Par conséquent, il est de la plus haute importance que les ressortissants d’un pays tiers soient employés conformément au principe de l’égalité de traitement.

Il est inacceptable qu’après les quatre décisions bien connues de la CJE, la Commission s’obstine à légiférer avec la volonté de libéraliser le marché unique, en favorisant la concurrence déloyale, en sapant le principe d’égalité de traitement des différents groupes de travailleurs et en tentant d’éroder le principe du pays hôte. Et ce en dépit du nouveau cadre légal constitué par le traité de Lisbonne, qui garantit une économie de marché sociale et exige du législateur européen qu’il œuvre au progrès social, et par la Charte européenne des droits fondamentaux, qui garantit l’égalité (art. 20), la non-discrimination (art. 21 par.2), les négociations collectives et le droit de grève (art. 28).

Au lieu de cela, la Commission défend la tendance de la politique européenne qui consiste à réduire l’autonomie de négociation des partenaires sociaux et à ne reconnaître que les conventions collectives universellement ou généralement applicables et non celles conclues au niveau régional, sectoriel ou dans l’entreprise.

Ces deux directives ne garantissent qu’un minimum de conditions d’emploi et ouvrent largement la porte au dumping social et à la fraude, organisés à grande échelle.

Travail saisonnier

L’égalité de traitement et la non-discrimination dans l’UE sont garanties par l’application du principe “lex loci laboris”. Cela signifie, en règle générale, que la législation et les règles des conditions de travail de l’Etat membre dans lequel la personne poursuit son activité en tant que personne employée ou travailleur indépendant s’appliquent pleinement.
Dans ce principe, aucune différence n’est établie entre travailleurs saisonniers et non-saisonniers.

a) La directive proposée introduit une différence entre travailleurs saisonniers et non- sai-sonniers dans le domaine des conditions de travail.

L’article 16 stipule les droits auxquels les travailleurs saisonniers ont droit: les conditions de travail, y compris le salaire et le licenciement ainsi que les exigences de santé et de sécurité sur le lieu de travail, applicables au travail saisonnier en vertu de la loi, d’une réglementation ou d’une disposition administrative et/ou les conventions collectives universellement applicables dans l’Etat membre dans lequel ils sont admis en vertu de la directive. Il n’existe aucun argument en faveur de l’introduction d’une nouvelle catégorie au plan de l’UE concernant les conditions de travail; par voie de conséquence, les Etats membres dans lesquels cette différence a disparu à la suite de la lutte pour l’égalité de traitement réintroduiront cette notion séparée via l’angle européen.

b) L’article 16 ignore complètement un autre aspect important.

La deuxième partie de l’article fait référence à la définition des conventions collectives de la directive sur le détachement des travailleurs qu’il convient d’appliquer (de facto ou de jure généralement contraignante). Il ressort de l’expérience acquise avec la CJE que les conventions collectives qui sont négociés localement sont négligées par le législateur. Dans les secteurs envisagés, l’expérience révèle que les conditions de travail sont négociées au plan local ou régional.

c) En ce qui concerne les règles applicables, la proposition fournit une liste minimum.
Cette liste propose, si possible, de déroger au principe général ancré dans le principe “lex loci laboris”.

- Risque de faire l’objet d’abus pour couvrir tous les types de besoins de main-d’œuvre peu qualifiée
- Pas d’amélioration suffisante pour les travailleurs saisonniers des pays tiers en ce qui concerne la protection sociale, le logement et les conditions de travail
- Une égalité de traitement doit être garantie.
- Un permis de travail et de séjour ne devrait pas être accordé si le contrat d’emploi du travailleur candidat prévoit un salaire et des conditions de travail inférieurs à ceux des travailleurs nationaux.
- La définition d’une activité qui dépend du passage des saisons est beaucoup trop large et ouvre la porte aux abus.
- La durée du séjour est problématique.
- Le lien avec le travail intérimaire est problématique.
- Il manque des garanties concernant les droits syndicaux.
- La définition du logement / loyer est problématique. Il n’y a pas de règles concernant les coûts de transport et de visa.
- Qu’en est-il des droits des membres de la famille ? Cela montre une fois de plus l’échec du concept de migration circulaire.

TIE

- Risque de confusion si l’on ne clarifie pas correctement la relation avec le mode IV de l’AGCS et la directive sur le détachement des travailleurs
- Le champ d’application et la définition des groupes de travailleurs concernés sont beaucoup trop larges.
- Pas de restriction pour certains secteurs – lien avec le travail intérimaire
- L’alignement sur la directive relative au détachement des travailleurs est inacceptable – Un travailleur faisant l’objet d’un TIE doit bénéficier du même salaire et des mêmes conditions de travail qu’un travailleur local effectuant le même travail ou un travail similaire.
- Pas de restriction concernant le type ou la taille des entreprises qui pourraient recourir à cette directive
- Le principe du pays hôte doit être garanti.
- Il n’a pas été prévu de mécanismes de contrôle appropriés ni de sanctions particulières, ce qui ouvre la porte aux abus et à la fraude.
- Mobilité entre les États membres, le choix du pays où la législation est la plus favorable est possible (forum shopping)
- Il est très problématique d’intégrer les stagiaires dans cette directive étant donné qu’ils peuvent être très vulnérables à l’exploitation et aux pratiques abusives, ce qui peut aussi aboutir à une concurrence déloyale.