Bruxelles, 06/03/2007
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d'inaugurer cette conférence. Permettez-moi de remercier le CESE pour l'aide qu'il a apportée à l'occasion de cet événement.
Cette conférence arrive au moment opportun, en vue du Sommet de printemps qui aura lieu dans deux jours et où les chefs d'Etat seront invités à prendre des décisions majeures sur la base des propositions de la Commission contenues dans le "paquet Energie et climat" publié récemment par la Commission.
1. L'Union européenne est manifestement au milieu du gué. Les citoyens de l'UE et les décideurs européens sont bien conscients du fait que notre modèle énergétique actuel ne peut être conservé à long terme. En très peu de temps, à savoir les 2 dernières années, nous avons été confrontés de manière très concrète aux divers risques liés à nos choix énergétiques:
- premièrement, la décision de la Russie de couper l'approvisionnement en gaz à destination de l'Ukraine en décembre 2005 (et donc de l'Europe occidentale) a attiré l'attention des décideurs sur la sécurité de l'approvisionnement énergétique et les énormes conséquences potentielles qu'elle pourrait avoir pour les consommateurs individuels et industriels. Cet événement nous a rappelé que l'UE est une région de plus en plus dépendante en énergie. Les prix facturés par nos fournisseurs extérieurs sont un facteur essentiel pour les consommateurs de l'UE, et ce sont souvent les prix du marché mondial, comme dans le cas du pétrole et de plus en plus dans le cas du gaz et du charbon.
- deuxièmement, la Commission a reconnu récemment que la libéralisation des marchés de l'électricité et du gaz n'a pas tenu ses promesses. A proprement parler, la plupart du temps, elle a conduit à remplacer les monopoles publics par des monopoles privés. En outre, la suppression des prix réglementés s'est traduite par des prix énergétiques plus élevés et a donné lieu à de grandes incertitudes concernant les investissements dans le secteur énergétique;
- enfin, l'utilisation intensive de combustibles fossiles depuis le début de la révolution industrielle s'est traduite par l'accumulation de gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un rythme sans précédent, qui provoquera des dégâts très graves et peut-être irréversibles à nos sociétés si rien n'est fait pour renverser la tendance actuelle. En fait, jusqu'à la fin des années 1980, nous avons eu tendance à penser que le "développement" était synonyme de "développement de la production d'énergie". Cette situation a conduit à l'augmentation constante de la consommation d'énergie en Europe. La priorité accordée actuellement au changement climatique ne devrait cependant pas masquer les autres risques liés à l'énergie, le plus grand étant les déchets nucléaires.
Dans l'avenir, nous ne pouvons exclure les risques de conflit résultant d'une concurrence accrue pour l'accès à des ressources énergétiques rares.
2. Il faudrait se demander qui paie réellement l'échec de notre modèle énergétique. Les travailleurs paient incontestablement une part disproportionnée de la facture.
• D'abord en tant que travailleurs. En raison essentiellement de la libéralisation, de la privatisation et de la restructuration du secteur de l'énergie, nous estimons que 300.000 travailleurs au moins ont disparu de l'industrie énergétique, et le nombre d'emplois menacés est encore plus important; la sous-traitance et la pression sur les conditions de travail ont augmenté.
- Dans l'industrie, qui est une grande consommatrice d'énergie, l'impact de l'augmentation des prix est suffisamment grave que pour contraindre certains à commencer à interrompre leurs activités et à envisager de se délocaliser dans d'autres parties du monde.
- En tant que consommateurs, ils ont subi les conséquences de l'augmentation de la facture énergétique.
- En tant que citoyens et contribuables, ils ont perdu le contrôle d'un secteur stratégique qui procure des revenus au budget public, à dépenser dans l'intérêt général.
Moins d'emplois, plus de factures, moins de contrôle démocratique, tel est en résumé l'impact de la politique énergétique sur les travailleurs.
3. Du point de vue de la Confédération européenne des syndicats, les défis les plus urgents qui nous attendent sont de trois ordres:
- nous devons trouver une solution à la dimension du marché intérieur de manière pragmatique. Il faut abandonner l'idéologie et la conception théorique de marchés parfaits. Le marché à lui seul n'est pas en mesure de donner le signe économique adéquat pour susciter les investissements substantiels qui seront nécessaires dans la modernisation des centrales énergétiques et dans le réseau électrique, en particulier dans la situation actuelle de sous-capacité. La situation énergétique et environnementale révèle qu'il faut prendre le temps de réévaluer correctement la volonté de libéralisation. Nous avons connu suffisamment d'échecs sur le marché (blackouts, diminution brutale des prix, pertes d'emploi), avant même que la crise de l'énergie ne commence réellement, pour évaluer la situation à nouveau.
- Nous devons nous assurer que les obligations de service public sont pleinement respectées et que l'accès à l'énergie et au chauffage pour tous est assuré. Les services publics de qualité élevée sont une composante essentielle du modèle économique et social européen. La libéralisation a remis en question les systèmes d'obligations du service public qui existaient à ce jour. Il convient de réexaminer les performances des nouvelles sociétés d'énergie afin d'avoir l'assurance que les consommateurs et les régions les plus vulnérables ne sont pas défavorisés et que l'accès à l'énergie pour tous n'est pas limité.
Je profite de cette occasion pour vous faire savoir que la CES a lancé une pétition à l'échelle européenne, demandant à la Commission européenne de prendre des mesures afin de protéger et de renforcer les services publics, qui sont essentiels pour le bien-être de tous les citoyens européens.
- L'Europe doit aboutir à une "juste transition" vers une économie pauvre en carbone. Les travailleurs ainsi que les consommateurs veulent tous une économie forte et un environnement propre. Il est vrai que certaines approches en matière de climat et de politique énergétique peuvent porter atteinte à la croissance économique et conduire à des conflits d'intérêt. Mais nous savons que des politiques bien conçues et négociées peuvent bénéficier à l'emploi et à l'économie et contribuer à préserver la compétitivité des industries grandes consommatrices d'énergie. En ce qui concerne l'impact des politiques d'atténuation des effets du changement climatique sur la compétitivité des industries grandes consommatrices d'énergie, il faut éviter les analyses et les conclusions simplistes. Trois grandes pressions sont exercées sur ces industries en termes de prix, Kyoto n'étant que l'une d'entre elles: le fonctionnement du marché intérieur de l'énergie, la mondialisation, et la réglementation environnementale.
4. Si l'approche européenne échoue, les politiques nationales risquent de prévaloir, ce qui aura des effets durables sur la santé des industries européennes et de leurs salariés, sur les consommateurs vulnérables, et augmentera le coût de l'ajustement environnemental.
La CES soutient l'idée que j'ai avancée dans le Groupe de haut niveau sur la compétitivité, l'énergie et l'environnement - et renforcée par Jacques Delors, l'ancien Président de la Commission européenne - en faveur d'un nouveau Traité sur l'énergie et l'environnement, sur le modèle de la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Il pourrait revêtir la forme d'exigences environnementales, de stratégies de maintien des approvisionnements en temps de crise, d'investissements harmonisés, d'un effort massif en faveur de la R&D, d'une participation des entreprises et des syndicats, et d'un fonds social spécifique. Le fonds d'ajustement à la mondialisation est une première étape. Il faut déterminer la manière d'élargir le champ d'application et les attributions de ce fonds afin d'anticiper le changement climatique.
Les industries énergétiques et leur main-d'oeuvre étaient présentes au début de l'expérience européenne qui a commencé après la Deuxième Guerre mondiale. Il ne s'agissait pas seulement des travailleurs des industries du charbon et de l'acier siégeant en nombre égal au Comité consultatif de la CECA conjointement avec des représentants des employeurs, mais aussi des représentants des industries transformatrices, telles que la production d'électricité. De même, les mécanismes de consultation et de codétermination des industries du charbon et de l'acier ont souvent été mieux conçus qu'ailleurs, aux plans national et local. Le premier dialogue social au niveau européen a également commencé là.
Ce chapitre particulier de l'histoire européenne est remis en question car le monde est confronté à une nouvelle période de changement mondial rapide. Le modèle social européen présente de nombreux points forts et il doit lui aussi pouvoir s'adapter au rythme du processus de changement, et se réadapter de manière à jouer un rôle à part entière dans la gestion du changement.
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En conclusion, nous devons admettre que personne n'a de réponses aux questions énergétiques vastes et complexes auxquelles l'Europe est confrontée, jusqu'à présent. D'une certaine manière, les réponses ne pourront être trouvées que grâce à un processus commun, impliquant les Etats membres, les institutions européennes et les partenaires sociaux (l'industrie et les syndicats) ainsi que le reste de la société civile. C'est la raison pour laquelle nous vous avons invités aujourd'hui à échanger des expériences et des points de vue, dans le cadre de ce qui sera, je l'espère, un débat fructueux.
Mesdames et Messieurs, il ne me reste plus qu'à remercier tous ceux qui ont accepté de contribuer à cette conférence, et ceux d'entre vous qui se sont déplacés pour assister à cette conférence.