Dublin, 05/06/2013
Seul le texte prononcé fait fois
Cher(e)s ami(e) s,
Depuis le congrès d’Athènes nous avons été plongés de plus en plus profondément dans une crise à dimension multiple : crise économique, crise sociale, crise politique et crise financière.
Depuis le congrès d’Athènes, la confédération européenne des syndicats s’est battue et s’est battue d’une seule voix - pour mettre les intérêts des travailleurs au centre des initiatives prises pour résoudre la crise. Nous l’avons fait, en ligne avec le manifeste d’Athènes, et avec la certitude absolue que notre voix devait être forte et entendue, vu l’urgence et l’ampleur de ces crises.
Nous sommes unis contre une politique économique qui aurait pu nous diviser, contre une politique néolibérale dont le résultat, le résultat sinon l’objectif, est d’affaiblir, voire de détruire le modèle social européen.
Et c’est vraiment tous ensemble que nous avons mis sur la table notre contrat social pour l’Europe et que nous avons défini ce que, à notre avis, devrait être la dimension sociale de l’Europe.
Nous constatons et nous avons constaté la cacophonie qui existe au niveau européen. Nous constatons également la grande faiblesse politique qui existe au niveau européen. A la fin des derniers Conseils européens, on a annoncé des grandes initiatives en grande pompe et quelques jours après, on s’est rendu compte que ces décisions étaient remises en questions et que les choses n’avançaient pas. Je pense que le problème de cette faiblesse politique est un problème dont nous souffrons énormément. Mais le syndicalisme européen a tenu et tenu solidement le cap qui a été pris à Athènes.
Pour nous, il n’y a pas de pays « périphérique ». Pour nous il n’y a pas le Sud, le Nord, l’Est et l’Ouest. Il y a un mouvement syndical européen et nous ne devons pas sous-estimer ce succès-là.
Je pense que nous avons aussi réussi à commencer à ébranler – je suis prudente - les affirmations péremptoires sur les vertus de l’austérité. Nous avons toujours dit que l'austérité ne relancerait pas l'économie, au contraire. Nous avons toujours dit que derrière l'austérité se cachait une politique néo-libérale; et nous avions raison.
Nous avons été confortés par des économistes pris en flagrant délit de tromperie. Ils voulaient soi-disant scientifiquement faire passer une certaine politique. Je fais bien sûr allusion à M. Rogoff et Reinhart. Le FMI a lui aussi admis qu’il fallait changer et le FMI n’est pas une organisation tentée par des idées progressistes. Mais je pense que ce n’est ni Rogoff, ni le FMI qui font un peu évoluer les discours – je dis bien les discours ; pas encore les actes.
Ce qui fait évoluer les discours, c’est la déstabilisation sociale qui est provoquée par un chômage massif, par l'augmentation de la pauvreté et des inégalités. Je voudrais ici vous donner quelques chiffres:
Il y a en Europe, à l’heure actuelle, 26.5 millions de chômeurs. Ce qui représente 12.2% de la population active.
En 2007, nous étions à 7% et début 2011, avant la deuxième récession, nous étions à 10%. Le problème du chômage augmente de mois en mois.
Chômage des jeunes : presque 6 million des jeunes sont au chômage avec des taux qui atteigne en Grèce 62% (chaque fois que j’ai un nouveau taux pour la Grèce, il est plus élevé), en Espagne 52%, en Italie et au Portugal 40%.
Un rapport récent de l’OCDE montre que les inégalités ont augmenté entre 2007-2010. Ce qui est plus que pendant les 12 années précédentes et ce rapport mentionne par exemple qu’en Espagne le revenu des 10% les plus pauvres a diminué de 15%. On a aussi un gros problème avec tous les hommes et les femmes qui sont en risque de pauvreté ou qui sont dans un état de grande déprivation. Il y a 4 millions en plus de personnes qui sont en risque de pauvreté ou de grande déprivation.
Politiquement et socialement, l'augmentation du chômage, de la pauvreté et des inégalités n'est pas tenable. Je lisais un rapport de l’OIT qui nous indique qu’à l’heure actuelle c’est en Europe que le risque de déstabilisation sociale est le plus élevé. Je pense que c’est vraiment le moment pour nous, aujourd’hui, d’imposer notre vision de l’Europe sociale. D’imposer l’idée que si les hommes et les femmes, les travailleurs et les travailleuses, les citoyennes et leur famille ne passent pas avant les marchés, le projet européen se sabote, et il faut que nous nous mobilisions pour que les propositions concrètes - celles que nous faisons - s’imposent aux leaders politiques.
Trois de ces propositions s’alignent en tête de nos exigences.
- Il faut arrêter l’austérité. Je n’ai pas besoin de développer ce point.
- Il faut un programme massif d’investissement pour la croissance soutenable et pour l’emploi.
- Il faut développer le dialogue social, un dialogue social solide à tous les niveaux.
Ces trois exigences sont aujourd’hui sur la table. Elles montrent la maturité de la CES et sa volonté de sortir de la crise par le haut.
Arrêter l’austérité : nous avons des signaux encourageants qui apparaissent mais le problème est que ces signaux sont accompagnés de conditions ; conditions sur des réformes souvent unilatérales non négociées et qui affaiblissent les conditions de travail et de salaires des travailleurs. Et nous demandons toujours quelles réformes contre qui, avec qui, pour qui et pourquoi ces réformes. Nous savons qu’affaiblir la protection des travailleurs, affaiblir la protection des conventions collectives ne va pas créer des emplois. Et cela, nous ne devons pas cesser de le répéter. C’est pour cela que nous avons et que nous demandons un plan de relance de l’économie.
Nous disons que ce plan d’investissement devrait être égal à 1 à 2% du PIB de l’UE. Cette proposition était incluse dans notre contrat social, et aussi dans notre position sur la dimension sociale de l’Union européenne mais c’est vrai que cette demande mérite d’être précisée.
Le DGB a présenté un document sous le titre « Un Plan Marshall pour l’Europe », qui est un document remarquablement détaillé qui circule déjà depuis quelques temps en Europe et qui a été étudié au sein de la CES.
D'autres confédérations, d’autres collègues ont fait des propositions quant au financement d'un tel plan d'investissement. Il est important que la CES fasse une proposition commune sur la manière de financer les investissements. Le travail a déjà commencé et, aidés par l'Institut syndical, nous comptons présenter une première approche au Comité exécutif d'octobre.
J’ai également demandé à l’Institut syndical de constituer un think tank des économistes européens. L’objectif sera de donner plus de force concrète à nos positions et d’ouvrir la discussion pour nous permettre d’avoir des propositions à court, moyen et long terme.
Cher(e)s collègues, cher(e)s ami(e)s, nous avons organisé cette conférence pour que vous puissiez tous avoir le temps de parler et de donner votre avis. Je crois que c’est très important à ce stade de notre travail. Au cours de la première session, les panelistes et vous, dans la salle, aurez l’occasion de vous exprimer sur l’évolution de la CES dans les mois et les années à venir. Qu’attendez-vous ? Jusqu’où voulons-nous aller ? Quels moyens et quels engagements voudriez-vous prendre à l’égard de la CES ? Car la CES sans vous n’est rien, et avec vous, elle pourrait être beaucoup plus.
Que pouvons-nous faire ? Voulons-nous nous mobiliser ? Comment ? Quelle forme de mobilisation voulons-nous ou pouvons-nous avoir ? Nous savons tous ici que le processus de gouvernance économique, un projet de relance de l’économie et de l’emploi va de pair avec plus d’Europe et pas moins d’Europe. On parle maintenant de réunions de l’Eurogroupe mensuelles, et même d’un président permanent. Franchement, je ne suis pas sûre qu’un président permanent de l’Eurogroupe soit la solution à nos problèmes.
Jacques Delors disait: Ne m'appelez pas président, il y en a déjà trop. Peu importe qu’il y en ait un de plus. Ce n’est pas là que nous trouverons la solution à nos problèmes.
Nous avons cependant entendu que cet Eurogroupe serait chargé de travailler à l’harmonisation (je pèse mes mots) des politiques budgétaires et sociales. J'insiste sur les mots" budgétaires et sociales". Et c'est très significatif du lien étroit, du lien en fait intrinsèque entre les politiques budgétaires et les politiques sociales.
Bien sûr, cette information mérite d’être prise avec précaution, mais il n’en reste pas moins vrai que la gouvernance économique dans la zone euro va aller en s’accroissant. Par conséquent, le syndicat européen va devoir se renforcer, parce que ce qui sera dit et ce qui sera fait dans le cadre de l’économie et de la politique monétaire va de plus en plus avoir des répercussions et des conséquences sociales directes et importantes sur les travailleurs que nous représentons et y compris des conséquences sur leurs salaires. Pour la CES, se pose et se posera la question du rôle du dialogue social. Allons-nous aller au-delà d’accords intéressants mais limités, pour une implication plus sérieuse dans la gouvernance économique européenne ? C’est une question. Et si oui, à quelles conditions ? Comment essayer d’avoir un impact fort sur la gouvernance économique européenne, tout en gardant intacte, et même en promouvant l’autonomie des partenaires sociaux au niveau national et toutes leurs prérogatives en matière salariale ? La CES peut-elle aider les syndicats à s’engager dans un dialogue sans se faire embrigader dans des politiques qu’ils ne veulent pas et que nous ne voulons pas soutenir ?
Mes cher(e)s ami(e)s, nous sommes quand même dans une situation de relative faiblesse par rapport au dialogue social parce que le contexte économique dans lequel nous nous trouvons est tout à fait favorable aux employeurs qui sont en face de nous. Quand ces derniers veulent la dérégulation et la baisse des salaires, c’est exactement ce qu’ils entendent de la part des institutions européennes.
Les employeurs devraient pourtant comprendre que l’austérité ne va plus fonctionner pour eux bien longtemps. Parce que l’austérité c’est aussi une baisse de l’activité, c’est aussi la fermeture des entreprises.
Pour un dialogue constructif, il faut certainement être 2, voire dans certain cas 3 pour trouver des solutions équilibrées. Nous savons quels efforts sont faits dans certains pays à cet égard. Nous savons quels ont étés les efforts faits en Irlande et je pense que c’est une question qui risque de se poser à la CES dans les mois et les années à venir. Dans une Europe de plus en plus intégrée, la question de la solidarité se pose et se posera avec force.
Dans son intervention, David Begg nous a donné quelques exemples de solidarité syndicale. Je pense qu’il faut bien se rappeler que cette solidarité entre les syndicats ne devrait pas rester seulement un mot. Nous avons comme travailleurs, comme syndicats une responsabilité de solidarité entre nous pour une justice sociale. Mais le concept de solidarité est aussi un concept économique parce que clairement nous devons aider les autres pour nous aider nous-mêmes. Cette idée que nous sommes tous dans le même bateau et que les pays qui sont moins en difficulté à l’heure actuelle sont également concernés par cette crise qui est entrain de vider de sa substance le modèle social européen est une idée qui doit nous être très chère et que nous devons passer au travailleurs que nous représentons.
Aujourd’hui la solidarité devrait rimer avec eurobonds, avec des projets financés communautairement, un programme de relance de l’économie, une augmentation des fonds sociaux européens et donc un budget communautaire plus important. C’est pourquoi nous avons décidé de parler de la question de la solidarité dans le deuxième panel.
Mais être solidaire, c'est aussi pour moi, refuser le dumping salarial, la concurrence entre les travailleurs sur les salaires et les conditions de travail. Or cette concurrence vers le bas, ce dumping est quelque chose que nous voyons se développer dans tous les pays européens qu’ils soient du Nord, du Sud, de l’Est ou de l’Ouest. Être solidaire, c'est aussi nous mettre ensemble pour nous battre contre ce dumping salarial, contre ce dumping sur les conditions de travail et contre la concurrence fiscale qui existe actuellement chez nous. On sait ce qui s’est passé entre la France et la Belgique : les riches français qui vont émigrer en Belgique pour payer moins de taxes. On connait aussi les problèmes qu’il y a à cause de la concurrence de la taxation des entreprises. Je pense que la solidarité passe aussi par plus de justice fiscale au niveau européen.
L’intégration européenne doit nous mener - c’est pour ça que nous avons choisi d’avoir un panel à ce sujet - à des minima sociaux. Pourquoi ? Parce que, sans des minima sociaux, nous sommes certains que les inégalités vont augmenter, et qu’au lieu de progrès social, nous aurons des différences sociales de plus en plus importantes. Bien sûr, ces minima doivent rester des minima. Ils ne doivent pas vous bloquer dans vos négociations salariales mais ils pourraient certainement aider à améliorer la situation des travailleurs dans de nombreux pays européens.
Je pense en particulier ici aux nouveaux pays membres de l’Union européenne, à des pays de l’Europe centrale dont le salaire minimum est tellement bas qu’on peut parler d’un salaire de vraie pauvreté. Être solidaire veut aussi dire pour nous que nous n’accepterons pas que soient rapatriées au niveau national les politiques sociales. Je m’adresse ici en particulier à nos collègues britanniques qui ont à faire à un gouvernement extrêmement dangereux dont l’objectif est de rapatrier les politiques sociales européennes au niveau national pour pouvoir bénéficier d’une Europe de libre marché pendant que d’autres auraient des encombrements sociaux qu’ils devraient respecter.
Je pense que la solidarité pour nous est aussi de dire que nous ne pouvons pas accepter une Europe qui ne serait pas sociale pour tous les membres de l’union européenne.
Cette idée de minima sociaux a beaucoup disparu du radar. Je pense que la CES doit préciser son point de vue. Quels sont les minima que nous devrions-nous promouvoir ? Pourrait-il y avoir un cadre européen pour promouvoir la négociation ? Pouvons-nous avoir une position plus précise sur le revenu minimum que nous aimerions avoir au niveau européen. Nous savons qu’à l’heure actuelle, il y a sur la table du conseil des propositions concernant des revenus minima qui devraient être promus au niveau européen. Je pense que nous devrons réfléchir à la manière de développer ceci en fonction bien sûr de nos politiques sur le salaire minimum qui doivent, comme nous l’avons dit à plusieurs reprises, respecter la négociation collective et respecter tous ses minima qui sont fixés par convention collective.
Je voudrais terminer cette intervention sur deux notes : l’une inquiète, l’autre stimulante.
Je vois, avec grand inquiétude, se développer des réactions et des politiques anti-européennes ; et il est vrai qu’il y a une Europe que nous ne pouvons pas soutenir : celle qui tue ou tuerait notre modèle social. Nous refusons une Europe qui rapatrierait les droits sociaux au niveau national, parce que cela nous mettrait en concurrence absolue.
Mais nous devons aussi être clairvoyants et savoir dire et expliquer que le retour au niveau national n’est pas une solution. C’est un piège économique, politique et social. Dans un monde globalisé, il n’y a de solution pour l’emploi que dans une région européenne économiquement et socialement unie.
Je suis inquiète parce que je crains que les élections européennes de 2014 ne nous mènent dans un sens opposé, si nous n’y prenons pas garde. Nous avons un rôle à jouer dans cette élection. Un Parlement européen encore plus à droite serait, pour cinq années, un obstacle majeur à nos exigences. Je suis très inquiète de la monté du populisme en Europe qui nous conduirait à de tels résultats.
Finissons par la note stimulante : je pense que nous ne devons pas nous sous-estimer. C’est vrai que le syndicalisme a vu ses effectifs baisser mais je me félicite d'apprendre que le nombre de membres du TUC a augmenté et je pense évidemment qu’il faut développer en priorité la base de nos membres syndiqués, mais nous restons un mouvement structuré, responsable, revendicatif, et, je le souligne, un mouvement indispensable à la démocratie. Nous le savons, un certain nombre de politiciens le savent. Ils savent que si le syndicalisme européen venait à être lâché alors la situation serait vraiment très grave. Nous devons absolument utiliser toutes nos ressources pour faire valoir et activer ce réseau incroyable que nous représentons et qui je pense n’a été encore que bien trop peu utilisé.
C’est sur cette note que je voudrais terminer mon intervention. Cette conférence vous est ouverte pour un échange sur tous ces sujets pour que nous poussions démarrer les deux prochaines années qui nous reste avant le prochain Congrès sur des propositions et un dynamisme renouvelés .Je vous remercie pour le soutien que j’ai eu de votre part au cours de ces deux années. Deux années qui ont pu être difficiles mais pendant lesquelles je ne me suis jamais ennuyée (ça, je vous le garantis). Deux années difficiles pour le syndicalisme, deux années difficiles pour la CES mais deux années absolument cruciales pour notre avenir, pour l’avenir du syndicalisme et pour les travailleurs que nous représentons.
Merci.