Réponse de la CES à la deuxième phase de consultation des partenaires sociaux au titre de l’article 154 du TFUE sur une éventuelle action visant à relever les défis liés aux conditions de travail dans le cadre du travail via des plateformes
Résolution adoptée lors de la réunion extraordinaire du Comité Exécutif du 9 septembre 2021
Principaux messages
Ce document complète la réponse de la CES à la première phase de consultation des partenaires sociaux au titre de l’article 154 du TFUE sur une éventuelle action visant à relever les défis liés aux conditions de travail dans le cadre du travail via des plateformes, qui a été adoptée par le Comité exécutif de la CES en mars 2021 et soumise à la Commission européenne.
La CES appelle la Commission à proposer une directive ambitieuse basée sur l’article 153 (2) du TFUE qui prévoit une présomption réfragable de salariat où la charge de la preuve devrait être supportée par l’entreprise (l’entreprise de plateforme) et qui doit respecter les traditions et pratiques nationales et l’autonomie des partenaires sociaux.
La CES s’oppose fermement à la création d’une troisième catégorie différenciant les travailleurs et les indépendants. Le champ d’application personnel de la proposition devrait englober tous les travailleurs, y compris les travailleurs atypiques, notamment ceux qui travaillent via des plateformes, ainsi que les entreprises de plateforme numériques opérant dans l’UE.
Les entreprises de plateforme doivent respecter leurs obligations en matière de travail, de protection sociale et de fiscalité en tant qu’employeurs, y compris les accords sectoriels négociés dans le cadre de négociations collectives par les partenaires sociaux. En outre, les entreprises de plateforme doivent être soumises aux mêmes règles que les autres entreprises dans les situations transfrontalières.
Une présomption de salariat avec un renversement de la charge de la preuve (du travailleur vers l’employeur) n’affectera pas le modèle économique des entreprises de plateforme opérant avec de véritables travailleurs indépendants, après validation de la relation du côté de l’entreprise de plateforme vers l’organe administratif ou judiciaire ad hoc compétent.
Le rôle des syndicats et de la négociation collective est essentiel lorsqu’il s’agit d’organiser le travail via des plateformes et de défendre les droits et les intérêts de ses travailleurs. L’UE devrait encourager les États membres et les partenaires sociaux à stimuler le dialogue social dans le cadre du travail via des plateformes et à soutenir le renforcement des capacités dans ce contexte.
En ce qui concerne les nouveaux droits liés à la gestion algorithmique, la négociation collective entre les partenaires sociaux joue un rôle clé dans la conception et la mise en œuvre de la réglementation concernant le contrôle démocratique et la transparence de l’algorithme, ainsi que la protection des données des travailleurs. La surveillance algorithmique des travailleurs devrait être interdite.
I. Quel est votre avis sur les objectifs spécifiques d’une éventuelle action de l’UE exposés à la section 5.1 ?
La CES est d’accord avec l’objectif général de la Commission européenne de garantir des conditions de travail décentes aux personnes travaillant par l’intermédiaire de plateformes. La CES salue également les références au socle européen des droits sociaux, qui devrait être la boussole de la politique européenne et de l’action législative dans les domaines sociaux et de l’emploi.
Comme indiqué dans la réponse précédente, la CES s’oppose fermement à toute notion du travail via des plateformes comme une forme de travail distincte qui nécessite des règles distinctes en matière d’emploi ou de sécurité sociale. En fin de compte, la nécessité de protéger les travailleurs des entreprises de plateforme se résume à une question d’application et d’égalité de traitement. Des règles spécifiques sont nécessaires pour faciliter l’identification des entreprises de plateforme en tant qu’employeurs et l’application de leurs obligations d’employeurs. Les travailleurs des entreprises de plateforme devraient bénéficier des mêmes droits et de la même protection en matière d’emploi que tout autre travailleur. À titre d’avertissement, la CES fait référence aux « travailleurs des entreprises de plateforme » et non aux « travailleurs de plateforme » afin d’éviter de créer le malentendu que nous faisons référence à une catégorie unique de travailleurs pour laquelle une législation du travail spécifique devrait être promulguée. Cette confusion donnerait naissance à une troisième catégorie de travailleurs, à laquelle la CES s’oppose.
Le document de consultation de la Commission européenne définit les entreprises de plateforme de travail numérique comme une « une entreprise privée basée sur l’internet, exerçant un contrôle plus ou moins fort, qui sert d’intermédiaire pour la fourniture de services à la demande sollicités par des clients particuliers ou professionnels et fournis directement ou indirectement par des personnes, que ces services soient effectués sur site ou en ligne ». Cependant, dans cette réponse à la consultation, la CES vise à aborder les entreprises de plateforme numériques de travail, mais pas les places de marché numériques, les moteurs de recherche ou les médias sociaux. Les entreprises de plateforme de travail sont des plateformes en ligne qui permettent aux individus, organisations ou entreprises d’entrer en contact avec d’autres individus qui fournissent des services en échange d’une rémunération. Les entreprises de plateforme de travail sont en fait des entreprises qui peuvent être classées comme employeurs, agences (de travail temporaire) ou intermédiaires, et qui tentent trop souvent d’éviter cette classification et, par là, l’applicabilité du droit du travail ordinaire.
Bien que la CES soit d’accord avec l’objectif général, lorsqu’elle entre dans le détail des conditions de travail, la Commission fait référence à une contribution à des « conditions de travail plus équitables ». Cette phrase pourrait être trompeuse car elle pourrait simplement représenter une amélioration mineure de la situation actuelle. Aucune référence n’est faite, entre autres, à la nécessité d’offrir des salaires décents aux travailleurs des entreprises de plateforme, qui devraient être réglementés soit par la législation nationale, soit par la négociation collective.
L’analyse de la Commission européenne et les éventuels objectifs spécifiques proposés ne font pas ressortir la nécessité de reconnaître comme employeurs les entreprises de plateforme, qui ont la fonction d’employeur lorsque la présomption s’applique. Les entreprises de plateforme devraient être responsables de leurs obligations légales en matière de travail, d’impôt sur le revenu, de financement de la protection sociale, de responsabilité en matière de santé et de sécurité, de diligence raisonnable et de responsabilité sociale des entreprises. Toute démarche visant à classer les travailleurs des entreprises de plateforme en tant qu’employés sans aborder la question de la responsabilité des employeurs deviendrait un exercice boiteux qui prévoirait la création d’intermédiaires fictifs entre les travailleurs et l’entreprise de plateforme, qui a la fonction d’employeur lorsque la présomption s’applique et l’impossibilité d’exercer le droit des travailleurs à négocier collectivement avec leurs employeurs, entre autres ruses imaginées par les entreprises de plateforme.
Tout en ne s’opposant pas à l’utilisation des entreprises de plateforme en tant que telles, la CES conteste la déclaration de la Commission européenne concernant la création d’emplois. Sans chercher à confronter les travailleurs des entreprises de plateforme à d’autres groupes sur le marché du travail « traditionnel », l’augmentation des travailleurs par l’intermédiaire de plateformes dans un secteur particulier de l’économie devrait être considérée dans un contexte plus large où l’emploi supprimé dans le secteur traditionnel de référence est considéré, où l’emploi est souvent stable et avec de bonnes conditions de travail. Il convient également de prendre en considération l’aspect du manque de qualité de l’emploi dans les entreprises de plateforme. Dans le même temps, les effets négatifs sur la rémunération horaire au sein du secteur, qui touchent à la fois les nouveaux travailleurs des entreprises de plateforme et les travailleurs employés sur le « marché du travail traditionnel », doivent également être pris en compte.[1] En règle générale, les revenus des travailleurs des entreprises de plateforme sont affectés par le temps passé à effectuer des tâches non rémunérées et varient selon les différents types d’entreprises de plateforme.
Un autre argument, souvent présenté lorsqu’on loue le potentiel des entreprises de plateforme sur le marché du travail, est leur capacité à faciliter la transition vers le marché du travail, notamment pour les groupes victimes de discrimination. Les jeunes et les travailleurs migrants sont effectivement surreprésentés parmi les travailleurs des entreprises de plateforme. Cependant, cette catégorie de travailleurs est surreprésentée dans le secteur des bas salaires. Le fait même qu’on les y trouve ne prouve donc pas que les barrières à l’entrée sont moins élevées (comme une discrimination réduite) dans le secteur des plateformes.[2] Si certains emplois de plateforme peuvent effectivement offrir un emploi avec moins d’obstacles, ce qui est bénéfique pour les travailleurs qui ont des difficultés à entrer sur le marché du travail, ces travailleurs ne méritent pas moins de protection sur le marché du travail que les autres travailleurs. S’il existe des barrières à l’entrée, elles doivent être supprimées pour permettre l’accès à des emplois de bonne qualité et l’intégration du groupe de travailleurs exclus. La discrimination peut également jouer un rôle à travers l’utilisation de notations pour évaluer les travailleurs — car il existe un parti pris clairement documenté contre les minorités dans les notations. Le modèle de concurrence féroce propulsé par l'utilisation des classements et du revenu variable a conduit à l'appauvrissement des travailleurs des entreprises de plateforme, les obligeant à travailler dans des conditions précaires. Tous les travailleurs employés par l’intermédiaire de plateformes devraient bénéficier de normes de travail décentes et d’un traitement égal, indépendamment de leur nationalité, de leur résidence ou de leur statut migratoire. La CES soutient l’innovation et la création de nouvelles entreprises. Toutefois, cela devrait toujours se faire dans le respect total des droits de l’homme et, par conséquent, de la législation du travail (y compris la législation sur la sécurité et la santé au travail). L’innovation ne peut être stimulée au détriment des droits des travailleurs.
La CES accueille favorablement la proposition de la Commission européenne visant à garantir que les travailleurs des entreprises de plateforme ont — ou peuvent obtenir — le statut légal d’emploi correct compte tenu de leur relation avec les entreprises de plateforme et qu’elles ont accès aux droits associés en matière de travail et de protection sociale. La CES souhaite mettre un terme à la classification erronée des travailleurs, qui les prive de leurs droits. Nous ne pouvons ignorer le fait que la législation sur la protection du travail est une condition préalable nécessaire à l’accès à la protection sociale, à l’accès à l’apprentissage tout au long de la vie et à la prévention des risques professionnels. Les travailleurs des entreprises de plateforme sont généralement exclus du champ d’application de cette législation relative aux principes fondamentaux des systèmes juridiques nationaux en matière d’emploi.
Il convient de rappeler que l’un des arguments utilisés par les entreprises de plateforme dans leurs stratégies de défense est que l’hétérogénéité des entreprises de plateforme est si grande qu’une solution unique ne serait pas possible. La CES s’oppose fermement à cet argument fallacieux. Le droit du travail et/ou le dialogue social ont traditionnellement été capables de réglementer des formes et des modèles de travail hétérogènes (du travail à temps partiel au travail à domicile, en passant par le travail intérimaire) sur la base de principes réglementaires communs, d’institutions juridiques communes et d’un ensemble de droits largement applicables de manière universelle. Par exemple, elle a traité efficacement les formes prémodernes de travail « à la demande » et occasionnel (par exemple, le travail dans les docks) et s’est avérée efficace pour les décasualiser et les réglementer. Le droit communautaire a également fait face à l’urgence du « travail atypique » dans les années 1990 en le réglementant sur la base du modèle de droits conçu pour les formes d’emploi standard (et du principe d’égalité de traitement). Il n’y a rien de structurellement nouveau dans le « travail via des plateformes » (dans ses nombreuses manifestations) qui empêcherait les principes généraux du droit du travail existants et, dans certains cas, les conventions collectives, de réglementer ce phénomène social. Il convient également de noter que, dans la plupart des cas, les tribunaux ont classé les personnes travaillant dans des entreprises de plateforme comme des travailleurs, après avoir examiné les circonstances prévalentes. Comme cela est expliqué plus en détail ci-dessous, les entreprises de plateforme qui fonctionnent avec de véritables travailleurs indépendants devraient avoir la possibilité de continuer à le faire après avoir prouvé par une procédure administrative ou judiciaire que les conditions sont remplies.
Concernant le contrôle démocratique et la transparence de l’algorithme, ainsi que la protection des données des travailleurs, un rôle clé dans la détermination et la mise en œuvre de la réglementation doit être joué par la négociation collective entre les partenaires sociaux. En outre, ces points doivent être discutés par l’intermédiaire de l’information, de la consultation et de la participation des travailleurs dans le plein respect des principes de non-discrimination. La CES approuve donc l’objectif spécifique de garantir l’équité, la transparence et la responsabilité dans la gestion algorithmique.
La CES soutient la nécessité d’entreprendre d’autres recherches scientifiques indépendantes concernant les développements des entreprises de plateforme et la nécessité pour les autorités nationales et européennes de suivre les opérations des entreprises de plateforme afin de garantir leur respect des obligations en matière de travail et de fiscalité. Cette recherche ne devrait pas empêcher les organes directeurs européens de prendre des mesures législatives urgentes.
II. Que pensez-vous des possibilités d’action de l’UE présentées à la section 5.2 du présent document ?
La CES déclare qu’une éventuelle initiative européenne devrait être conçue dans le plein respect de l’autonomie des partenaires sociaux. En ce qui concerne le champ d’application personnel des travailleurs et des employeurs (entreprises de plateforme), la CES demande d’élargir le champ d’application de la proposition pour couvrir tous les travailleurs, y compris les travailleurs atypiques[3], notamment ceux qui travaillent dans des entreprises de plateforme, ainsi que des plateformes numériques opérant dans l’UE.
Les instruments non contraignants n’ont, jusqu’à présent, apporté que peu ou pas de protection aux travailleurs des entreprises de plateforme. En outre, il existe un risque que cela conduise à une approche fragmentée dans l’UE. Les solutions aux défis identifiés par la Commission européenne dans la section précédente ne seront mises en pratique que si elles sont réglementées par la législation. Ceci dit, si l’on considère une proposition législative ambitieuse comme base de l’action, la CES estime que des instruments supplémentaires non contraignants peuvent apporter une valeur ajoutée.
Le modèle économique de nombreuses entreprises de plateforme est basé sur le contournement du droit du travail et de la législation sur la protection sociale. Ces modèles économiques basés sur le dumping social permettent une concurrence déloyale avec les entreprises traditionnelles dans chaque secteur. Dès lors, une législation contraignante est nécessaire non seulement pour protéger les travailleurs et les véritables indépendants, mais aussi pour sauvegarder les systèmes de protection sociale européens et garantir une concurrence loyale au sein du marché intérieur de l’UE. Cela est particulièrement important à l’heure où la numérisation évolue et où de plus en plus de secteurs et de professions pourraient être confrontés à une forme de « plateformisation » à l’avenir.
La CES est d’accord avec la déclaration de la Commission européenne selon laquelle toute initiative sur le travail via des plateformes devrait respecter les concepts nationaux concernant le statut de l’emploi, y compris la définition du travailleur (par opposition à une définition européenne du travailleur), tout en tenant compte des principes généraux de la législation européenne et de la jurisprudence établie par la Cour de justice de l’Union européenne. La même retenue devrait s’appliquer à la recherche d’une définition de l’employeur, car cela pourrait à nouveau donner lieu à des ruses juridiques de la part des entreprises de plateforme pour éviter le respect de la législation.
La CES s’oppose fermement à la création d’une troisième catégorie entre les travailleurs et les indépendants, et l’intention de la Commission européenne de ne pas « créer un “troisième” statut d’emploi au niveau de l’UE » est donc bienvenue. Cependant, en plus d’énoncer cette intention, l’initiative européenne devrait viser tous les travailleurs, car limiter le champ d’application aux seuls travailleurs des entreprises de plateforme entraînerait la création de facto d’un troisième statut.
5.2.1. Lutter contre les erreurs de classification dans le statut d’emploi
La CES affirme que le statut d’emploi, qu’il s’agisse d’un travailleur salarié avec un contrat de travail ou d’un indépendant offrant des services, est déterminant pour l’accès à d’autres droits au sein des États membres de l’UE. Nous sommes donc d’accord avec l’analyse de la Commission concernant l’effet de passerelle du statut vers de nombreux droits et protections existants, tant au niveau des États membres que de l’UE. Le document mentionne « le déséquilibre de pouvoir entre les entreprises de plateforme et les personnes travaillant par leur intermédiaire » comme un critère à prendre en compte pour l’établissement d’une présomption réfragable potentielle de salariat. Des critères plus concrets seront toutefois nécessaires pour garantir une large couverture du règlement potentiel. La CES a déjà proposé, dans sa réponse précédente, différentes possibilités pour démontrer la relation de subordination (celles-ci sont également exposées dans ce document). Il est très important qu’il y ait suffisamment de flexibilité sur la façon dont il peut être mis en œuvre dans le droit national. Il est crucial de laisser les États membres utiliser leur code du travail et leurs pratiques actuelles lorsqu’il s’agit de définir les paramètres d’une présomption tout en tenant compte des principes généraux de la législation syndicale et de la jurisprudence établie par la Cour de justice de l’Union européenne.
Dans de nombreux pays, les travailleurs atypiques et les travailleurs des entreprises de plateforme (y compris les indépendants) ne peuvent pas s’organiser légalement en syndicats. Le statut précaire de ces travailleurs est la principale cause de leur crainte de s’organiser collectivement. Le droit d’organisation est donc concrètement violé par des conditions d’emploi précaires, la subordination à un seul employeur, la dépendance économique de faibles revenus et l’absence de protection syndicale ou de protection contre le « licenciement » (qui peut être effectué par une simple déconnexion de la plateforme). Ces dernières années, la CES et ses organisations membres se sont efforcées de syndicaliser ces travailleurs.
La première option identifiée est la présomption réfragable de salariat. La CES appelle à une initiative européenne qui prévoit une présomption réfragable de salariat où la charge de la preuve devrait être supportée par l’entreprise (par exemple, l’entreprise de plateforme), qui devrait respecter ses obligations en matière de travail, de protection sociale et de fiscalité en tant qu’employeur, y compris les accords sectoriels négociés dans le cadre des négociations collectives par les partenaires sociaux.
Les États membres ont des règles différentes pour la présomption de salariat dans leurs codes du travail. Par exemple, au Portugal, l’existence d’une relation de travail est présumée lorsque, dans la relation entre la personne qui fournit une activité et une autre ou ceux qui en bénéficient, deux critères sur une liste de cinq sont remplis et cela s’applique également aux entreprises de plateforme dans le secteur de l’activité de transport de passagers.
Le cas national le plus remarquable en faveur d’une forte présomption de salariat pour les travailleurs des entreprises de plateforme peut être le décret-loi royal espagnol 9/2021, qui étend l’application du Code du travail aux travailleurs des entreprises de plateforme de livraison. La loi, qui malheureusement ne s’applique qu’aux travailleurs des entreprises de plateforme de livraison, établit que « l’activité des personnes fournissant des services rémunérés consistant en la livraison ou la distribution de tout produit ou marchandise, par des employeurs qui exercent les pouvoirs entrepreneuriaux d’organisation, de direction et de contrôle de manière directe, indirecte ou implicite, au moyen d’une gestion algorithmique du service ou des conditions de travail, à travers une plateforme numérique ».
Tout en soutenant le travail des syndicats portugais et espagnols pour mener à bien les accords susmentionnés, la CES rappelle le champ d’application personnel limité de ces lois, qui ne s’appliquent qu’aux travailleurs de l’activité de transport de personnes ou des entreprises de plateforme de livraison. Ces exemples sont présentés pour montrer la faisabilité d’une présomption légale de salariat, cependant un cadre réglementaire européen pour les travailleurs qui devrait couvrir toutes les entreprises de plateforme opérant dans l’UE est nécessaire, entre autres raisons, pour surmonter les lacunes mentionnées ainsi que la fragmentation juridique potentielle au niveau européen.
Au niveau européen, les cas de présomption de salariat sont analysés à travers la directive 2009/52/CE relative aux sanctions et mesures à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, et la directive 2019/1152 relative aux conditions de travail transparentes et prévisibles. Celles-ci, une fois encore, visent à prouver la faisabilité d’une présomption de salariat au niveau européen, mais pour le cas spécifique de la première directive, il convient de rappeler qu’elle ne s’applique pas à l’Irlande et au Danemark.
La législation et la jurisprudence de l’UE soutiennent les éléments permettant de déterminer si une personne est un travailleur ou un indépendant, faisant ainsi abstraction de l’intention de la partie et examinant la conception réelle de la relation de travail.
La CES est d’accord avec la proposition selon laquelle il devrait incomber aux entreprises de plateforme de saisir le tribunal ou l’organe administratif concerné pour prouver que la personne est en fait un indépendant. La présomption d’une relation de travail ferait du statut de salarié le point de départ de la relation de travail et de la relation contractuelle entre les entreprises de plateforme et leurs travailleurs, sauf si elle est réfutée.
La CES s’oppose à l’introduction de procédures administratives visant à établir ou contrôler le statut d’emploi des personnes travaillant dans des entreprises de plateforme, ainsi qu’à l’introduction de processus de certification pour les contrats liés au travail. La CES estime toutefois que le corollaire nécessaire à l’établissement d’une présomption légale de statut (soutenue par un niveau de preuve élevé pour renverser cette présomption) serait l’introduction d’une procédure judiciaire ou administrative ad hoc contraignante qui serait déclenchée par les employeurs de plateformes cherchant à réfuter la présomption légale afin de démontrer qu’ils sont de simples intermédiaires numériques entre de véritables entreprises ne relevant pas du champ de protection de la directive.[4]
La CES estime qu’en l’absence de ce type d’organes administratifs ou judiciaires ad hoc pour les entreprises de plateforme, la valeur de l’introduction d’une présomption de statut serait sévèrement diminuée, voire totalement vaine. En substance, elle n’aiderait que les travailleurs qui ont les ressources et la détermination nécessaires pour demander une réparation judiciaire ou administrative contre leur classification contractuelle erronée aux mains de leurs employeurs de plateforme — invariablement mieux dotés en ressources. Les travailleurs employés par des entreprises de plateforme font souvent partie des travailleurs les plus précaires et les plus vulnérables du marché du travail, et leur capacité à accéder aux processus de résolution des litiges judiciaires et administratifs est effectivement entravée par une combinaison de facteurs, notamment la discrimination envers des groupes ethniques, les bas salaires, l’insécurité de l’emploi et le manque de représentation syndicale (souvent en raison de l’hostilité de leurs employeurs envers les syndicats). La CES soutient qu’afin de remplir sa finalité et ses objectifs, l’une des conséquences de la présomption de statut d’emploi devrait être qu’une personne employée par le biais d’une entreprise de plateforme est présumée être son travailleur jusqu’à ce que l’employeur de la plateforme réfute cette présomption devant un organe administratif ou judiciaire approprié, à établir selon les codes du travail et les relations industrielles nationaux. Les décisions de ces organes devraient pouvoir faire l’objet d’un contrôle, par l’une ou l’autre des parties et par les syndicats les plus représentatifs du secteur agissant au nom de leurs membres, sans retarder l’application des décisions.
L’effet principal d’une présomption réfragable est d’établir qu’une personne (par exemple un travailleur) a un certain statut d’emploi, jusqu’à ce qu’un statut différent soit prouvé par l’autre partie (par exemple l’employeur). Le niveau de preuve attendu par l’employeur pour renverser la présomption peut varier d’un système à l’autre.
La CES demande que la réglementation européenne garantisse une forte présomption de relation de travail, dans laquelle la présomption est générique, en ce sens que le travail fourni via une entreprise de plateforme présuppose l’existence d’une relation de travail officielle, et que les entreprises de plateforme doivent établir, devant le tribunal, toute une série de faits pour la réfuter. La raison d’une présomption aussi forte repose sur l’inégalité structurelle de négociation entre les travailleurs des entreprises de plateforme et les entreprises de plateforme. Bien que la réglementation aiderait, dans une large mesure, les travailleurs des entreprises de plateforme, elle devrait s’appliquer à tous les travailleurs, afin de ne pas créer une troisième catégorie et d’empêcher le faux travail indépendant.
La deuxième option identifiée par la Commission européenne est le « déplacement de la charge de la preuve ». Généralement, l’un des effets secondaires d’une présomption est de déplacer la charge de prouver que le travailleur n’est pas un travailleur, du travailleur salarié vers l’employeur. Dans la plupart des systèmes, ce déplacement se produit automatiquement en raison de la présomption légale (c’est-à-dire sans que le travailleur ait à établir des faits particuliers). Le renversement de la charge de la preuve complète la présomption d’emploi et assure une protection efficace des travailleurs des entreprises de plateforme, avec une référence spécifique à ceux qui sont dans une situation vulnérable et qui sont moins susceptibles d’entreprendre une action en justice pour contester leur statut d’emploi. La CES souligne donc qu’un « renversement de la charge de la preuve » est lié et complémentaire à l’hypothèse réfutable d’une relation de travail et à la reconnaissance des plateformes en tant qu’entreprises avec toutes les obligations que cela implique.
Le renversement de la charge de la preuve place la responsabilité de prouver la non-application de la présomption du côté de l’employeur/entreprise. Par conséquent, la CES souhaite souligner que si l’entreprise de plateforme a embauché de véritables indépendants et qu’elle peut le prouver, son modèle économique ne sera pas affecté. Cependant, si l’entreprise de plateforme ne peut pas renverser la présomption d’emploi, cela signifie que les travailleurs ont été employés dès le début. Ainsi, le renversement de la charge de la preuve ne fait que déplacer le poids de la charge de la preuve de la personne la plus vulnérable dans la relation de travail (le travailleur) vers la personne la plus à même de prouver le contraire (l’entreprise). Cet exposé des motifs vise à souligner qu’une présomption de relation de travail avec un renversement de la charge de la preuve (du travailleur vers l’employeur) n’affectera pas le modèle économique des entreprises de plateforme opérant avec de véritables travailleurs indépendants. Un système de contrôle périodique permettant de vérifier si la relation entre l’entreprise/l’employeur et les travailleurs a changé devra être mis en place.
Il convient de noter que la présomption réfragable de la relation de travail permettra également d’améliorer les conditions de travail des véritables travailleurs indépendants, puisqu’elle empêchera les entreprises de plateforme d’imposer une subordination supplémentaire dans la relation.
La CES rappelle que, dans le contexte de la discrimination fondée sur le sexe, la Cour de justice de l’Union européenne avait introduit un renversement de la « charge » de la preuve par l’intermédiaire de sa jurisprudence[5] et que cette mesure avait ensuite été intégrée dans la directive 2006/54/CE relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail. Plus récemment, l’article 18 de la directive sur les conditions de travail transparentes et prévisibles a également introduit un renversement de la charge de la preuve dans la compétence du droit du travail (licenciements abusifs).
L’article 153 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne a fourni la base juridique de la directive sur les conditions de travail transparentes et prévisibles et peut donc également s’appliquer pour proposer une législation sur une présomption d’emploi réfragable pour les travailleurs des entreprises de plateforme en Europe.
La directive relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail de 2006 comprenait également un renversement de la charge de la preuve à l’article 19, dans le cadre de la lutte contre la discrimination. La base juridique de cette directive était la directive 157 du TFUE. Dans cette situation (contrairement à une présomption légale typique), il n’y a pas de présomption ex ante que, disons, l’employeur a illégalement discriminé quelqu’un (ou a illégalement mal classé son statut d’emploi). Mais si le demandeur peut établir une présomption prima facie, c’est à l’employeur qu’il incombe de prouver le contraire et on s’attend généralement à ce qu’il doive le prouver de manière concluante.
Comme l’indique la documentation de la consultation, un renversement de la charge de la preuve sans présomption d’une relation de travail « obligerait toutefois encore les particuliers à entamer une procédure judiciaire, avec les coûts et les risques que cela comporte ». Les entreprises de plateforme attirent des groupes vulnérables sur le marché du travail qui ont des niveaux de revenus très bas, comme les étudiants et les migrants. Il est donc peu probable qu’ils entreprennent une action en justice. Le principal problème que pose le recours à la juridiction nationale pour requalifier les faux indépendants est qu’il s’agit d’une réponse réactive, alors que l’objectif du droit du travail et du statut d’emploi devrait être préventif. Une requalification ne suffirait pas à résoudre les problèmes. Le résultat d’une requalification peut être le paiement d’une indemnité au travailleur, généralement basée sur le salaire minimum, et le paiement de temps de travail supplémentaire et de congés annuels. La requalification devant le tribunal ne signifie pas l’application du droit du travail, mais la reconnaissance qu’une situation particulière était erronée, sans changer le problème structurel. Au niveau européen et dans de nombreux États membres de l’UE, il n’existe aucun moyen, établi par la loi, de garantir que les victoires individuelles devant les tribunaux des travailleurs des entreprises de plateforme qui contestent leur statut de travail entraîneront un changement du modèle commercial fictif de ces plateformes. Par conséquent, une présomption réfragable de la relation de travail est nécessaire.
La situation actuelle dans laquelle opèrent les entreprises de plateforme repose sur la présomption d’une relation de travail indépendant, où la responsabilité de l’application du droit du travail incombe à la partie la plus vulnérable. Ne pas se positionner en faveur d’une présomption de relation de travail implique le soutien du statu quo, dans lequel une relation de travail indépendant est présumée. Seuls les travailleurs ayant les ressources et la patience d’aller devant un tribunal obtiendront cette reconnaissance, tandis que l’entreprise de plateforme continuera à faire « ses affaires comme d’habitude ». Plus important encore, les travailleurs des entreprises de plateforme qui portent leur affaire devant les tribunaux ne sont pas protégés contre les licenciements. Les travailleurs vulnérables, précaires/faux indépendants ont besoin de la présomption d’emploi avec son déplacement complémentaire de la charge de la preuve, et de la reconnaissance des entreprises de plateforme en tant qu’employeurs avec toutes les obligations que cela implique, car la requalification devant le tribunal est un obstacle pour eux pour accéder au marché et bénéficier de la protection de l’emploi qu’ils méritent.
La CES réaffirme que ces instruments (présomption de relation de travail et renversement de la charge de la preuve) n’exigent pas de changements dans la définition du travailleur établie par les États membres, et qu’elle ne prend pas non plus position sur une définition des critères de subordination. Elle respecte ainsi le principe de subsidiarité et l’autonomie des partenaires sociaux.[6]
Une plateforme (de travail) numérique est un employeur, une agence (de travail temporaire) ou un intermédiaire. Toute entreprise de plateforme peut être affectée à l’une de ces catégories. Un statut distinct est inutile et non souhaitable. La CES note qu’il est possible que l’autre partie (c’est-à-dire l’employeur présumé) ne soit pas en mesure de prouver que le travailleur n’est pas un travailleur/employé, mais qu’elle puisse néanmoins prouver qu’elle n’est pas l’employeur de ce travailleur (par exemple : une agence de travail temporaire ou une association). Tout comme les entreprises « ordinaires », les entreprises de plateforme doivent donc être liées à leur secteur d’activité et doivent respecter leurs obligations en matière de travail et de fiscalité en tant qu’employeurs, y compris les accords sectoriels négociés dans le cadre des négociations collectives par les partenaires sociaux. Pour reconnaître les entreprises de plateforme en tant qu’employeurs, la CES est favorable à une définition de l’entité employeuse qui imposerait des obligations en matière de droit du travail à la partie qui, dans la pratique, détermine en grande partie les conditions générales.
À première vue, trois parties semblent souvent impliquées : le travailleur, le client et l’entreprise de plateforme, qui a la fonction d’employeur lorsque la présomption s’applique. Cependant, lorsque le travailleur est un employé de l’entreprise de plateforme, seules deux parties sont impliquées (le travailleur et la plateforme, c’est-à-dire l’employeur).
Si les entreprises de plateforme ne respectent pas leurs responsabilités en tant qu’employeurs, une présomption d’emploi ne ferait que créer une échappatoire pour la création de sociétés intermédiaires qui embaucheraient des travailleurs. Les entreprises de plateforme continueraient à contourner leurs obligations fiscales et professionnelles en matière de sécurité sociale et ces systèmes intermédiaires seraient préjudiciables à la représentation collective et à la promotion de la négociation collective au niveau de l’entreprise. En outre, dans les pays où il n’existe pas de conventions collectives sectorielles ou lorsque les conventions d’entreprise prévalent sur les conventions sectorielles, la création de sociétés intermédiaires contribuerait à dégrader les conditions de travail. De telles malversations qui permettent aux entreprises de plateforme d’éviter l’observation du droit du travail existent déjà en Allemagne et, en dehors de l’UE, en Suisse. En Espagne, les entreprises de plateforme envisagent déjà la possibilité de créer de telles sociétés intermédiaires pour éviter l’observation de la « loi Riders » susmentionnée.
La question de savoir si une entreprise de plateforme est un employeur ou une agence de travail (temporaire) dépend du fait que la plateforme numérique remplit une fonction d’attribution active sur le marché du travail. Si l’entreprise de plateforme joue uniquement le rôle de médiateur dans la réalisation et la mise en œuvre financière de l’accord entre le travailleur de l’entreprise de plateforme et l’utilisateur, alors la plateforme devrait dans tous les cas être responsable en tant que médiateur de l’exécution des paiements de taxes et de primes pour le travailleur de l’entreprise de plateforme. Une évaluation est nécessaire pour déterminer dans quels cas la directive sur le travail intérimaire est applicable.
La CES s’oppose à la proposition d’une procédure administrative (option 3 du document de consultation fourni par la Commission européenne) pour examiner le statut d’emploi des personnes travaillant dans des entreprises de plateforme. Cette procédure n’est pas contraignante et ne ferait donc qu’ajouter une couche supplémentaire dans le processus d’accès des travailleurs à leur statut d’emploi et serait toujours désavantageuse pour les communautés de travailleurs vulnérables, qui sont surreprésentées dans les entreprises de plateforme. Cela dit, une procédure administrative légale ou ad hoc, juridiquement contraignante, devrait être mise en place pour toutes les entreprises de plateforme une fois la législation européenne adoptée et soumise à un contrôle régulier.
Il en va de même pour la certification des contrats de travail (option 4 du document de consultation de la Commission). Bien que cette mesure soit présentée comme une procédure moins contraignante qu’une action en justice, elle aurait néanmoins un effet dissuasif sur les travailleurs vulnérables. Une telle procédure ajouterait une complexité inutile au système, qui pourrait être facilement résolue par la mise en œuvre d’une présomption réfragable de la relation de travail. L’expérience du certificat A1 dans le contexte des détachements montre que la pratique de délivrance dans les États membres est très sensible aux abus. En outre, la classification d’une relation contractuelle en tant que contrat de travail ou travail indépendant dépend de la pratique réelle et non de la désignation formelle certifiée au début de cette relation contractuelle.
La Commission européenne propose que les différentes options puissent également être combinées de différentes manières et que celles-ci puissent s’appliquer soit à toutes les entreprises de plateforme, soit uniquement à des catégories spécifiques. La seule combinaison possible pour la CES est la présomption de la relation de travail avec le déplacement de la charge de la preuve sur l’entreprise de plateforme et la reconnaissance des plateformes en tant qu’entreprises avec toutes les obligations que cela implique. Toute solution de sélection pour les entreprises de plateforme, basée sur leur prétendue nature unique, irait à l’encontre de l’établissement de conditions de concurrence équitables entre les entreprises de plateforme et celles de l’« économie traditionnelle ». En outre, il convient de rappeler que différentes catégories d’entreprises de plateforme ont été proposées à des fins de recherche uniquement et qu’elles n’ont aucune nature juridique. La CES réitère la déclaration précédente dans ses réponses au document de consultation de la première phase, selon laquelle elle ne peut soutenir une distinction entre les entreprises de plateforme de travail sur site et les entreprises de plateforme de travail numérique. Elle ne peut que contribuer à identifier les défis et les questions supplémentaires qui doivent être abordés par rapport au socle minimal de droits.
Les critères permettant de déterminer le statut d’emploi doivent être considérés comme la boussole juridique qui guidera le tribunal ou l’organe administratif concerné dans les cas où les entreprises réfutent la relation de travail. La CES a déjà proposé des critères basés sur les décisions de la CJCE pour le statut de travailleur indépendant, à savoir :
- Faire appel à des sous-traitants ou à des remplaçants pour exécuter le service qu’ils se sont engagés à fournir ;
- Accepter, ou ne pas accepter, les différentes tâches proposées par l’employeur présumé, ou fixer unilatéralement le nombre maximum de ces tâches ;
- Fournir leurs services à tout tiers, y compris les concurrents directs de l’employeur présumé ; et
- Fixer leurs propres heures de « travail » selon certains paramètres et adapter leur temps à leur convenance personnelle plutôt qu’aux seuls intérêts de l’employeur présumé.
La CES a également examiné, avec intérêt, les critères introduits par le projet de loi 5 de l’Assemblée de Californie, mais malheureusement, le lobby de nombreuses entreprises de plateforme pour obtenir des exemptions, a abouti à une loi d’exclusion virtuelle des travailleurs des entreprises de plateforme du champ d’application de cette loi. Toutefois, l’administration américaine actuelle a réintroduit ces critères dans la loi Pro qui a déjà été adoptée par la Chambre des représentants. Les critères, qui représentent une approche holistique de la présomption de statut d’emploi, stipulent que les critères suivants doivent être remplis pour les véritables travailleurs indépendants :
- Le travailleur est libre du contrôle et de la direction de l’entité qui l’embauche en ce qui concerne l’exécution du travail, tant en vertu du contrat d’exécution du travail que dans la réalité.
- Le travailleur effectue un travail qui n’entre pas dans le cadre habituel des activités de l’entité qui l’embauche.
- Le travailleur exerce habituellement un métier, une profession ou une activité indépendante de même nature que le travail effectué.
Les aspects qui sont utilisés de manière reconnaissable comme des instruments de détermination externe, tels que la fixation des prix, le contrôle de l’attribution des contrats, les méthodes disciplinaires sous forme de systèmes de réputation ou de notation, la surveillance rapprochée du processus de travail, les spécifications spécifiques de l’entreprise de plateforme, qui a la fonction d’employeur lorsque la présomption s’applique, en ce qui concerne le contenu, l’exécution, le temps et le lieu de l’activité, doivent également être mentionnés comme indicateurs. Un autre indicateur est le fait d’être (ou non) intégré dans l’entreprise de l’employeur pendant la durée de la relation de travail, que le travailleur et l’employeur forment ou non une unité économique avec celle-ci.
5.2.2. Introduction de nouveaux droits liés à la gestion algorithmique
La CES est d’accord avec les propositions d’améliorer l’information des travailleurs affectés par la gestion algorithmique et avec la nécessité de renforcer les droits d’information et de consultation sur les systèmes de gestion algorithmique, en assurant la pleine participation des partenaires sociaux. Le contrôle démocratique et la transparence du fonctionnement de l’algorithme des applications de travail intermédiaire dans les entreprises traditionnelles (le travail dans des entreprises de plateforme ne se singularise pas lorsqu’il s’agit de la gestion algorithmique) et les entreprises de plateforme, devraient être discutés par le biais de l’information, de la consultation et de la participation des travailleurs dans le plein respect des principes de non-discrimination. La négociation collective et les partenaires sociaux devraient jouer un rôle clé dans la détermination et la mise en œuvre des règles respectives concernant la gestion algorithmique. En outre, le droit du travail et la négociation collective doivent reconnaître l'intelligence artificielle et l'utilisation d'algorithmes comme une forme de modification des conditions de travail, en prévoyant des mécanismes permettant aux représentants des travailleurs et aux travailleurs de défendre leurs droits.
Un travail de qualité dans les entreprises de plateforme exige une transparence suffisante sur la manière dont le travail est organisé via les entreprises de plateforme par le biais du contrôle algorithmique, des systèmes de classement et de réputation, et de la tarification. La CES demande que les travailleurs, indépendamment de leur statut, bénéficient de droits d’information concernant les mécanismes de pilotage et de contrôle envers les entreprises de plateforme, en particulier quelles données sont collectées et dans quelle mesure les travailleurs sont contrôlés, quelles informations sont collectées sur les processus de travail et les résultats. La transparence doit être établie concernant tous les classements, notations, catégorisations, priorisations, etc. Il est nécessaire de préciser que tous les classements, notations, catégorisations et systèmes de réputation sont constitués de données à caractère personnel au sens du RGPD, qui doivent être divulguées aux employés des plateformes, et que cette divulgation ne peut être refusée en invoquant des secrets commerciaux.
Toute entreprise de plateforme, qui a la fonction d’employeur lorsque la présomption s’applique, a l’obligation de mettre à la disposition des syndicats et de l’inspection sociale toutes les parties de son algorithme qui ont un impact sur les travailleurs et l’organisation du travail : critères d’attribution du travail, de proposition de conditions et de commandes plus avantageuses, de déconnexion et de sélection, critères d’évaluation, statistiques et données collectées. Il s’agit de s’assurer qu’il n’y a pas de traitement discriminatoire, conformément aux directives européennes concernées.
La CES reste sceptique quant à l’efficacité des mécanismes de recours internes mis en place par les entreprises de plateforme et s’inquiète de l’effet dissuasif que cette procédure peut avoir lorsque d’autres actions en justice peuvent être nécessaires.
Il est regrettable que la Commission européenne ait omis toute référence à la surveillance intrusive exercée par certains employeurs, y compris certaines entreprises de plateforme. La surveillance n’est pas, par défaut, légitime, nécessaire ou proportionnée sur le lieu de travail. Les technologies de suivi et de surveillance sont de plus en plus présentes dans la société, ce qui met en danger la vie privée, la protection des données et les droits fondamentaux sur le lieu de travail. Elles ont souvent un impact indu sur les travailleurs et menacent leurs droits, tels que la liberté d’association et d’expression, la non-discrimination et les libertés numériques. Elles amplifient également les inégalités existantes. La CES demande que la surveillance algorithmique des travailleurs soit interdite.
L’accès aux algorithmes est souvent restreint, de sorte qu’il est difficile de contrecarrer le contrôle algorithmique. Le droit à la négociation collective et les droits à l’information, à la consultation et à la participation au niveau de l’UE doivent être respectés, ce qui permet aux travailleurs et aux syndicats d’accéder aux algorithmes des entreprises de plateforme numériques. Les travailleurs et les syndicats devraient savoir quelles données sont collectées, pourquoi elles le sont, où elles sont stockées et comment elles sont utilisées pour contrôler leur travail. Cet accès aux données devrait être autorisé dans le pays où les services de la plateforme sont fournis et dans la langue du travailleur.
La CES demande que les questions relatives au RGPD telles que la « limitation de la finalité » (les données ne doivent être utilisées que dans le but pour lequel elles sont collectées), la portabilité des données, le « profilage », la transparence et les droits des travailleurs en tant que personnes concernées soient spécifiquement réglementées dans le contexte du travail via des plateformes.
La CES souhaite rappeler sa position sur la proposition de règlement de la Commission sur l’intelligence artificielle, qui ne tient pas compte de la spécificité des utilisations de l’IA dans l’emploi, y compris le travail via des plateformes. La Commission européenne devrait s’assurer que les syndicats et les représentants des travailleurs participent activement à la construction de l’IA au travail, ce qui est essentiel pour parvenir à un cadre solide en matière d’IA qui garantisse la protection des droits des travailleurs, des emplois de qualité et l’investissement dans la formation des travailleurs à l’IA.
La surveillance des travailleurs est réglementée par des lois nationales qui sont souvent antérieures au RGPD et ne couvrent pas les analyses modernes et intrusives des personnes. Les outils numériques ont porté cette surveillance à un nouveau niveau que nous pouvons définir comme la surveillance algorithmique des travailleurs : les analyses avancées (biométrie, apprentissage automatique, analyse sémantique, analyse des sentiments, technologie de détection des émotions, etc.) peuvent mesurer la biologie, les comportements et les émotions. La surveillance algorithmique ne se contente pas de scanner passivement, mais « gratte » la vie personnelle des travailleurs, construit activement une image et prend ensuite des décisions. La CES demande que la surveillance algorithmique des travailleurs soit interdite.
Les travailleurs et leurs représentants syndicaux devraient également être en mesure de comprendre le rôle des données et de la gestion des algorithmes sur leur lieu de travail et son impact sur l’organisation de leur travail ; ils devraient avoir une conscience critique du rôle et de l’impact du travail avec les systèmes d’IA et avoir un accès complet aux données pertinentes. À cette fin, une obligation légale pour les entreprises de mettre en place les processus nécessaires est nécessaire. L’introduction des technologies d’IA sur le lieu de travail devrait impliquer les syndicats et les représentants des travailleurs avant l’introduction de ces technologies.
De nombreuses formes de gestion algorithmique sont véritablement invasives et présentent un risque sérieux pour la santé et la sécurité physiques et mentales des travailleurs comme la surveillance des travailleurs par la reconnaissance biométrique, la notation de la productivité et l’évaluation des travailleurs par le biais de l’évaluation et de toutes sortes de suivi (mouvement des yeux, frappe des touches, copie et comportement passé, etc.). La gestion algorithmique conduit par nature à une généralisation des travailleurs, perdant de vue l’échelle humaine et les circonstances individuelles.
La promesse de l’IA réside dans l’augmentation de la prise de décision et de l’intelligence humaine, plutôt que dans leur remplacement. Le document de consultation (tout comme la proposition de règlement sur l’intelligence artificielle d’ailleurs) part du principe qu’une fois certaines conditions remplies, l’IA peut largement remplacer la prise de décision humaine sur le lieu de travail. Certaines décisions et activités liées au travail devraient rester la prérogative des humains, en particulier dans les domaines où ces décisions ont des implications juridiques ou ont un impact sur les droits fondamentaux des travailleurs. L'intelligence artificielle (avec l'utilisation d'algorithmes) pour organiser le travail devrait être considérée comme le principal indice de la relation de travail si l'entreprise organise toute l'activité, gère les données et fixe les prix. Cette situation devrait empêcher à la fois le travail autonome et l'externalisation de l'activité à des entreprises tierces.
On ne sait pas si la gestion algorithmique apporte des avantages réels et, dans l’affirmative, à qui (travailleurs ou employeurs/fournisseurs de travail) ; on ne sait pas, par exemple, si ces systèmes conduisent à des évaluations plus justes, à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, à une meilleure productivité, à une réduction de l’absentéisme, ou s’ils se contentent d’augmenter les profits, de faciliter le licenciement des travailleurs et d’entraîner une surveillance constante des travailleurs.
Il est regrettable qu’aucune référence ne soit faite à l’article 88 du RGPD, relatif au traitement des données dans le cadre de l’emploi, qui pourrait être utilisé comme levier pour une protection renforcée des données des travailleurs. Ces données pourraient spécifiquement concerner le recrutement, les performances, la gestion, la planification et l’organisation du travail, l’égalité et la diversité sur le lieu de travail, la santé et la sécurité au travail, et les licenciements. En outre, les représentants syndicaux devraient être impliqués dans le contrôle du respect du RGPD des algorithmes des entreprises de la plateforme. Il reste de la responsabilité de l’entreprise — et en dernier ressort des autorités — de veiller à l’application du RGPD.
Droits des travailleurs en matière de SST dans les entreprises de plateforme
Les travailleurs des entreprises de plateforme peuvent être soumis à des risques accrus en matière de santé et de sécurité, tant pour le travail sur place (comme les accidents de la route ou les blessures physiques causées par des machines ou des produits chimiques) que pour le travail en ligne (par exemple en ce qui concerne l’ergonomie des postes de travail informatiques). Ces risques ne se limitent pas à la santé physique, mais peuvent également affecter la santé psychosociale, les facteurs de risque émergents étant les horaires de travail imprévisibles, l’intensité du travail, les environnements compétitifs (systèmes de notation, incitation au travail par des primes), la surcharge d’informations et l’isolement.
L’initiative de l’UE visant à améliorer les conditions de travail des personnes travaillant dans des entreprises de plateforme a également été annoncée dans le nouveau cadre stratégique de l’UE que la Commission a présenté en juillet 2021. L’un des principaux objectifs de cette initiative sera de garantir des conditions de travail adéquates, y compris en termes de santé et de sécurité, à toutes les personnes travaillant dans des entreprises de plateforme. Cela permettra notamment de clarifier la situation concernant l’acquis en matière de SST qui s’applique aux personnes reconnues comme travailleurs alors qu’il ne s’applique pas aux personnes qualifiées d’indépendants. En reconnaissant les entreprises de plateforme comme des employeurs, les travailleurs entreront directement dans le domaine de la législation SST, où les employeurs ont la responsabilité de protéger leurs travailleurs.
Tout comme les agences d’intérim, les entreprises de plateforme qui opèrent comme de véritables agences d’intérim, parce qu’elles remplissent une fonction d’allocation active sur le marché du travail, devraient être obligées de protéger et d’informer les travailleurs des entreprises de plateforme en matière de santé et de sécurité. Là encore, les entreprises de plateforme doivent être considérées comme des employeurs, qui doivent respecter toutes les réglementations en matière de SST.
Pour la CES, il est inacceptable que les travailleurs des entreprises de plateforme, qui effectuent souvent des travaux dangereux et précaires et qui sont les moins protégés, ne relèvent pas du champ d’application de la réglementation européenne en matière de SST et ne bénéficient donc d’aucune protection juridique.
Par conséquent, la proposition de la Commission doit traiter de la santé et de la sécurité au travail des travailleurs des entreprises de plateforme conformément au cadre juridique européen en matière de santé et de sécurité et leur permettre d’exercer leurs droits, y compris un droit à la déconnexion conformément à la mise en œuvre de l’accord-cadre des partenaires sociaux européens sur la numérisation.
5.2.3. Relever les défis transfrontaliers
Tout d’abord, la Commission note que les autorités nationales sont confrontées à des défis lorsqu’il s’agit du travail transfrontalier des plateformes, notamment en ce qui concerne l’inspection du travail, la sécurité sociale et la fiscalité. Dans ce contexte, la Commission indique que l’initiative envisagée pourrait contenir des obligations de transparence pour les entreprises de plateforme (point 1). Cela n’est pas seulement pertinent pour les situations transfrontalières, mais n’est en aucun cas suffisant pour relever les défis qui se présentent.
Deuxièmement, la Commission envisage également diverses obligations de déclaration comme moyen d’améliorer l’application des règles applicables (point 2). Toutefois, cela soulève deux questions : Quelles sont les règles applicables ? Et où doivent-elles être appliquées ? Les obligations de déclaration peuvent nécessiter des échanges d’informations transfrontaliers, puisque les obligations peuvent dépendre des exigences en vigueur dans l’État membre du travailleur, tandis que leur mise en œuvre peut nécessiter la coopération de l’État membre de la plateforme.
En ce qui concerne la question des règles applicables à la relation de travail, les entreprises de plateforme devraient être soumises aux mêmes règles que les autres entreprises dans les situations transfrontalières. Il en va de même pour les règles de conflit de lois, qui déterminent la juridiction à laquelle sont soumis la relation de travail et l’entreprise de plateforme, qui a la fonction d’employeur lorsque la présomption s’applique. Il n’est pas nécessaire de prévoir des règles spéciales à cet égard. Pour commencer, il convient de noter que les entreprises en ligne ont les mêmes obligations fondamentales de transparence et de déclaration que les entreprises hors ligne, y compris les PME. Les employeurs en ligne et hors ligne sont tenus de déclarer leurs travailleurs, que ce soit pour des raisons de droit du travail, de sécurité sociale, de droit des sociétés ou de droit fiscal, etc. L’obligation de veiller à ce que le travail soit déclaré incombe à l’employeur. Les entreprises de plateforme ne peuvent pas fonctionner en vase clos, en construisant leur avantage concurrentiel sur un modèle économique qui serait à l’abri des règles applicables, qu’il s’agisse de la législation sociale, environnementale ou économique. Les obligations des entreprises de plateforme doivent être les mêmes que celles des entreprises « hors ligne » et se fonder sur ce qui est nécessaire pour garantir la protection des travailleurs et l’égalité des conditions de concurrence sur le marché, et non sur une logique de ce qui ne serait pas trop lourd pour les entreprises de plateforme.
Comme l’a souligné la Commission européenne, l’incertitude concernant le statut d’emploi peut poser des problèmes pour déterminer la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) et la juridiction compétente pour résoudre les litiges (Bruxelles Ia) dans des situations transfrontalières. Des dispositions plus favorables s’appliquent aux litiges entre employeurs et travailleurs « dérogeant aux règles générales concernant les contrats et prévoyant certaines garanties, dans le but de protéger les travailleurs en tant que partie faible au contrat. Ces dispositions favorables ne s’appliquent pas aux indépendants dont les transactions sont régies par les règles générales. » Cependant, ces deux règlements ne comportent pas de notion formelle de « contrat de travail » mais doivent être interprétés de manière plutôt contextuelle. Aux fins de l’identification de la partie la plus faible, la Cour de justice, par exemple dans l’affaire Holterman Ferho C-47/14, a estimé que « la caractéristique essentielle d’une relation de travail est que, pendant une certaine période, une personne effectue des services pour et sous la direction d’une autre, en contrepartie desquels elle reçoit une rémunération » (§ 41). Par conséquent, compte tenu du déséquilibre de pouvoir entre l’entreprise de plateforme, qui a la fonction d’employeur lorsque la présomption s’applique, et ses travailleurs, des dispositions plus favorables au titre de Bruxelles Ia et de Rome I devraient s’appliquer à tous les travailleurs, indépendamment de leur statut d’emploi formel, qu’ils soient salariés ou travailleurs atypiques (y compris les travailleurs indépendants).
La détermination de la législation sociale applicable dans les situations transfrontalières devrait s’écarter d’une approche centrée sur le travailleur, en partant du principe que l’entreprise de plateforme, qui a la fonction d’employeur lorsque la présomption s’applique, est l’employeur. Comme l’affirme l’article 8 du règlement Rome I, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel, ou à partir duquel, le travailleur accomplit habituellement son travail. Toute dérogation à ce principe ne doit pas avoir pour conséquence de priver le travailleur de la protection qui lui est normalement accordée. De même, en règle générale, l’article 11, paragraphe 3, point a), du règlement 883/2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale affirme qu’une personne exerçant une activité salariée ou non salariée dans un État membre est soumise à la législation de cet État membre. En d’autres termes, le lieu d’établissement de l’entreprise de plateforme, qui a la fonction d’employeur lorsque la présomption s’applique, ne devrait pas être pertinent à première vue, mais le lieu où le travailleur travaille habituellement. De même, dans les cas où le travailleur exerce physiquement des activités dans deux ou plusieurs États membres, il devrait être soumis en premier lieu à la législation de l’État membre de résidence (article 13, paragraphe 1, point a)), tandis que l’État membre du siège de l’employeur n’a qu’une importance secondaire (article 13, paragraphe 1, point b)).
Par analogie, cela va de pair avec la conclusion de la Cour de justice dans des affaires telles que l’affaire C-434/15 Elite Taxi contre Uber, où l’État membre de destination a été jugé compétent pour faire appliquer ses règles applicables au service physique proposé par Uber. Dans son arrêt, la Cour de l’UE a déclaré que
« le service d’intermédiation fourni par Uber repose sur la sélection de chauffeurs non professionnels utilisant leur propre véhicule, auxquels la société fournit une application sans laquelle (i) ces chauffeurs ne seraient pas amenés à fournir des services de transport et (ii) les personnes qui souhaitent effectuer un trajet urbain n’utiliseraient pas les services fournis par ces chauffeurs. En outre, Uber exerce une influence déterminante sur les conditions dans lesquelles ce service est fourni par ces chauffeurs. Sur ce dernier point, il apparaît notamment qu’Uber détermine au moins le tarif maximum au moyen de l’application éponyme, que la société reçoit ce montant du client avant d’en verser une partie au conducteur non professionnel du véhicule et qu’elle exerce un certain contrôle sur la qualité des véhicules, des conducteurs et de leur comportement, ce qui peut, dans certaines circonstances, aboutir à leur exclusion. » (§ 39)
« Ce service d’intermédiation doit donc être considéré comme faisant partie intégrante d’un service global dont la composante principale est un service de transport et, partant, doit être qualifié non pas de “service de la société de l’information” au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 98/34, auquel renvoie l’article 2, sous a), de la directive 2000/31, mais de “service dans le domaine des transports” au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123. » (§ 40).
Cette jurisprudence démontre que pour déterminer les règles applicables au niveau national, il convient de prendre en compte la nature du service et le secteur dans lequel opère l’entreprise de plateforme, qui a la fonction d’employeur lorsque la présomption s’applique.
La nécessité d’assurer une application efficace des règles applicables nécessite également une amélioration de la coopération et de l’échange d’informations entre les autorités compétentes de l’État membre d’établissement (de l’entreprise de plateforme, qui a la fonction d’employeur lorsque la présomption s’applique) et de l’État membre de destination (où le travailleur est habituellement actif et/ou où ou à partir duquel le service est exécuté). À cet égard, l’Autorité européenne du travail doit jouer un rôle clé, notamment en soutenant et en coordonnant les inspections transfrontalières. Si l’État membre du travailleur est le premier compétent pour vérifier le respect de la législation sociale applicable, les obligations de transparence et de déclaration de l’entreprise de plateforme, qui a la fonction d’employeur lorsque la présomption s’applique, pourraient également nécessiter une mise en application dans l’État membre d’établissement. En ce qui concerne les inspections, il doit être possible d’inspecter les locaux de l’entreprise de plateforme, qui a la fonction d’employeur lorsque la présomption s’applique, dans les États membres d’établissement et de destination, indépendamment de la provenance des instructions données aux travailleurs.
Il en va de même pour les droits en matière de sécurité sociale. Les règles de coordination de la sécurité sociale de l’UE ne s’appliquent que dans les véritables situations transfrontalières, lorsqu’un travailleur franchit physiquement la frontière pour effectuer un service. Toutefois, si le service est fourni numériquement à partir du lieu où le travailleur travaille habituellement, les règles de sécurité sociale devraient s’appliquer de la même manière que pour tout autre travail pouvant être effectué à distance. Si, en revanche, il s’agit de télétravail, c’est-à-dire que le travailleur effectue son travail numériquement depuis un autre lieu que celui où il travaille habituellement, les règles de coordination de la sécurité sociale devraient s’appliquer de la même manière que pour tout autre télétravail transfrontalier. De même, si le travailleur effectue son travail depuis plus d’un État membre, les règles habituelles de pluriactivité devraient s’appliquer.
Par conséquent, le projet pilote de la Commission européenne concernant un laissez-passer européen de sécurité sociale (point 3) semble pertinent dans les situations caractérisées par une véritable dimension transfrontalière, où le travailleur traverse physiquement les frontières. Toutefois, il est important que toute initiative future de la Commission européenne à cet égard (que ce soit sous la forme d’un numéro ou d’un laissez-passer européen de sécurité sociale) ne se limite pas à la portabilité des droits, mais serve également à doter les responsables de l’application de la législation d’outils concrets pour garantir l’identification et la vérification des travailleurs et de leurs droits grâce à un accès en temps réel aux données et à leur échange. Le numéro européen de sécurité sociale devrait être complété par une carte européenne du travail afin de mieux faire respecter les droits des travailleurs.
5.2.4. Renforcer l’application de la législation, la représentation collective et le dialogue social
La CES est d’accord avec la déclaration de la Commission européenne selon laquelle l’application des règles et l’action collective sont essentielles, étant donné le déséquilibre de pouvoir entre les entreprises de plateforme et les personnes qui travaillent pour elles. La référence à « l’absence de tout soutien de la part des syndicats ou d’autres organisations » doit cependant être commentée. Les syndicats à travers l’Union européenne sont engagés dans l’organisation et la représentation des travailleurs des entreprises de plateforme. Le rôle des syndicats et de la négociation collective est essentiel lorsqu’il s’agit d’organiser le travail dans des entreprises de plateforme et de défendre les droits et les intérêts de leurs travailleurs. La CES et ses organisations membres se sont efforcées d’attirer ces travailleurs afin de les organiser. Un référentiel détaillé de ces pratiques est disponible sur le site suivant, géré par la CES : digitalplatformobservatory.org. Les entreprises de plateforme s’opposent toutefois à l’organisation de leurs travailleurs car elles prétendent que cela mettrait en péril leur modèle économique fictif. Cette résistance des entreprises de plateforme va de l’hostilité pure et simple, ou plus indirectement, à la mise en place de dispositifs de représentation alternatifs contrôlés par elles pour concurrencer les syndicats représentatifs indépendants. Les syndicats ont toutefois surmonté ces difficultés pour entamer des négociations avec les entreprises de plateforme, que ces dernières ont souvent refusées, mais acceptées dans quelques cas. Il existe donc aussi quelques exemples d’entreprises de plateforme qui concluent des conventions collectives en bonne et due forme sur les conditions de travail de leurs travailleurs après des négociations avec les syndicats (également disponibles sur le site géré par la CES mentionné ci-dessus).
L’UE devrait encourager les États membres et les partenaires sociaux à stimuler le dialogue social dans le domaine du travail dans des entreprises de plateforme et à soutenir le renforcement des capacités dans ce contexte. Il s’agit là d’un argument supplémentaire en faveur de la responsabilité des entreprises de plateforme en tant qu’employeurs. Actuellement, les entreprises de plateforme nient leurs responsabilités d’employeurs afin de contourner les obligations sociales et fiscales, qui ont été exposées précédemment. Elles se présentent comme une simple place de marché virtuelle qui met en relation l’offre et la demande de deux ou plusieurs parties. Pour que les entreprises de plateforme s’engagent dans le dialogue social et la négociation collective avec les syndicats, elles doivent reconnaître leur rôle d’employeur et s’organiser avec les autres organisations d’employeurs de leur secteur industriel respectif. Conformément à la législation et à la pratique des États membres et aux modèles nationaux de marché du travail, seuls les syndicats organisés, reconnus, représentatifs et indépendants peuvent légitimement négocier collectivement au nom des salariés, des indépendants et des autres travailleurs atypiques[7].
Les travailleurs atypiques et les travailleurs des entreprises de plateforme (y compris les indépendants) doivent pouvoir exercer ces droits et bénéficier de la protection des conventions collectives applicables. Ces droits doivent être garantis et promus dans tous les États membres de l’UE. Les travailleurs atypiques et les travailleurs des entreprises de plateforme (y compris les indépendants) représentés par un syndicat lorsqu’ils négocient collectivement ne doivent pas être considérés comme des entreprises aux fins du droit de la concurrence. Les syndicats ne sont pas des cartels et les conventions collectives ne sont pas des accords entre entreprises entraînant des pratiques commerciales anticoncurrentielles.
L’initiative devrait s’accompagner de mesures visant à garantir le respect des règles. La participation significative des partenaires sociaux au niveau national pour établir ces mécanismes de conformité et d’application sera essentielle pour garantir l’efficacité du système.
En ce qui concerne la création de canaux de communication permettant aux représentants des travailleurs de fournir des informations aux travailleurs des entreprises plateformes, les syndicats et les comités d’entreprise devraient se voir accorder des droits d’accès numérique afin de garantir des canaux de communication efficaces et suffisants entre les syndicats et les travailleurs des entreprises de plateforme.
Droit de la concurrence En ce qui concerne les références à l’élimination des obstacles à la négociation collective, la CES souligne que les règles de concurrence de l’UE ne doivent jamais faire obstacle à la négociation collective, aux droits des travailleurs, aux systèmes et pratiques des marchés du travail nationaux et aux conditions de travail décentes. En ce qui concerne l’initiative européenne distincte sur le droit de la concurrence et les négociations collectives pour les indépendants, la CES rappelle qu’elle a demandé à la Commission de publier des directives d’interprétation, clarifiant que les conventions collectives échappent complètement au champ d’application du droit de la concurrence, qu’elles protègent les salariés, les indépendants ou d’autres travailleurs atypiques, y compris les travailleurs des entreprises de plateforme. La négociation collective est la compétence exclusive des partenaires sociaux nationaux, représentant les associations d’employeurs/employeurs individuels et les organisations syndicales. Ce n’est pas le rôle du droit de la concurrence de réglementer les conditions de travail, de définir ce qui constitue une négociation collective ou ce qui peut constituer une convention collective, et de déterminer qui peut s’engager dans de telles négociations ou bénéficier de la protection des conventions collectives. Les conventions collectives découlent du dialogue social et de la négociation collective, qui consistent en des négociations entre les employeurs et les travailleurs dans le but d’améliorer les conditions de travail dans le plein respect de l’autonomie des partenaires sociaux et des systèmes nationaux de relations industrielles. |
Conformément à la législation et à la pratique des États membres et aux modèles nationaux de marché du travail, seuls les syndicats organisés, reconnus, représentatifs et indépendants peuvent légitimement négocier collectivement au nom des salariés, des indépendants et des autres travailleurs atypiques. Le droit de la concurrence ne doit pas ouvrir la voie au dumping social en légitimant des acteurs de négociation alternatifs, par exemple les syndicats d’entreprise « jaunes », les pratiques de fixation des salaires entre employeurs, les soi-disant « forums de travailleurs » ou les « chartes de bon travail » introduits unilatéralement par les entreprises de plateforme.
Enfin, une collecte de données serait effectivement nécessaire dans le but de promouvoir la création d’un registre public des personnalités juridiques affichant une liste complète des entreprises de plateforme en ligne. Pour les entreprises de plateforme qui sont des employeurs ou des agences de travail temporaire, l’obligation générale d’employeur d’une société devrait être une condition préalable à leur fonctionnement dans un État membre de l’UE.
En outre, les propositions, telles que celle visant à créer un label de qualité européen pour les entreprises de plateforme qui adoptent de bonnes pratiques en faveur de leurs travailleurs, ne sont pas utiles. Un tel label n’existe pas pour les entreprises « traditionnelles » et les critères d’octroi (et de contrôle) de la qualité ouvriraient un débat inutile à ce stade.
III. Quel est votre avis sur les instruments juridiques possibles présentés dans la section 5.3 ?
Le document de consultation suggère que des actions tant législatives que non législatives sont possibles. Il est évident qu’une recommandation du Conseil, sans exigences contraignantes, n’apporterait pas les améliorations nécessaires pour atteindre les objectifs susmentionnés. Afin d’atteindre ces objectifs, une initiative législative contraignante au niveau européen est nécessaire de toute urgence. Sans exigences minimales contraignantes, l’initiative ne permettrait pas d’assurer les avancées nécessaires pour garantir des conditions de travail équitables aux travailleurs de l’économie de plateforme.
La CES est toujours prête à entamer un dialogue avec les employeurs sur la manière d’améliorer les conditions de travail. Cependant, tant que les opérateurs de plateformes agissant en tant qu’employeurs ne reconnaissent pas leur statut d’employeur, le dialogue n’a aucun sens et ne sert à rien. Il est évident que, malgré certaines pratiques réussies, comme le « code de conduite » allemand soutenu par l’association allemande de crowdsourcing avec la participation d’IG Metall, les instruments volontaires tels que les codes de conduite, les chartes ou les labels ne sont en aucun cas adaptés pour améliorer les conditions de travail dans tout un secteur à travers l’UE et à long terme. Au contraire, ils font de la figuration et retardent l’action législative nécessaire et urgente. Pour ces raisons, la CES est convaincue que des conditions de travail équitables pour les personnes travaillant dans l’économie de plateforme ne peuvent être obtenues que si le législateur agit en adoptant des directives ambitieuses pour faire appliquer les règles existantes en matière d’emploi, de protection sociale, de sécurité sociale et d’égalité, tout en respectant les traditions et les systèmes nationaux du marché du travail, ainsi que le rôle et l’autonomie des partenaires sociaux nationaux.
La CES appelle la Commission à proposer une directive ambitieuse basée sur l’article 153 (2) du TFUE. L’objectif principal de la directive devrait être de mettre les travailleurs des entreprises de plateforme sur un pied d’égalité avec les travailleurs traditionnels et de garantir ainsi leur droit à la liberté d’association, y compris la négociation collective ; renforçant ainsi l’application des règles existantes. La directive devrait définir des normes et des exigences minimales contraignantes pour les travailleurs. Entre autres, la directive doit codifier les critères pour une présomption réfragable de salariat et le transfert de la charge de la preuve aux entreprises de plateforme plutôt qu’aux travailleurs. La classification claire en tant que travailleur garantit l’application de toutes les réglementations sociales et de l’emploi. La directive doit respecter les traditions et pratiques nationales.
La CES estime qu’il serait approprié de fixer des normes pour la protection des indépendants employés par des entreprises de plateforme sur la base de l’article 153, paragraphe 2, dans le cadre d’un instrument visant à fixer des normes minimales concernant les conditions de travail des employés (et des travailleurs classés à tort comme « faux indépendants ») travaillant dans des entreprises de plateforme. Comme l’a noté l’AG Wahl dans son avis dans l’affaire FNV Kunsten, « la prévention du dumping social [entre les employés et les indépendants] est un objectif qui peut être légitimement poursuivi par [...] des règles concernant les indépendants » (paragraphe 70 de son avis). Mutatis mutandis, on pourrait faire valoir qu’une directive visant à protéger les conditions de travail des travailleurs employés dans des entreprises de plateforme ne serait pas en mesure d’atteindre ses objectifs politiques déclarés si les mêmes conditions de travail n’étaient pas également applicables aux indépendants fournissant le même type de travail ou de services. Le fait de ne pas appliquer les mêmes normes aux travailleurs indépendants engendrerait de facto le scénario identifié par AG Wahl, puisque « du point de vue d’un travailleur, il n’y a pas vraiment de différence s’il est remplacé par un travailleur moins coûteux ou par un indépendant moins coûteux » (paragraphe 70 de son avis).
La CES estime donc que l’article 153, paragraphe 2, devrait servir de base juridique principale à un instrument fixant des normes minimales principalement pour les travailleurs employés des entreprises de plateforme et accessoirement pour les indépendants travaillant pour des entreprises de plateforme. L’objectif principal ou prédominant de l’instrument serait de protéger les travailleurs employés des entreprises de plateforme, et la protection des indépendants travaillant pour des entreprises de plateforme serait accessoire à cet objectif prédominant ou principal (ainsi que nécessaire à sa réalisation ; arrêt du 6 mai 2014, Commission/Parlement et Conseil, C-43/12, EU:C:2014:298, point 29, et arrêt du 14 juin 2016, Parlement/Conseil, C — 263/14, EU:C:2016:435, point 43, et jurisprudence citée).
IV. Les partenaires sociaux européens sont-ils disposés à entamer des négociations en vue de conclure un accord au titre de l’article 155 du TFUE en ce qui concerne l’un des éléments énoncés à la section 5.1 du présent document ?
Étant donné que la plupart des objectifs fixés dans le document de la Commission ne peuvent être atteints que par le biais de la législation et que les organisations européennes des employeurs refusent, depuis plus d’une décennie, d’entamer des discussions sur les cadres juridiques, la CES est très réticente à entamer des procédures de dialogue social qui pourraient aboutir, après de nombreux retards, à un accord volontaire, incapable de répondre aux attentes des personnes travaillant pour des entreprises de plateforme. Un autre argument est que la plupart des entreprises de plateforme nient être des employeurs et ne sont pas membres d’associations d’employeurs ; un accord volontaire avec une association d’employeurs traditionnelle ne couvrirait pas de nombreuses entreprises de plateforme et sa mise en œuvre échouerait donc. En outre, la plupart des affaires judiciaires récentes reconnaissent l’existence d’une relation de travail.
Enfin, lors du dialogue social sur la numérisation, il a été impossible de soulever la question des travailleurs des entreprises de plateforme en raison de l’opposition rigoureuse de BusinessEurope. Dans ces conditions très spécifiques, il serait préférable que le législateur européen prenne l’initiative d’éviter de longues discussions vides, qui ne feront que retarder la législation et nuire aux travailleurs des entreprises de plateforme au lieu de leur apporter le soutien nécessaire. Si les entreprises de plateforme respectaient leurs responsabilités en tant qu’employeurs et étaient affiliées à l’organisation européenne d’employeur reconnue, la CES serait prête à envisager de s’engager dans des consultations fructueuses avec les partenaires sociaux en vertu du Traité fondamental de l’Union européenne.
Il faut une réglementation européenne ambitieuse et contraignante qui prévoit une présomption réfragable de salariat où la charge de la preuve doit être supportée par l’entreprise, (l’entreprise de plateforme, qui a la fonction d’employeur lorsque la présomption s’applique) et qui doit respecter les traditions et pratiques nationales et l’autonomie des partenaires sociaux. Une fois la législation adoptée et transposée au niveau national, elle sera appliquée grâce au travail continu des syndicats pour améliorer les conditions de travail des travailleurs des entreprises de plateforme.
[1] BERGER et al. Drivers of Disruption ? Estimating the Uber Effect. Lund and Oxford, 2017. Il s’agit des preuves fournies par l’ETUI. D’autres références peuvent être fournies si cela est jugé nécessaire, mais il convient de rappeler qu’il s’agit d’un document politique et non d’un article scientifique.
[2] World Employment and Social Outlook 2021: The role of digital labour platforms in transforming the world of work International Labour Office – Geneva: ILO, 2021.
HAUBEN et al. The platform economy and precarious work. European Parliament, Policy Department for Economic, Scientific and Quality of Life Policies Directorate-General for Internal Policies. Brussels, 2020.
[3] Le Conseil d’administration de l’OIT définit les formes d’emploi non standard comme un terme qui englobe le travail qui n’entre pas dans le cadre de la « relation de travail standard », c’est-à-dire le travail à temps plein, à durée indéterminée, ainsi que dans le cadre d’une relation de travail subordonnée et bilatérale. Non-standard employment around the world: Understanding challenges, shaping prospects International Labour Office – Geneva: ILO. 2016
[4] Afin de démontrer l’existence d’une législation européenne régissant la mise en place d’organes administratifs similaires, il convient de souligner que, parfois, des directives de l’UE ont mandaté la mise en place d’organes administratifs spécifiques chargés d’accomplir certains objectifs et certaines tâches (voir, par exemple, l’article 20 « Organismes de promotion de l’égalité » de la directive 2006/54 ; la recommandation 2018/951 de la Commission), et des organes ad hoc similaires pourraient être créés par la directive afin de garantir une évaluation rapide aux employeurs cherchant à renverser la présomption de statut professionnel. En guise d’alternative, les organes administratifs d’exécution et/ou de règlement des litiges existants, financés par des fonds publics, pourraient être chargés de remplir cette fonction.
[5] Certains pays, par exemple la Suède, considèrent que ce revirement équivaut à un revirement partagé.
[6] L’article 18 de la directive sur les conditions de travail transparentes et prévisibles, sur la « protection contre le licenciement et charge de la preuve », établit ce qui suit :
- Les États membres prennent les mesures nécessaires pour interdire le licenciement de travailleurs ou son équivalent, ainsi que tous préparatifs en vue du licenciement, au motif que ces travailleurs ont exercé les droits prévus par la présente directive.
- Les travailleurs qui considèrent qu’ils ont été licenciés ou ont fait l’objet de mesures d’effet équivalent au motif qu’ils ont exercé les droits prévus par la présente directive peuvent demander à leur employeur de dûment justifier le licenciement ou les mesures équivalentes. L’employeur fournit ces motifs par écrit.
- Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que, lorsque les travailleurs visés au paragraphe 2 établissent, devant une juridiction ou un autre organisme ou autorité compétent, des faits laissant présumer qu’un tel licenciement ou des mesures équivalentes ont eu lieu, il appartienne à l’employeur de prouver que le licenciement était fondé sur d’autres motifs que ceux visés au paragraphe 1. (…)
[7] À titre d’exemple, le 15 septembre 2020, Assodelivery (la principale association italienne de plateformes) a signé avec UGL, une association non représentative des travailleurs des entreprises de plateforme, une convention collective afin d’écarter la législation italienne visant à protéger les travailleurs des entreprises de plateforme. Après que les trois confédérations italiennes CGIL, CISL et UIL ont déclaré que le comportement d’Assodelivery était « inacceptable et incompréhensible » et qu’il aggravait en fait les conditions de travail des coureurs, le 30 juin 2021, le tribunal de Bologne a jugé que les entreprises de plateforme de livraison de repas ne pouvaient pas obliger les livreurs à vélo à accepter la convention collective nationale (CCN) qui a été signée par l’organisation patronale Assodelivery et le syndicat UGL Rider, car cet organisme syndical n’est pas représentatif.